The end of innocence

De retour de sa promenade quotidienne avec son Kao, Gillian monte les marches fatiguées de l’immeuble délavé et craquelé où elle vivait depuis quelques années. Elle évite de s’approcher de la rambarde branlante, certains des pieds s’étant descellé. Les murs ne sont guère mieux, la peinture s’écaille multipliant les lézardes rampantes. On avait même écrit au feutre des grossièretés dessus jamais effacées par un concierge paresseux ou bien lassés par la réapparition des tags après son passage.
Elle atteint son étage accompagnée par les halètements sonores du Kao et le bruit sinistre de ses bottes sur les marches. Il était désert à la seule exception d’une voisine, vieille femme maigre comme un squelette, aussi ridée que l’écorce d’un arbre qui balaie devant sa porte.

Elle sourit de ses dents cassés, jaunes et noires et caqueta sur le passage du petit ami de Gillian. Cette dernière, qui plongeait la main dans sa poche pour en repêcher ses clés, se fige, fronce des sourcils, elle n’a pas de petit ami.
Pensée désespérante pour une célibataire mais qui ramène la paranoïa qui la caractérisait au grand galop. Quelqu’un s’était introduit chez elle. Elle remercia sa voisine puis se plaqua contre le mur du côté de la poignée, sortit une arme la tourna histoire de pousser un possible assassin à tirer à travers la porte. Pas de tir.  La porte est déverrouillé ce qui l’aurait de toute façon averti d’une intrusion sans la voisine bavarde. Gillian entre prudemment en effectuant un rapide balayage de la pièce de vie, il n’y a personne et le seul changement qu’elle  constate, est une lettre orpheline qui trônait sur la table. Cela ne la détendit nullement, elle fouilla minutieusement son appartement en quête d’autres surprises, jette un coup  d’œil par les deux fenêtres. Rien de suspect en bas de l’immeuble si ce n’est que les habituels ados fumeurs au look gothique. Il ne reste plus que le contenu de la lettre.

Rendez-vous à   18h20 aux Trois Canards Chérie Ramirez.

Court et mystérieux. Effrayant car l’auteur connaît son identité de naissance. Difficile d’ignorer pareil message, son auteur montre clairement  qu’il s’impose et qu’il est très bien renseigné.  Gillian a beau hésiter, réfléchir de tout son soûl en caressant son Kao, elle sait qu’elle n’a pas le choix. Elle a besoin de connaître le joueur en face. Mais si c’est un piège, l’ex agent des douanes ne viendra pas sans être préparée en conséquence. Gillian s’enveloppa d’une longue veste qui lui descendait presque jusqu’aux genoux et sortit en laissant son Kao à l’appartement.  

Le mot ne précisait pas comment reconnaître son interlocuteur ce qui signifiait qu’il viendrait à elle. Avant d’entrer dans l’établissement, Gillian avait pris soin d’en faire le tour et de repérer les sorties et les possibles gros bras aux alentours.
Et comme elle ne souhaite pas faire une cible facile, Gillian se choisit une place hors du champ de visée d’un tireur extérieur non sans avoir veillé à identifier les clients dangereux ou suspects.

Gillian Boulanger, ou Chérie Ramirez, j'avais envoyé quelqu'un s'introduire chez elle pour lui laisser un mot, je voulais la rencontrer. Pourquoi ? Disons qu'elle avait des compétences qui pourraient m'être utile, il me fallait donc un entretient avec elle.

Je me trouvais donc aux Trois Canards, j'étais là depuis 18 h, je buvais un café tout en regardant ma tablette, grâce à Henry, mon génie de l'informatique, j'avais accès aux caméras, je m'en servait donc pour observer la fameuse Gillian sans qu'elle me repère, tu moins, c'est ce que j'espérais. Je la reconnus facilement, je n'avais vu qu'une photo d'elle, mais ça m'étais suffisant, je ne l'avais même pas mené.

Elle d'ailleurs très prudente la petite. Quand j’eus fini mon café, je rangeais et me levais, me dirigeant droit vers elle.

-Bonjour. Gillian Boulanger, c'est ça ? Je peux m'asseoir ? Je demandais. Je faisais exprès d'utiliser son nom d'emprunt au lieu de son vrai nom que pourtant, je connaissais.

Gillian ne feint pas la surprise à la mention de sa fausse identité, il aurait été bien curieux que cette femme ne la connaisse pas si elle savait son vrai nom. Sa seconde supposition se révélait fondée : elle l’avait attendue aux Trois canards, signé implicite que l’employeuse est sérieuse et que l’endroit avait été sécurisé par ses sous-fifres.

La place est libre, je vous en prie.

Elle s’abstint de proposer de la boisson, elle ne roule pas sur l’or bien qu’elle s’enivre pour noyer ses idées sombres. Pas de confirmation ou d’infirmation de son identité, celle-ci étant d’ailleurs fausse. Gillian détaille le visage de son interlocutrice tout en surveillant le reste du bar. Yeux marrons, cheveux blonds, une corpulence svelte sans muscle, cicatrice au-dessus de l’œil gauche. Petite taille proche du 1 mètres 70. Gillian note qu’elle était plus grande que son interlocutrice. Vêtements sobres.

Bien, elle n'a pas l'air d'y voir d’inconvénient, je m'installe donc. Après un léger silence, je commence.

-Je m'excuse de vous avoir contacté de la sorte. Mais c'était la meilleure façon d'éveiller votre intérêt. Si j'ai fait cela, c'est que j'aurai besoin de certaines de vos... Compétences, on va dire. Je voudrais donc vous proposez un boulot. Alors, que va-t-elle répondre à cela ?

Gillian ne pense pas qu’elle soit réellement désolée, seulement, ça l’irrite que sa couverture ait été éventée comme du papier. Si on avait pu la retrouver une fois, cela pouvait se reproduire. Elle doit en tirer les conséquences et y parer à tout hasard. Il y a des limites à vivre en regardant par-derrière soi s’il n’y a pas un assassin, tard ou tôt on baisse la garde et on meurt. Pour le moment, l’ex-agent des douanes a une potentielle employeuse, elle n’acceptera pas stupidement sans en savoir un maximum. Ce qui veut dire autant qu’il est possible.

Et… de veiller à repérer les gros bras qui protègen la femme. Il y en a forcément, les recruteurs ne sont pas n’importe qui. Et lui là en train de lire un journal ? Et lui à côté d’une femme aux cheveux teints en rose ? Ils regardent trop ostensiblement son interlocutrice pour que ce soit une coïncidence.

De quel genre de boulot parlons-nous ? Si j’ai certaines compétences, j’ai aussi des limites qui font que je ne suis forcément pas la plus indiquée pour le boulot que vous souhaitez me confier.

-Ne vous inquiétez pas, je me renseigne avant de proposer quelque chose à quelqu'un. De plus, j'ai l'impression que vous êtes en ce moment même en train de me prouver que j'ai raison. Vous les avez vu n'est-ce pas ? Je réponds avec le sourire, puis je reprends. Le boulot que j'ai à vous proposer est assez simple en fait, observer. Observer quoi ? Des lieux et des personnes par exemple et me rapporter ce que vous verrez.

Je réponds avec le sourire, puis je reprends. En attendant, je fais signe à un serveur de venir, je reprendrais bien un café.

-Vous voulez quelque chose ? C'est moi qui offre.

Étaient-ils les seuls à observer ? Non, il y avait un troisième homme qui avait visiblement un air de  parenté avec  son interlocutrice et une femme bien plus subtile que ses collègues.  Gillian approuve mais c'est insuffisant pour la tromper plus longtemps. Elle joignit ses mains, posa ses coudes sur la table avant de caler son menton sur ses pouces.

Peut-être.  Il y a quatre personnes qui nous observent potentiellement en ce moment  sans compter la caméra de surveillance du bar.  Le petit ami de la femme aux cheveux roses, mais si je me trompe, il doit vraiment y avoir de l'eau dans le gaz du couple. Je m'attends à qu'il finisse par la tromper ou la quitter. Le coup de l'homme qui lit un journal est un grand classique. Indémodable.  Dommage qu'ils regardent avec trop d'insistance pour leur bien. La troisième doit être un parent à vous. Cousin ou frère ? Plutôt protecteur. Mes compliments à la quatrième personne, elle est beaucoup plus discrète.  C'est malin de choisir une place qui donne une vue directe sur notre table et de s'intéresser à son cocktail.  

Elle hocha la tete avec approbation. Si c'est un test pour les quatre autres, gardez la femme. Elle est douée. Je veux bien du whisky sec.

Bien, bien. Un sans-faute, parfait, je ne m'étais donc pas tromper, enfin, plutôt les infos que j'ai sont bonnes. Elle a un sacré bon sens de l'observation ! Elle sait s'en servir de ses beaux yeux, enfin, je ne suis pas là pour le plaisir, mais pour le travail !

-Bien, vous avez donc réussi mon test et vous avez raison, je garde uniquement la femme, contrairement aux trois autres, elle, c'est comprit dans son "contrat" d'être discrète, donc bon, si vous l'aviez repéré en première, j'aurai été bien attristée. Dis-je alors en guise de réponse, je ne confirmerai pas que la troisième personne qu'elle a vu est mon frère par contre. Un serveur s'approche alors.

-Un whisky pour madame et un café pour moi s'il vous plaît. L'homme prend note de la commande et s'éloigne. Bon, j'en ai déjà bu un, mais il n'est pas mauvais le café ici. Je me retourne vers Gillian.

-Alors, un tel travail pourrait-il vous intéresser ? Si vous voulez plus de détails que ce que je vous aie déjà donné, vous pouvez demander.

Gillian reste méfiante, continuant d'observer la salle malgré l'information de la fixer. Ce n'est pas parce qu'elle a réussi un test qu'il faut se détendre. Il peut y avoir d'autres test, et peut-etre même qu'elles se retrouveraient dans une situation imprévue. Elle est donc aux aguets. Gillian n'est pas du tout désolée pour les trois hommes quoique, celui qui ressemblait à son interlocutrice ne risque sans doute pas d’être viré, il devait avoir d'autres attributions, paria-t-elle. Cependant elle n'éclaircira pas son rôle ni son identité, elle comprend la loyauté des liens familiaux. Les Ramirez, qu'ils soient contrebandiers ou douaniers, étaient très solidaires des uns des autres.

Madame ? Madame ? Elle n'a rien d'une matrone ou d'une mère de famille, elle a l'air d'une bagarreuse chevronnée. Même si elle ne proteste pas, on sent une désapprobation sous-jacente du terme. Elle a quelques questions auquel la jeune blonde doit répondre, et elle s'abstint de répondre à la question qui lui est posée.

Combien je serais payée pour ce travail ? Et selon quelles modalités ? Un salaire fixe avec des bonus en fonction de la valeur de mes... observations, des risques encourus ? Comment prendrais-je contact avec vous ou un intermédiaire si un imprévu me tombe dessus ? Comment transmettrai-je mes observations ? C'est le plus important l'argent, après il faut qu'elle détaille un peu plus ce qu'elle a prévu pour sécuriser l'organisation qui est derrière elle et ses "collaborateurs".

Non, je ne compte pas les virer, c'est juste que leur boulot, c'est d'être mes gros bras, pas d'être discret. Par contre, le madame à l'air de l'avoir fait réagir non ? Peut-être, je ne sais pas. En tout cas, on entre dans le vif du sujet. Ce que je suis de bonne humeur aujourd'hui.

-Vous serez payé en fonction des infos que vous m'apporterez principalement, au début, si notre collaboration est fructueuse, cela deviendra un salaire régulier avec des primes pour les infos ramenées. Je ne vous demande pas de me contacter tout le temps, uniquement quand vous le pouvez et que vous avez quelque chose, pas besoin de contacts réguliers et à des heures programmées, c'est d'ailleurs plus sûr à mon sens. Après, connaissez-vous le principe des boites aux lettres mortes ? C'est l'une des techniques que j’emploie. Aussi, si vous avez des problèmes vous pourrez vous en servir pour appeler à l'aide ou vous cacher si nécessaire. Pour finir, je vous payerai avec des crédits principalement, mais pas seulement.

Rien de plus normal. Les paiements arrivaient en fonction de l'explosivité des informations toutefois, elle prendrait garde à émettre des réserves vis-à-vis de ses informations. Le risque de transmettre des fausses informations ou orientée n'est jamais nul. Les bons professionnels du renseignement recoupaient toujours avec d'autres sources afin de juger de la fiabilité d'un contact ce qui signifiait que ce qu'elle transmettra sera analysé et décortiqué. Gillian n'est pas déçue d'entendre parler de dead drop, elle l'aurait été en revanche si la femme s'était aventurée à suggérer des rendez-vous réguliers. Le quotidien est une menace, un danger. Et rendait prévisible les gens comme elle l'avait apprise dans son métier de garde du corps.


Cela me semble équitable. Je réfléchirais à votre offre. Pensez à moi si vous avez d'autres affaires délicates à me confier. Une dernière question, rectification : deux dernières question plutôt : vous aimez pêcher dans quelle rivière ? Quels poissons aimez-vous appâter ?

Comprendre : Les poissons sont des informations. La rivière est le milieu, c'est-à-dire la provenance, le lieux ou ils marinent. Dans les bureaux de l'administration ? Dans les fêtes des grandes fortunes ? Dans les repaires de criminels ? Revoilà la serveuse avec le whisky et le café pour la - toujours - potentielle employée. L'ancienne agente des douanes remercia la jeune femme - jeune adolescente - qui devait probablement travailler à temps partiel en même temps que ses études. Ou bien accumulait de l'argent pour les universités extra-systèmes.

-Je n'y manquerai pas. Ensuite, disons que je suis quelqu'un qui aime bien regarder ce qui a dans chaque rivière et chaque poisson peut avoir son importance. C'est pour cela que j'ai besoin de plusieurs pêcheurs et s'ils connaissent parfaitement une rivière en particulier, c'est toujours un plus. Ensuite, j'aime bien les gros poissons, les petits sont utiles, mais les gros rapportent plus, de plus, les gens qui veulent les petits, ne font pas appel à mes services en général.

Quand la serveuse arrive, je la remercie également. Je prends ensuite une gorgée de café, j'espère qu'elle répondra au positif à mon offre. Je me décide néanmoins à ajouter quelque chose.

-Vous savez, mon organisation peut aussi vous aider à faire certaines choses, par exemple, vous aidez à faire en sorte que personne ne puisse vous contacter comme je l'ai fait...

Je fais ensuite glisser un papier vers elle. Si elle le lit, il y a écrit une adresse et un mot de passe à donner, je n'y serai pas, mais quelqu'un y sera qui permettra d'organiser un rendez-vous.

Gillian but une gorgée de son verre écoutant patiemment la longue réponse à ses deux questions. Elle en conclut que l'organisation devait être durablement installée pour pouvoir proposer une telle variété de poissons mais le fait qu'elle recrute pouvait indiquer une restructuration récente ou des pertes. Toutefois attention aux Gor'ks, les pêcheurs imprudents se font dévorer par eux. L'ex-agente des douanes ne souhaite pas en faire partie mais est conscient qu'elle a besoin d'argent et qu'elle souhaite une situation plus stable que des petits boulots. Garde du corps. Videuse de tavernes. Ce genre de chose.

Gillian récupère prestement le papier que la fixer vient de faire glisser vers elle, le regarde très brièvement, trop pour laisser le temps à quiconque de lire ce qui est dessus et le fait disparaitre dans la masse de ses vêtements. Ou l'avait-elle détruit ? Si elle a remarqué d'autres choses en même temps, elle n'en fit pas mention. C'est possible, vous avez des moyens que je ne possède pas. Il est toujours possible de se débrouiller avec ses propres ressources quand on est assez créatifs.

Un sourire en guise de réponse et je prends une nouvelle gorgée de café, je n'ai rien de plus à dire, reste à voir si elle a de nouvelles questions à me poser. J'espère qu'elle acceptera, j'ai toujours de besoin de personnes talentueuses pour m'assister.

Je pense que nous en avons terminé. Je me servirais de la boite aux lettres mortes si j'accepte et que j'ai d'autres questions. Pêcher n'a pas de sens si on ne connait pas la rivière et les habitudes des espèces de poisson qui y vivent.

Une manière de dire qu'elle ne s'engage pas tant qu'elle ne sait pas ou elle met les pieds exactement. D'un autre coté, il valait mieux en savoir le moins possible sur l'organisation que représente la trentaine en face d'elle.