Grumpy beginning

Calliope était partagée.
D'un côté, elle se sentait d'extrêmement mauvaise humeur, encore exacerbée par une nuit difficile et des camarades de dortoir bruyants. Parfois... Juste parfois, quand l'effet de ses médicaments s'étirait sur la fin- par exemple, à son réveil... Elle pouvait se voir les saisir, enfoncer ses ongles dans leurs visages, les fracasser contre les piliers métalliques des lits superposés jusqu'à que le sang gicle, que les dents tombent, que leurs os soient suffisamment broyés pour les rendre difformes à jamais. Puis elle clignait des yeux, et cette vision disparaissait aussi vite qu'elle était apparue, fugace, dans son esprit. Elle supportait de moins en moins cette proximité tonitruante, mais ce n'était pas une raison pour s'en prendre physiquement à ses collègues. En général, comme ce matin, un regard glacial de sa part suffisait à ce que leurs bavardages diminuent, ou, mieux, qu'ils s'éloignent d'elle.

De l'autre côté, il fallait aujourd'hui qu'elle fasse absolument bonne impression devant le nouveau médecin du Cerberus- encore plus que devant ses supérieurs hiérarchiques peut-être, oui. Oui, il allait peut-être devenir la personne dont elle allait devoir le plus se méfier à bord de tout le vaisseau. Un œil avisé serait capable de percer plus aisément à travers le comportement douteux que la jeune femme s'efforçait de soigneusement cacher sous une épaisse couche de professionnalisme et de froideur. Une personne qui pourrait faire un rapport qui ne la présenterait pas sous un bon jour, et il en serait fini de sa carrière. Cela avait été suffisamment difficile comme ça de traverser une période de réhabilité à la vie militaire après ce qu'elle avait vécu, alors la rousse allait s'accrocher de toutes ses forces à ce qui lui restait. Quitte à se battre pour. Quelque soit la méthode qu'il faudrait qu'elle emploie avec cet inconnu. Elle ne le laisserait pas lui prendre son droit d'exercer.

Fidèle à ses habitudes, quand elle se montra devant l'infirmerie du vaisseau, c'était parfaitement tirée aux quatre épingles, ses cernes cachées par un maquillage subtil qui rehaussait le vert de ses yeux. Ses longs cheveux quant à eux étaient impeccablement tressés et remontés dans une coiffure qui s'enroulait au creux de sa nuque. Cachées par des gants blancs d’apparat, même ses mains avaient l'air tout à fait normales-humaines- quand on ne voyait pas l'étrange disposition métallique de celle de droite. Elle ne prendrait pas son quart actif avant deux heures, mais elle préférait porter son uniforme militaire à toute heure. La couleur bleue marine familière de ce dernier lui était une vue réconfortante, et après des années à porter la même chose à quelques différences près, chaque couture et pli lui semblait apaisant dans leur simplicité. Seule extravagance au code, une fine chaîne argentée brillait autour de son cou et disparaissait dans le col de son chemisier. Non, tout était comme ça devait l'être.

Alors elle inspira profondément, et pianota sur l'interface à côté de la porte pour signaler sa présence à son futur ennemi.

Cette sensation bien familière que celle d'une table dure sur la joue. La peau se décolla du bureau avec lenteur, à mesure que se redressait la nuque de l'homme. Le vide de ses yeux jongla entre les papillonnements de ses paupières jusqu'à ce que la lumière se ravive dans sa mémoire. Sa main passa sur son visage, comme une providence destinée à enfin lui fermer la bouche. Il essuya un trait de bave de ses lèvres d'une main. Il retira un amas de salive du bureau d'une manche. Sa voix s'extirpa avec difficulté d'entre ses dents.

Au moins, je n'ai pas été réveillé par un démon...

Léo passa la porte pour sa chambre, fit une brève toilette, changea ses vêtements. Son rasoir dans la main, il désamorça une tentative de se raser après avoir couper sa joue. Le sang tomba sur sa vasque, dégoulinant depuis sa barbe et son menton. Et merde... Il traversa la pièce une nouvelle fois, cherchant un pansement pour se l'appliquer, retournant dans sa chambrée chercher ses vêtements. Il les remit rapidement en songeant à se raser un autre jour, passant un coup d'eau sur son visage pour nettoyer sa bévue.

Un infirmier l'averti de la présence d'un membre de l'équipage. Le médecin souffla, assura un air aimable, et répondit que la personne pouvait entrer. De l'hémoglobine avait entaché le col de sa blouse et l’extrémité de sa manche droite.

Bonjour, qu'est-ce qui vous amène soldat ?

La porte coulisse dans un chuintement après une minute, et sans plus attendre, Calliope la franchit d'un pas rapide- à sa grande surprise, cependant, la cabine est bien plus petite que ce qu'elle pensait. Sa seconde surprise est la personne qui se trouve en face d'elle. Elle s'attendait... Elle s'attendait à quoi en fait? Probablement au genre de médecins qu'elle avait trop longtemps fréquenté après son accident, ces grands types aux dents blanches aussi éclatantes que la couleur de leur blouse. Et la... C'est du sang qu'elle voit sur son col?

La belle hausse un sourcil sceptique en voyant l'apparence désordonnée du docteur- il aurait difficilement pu faire davantage contrasté avec la sienne. Dire qu'elle s'inquiétait de ses propres cernes ce matin... Cependant, ce n'est pas ce genre de détail qui va lui faire perdre contenance. Un autre aurait peut-être demandé avec inquiétude si il dérangeait au vu de la situation, mais Calliope effectue un rapide salut militaire. Ses yeux émeraude se posent sur le visage, fatigué mais aux traits plutôt doux du docteur.

Armanetti. Je viens chercher ma prescription hebdomadaire.

Sa voix est posée et mélodieuse, mais au fond de son regard brille une lueur froide qu'elle tente à peine de dissimuler.

Le médecin invita la demoiselle à s'assoir en face de son bureau.

Cela va me prendre quelques minutes. Comme je suis nouveau, je dois m'assurer de votre traitement.

Léo rejoignit sa chaise et ouvrit le dossier "Armanetti". Il parcouru en diagonale pour ne pas être trop long jusqu'à trouver la raison de la prescription actuelle du soldat. La formule fit disparaître le maigre sourire du visage du médecin, qui se tourna vers Calliope. L'expression qu'il montrait était peut-être contenue, mais sa voix dévoila un bref pique d'inquiétude qui passa outre le regard terrifiant dont il était la cible.

C'est fort pour un corps comme le votre, j'entends par là votre constitution et votre poids. Vous supportez bien le traitement, madame Armanetti ?

Madame? Ah, elle commençait mieux à le cerner. Avec ses cheveux un peu longs et éparses, et l'inquiétude à peine voilée sur son visage. C'était un petit mouton. Et elle était le loup qui allait le bouffer tout cru.

Ma... constitution?

Du calme Calliope... Elle pourrait saisir cette perche qu'il lui tendait pour répondre que même avec sa faible constitution de bonne femme elle pourrait aisément soulever le médecin et le casser en deux sans effort de sa part, mais tout ce qui sort de ses lèvres est un léger soupir. Il venait d'arriver sur le vaisseau, bien sûr qu'il ne savait pas qui elle était. C'était habituel qu'on la sous-estime- l'armée était un cadre sexiste depuis toujours, et avec une beauté comme la sienne, on pensait souvent qu'elle n'avait de soldat que de nom et était probablement affectée aux senseurs ou à la navigation. Aujourd'hui, elle devait ranger son sarcasme naturel au placard, pour son propre bien.

Je suis plus solide que ce que j'ai l'air, sous cet uniforme. Je n'ai pas à me plaindre de mon dosage habituel.

Battement de cils charmeur et sourire forcé. File moi ma came qu'on en parle plus.

Léo eut un petit air ravi face aux réactions de la demoiselle, et chercha à le dissimuler maladroitement derrière un sourire et en reportant son attention sur le dossier. Bras droit amputé, chirurgie pour bras bionique, explosion à bout portant, cause du bras amputé. Elle ne rigole pas quand elle se blesse, dîtes-moi...

Je comprends bien, mais par acquis de conscience, je voudrais être sûr que vous n'avez pas de vomissements, nausées, perte de la concentration ou quoi que ce soit qui demanderait un ajustement, même mineur, de ce traitement. Pouvez-vous me le confirmer ?

Léo observa la dame, son maintien, son regard, son changement distante/charmeuse. Elle semblait mal à l'aise, vigilante même. Le milieu médical faisait cela à beaucoup de gens, rien d'anormal, et beaucoup de gens n'appréciaient pas un inconnu poser des questions indiscrètes, même si c'était sa fonction de les poser justement. Une brève pensée anima le regard de Léo alors qu'il fixa les yeux de le madame Armanetti. Je suis un bien meilleur menteur que vous.

Il était consciencieux dans son travail. C'était probablement une bonne chose pour l'équipage ; un cuisinier incapable c'était une chose, un médecin incompétent une autre. Comprenant qu'elle n’expédierait pas cette formalité aussi rapidement que ce qu'elle aurait souhaité, la jeune femme daigne finalement de s'installer dans la chaise destinée aux patients, ou elle croise les jambes dans une pose qui fait remonter, l'air de rien, la jupe serrée de son uniforme.

Puis elle semble hésiter pour une fois, chercher ses mots un petit peu. C'est d'ailleurs probablement la première fois qu'elle parle autant de toute la semaine. Elle échange parfois quelques mots avec Del Ruiz et de Golazzo quand elle les croise, mais le reste du temps il n'y en a guère besoin pour un vaisseau comme le Cerberus par un temps de paix relative. Et elle ne souhaite pas trahir son petit problème.

Alors elle se penche un petit peu sur le bureau, la chaîne argentée de son collier glissant de son chemisier pour dévoiler non pas un pendentif en son bout, mais une bague en argent sertie d'un unique rubis, les reflets de la pierre rappelant la couleur des mèches de sa chevelure.

Que-ce que vous entendez exactement par perte de concentration? Vous pouvez... me donner des exemples?

Le médecin écouta et observa. Elle ne semblait pas plus détendue, juste plus réfléchie dans ses réponses. Léo se gratta machinalement la barbe, et vit sa manche ensanglantée. Un peu gêné, il retira sa blouse pour l'accrocher à un porte-manteau. Ce faisant, il entendit un son habituel, comme des bonbons dans leur boîte. Il sorti ses propres médicaments, et en goba un.

Par là, j'entends des signes qui montrerez une certaine dissipation chez vous. Vous sentez vous fatiguée, oubliez vous de faire quelque chose ? Cela vous est-il déjà arrivé de vous retrouver à un endroit en vous demandant ce que vous y faisiez ? Je ne cherche pas à vous nuire et ce ne sont pas des questions pièges. Ces médicaments peuvent avoir ces effets secondaires. Et je ne vous demanderez pas le détail. Je ne pourrais pas vous dénoncer si vous me dîtes juste "qu'hypothétiquement oui". Dîtes moi seulement si cela vous est éventuellement déjà arrivé depuis que vous prenez ce traitement, et si peut-être, à quelle fréquence ?

Léo se rassit en face d'elle - après avoir ranger ses médocs, visiblement sérieux quant aux dosages prescrit par d'autres médecins avant lui. Pas qu'il se voyait comme meilleur, mais il avait à cœur la santé des membres de l'équipage, et même dans leur confort de vie au quotidien. Laisser filer quelqu'un avec un traitement inadéquat rendrait ce pauvre bougre bien mal à l'aise.

Il ne cherchait pas à lui nuire, hein? Comme si elle allait le croire.
Son discours la fait tiquer, et ses sourcils commencent à se froncer, signe avant-coureur de son énervement.
Mais si elle pouvait réussir de manière subtile à faire augmenter sa dose sans qu'il la juge inepte, ça l'aiderait bien dans sa vie de tout les jours... Alors elle prend le risque.

Hypothétiquement, je suis sujette à des... moments d'absence.

Cette fois, elle est visiblement mal à l'aise et cherche à le cacher maladroitement en se renfonçant sur son siège, bien que son regard s'est assombri.

C'est difficile à expliquer. Ça peut varier en intensité, mais généralement ça se traduit par la sensation que le monde autour de moi ralentit, que je n'arrive plus à me concentrer sur qu'on me dit, mais que chaque bruit parasite environnant devient insupportable.... assourdissant.

Une version édulcorée.
La réalité est plutôt qu'il lui arrive d'avoir des crises ou ses symptômes dissociatifs lui font presque perdre la raison, mais heureusement, ça ne dure que quelques minutes au plus. Finalement, elle marmonne d'un ton plus bas que précédemment, en évitant soigneusement de croiser les yeux attentifs du docteur. Elle ne supporterait pas d'y lire la pitié éventuelle qu'elle pourrait lui inspirer.

Parfois, j'ai l'impression d'entendre des bruits qui n'existent pas. Je pense que j'ai peut-être un problème auditif.

Léo ne pouvait cesser de la fixer, comme il l'aurait fait pour n'importe qui d'où émanerait une certaine souffrance en fait. Ce n'était plus de mal-être, le médecin avait l'impression de voir un appel à l'aide. Les changements de tempérament de sa patiente lui était familier, et avec ce qu'elle disait, tout devenait clair à ses yeux : son traitement était inadapté.

"D'accord, je vais aller chercher la machine pour tester votre ouïe et je vais regarder vos oreilles. Peut-être est-ce juste un canal bouché. Et bien entendu, toujours hypothétiquement, je ne ferais ça que dans le cadre d'un contrôle destiné à constater de l'évolution de votre audition suite à l'explosion dont vous fûtes victime il y a longtemps."

Le médecin se leva et commença à utiliser une solution hydroalcoolique pour se laver les mains, et sorti d'un tiroir un otoscope. Il se rapprocha lentement d'Armanetti et essaya de se montrer rassurant, avec son air épuisé et ses épaules raides.

"Permettez que je regarde ?"

Elle n'aime pas être touchée. Ses doigts se crispent légèrement quand elle entend la question du médecin, mais elle apprécie quand même qu'il l'a fait. Après être restée des mois dans une chambre d'hôpital et avoir subi de multiples opérations, elle avait plus l'habitude d'être traitée comme une babiole qu'un être humain. Les médecins militaires n'avaient pas le temps pour les manières ou la douceur. Des amputés comme elle, il y en avait légion dans les rangs de l'Imperium. Elle ferme les yeux un instant, se rappelant de l'aveuglant éclat de la lampe en salle d'opération. Des cris de l'équipe médicale autour d'elle pendant qu'ils l'attachaient à la table. Ça ne dure qu'un instant.

Elle finit par retirer ses gants et les poser sur le bureau, dévoilant une main pâle aux doigts fins mais parcourus de minces cicatrices sinueuses, et l'autre, faite d'un métal sombre aux reflets d'obsidienne. Pendant quelques secondes, elle tapote ses tempes pour lisser les quelques fines mèches qui se seraient échappées de sa coiffure, puis lève ses grands yeux verts en direction du Dr Dool. Sa nervosité est palpable et sa voix tremble légèrement, mais elle n'a plus d'autre choix. Après tout, ça ne peut pas se passer entièrement dans sa tête, n'est-ce pas? Il y a sûrement une explication logique, scientifique à cela. Et elle veut l'entendre.

Allez-y.

L'attitude d'Armanetti prit au dépourvu le pauvre docteur, ne s'attendant pas à une réaction aussi théâtrale pour une simple vérification. Il observa ses mains. Ce n'était certes pas la première fois qu'il voyait une telle prothèse, mais un pincement le saisissait toujours à chaque fois pour ça. Il décida cependant de passer outre, ne pouvant s'attarder sur chaque détail qui l'interpellait. Après tout, lui-même pouvait partir en crise à tout moment. Tout va bien, mon médicament fait effet. Rien ne me menace...

Le docteur se pencha sur l'épaule d'Armanetti et la toucha avec grand soin, sans pression physique. Écartant ses cheveux sans geste brusque, par égard à son allure vestimentaire quasi-parfaite qui frôlait la névrose. Il examina la première oreille, la droite, puis passa à la seconde. Rien d'anormal. Il s'éloigna avec autant de manières qu'il avait commençait son examen.

"Je ne vois rien qui pourrait me laisser penser à quelques dégâts que ce soit sur votre oreille, mais ce n'est pas pour ça que le soucis ne vient pas de votre oreille. C'est aussi possible que suite à l'explosion, du sang ait pu venir se loger où il ne faut pas derrière votre tympan et provoque ces sensations désagréables."

Posant son instrument dans une coupelle en métal après s'être débarrassé des extrémités jetable dans sa poubelle, il s'assit sur son bureau pour y réfléchir un instant. La machine révélera sûrement plus de détails que ce bête outil d'otoscope. Il demeura silencieux un bref instant face à sa patiente.

L'examen s'est déroulé rapidement, heureusement, et elle exhale un soupir discret quand il s'éloigne d'elle. Mon dieu. Elle avait envie de se cogner la tête contre un mur elle-même. Elle ne se reconnaissait plus dans cette attitude d'animal blessé. Elle. Le Moineau rouge. Un supersoldat de l'Imperium.

Mes deux tympans ont été perforés par le souffle de l'explosion qui a emporté mon bras, mais d'après mon dossier médical, ils ont guéri sans conséquence notable...

Elle plisse les yeux, semblant réfléchir un instant. Ses doigts tapotent nerveusement la surface du bureau en un tac tac régulier sans qu'elle s'en rendre vraiment compte. Est-ce qu'elle devait couper court à la conversation et insister pour récupérer le même traitement que d'habitude? Étrangement, elle n'a plus tellement envie de croquer cru le docteur qui s'est avéré plus affable que ce qu'elle aurait pu imaginer. Il avait ce petit quelque chose qui donnait envie de lui faire confiance, et même si c'était encore loin d'être le cas pour Calli, elle consentit néanmoins à combler le silence qui s'était installé.

Je suppose que j'entends en effet un peu moins bien qu'autrefois, que... avant. Comment peut-on vérifier votre théorie?

"Je pourrais vous piquer avec une seringue dans le tympan et aspirer. S'il y a de l'air, tout va bien, s'il y a du sang, ma théorie sera potentiellement la bonne. Désolé de ne rien pouvoir affirmer à l'heure qu'il est, madame Armanetti."

Léo se gratta le front de ses doigts à la peau déchirée. Si l'explosion était aussi forte que le décrive le rapport, peut-être qu'elle vivra avec ça toute sa vie. Il demanda à son interlocutrice de bien vouloir patienter un instant, qu'il allait chercher la machine pour lui laisser le temps de réfléchir à sa proposition de seringue. Il s'absenta le temps de quelques minutes pour aller dans la zone de stockage le retirer, et revint avec un appareil compact dont il se sert également lors des visites médicales. Un outil très répandu. Il le posa sur le bureau.

"Je dirais qu'après ce que vous avez subit comme traumatisme, moins bien entendre est une fatalité. Mais que vous soyez en vie, que votre audition soit revenue, et que vous soyez toujours apte au service est admirable. Et je salue votre ténacité et votre loyauté envers l'Impérium.

Le docteur s'en alla derrière son bureau, pour lui laisser de l'air comme elle lui paraissait évidemment encore nerveuse. Même si malgré tout son attention fut toujours sur elle. Déterminons de quoi elle a besoin avant de changer son traitement à l'aveuglette. Oui, c'est ce que font les médecins...

"Vous êtes-vous décidée ?"

Une seringue, ça va encore, mais... L'inquiétude perfidieuse revient serrer son estomac quand il disparait en zone de stockage, et elle remet ses gants, bien décidée à se tirer en douce, et tant pis pour les médicaments. Elle ne supporterait pas de devoir se rallonger dans un endroit exigu pour l'examen approfondi, les longs mois passés à l'hôpital lui ayant aussi laissé des relents de claustrophobie latente, mais alors qu'elle s'apprêtait à se lever, le Dr Dool revient avec ce qui semblait être une machine portative, à son grand soulagement.

La suite lui semble un peu floue. Elle reste silencieuse face aux compliments de son interlocuteur; les battements de son cœur sont encore trop rapides à son goût et elle ne sait pas quoi lui répondre. Son obstination à se raccrocher à sa carrière militaire est sûrement en effet impressionnante d'un point de vue extérieur, mais à ses yeux il n'y a rien de glorieux à s'y consacrer quand on a rien d'autre pour soi dans la vie.

Faites ce qui est nécessaire.

Ses paupières se ferment, comme une condamnée au bûcher qui attend son sort. Le manque de sommeil de sa courte nuit se fait aussi ressentir. Peut-être devrait-elle détourner l'attention du médecin trop bien intentionné en lui demandant une perfusion de café bien fort.

La militaire semblait bien en peine, ses yeux semblaient vidés de toutes substances, et Léo le déplora. Mais elle était tracassé, et le mot semblait bien faible pour décrire la réalité. Ne voulant pas alourdir le fardeau muet de la jeune femme, il ne chercha pas à remplir vainement ce silence. C'était à son sens, la meilleure réaction à avoir pour s'éviter de dire des phrases banales à tout médecin. Il sorti d'un autre tiroir une seringue, et retira la protection de l'aiguille. Ses pas affairés le ramenèrent auprès de la patiente, et là encore, il demanda s'il pouvait intervenir.

"Ce ne sera pas douloureux, à peine une pression dans votre oreille."

Une fois l'approbation d'Armanetti obtenu, il piqua le tympan, et aspira. Il allait doucement, faisant son travail avec sérieux, mais à l'évidence, il n'aspirait que de l'air. Il retira la seringue, et passa derrière la femme, à un bon pas de distance, pour cacher sa moue qui affirmait clairement que sa théorie était erronée. Son silence sur la question ne pourrait cacher cela, d'ailleurs. Il se pencha pour piquer l'autre oreille.

"Attention, j'y vais doucement."

Mais là encore, choux blanc. Il se résigna et montra la seringue à sa patiente.

"Ce n'est pas la bonne piste, aucun amas de sang. Nous devrions passer au test avec la machine. Qu'en dîtes-vous ? Je sais que ce n'est pas un moment agréable pour vous, et je m'en excuse."

Pas possible
Impossible
Inimaginable
Il fallait qu'elle s'en aille.

Une autre fois, peut-être. murmure Calliope tandis que son visage pâlit, trahissant le fond de ses sentiments. Jamais ouais.

Tant pis si les tests n'avaient pas été concluants, elle avait au moins essayé, mais il était hors de question qu'elle soit à nouveau l'objet de longs examens souvent douloureux. Pas qu'elle ai particulièrement peur de la douleur pourtant... Alors quoi? L'appréhension d'être saisie par d'affreux souvenirs si elle s'allongeait sous un scanner? Depuis son affectation sur le Cerberus, elle parvenait tant bien que de mal à toujours se maintenir occupée, chassant au loin les pensées obscures qui venaient parfois la hanter.

Cela fait plus d'un an à présent que je vis avec ces quelques désagréments, je peux .... attendre un peu plus longtemps sans problème. De toute manière, je dois régulièrement revenir récupérer mes médicaments, puisque la réserve est ici et que je ne peux pas avoir plus d'une semaine de dose dans le dortoir.

Piètre excuse. La jeune cyborg réprime un frisson et se lève, repoussant ensuite soigneusement sa chaise de manière parallèle au bureau.

Et vous n'avez pas l'air en forme vous-même, docteur. J'ai suffisamment abusé de votre temps comme ça.

Léo... Ne sut que dire. Il était profondément peiné de la réaction de la jeune femme qui avait décidé de souffrir. Nul doute que celles-ci furent solides, mais cela n'empêcha pas le docteur d'avoir le sentiment d'échec. Il la regarda se lever avec une précision macabre, et il réprima un élan de compassion. Léo voulait la rassurer, une main sur l'épaule, mais il avait aussi la sensation que ce geste serait malvenu.

"Vous savez ce qu'on dit, les médecins ont tendance à négliger leurs symptômes. Mais pour ce qui vous concerne madame Armanetti... Mon cabinet vous est ouvert si vous avez besoin de quoi que ce soit."

Il ouvrit l'armoire à pharmacie derrière lui. Les médicaments de la précédente ordonnance en tête, il s'assura qu'il y avait tout, le mit dans un petit sac en papier et le posa sur la table.

"Vos médicaments. N'hésitez pas si vous souhaitez ajuster les doses, un test de l'ouïe, ou seulement parler. En ce qui me concerne, je noterais dans votre suivi que vous êtes seulement passé honorer votre prescription, aujourd'hui."

Le médecin fixa la dame, espérant pouvoir faire plus. Il réfléchissait, mais les idées s'embrumaient plus qu'elles n'apparaissaient. Et pour cause, il ne savait même pas de quoi souffrait cette personne.

Négliger ses symptômes, hein? Elle connaissait bien ça. Ils avaient ce point en commun, mais alors quel point....

Vous êtes notre seul médecin à bord du vaisseau, alors si ce n'est pas pour vous-même, pensez aux autres qui ont besoin de vous en pleine forme, au mieux de vos capacités.

De la compassion? Non, simplement une constatation, détachée.
Elle récupère le petit sac en papier avant de le serrer contre elle, puis recule prudemment vers la porte.

Merci. C'est aimable de votre part. Si votre cabinet m'est ainsi ouvert, peut-être que je viendrai faire la sieste sous le bureau quand je serai trop épuisée par les cris des babouins du dortoir commun. finit-elle par plaisanter en souriant faiblement, à présent rassurée de savoir qu'elle pouvait partir sans que le Dr Dool n'insiste pour savoir quel était exactement son problème. Puis, sans vraiment attendre une réponse, elle quitte la pièce.

Le médecin prêta attention aux mots d'Armanetti par pur réflexe, mais ses pensées se perdaient davantage à tenter de deviner ce qu'il avait loupé. Un signe, quelque chose, un indice qui pourrait lui permettre de comprendre de quoi elle souffrait. Pas de sang, des blessures cicatrisées sur sa main valide, une main bionique, des oreilles "intactes" malgré qu'elle entende des bruits qui n'existent pas. C'était bien trop peu.

Il eu un sourire en retour à sa plaisanterie, mais celui-ci semblait faux, d'autant plus après toutes les expressions qu'il avait bien pu afficher avant. Elle avait prit ses drogues et s'apprêtait à partir. Léo la salua poliment et rangea le matériel pour les oreilles dans un recoin de sa chambre. Cela ferait toujours moins loin à aller chercher que la zone de stockage et il était probablement le seul à en faire l'usage. Il retourna à son bureau, et indiqua la date sur le suivi médical de Calliope Armanetti.

"Visite pour retirer ses médicaments. Prise assidue de ceux-ci."

Rien d'autre n'avait besoin d'être noté, car rien d'autre ne s'était produit.