la Dame et le Saule

"...qui m'a donc confié la tâche de la détourner du Liberty ou de la tuer. Pour des raisons personnelles, je préférerais qu'elle reste vivante, dans la mesure du possible. Je vais donc lui fournir les informations qu'elle recherche, au compte goutte, en espérant que ce n'est pas dans ce but précis qu'elle a ennuyé notre allié." Il n'est jamais sûr avec elle. Quand elle n'est pas aveuglée par ses émotions elle est vraiment une stratège hors pair, souvent meilleure que lui. Mais lui n'est jamais aveuglé par quoi que ce soit, ce qui lui donne souvent l'avantage. Il verra, par ses tests, s'il fait son jeu ou si elle fait le sien.

"Il faut jouer serrer, elle ne doit pas penser que je la manipule, il faut qu'elle croit avoir la main. Dans l'idéal je voudrais qu'elle se retourne contre l'Empire et vienne grossir les rangs de la piraterie dans un des vaisseaux alliés." Mais pas l'Iceberg.

La fin de la tirade lui arrache une mimique surprise. Il ne l'entendra pas poser la question pourtant - pas ses oignons. Il a ses raisons. Et il lui en dit déjà beaucoup. Beaucoup plus que ce qu'elle peut faire pour lui. Mais il s'agit d'estimer la valeur de ces informations qu'il souhaite faire circuler. Alors quand il a fini de parler, elle prend un moment pour réfléchir. Presque une minute à fixer le vide, concentrée, les yeux remuant au fil de ses pensées.

"Je pense qu'il vaudra mieux oublier un paiement en espèces et envisager un échange d'informations. Si votre information peut faire tomber des têtes, ce qui m'a l'air d'être le cas si je comprends bien, elle vous permettra de demander l'équivalent. Ou de localiser quelqu'un qui chercherait à se faire oublier - quelqu'un qui n'aurait pas de soutien puissant. Certains fixers permettent sûrement de garder une faveur pour une prochaine rencontre, ou pour quand vous auriez d'autres informations à offrir pour atteindre une valeur suffisant à obtenir un renseignement très pointu... difficile à obtenir, ou compromettant pour des gens dangereux... mais ça revient à jouer sans garantie de récupérer la mise. A vous de voir." Elle tourne la tête vers l'homme sans couleur, le regard plus tranquille que quand les doigts suivaient son tatouage. "Je peux obtenir une échelle de valeurs plus précise auprès de certains fixers moins spécialisés de Vanguard. Ou l'adresse d'un fixer spécialisé dans l'information. Silence absolu sur ce que vous m'avez dit. Evidemment."

"Je ne suis pas joueur, j'aime avoir toutes les cartes en main." Ce n'est pas surprenant de sa part. Attentif, il écoute les conseils de Seik'el, se félicitant de son retour. L'Iceberg était différent sans elle, il n'aime pas quand les choses changent trop. Souvent, un membre en plus ou en moins ne modifie que très légèrement l'équilibre. Mais ses officiers, c'est autre chose. Chacun a une place bien spécifique, un rôle qui n'appartient qu'à lui.

Lorsque Valmont s'en ira,cela changera aussi bien des choses.

Mais cela n'est pas évitable, alors il doit s'assurer que la passassion se fasse dans les meilleures conditions, il n'a pas le choix.

"Je veux bien. Il me faudrait un fixer que Mia a de bonnes chance d'aller voir. Quelqu'un qui n'aurait pas de crainte de travailler avec les Forces Impériales, qui soit assez connue pour être repérée par un officier et assez fort pour ne pas être arrêté par ledit officier."

Pas un mot sur sa promesse de silence. Il n'en avait pas douté une seule seconde.

Elle le sait. Elle n'en parle qu'au cas où il voudrait prendre ce risque - il n'a pas changé.

"Je vais vous trouver ça Capitaine. Je me mets en route pour le centre si vous avez pas d'autre mission à me confier." Elle marque une brève pause. "Je vous raccompagne à l'Iceberg ?"

"Ce n'est pas pressé à ce point. Vous pouvez prendre le temps de retrouver l'Iceberg auparavant. Vous aurez, je pense, beaucoup de choses qui attireront votre attention une fois à bord." Il recule d'un pas, lance un dernier regard un peu nostalgique à la forêt que l'on devine derrière les travaux. Renaissance, parfois, lui rappelle Tyrion. A moins que ce ne soit le mal du pays qui parle. Il écarte ces pensées d'un léger soupir et lui fait signe de se mettre à sa hauteur. "Vous aurez besoin de matériel spécifique pour vos nouvelles fonctions ?"

Elle se redresse, rejoint le Capitaine.

"J'ai pris le nécessaire en partant. Pour la suite il me faudra quelques encres, des herbes... je sais où me fournir." Elle a appris à reconnaître les plantes qu'elle connaissait pas déjà, les terres et les substances. Elle sait où en trouver dans la jungle ou à Vanguard même. "J'irai chercher mes affaires en ville quand j'aurai les informations qu'il vous faut." Elle inspire. "Allons sur l'Iceberg." Rentrons à la maison. "Y a-t-il certains de ces changements dont vous voudriez me parler ? Vous avez mentionné le faussaire tout à l'heure... qu'est-ce qui s'est passé ?"

"Il était incompétent." lâche simplement le Capitaine, sans colère ni regret, avec sa froideur habituelle. "Il a tenté son art sur nous et s'est fait prendre."

Il a l'habitude des pirates, il sait que certains sont sans honneur ou bien le placent à des endroits qui ne sont pas honorables pour un impérial. Avec les années, il a développé une tolérance envers ce genre d'agissement, il a apprit à fermer les yeux pour garder certains éléments de son équipe. Il y a deux choses cependant qu'il pardonne difficilement et qui sont sues de l'équipage. L'incompétence, et qu'on le prenne pour un imbécile. En ratant son coup, le faussaire a démontré les deux et s'est fait punir, comme il se doit. Le gâchis c'est aussi d'utiliser un oxygène qu'on ne peut pas rentabiliser. "Il y a eu quelques départs, quelques retours dans les membres de l'équipe d'abordage et les mécaniciens. Chez les artilleurs, Ay'ëgis prend ses marques de second. Les officiers et sous-officiers sont constants. L'intendance a été rangée et un inventaire a été fait à l'initiative de votre second."

"...c'est pas vrai." elle lâche, atterrée.

Il le savait, pourtant. Piocher dans la caisse et subtiliser une part de butin pour soi, c'est dangereusement similaire. Or, aller contre le Code quand le capitaine de Nieves est en charge c'est la mort assurée, et pas forcément la plus rapide. Les derniers instants de l'imbécile en ce bas monde ont sans doute été particulièrement pénibles. Déesse, c'était pas un mauvais bougre pourtant.

Elle se focalise sur la suite des paroles du Capitaine, hoche la tête, et puis...

"Comment ça l'intendance a été rangée ? Elle était très bien rangée quand je suis partie." qu'elle grogne, soudain bougonne. Elle exagère peut-être un peu, un tout petit peu, mais les dossiers courants étaient accessibles de façon parfaitement claire. "Qu'est-ce qu'elle m'a fait encore celle-là." La voilà partie pour trois jours à tout remettre en bordel comme avant. On peut vraiment se fier à personne dans ce vaisseau.

Si. Il a mal choisi son moment et voilà l'Iceberg sans faussaire à cause de l'avidité d'un homme. Il retient un soupir. Il ne pouvait pas fermer les yeux. D'autres se seraient cru tout permis. Là, les hésitants y regarderont à deux fois avant d'affaiblir le vaisseau. L'exemple est parfois la meilleure discipline.

Ils marchent et il l'entend s'indigner des changements du second. Elle n'a pas vu le livre de compte qui a été repris de zéro pour "plus de clareté". Il n'a pas fini de l'entendre. C'est bien. Cela manquait au vaisseau. Valmont s'étant calmé, l'Iceberg devenait trop silencieux. Les hommes et femmes d'équipages en devenaient nerveux. Même lui sentait un changement. "Maintenant, les choses vont redevenir normales." Laisse-t-il échapper. Et ça, il aime. Normal c'est le bon stade pour s'élever.

Plus elle essaie de se représenter des bureaux "rangés", ce qui est évidemment faux parce qu'ils sont très bien rangés quand c'est elle qui le fait, juste c'est pas rangé de façon à ce que le premier venu y pige quoi que ce soit, plus la moutarde lui monte au nez. L'intendance c'est son domaine, son trou, sa tanière de fauve où on n'entre qu'en montrant patte blanche et qu'on n'arpente qu'avec la méfiance et le respect dus à l'occupante en titre, à savoir elle, parce que c'est pas parce qu'elle a pas été là pendant un an et qu'elle va prier Calypso un peu plus formellement qu'avant que soudain c'est plus chez elle, l'intendance, non mais oh ! Elle croit quoi l'autre, que ça y est c'est arrivé, qu'elle va garder le poste et qu'elle peut tout trifouiller comme si c'était chez elle ? Que dalle !

Et puis la moutarde est douchée d'un coup par les quelques mots du Capitaine. Plus encore que le "bienvenue chez toi" dont il l'a gratifiée à peine quelques minutes plus tôt, ça sonne comme un retour à la maison. Ca lui semble même étrangement plus sincère. Presque un cri du coeur - si le Capitaine était homme à crier et à avoir un coeur. Alors elle sourit et on dirait presque une femme amoureuse.

"Vous préférez mon système de classement vous aussi pas vrai."

"Oui" Il n'a pas de honte à le dire. Ce n'est pas qu'il y comprenne quoi que ce soit mais pour avoir testé les deux, il remarque que la vitesse d'arrivée des produits demandés est sensiblement la même et le classement de Seik'el est la garantie de la présence de Seik'el. Ce qui est un des ingrédients qui manquait à l'Iceberg. Un engrenage est toujours indispensable à une machine. L'on peut le remplacer, mais ce ne sera jamais totalement pareil. Et puis elle est bien meilleure négociatrice et il a une totale confiance en sa loyauté. "Il va te falloir former un nouveau second."

Pendant quelques secondes Seik'el n'est que ronrons et ravissement, et puis les mots du Capitaine allument une étincelle de perplexité.

"Pourquoi ? Elle reprendra bien assez vite l'habitude de mon système ?"

"Parce qu'elle rejoindra le vaisseau de Valmont en tant qu'Intendante chef lorsqu'il prendra son envol, cela faisait partie du contrat que j'ai passé avec elle." Remplacer Seik'el pendant le temps de sa formation, redevenir seconde à son retour sans discuter pour avoir sa propre intendance à former et à organiser comme elle le désirait. Un échange équivalent et logique qui se conformait à cette volonté de Jaziel de pousser ses membres vers le haut, à les habituer à évoluer toujours pour ne jamais se reposer sur des acquis ou des habitudes mais à toujours tendre vers l'excellence. Si l'Iceberg était fort, ce n'était pas qu'il avait peur de son Capitaine. C'est qu'il avait foi en lui.

"...oh."

Oh. Il était pas encore arrivé sur le tapis, celui-là. Bah. Il aura une intendance "rangée" que le premier venu pourra dépieuter à son aise, c'est tout.

"Vous avez une date en tête pour ce moment ? Dans l'année ? 112, 113 ? Une partie de l'équipe ira aussi ?" Manquerait plus qu'elle veuille former quelqu'un qui irait aussi rejoindre Valmont, tiens. "S'il y a des recrutements à prévoir, autant commencer à chercher tant qu'on est à terre. Y a pas tant de comptables que ça que l'espace attire." Rien de plus casanier qu'un comptable. Oh bien sûr, reste l'option de quelqu'un à former de zéro... mais c'est plus long. Fatalement.

"Quand il sera prêt. Peut-être 112. Peut-être après. Tout dépend de son implication." Il n'est pas encore prêt. Il s'est assagit, depuis qu'il est second, mais le commandement est un art difficile pour qui n'a pas l'habitude de penser au delà de soi ou de son équipe. Construire un mécanisme qui ne s'écroule pas, apprendre à compléter les forces et les faiblesses, savoir mener par l'exemple, avoir une route que l'on se trace, tout cela ne s'improvise pas. Et si Valmont est un très bon leader, charismatique et flamboyant, il a encore besoin d'apprendre. Et de le vouloir. Il n'oublie pas, Jaziel, pourquoi il l'a recruté en premier lieu. Jamais il ne l'obligera à partir. Il attendra simplement que l'oiseau se sente prêt à prendre son envol.

"Nous avons le temps. Loukian reste encore à former. Tu peux choisir qui tu veux pour te seconder, parmi l'équipage ou à terre. Je te fais confiance." Tant qu'il a une flamme. Il leur faudra également recruter une nouvelle flamme exaltée. Et ça, ce sera compliqué, il le sait déjà. Peu de flamboyant s'accordent avec sa froideur.

Bon. Ca laisse un peu de temps pour les préparatifs, la formation, le repérage de futurs membres de l'équipe, tout ça. Elle respire.

"Bien Capitaine."

Là tout de suite elle a pas trop d'idée, mais ça viendra. Elle préfère un second passable qu'elle connaît bien à un bon second recruté le mois dernier. Y a qu'à voir ce que ça donne avec les faussaires même quand on les connaît depuis plus longtemps que ça... le pauvre. Quel con aussi.