Broken glass

S'éloigner de l'auberge ne chasse pas le malaise de son esprit ni de son corps, mais cela l'aide un peu à mieux respirer. Pour l'heure, c'est une grande victoire. Le poème que Jaziel lui offre ensuite la transporte encore plus lui, parvenant même à lui arracher un faible sourire. S'il n'est pas heureux, au moins est-il reconnaissant. Elle n'a ni la clarté d'esprit ni le coeur de lui répondre avec la suite des vers ou avec un autre poème lui faisant écho, mais Laylia est beaucoup trop conditionnée à faire la conversation pour rester simplement silencieuse.

"J'aime beaucoup ce poème. Très... approprié également. Il remet beaucoup de choses en perspectives. C'est un classique Trinitaire, si ma mémoire ne me fait pas défaut?"

"En effet." Une pause. Il allait devoir rattraper son erreur et pour cela, il allait falloir qu'il s'ouvre un peu, qu'il partage son intimité ou ce qui lui en tenait lieu. Il n'aimait pas vraiment ça. "Je n'ai pas le don des mots." C'était très vrai. Il n'en était pas triste, il avait d'autres dons. Simplement pas celui-là. "Alors j'en ai appris beaucoup quand j'étais jeune. Pour savoir quoi dire. J'espère que sur ce plan là, Abygaël ressemble à sa mère."

S'appuyant un peu plus que d'habitude au bras de Jaziel, Laylia continue d'avancer lentement, l'air frais des montagnes flottantes lui faisant du bien. La vue est spectaculaire d'ailleurs, mais pour une fois, elle a du mal à se concentrer sur elle bien longtemps, son esprit toujours plus secoué qu'elle ne le souhaiterait. Jaziel parvient tout de même à lui tirer un nouveau sourire en amenant le sujet d'Abygaël dans la conversation.

"Tu étais un jeune homme plein de ressources. Tu l'es toujours, d'ailleurs."

La tendresse dans sa voix est clairement perceptible, et ses doigts se resserrent un peu plus contre l'avant-bras du capitaine pirate l'espace d'un instant. Elle n'a jamais trouvé que cela était un défaut chez Jaziel. Au contraire, elle apprécie grandement ses silences autant que l'importance et la considération qu'il met plutôt dans chacune des paroles qu'il choisit de prononcer. Il est quelque chose qui se rapproche d'un refuge pour elle, comme elle-même l'est pour lui selon ses propres dires.

"Abygaël tient effectivement de moi pour cela, je crois, quoi qu'elle te ressemble beaucoup aussi. Elle réfléchit énormément avant de parler, met un soin particulier dans chacun des mots qu'elle prononce, bien qu'ils ne semblent pas lui venir avec difficulté. Elle a pris le meilleur de nous deux, j'ai bien l'impression."

Il n'est plus un jeune homme. Il est toujours plein de ressources cependant, c'est ce qui le maintien en vie. Grandir dans un milieu de vendetta enseigne beaucoup de choses, si l'on survit. Son frère n'était simplement pas assez bon et ses parents trop confiants, trop honorables. Ses doigts se resserrent un peu sur son avant-bras. Malgré tout, elle s'appuie toujours sur lui. Il n'a pas détruit ses chances. C'est bien. Parler d'Abygaël a toujours pour effet de calmer la jeune femme. Ca semble marcher. Il pense.

"C'est bien." Il ne sait pas quoi dire d'autre. Il réfléchit, puis se tait.

"Je le crois aussi."

Le silence revient et Laylia s'accroche à ses pensées ayant attrait à leur fille. Jaziel, de son côté, semble réfléchir et la Compagnonne aurait juré qu'il s'apprêtait à ajouter quelque chose, mais il n'en est rien. Elle ne le presse pas néanmoins, ayant appris à le connaitre depuis toutes ces années. Les mots sont parfois de trop, dans toutes circonstances, mais cette maxime prend un tout nouveau sens lorsqu'il est question de Jaziel de Nieves.

Normalement, cette réflexion aurait fait sourire Laylia avec affection. Aujourd'hui, en cet instant et suite aux récents événements, il n'en est pourtant rien. Elle ne lui en veut pas, au contraire, mais est plutôt soulagée et reconnaissante de ne pas pouvoir lire les pensées de l'homme qui marche près d'elle. Quelque part dans le creux de son ventre, elle a l'impression étrange et malaisée qu'elle n'apprécierait pas ce qu'elle y trouverait. Elle ne sait pas pourquoi exactement. Peut-être à cause de la facilité dont il en est venu à la conclusion de tuer quelqu'un, peu importe qu'elle lui ait donné raison ou non au final? Peut-être parce qu'elle ne veut pas savoir la vraie raison de son silence? Difficile à dire. Mais une fois n'est pas coutume, elle préfère l'ignorance.