[Crust] Soirée pas très privée

- Est-ce que c’est grave ?

Vako chuchote lui aussi, puisqu’il semble que ne pas savoir danser est un secret digne d’être murmuré. Il prend même un petit air conspirateur, les yeux plissés, l’attention portée aux invités autour pour vérifier que personne ne peut les entendre.

- Je peux vous montrer des pas de base si vous voulez. Je suis meilleur pianiste que danseur mais je sais aligner deux pas. On peut même se cacher là.

Fait-il en désignant le coin tranquille, un peu hors de vue derrière de la décoration, qu’il vient d’apercevoir.

Il me fixe, aussi sérieux que moi. Vérifie qu'on ne nous écoute pas et me demande si c'est grave. Oui ça l'est ! Et ma réputation ? Même si je connais personne ici, on sait jamais. Il me propose néanmoins de se planquer dans un renfoncement de la salle pour me montrer deux-trois techniques. Un sourire s'étend sur mes lèvres. Génial ! J'acquiesce vivement.

« _ Ce coin me paraît parfait ! Je te suis ! »

Voilà donc notre binôme en train d'aller se planquer derrière une sorte de paravent. Absolument pas louche, ni même totalement déplacé.

Mais non, ce n’est pas louche. Que voir d’autre à part des garçons se comportant en garçons dans cette dissimulation efficace derrière un paravent ? Une scène de roman pour jeunes filles ? Allons bon.

- C’est très facile.

Fait Vako en pivotant sur ses talons pour se mettre face au rouquin. Il va falloir qu’il se place en suiveur pour la démonstration, ça le fait grimacer intérieurement. S’il est un peu maladroit ça passera, non ? Personne ne se doutera qu’il a appris à cette position. Surtout pas quelqu’un qui ne sait pas danser.
Il inspire, expire. Essaie de se calmer.
Ca va aller.

- Votre main droite sur mon omoplate, et ma main droite dans votre main gauche.

Le médecin fait de son mieux pour ravaler son stress, mais ce n’est pas parfaitement efficace.

- Vous allez faire un pas en avant, avec votre pied gauche en premier. Je vais vous suivre dans l’autre sens.

Nous sommes maintenant bien à l'abri des regards. Discrétion : 100%.
Vako m'annonce que c'est facile. Alors, je suis ses instructions à la lettre mais ça me semble être une montagne infranchissable. Montagne. Ahah. Trop drôle. Un sourire rieur déforme mon visage, quel idiot. Je le masque en poussant ma concentration sur mes deux bras qui doivent se placer à deux endroits différents. Ma main, sa main, mes bras, ses jambes. Trop de trucs.

Pire, il faut maintenant que je bouge mes jambes !
Dans un excès de zèle, je bouge ma jambe droite en première, entraînant Vako dans un déséquilibre certain.

« _ Umphhh » que je laisse échapper alors que mon corps part dans le sens inverse de celui du danseur.

Plusieurs choses se passent presque en même temps : il sent un poids sur son pied gauche, il grogne de surprise, l’autre homme se déséquilibre, il en fait de même. Il y a un tout petit instant où il sent son centre de gravité basculer, où il sait qu’il va tomber.
Et ça l’ennuie.
Et il n’a pas envie.
Mais la gravité est une maîtresse impitoyable. Avec un nouveau petit bruit de surprise, Vako se rétame en beauté, ses quatre-vingt kilos tout mouillé en vrac sur le rouquin.

- Oups !

Et c’est bien tout ce qu’il trouve à dire. Oups.

Ah. C'était donc son pied. Voilà pourquoi nous nous déséquilibrons autant. Je peux pas me retenir, il tient fermement ma main gauche et la droite et bloqué par son bras qui cherche à se retenir au décors. Mais c'est trop tard. Il me tombe dessus. Et voilà. Patatra. Un pas de danse et j'ai réussi à tout faire foirer. Chapeau l'artiste !
On a même emporté une plante verte avec nous et sa terre a salit le sol mais ce n'est pas tout, elle a aussi fait tomber le paravent. Des regards curieux sont maintenant plantés sur nous. Avec Vako, au dessus de moi, m'écrasant à toute sa hauteur et tenant toujours ma main dans la sienne.

J'ai soudainement très chaud. C'est gênant. C'était pas prévu. Je veux mourir. Me liquéfier. Je vais lui en donner des oups moi. Mais j'ai beau forcer, je suis pas un guerrier, je peux être bien bâtis mais de part sa stature, je suis incapable de le renverser sur le côté. Je me sens un peu... compressé. Je deviens donc d'autant plus rouge...

« _ Va...ko... de... de... l'air... »

C’était pas prévu c’était pas prévu c’était pas prévu, balance en boucle le cerveau de Vako. Sors de là sors de là sors de là c’était pas prévu sors-

- Je…

Sors sors cache toi sors-
Il pose les deux mains au sol, force sur les bras pour se redresser. On les regarde là, non ? On les regarde absolument. C’est horrible. Il se met sur ses pieds, tend le bras pour aider Nynniaw à se redresser, mais ses yeux fixent intensément le sol quelque part entre ses deux pieds.
C’est ça ou avoir envie de s’arracher la peau.

- Désolé. J’ai trébuché.

Il repose son poids sur ses bras, me permettant ainsi de reprendre mon souffle. Rah putain, je m'y attendais pas à ce coup-là. Sérieux... quel boulet je fais. Il me tend un bras pour m'aider à remonter sur mes pieds. Je l'attrape et me hisse, un regard autour de moi m'apprends que les gens sont retournés à leur occupation. Un employé a même replacé le paravent en toute discrétion. Nous revoilà cachés. Avec le grand black, on est face à face, le malaise est bien présent. Pire, il s'accuse de ma maladresse. Face palm intérieure.

« _ Non non non, c'est moi ! Quand je te disais que je suis vraiment nul en danse ! T'inquiète. Tout va bien. Je pose une main sur son épaule, me voulant rassurant. Tu veux boire un coup pour oublier ça ? Clin d’œil. C'est peut-être le moment. »

Non, tout ne va clairement pas bien, mais le seul moyen de rendre les choses moins étranges est de faire comme si elles étaient normales. S’il prétend que tout va bien, la normalité reviendra… Peut-être.
Vako ne chasse donc pas la main sur son épaule, il relève même un peu le menton pour montrer un sourire totalement improvisé.

- C’est le bon moment pour boire, oui !

Au diable son traitement là. Il fera attention à ne pas enchaîner les verres, mais il a vraiment besoin de celui là.
C’est donc le moment où il sort de derrière le paravent en imitant l’air de celui à qui rien n’est arrivé -mais en évitant autant qu’il le peut de croiser des regards- et où il avance d’un pas conquérant vers le bar.

- Du rhum, décide-t-il devant le barman, et… Qu’est-ce que vous prenez, Nynniaw ?

Oh, on en est aux prénoms maintenant ? La danse rapproche, ce n’est donc pas un mensonge !

Youhou ! Il a enfin accepté l'invitation à boire un p'tit coup après ce moment... gênant. Parfait, de quoi éponger notre mémoire, de quoi oublier, au moins un peu. On retourne au bar et il prend un rhum et me demande ce que je prends, toujours avec ses bonnes manières. Je souris.

« _ Allez, je te suis ! »

Le barman nous sert, j'enquille mon premier verre, de quoi passer une bonne soirée et d'être capable de poser des questions indiscrètes. Encore quelques uns et mes barrières seront à terre.

Deux rhums alors. D’un hochement de tête, Vako trinque, puis boit une gorgée. Les yeux fermés, il savoure la descente de chaleur dans sa gorge, le goût qui se déploie dans sa bouche, et l’impression de transgression qui lui colle au cerveau. Il n’aurait pas dû, mais c’est délicieux.

- Alors comme ça…

Le rhum est en petite boule chaude dans son estomac, les notes de vanille et de réglisse lui font pétiller les papilles.
C’est beaucoup trop agréable.

- … Vous n’avez jamais dansé de votre vie ?

Aucun jugement dans sa voix, tout le monde n’a pas eu son éducation collet-monté et les cours de danse et de piano et de broderie, et c’est très bien comme ça.

- Même pas lors d’une fête ?

Pas bien difficile de suivre quelqu'un lorsqu'on a commandé du rhum. Alors que Vako enfile son verre, je fais pareil avec le miens. Douce chaleur qui m’envahit et qui vient titiller le verre de vin déjà terminé.

« _ Pas vraiment, nan... Enfin, il y a danser et danser. Bouger mon popotin en rythme, ça peut se faire mais réussir à coordonner mes mouvements d'une telle façon, c'est hors-catégorie. Pas comme ça, surtout. T'as appris ça où, toi ? »

Je songe un instant à ma propre expérience. Bwarf, déjà marcher en rythme à l'armée, c'était un supplice, alors faire cinq mouvements en même temps, c'est inespéré. Je soupir en avalant une nouvelle goulée.

- Je suis un garçon plein de ressources.

Sort-il avec un air parfaitement sérieux, entouré dans son mystère… Tenant à peu près deux secondes avant de l’image ne craquèle. Involontairement, il se met à rigoler tout en essayant de tout garder en lui, ce qui donne un Vako avec les yeux brillants d’amusement et agité de soubresauts.

- Nooon, je viens d’une bonne famille. J’ai eu une éducation très digne de mon noeud papillon.

Est-ce que ça rend son père adoptif encore plus louche avec les informations déjà données ? Il l’espère.
Et il a un nouveau sujet de curiosité.

- “Pas comme ça”, c’est à dire ? Vous savez danser, mais pas de la danse de salon ?

Ses paupières se plissent, comme s’il essayait de lire directement dans le cerveau de l’autre jeune homme.

- Vous faites des soirées clandestines dans des caves… ?

Ca ne se demande pas, Vako !

Ah ça, il a pas besoin de le préciser pour que je m'en rende compte. Il est surprenant, c'est certain. Je suis réellement surpris par la suite. Un gosse de riche, donc ? J'aurais pu deviner avec son nom, peut-être. Montagne, c'est pas si courant. Mais c'est pas bourgeois non plus. Dans tout les cas, je ris de bon cœur avec lui, probablement aidé par l'alcool. Sûrement.

Je deviens soudainement très sérieux face à ce regard d'enquêteur.

« _ Oui, souvent ce genre de choses. Avec des détails que tu ne peux même pas imaginer. Je monte et descends les sourcils rapidement. Puis j'éclate de rire. Je suis plein de ressources, moi aussi ! »

Je siffle la fin de mon verre et en commande un nouveau. Je suis sûr qu'on va s'amuser.

« _ On doit pouvoir trouver un endroit où se poser et se détendre un peu, ça te dit ? » Bonjour les sous-entendus, j'veux juste trouver un bout de canapé où m'asseoir, p'têtre un revendeur pour planer, qui sait ?

Il ne faut surtout pas lui dire qu’il ne peut pas imaginer ce qui se passe dans des caves… Parce que maintenant que le cerveau de Vako est lancé, on ne peut plus l’arrêter et le rouquin porte des guêtres en cuir quelque part dans une image mentale. Il se serait bien privé de ça.
Surtout si c’est pour se voir proposer un gigantesque quiproquo.

- Hmm.

Pour le médecin, une tentative de rapprochement vient d’arriver et ce n’est pas qu’il n’apprécie pas son frère de noeud papillon mais il préfèrerait que ce soit une soeur, quand même. Maintenant il doit trouver un moyen de rembarrer gentiment Nynniaw, et ça l’ennuie.

- Je préfère les filles.

Tiens, oui, être direct marche aussi. Assorti à un sourire en coin ça devrait passer.

- Mais si c’est juste pour regarder les autres danser, volontiers.

Il faut que j'arrête la boisson. C'est décidé. C'est le malaise à chaque fois que je bois. Ça finit toujours dans le panneau, dans le bas-fossé. Mais là, j'ai fait fort. Il a pris ça pour une invitation plus... intime. Je réfléchis à grand vitesse et me rappelle de la phrase que je lui ai balancé. Ouiiiiii, peut-être c'était pas les bons mots. J'avoue. Pas qu'il soit repoussant, loin de là, mais j'le connais pas assez. Ahem. L'idée ne m'avait pas traversé l'esprit jusqu'ici. Malaise. J'ai perdu mon regard dans le vide. Je suis pas sûr de vouloir affronter ça.

« _ Je... oui je... je préfère regarder les autres danser. » Gagner du temps pour faire oublier ce moment. Je nous dégote un petit coin avec un canapé moelleux. Je pose mon cul et détends mon dos. « _ C'est pas ce que tu crois... » Allez, vas-y, enfonce toi de la merde, mec.

- Ce n’est pas ce que je crois ?

Vako s’asseoit tout au bord du canapé lui, une vieille habitude idiote qui refuse de le laisser en paix. On ne sait jamais, il pourrait avoir besoin de s’enfuir en courant.

- Oh. Ca. Ca ne me dérange pas, hein, vous faites ce que vous voulez avec…

Avec il-ne-veut-pas-parler-de-sexe-là, alors il laisse mourir la phrase en espérant ne pas avoir besoin de la reprendre.

- Je précisais juste. J’avais cru lire… Mais je me suis trompé manifestement. Ou vous croyez que… Non ça devient trop compliqué. Ce n’est pas que vous essayez de finir dans mon pantalon, c’est ça ?

Et pan, c’est le grand retour de l'honnêteté à la limite de l’inconscience suicidaire. Il faut croire que quand il est suffisamment embarrassé, le jeune monsieur Montagne en devient courageux.

Je suis le roi des idiots, des maladroits et des nuls... bref, un peu tout ça rassemblé. Je suis tellement nul en explication qu'il s'est assis au plus loooooin de moi. Bonjour le malaise. En plus il en rajoute une couche. J'ai dis que je voulais pas dire çaaaaa. Quelques images fugitives me passent en tête. Bon, il se peut que ça soit déjà arrivé. Mais j'avais aucun plan pour toi. Ahem. Alors que je me retourne le cerveau pour lui pondre une vérité sans le faire fuir, il m'offre sur un plateau d'argent la suite de la discussion. La tournure de sa phrase me fait exploser de rire. J'en ai les larmes aux yeux et je mets plusieurs minutes à m'en remettre. L'alcool, probablement.

« _ C'est un bon résumé ! Mes intentions sont bien loin de ton... pantalon... et j'accompagne mes paroles d'une torsion des sourcils. Histoire de mettre en avant l’hilarité de la situation. Trinquons à ce quiproquo ! Ben ouais, y'a pas grand chose d'autre à faire. Surtout que les autres invités sont super sérieux sur la piste de danse et tout... bonjour l'ambiance. »

Le temps que dure le fou rire, il se tortille sur son assise. Aider, ne rien faire ? Tapoter dans le dos du rouquin semble une bonne idée à Vako mais finalement non, et puis il s'occupe en foudroyant autant que possible du regard les invités les observant trop curieusement, et lorsqu’il en a fini avec cette occupation, Nynniaw s'est calmé.
Tant mieux. Il n'aurait pas souhaité le voir s'étouffer de rire.

- Très bien…

Pour les pensées loin de son pantalon, pour trinquer. Le médecin lève donc son verre.

- Aux pantalons laissés en paix, aux quiproquos, aux noeuds papillons.

Quel long toast exhaustif ! Qui finit par le petit ting de verre adapté, et un petit grincement de sourcils songeur.

- Comment danse-t-on dans vos soirées dans des caves… ?

Excellente question Vako, la dame qui passe près de vous ne va pas du tout être choquée.

On trinque après ce léger moment de gêne. Bon, au moins c'est passé. Et je crois que je m'en suis pas trop mal sortit. Au moins il arrête de poser des questions à ce sujet. Par contre, il rebifurque sur une autre ironie que j'avais placé plus tôt dans la conversation. Il a l'air d'avoir pris très sérieusement cette histoire de cave. Enfin, je peux toujours m'en sortir avec la danse. Un peu plus éméché que plus tôt, ça ne me pose aucun souci de me lever pour faire une petite démo.

« _ C'est moins... moins... conventionnel... »

Et hop ! Un bras en l'air, l'autre plié avec mon verre à la main, mes pieds qui bougent pas du tout en rythme avec la musique et la tête qui bat de la même façon. Heureusement que la soirée commence à être intéressante pour les autres aussi, sinon je déteindrais vraiment sur la piste.

Par moins conventionnel, il entend… ? Une démonstration. Il entend une démonstration. Mais on va les regarder s’il fait ça, on va les voir ! Un sérieux vent de panique souffle, Vako se lève à moitié comme s’il voulait arrêter le rouquin.
Et en fait, la danse est drôle. Elle l’arrête à mi-chemin dans son geste, dans ses pensées aussi : le voilà moitié horrifié et moitié amusé par la situation.

- Vous…

Il ne suit absolument pas le rythme, il détonne au milieu de la réception bien plus normale, et ça n’a pas l’air de déranger Nynniaw. C’est admirable. Horrible pour l’allergique à la mise en avant qu’est le médecin, mais parfaitement admirable si on oublie ce détail.

- Vouuuuuus…

C’est horrible, horrible, horrible.

- Les sanitaires.

Bravo, c’est lamentable comme technique.

- Vous savez où ils sont ?

Je suis coupé au milieu de ma danse alors que je commençais à prendre le rythme. Vako est devenu blême. Merde ! Il a vraiment pas l'air d'aller bien. Il bug sur la syllabe "ou" et c'est très flippant. Puis, il demande les toilettes. Je suis déjà venu, je sais où ils sont. Et même avec un peu d'alcool dans le sang, je reste lucide. Il faut agir ! Sinon, il va dégobiller là, par terre. C'est une nouvelle mission pour Mister Searuweard !

« _ Par là ! Je l'empoigne fermement par le bras et je marche dans la direction des toilettes. Ça va aller ? Je suis un peu inquiet, quand même. »

Bien sûr qu’il finira par aller mieux : déjà il reprend des couleurs dès qu’ils s’éloignent un peu de la piste de danse. Vako est un bon garçon très facile à satisfaire, à qui il ne faut que du calme et un petit coin hors de vue. Les couloirs menant aux sanitaires sont donc parfaitement à son goût.

- Oui, oui. C’est…

Que va-t-il blâmer ? Ses boissons, son habillement, la soirée en elle-même ? Les possibilités sont infinies.

- … Je n’ai pas l’habitude de boire autant. C’est juste un coup de chaud.

Autant faire porter le chapeau par deux choses à la fois, décide-t-il. Et pour porter de l’eau à son moulin, il défait d’une main son noeud papillon ainsi que deux boutons de sa chemise.

- Un peu de frais sur la nuque et ça ira mieux. Je n’ai pas besoin d’un médecin.

Affirme-t-il donc avec un sourire. Parce qu'il est médecin. Et pas très drôle.

Il a l'air d'aller mieux. Je crois même que ça lui fait du bien de s'éloigner un peu de la foule. Tant mieux. Je voudrais pas un médecin évanoui sur les bras. D'ailleurs, il fait la blague lui-même. Ben merde. Je suis obligé de rigoler, ce que je fais. Puis bon, un petit coup dans le nez, ça aide dans ces cas-là.

Voilà à nouveau deux idiots, un qui dégouline un peu de chaleur et qui a enlevé son nœud pap. L'autre qui attends en espérant qu'il aille mieux et en se torturant l'esprit pour savoir quoi ajouter. Mes yeux tombent sur un plan d'évacuation du Crust. Uh ? Je m'en approche. Moi aussi j'ai chaud. Il se pourrait que...

« _ Je sais où on pourrait aller pour te rafraîchir ! » Je pointe du doigt l'endroit sur le plan. C'est même pas si loin. Et puis, à cette heure-là, on pourra toujours se faufiler discrètement.

Il s’approche du plan, observe les symboles… Et recule soudainement de deux pas.

- La piscine ?

Ce n’est pas qu’il soit contre, au contraire : une bonne tête dans de l’eau fraîche serait très agréable, il n’y a pas de doute là dessus. Le problème c’est ce que ça implique.
Il n’a pas de maillot. Il n’a pas de maillot et il va devoir finir presque nu devant un inconnu et qu’est-ce qu’il va voir et qu’est-ce qu’il va dire et…
Rien.
Rien. Ca va aller. Tout va bien se passer. Il se répète deux, trois, dix fois la pensée. Tout ira bien, Nynniaw a l’air d’être une personne ouverte d’esprit, d’avoir un peu trop bu aussi.
Rien ne se passera.

- D’accord. Va pour la piscine.

Et parce que le courage n’est pas extensible à l’infini, Vako se met de suite en route, déboutonnant son veston et sa chemise tout en marchant. S’il ne le fait pas maintenant, il va juste faire demi-tour et se cacher dans un coin.

- Vous venez ?

Il hésite mais accepte sans que j'ajoute un mot de plus. C'est même lui qui prend les devants et s'enfuit pas le couloir. Il est déjà en train de se déshabiller. Je m’esclaffe et pars à sa poursuite en détachant à mon tour mon nœud papillon. Je sais même pas pourquoi on continue à se suivre alors qu'à part des nœuds papillon, y'a pas grand chose qui nous lie. Il y avait un truc, il me semble à la base... une mission... des informations... un trinitaire... c'est un peu passé au second plan. On court maintenant comme des idiots dans les couloirs du Crust en gloussant.

Au bout du couloir, on aura juste à tourner à droite et la piscine sera à nouuuuus !

On est forcé de s'arrêter net à l'angle. Deux personnes semblent garder la sortie. Je suis mort de rire. Je crois qu'on est déjà repéré.

« _ Messieurs. La soirée est au bout du couloir. Dans l'autre sens. »

Je continue à me marrer. Je suis obligé de me soutenir au mur pour éviter de m'effondrer au sol de rire. Il faut que j'arrive à reprendre ma respiration pour répondre au gars.

« _ On che...-rche notre... chambre. M'voyyeeez... Je joue des sourcils et j'attrape le bras de Vako. Oui, bon, ça fait deux fois ce soir. J'ai pas mieux. Je crois qu'il est encore soupçonneux, il fronce les sourcils en retour. Allez Vako, aide-moi ! »