We need to talk... [Nadya & Jezabel]

La nuit fut de fort courte durée. Le matin est encore jeune lorsque je me décide à quitter la charmante compagnie d'Enguerrand ; voilà un homme empli de surprises. Il ne fait nul doute que je ne pourrais oublier ce mémorable moment. Néanmoins, mes obligations de capitaine m'appelle, et je ne puis guère davantage m'attarder loin du Némésis. Il n'arrive qu'en de fort rares occasions que je ne passe pas la nuit à bord de mon vaisseau ; cela ne me sécurise point. J'ai toute confiance en mes hommes, et particulièrement en ma seconde pour prendre les décisions adéquates dans n'importe quelle situation ; cependant, il est toujours préférable pour tous de pouvoir compter sur la présence de la capitaine.

Je ne tarde guère à retrouver le coeur de Tortuga, hanté par quelques fêtards tardifs. Le port demeure tout de même plus calme que durant ses nuits folles ; certains pirates dorment, parfois. Je ne puis m'empêcher de ressentir une once de soulagement lorsqu'il m'est donné d'apercevoir enfin le Némésis qui se dresse, fier, majestueux, intact. Je recouvre mon sourire fier, m'assure grâce à quelques gestes précis que mon apparence est parfaite ; je salue les Hommes que je croise, prenant la peine de me tenir informée quant aux évènements de la nuit. Personne n'a grand chose à m'apprendre, aussi, je ne tarde guère à rejoindre mes appartements, et à m'enfermer dans mon bureau.

Je n'avais pas arrêté d'y penser, à cette fameuse soirée. Celle où nos lèvres s'étaient touchés pour la première fois. J'avais rêvé de cet instant depuis que l'on s'était connu et maintenant, ce rêve me hantait partout où j'allais. C'était devenu une obsession, j'étais pris de cupabilité pour avoir été aussi impulsive. Je craignais avoir détruit notre amitié... Non, ce n'était pas ça. Je craignais plutôt qu'elle ne réciproquerait pas mes sentiments, et l'incertitude me rendait malade. J'avais besoin de lui parler, une bonne fois pour toutes. Je devais être certaine...

Je l'ai attendu dans son bureau. Je savais qu'elle n'aimerait pas ça, mais c'était trop urgent. J'avais besoin de savoir. J'avais besoin de lui parler, entendre sa voix... Sa présence me manquait terriblement, presqu'à m'en rendre malade. Je me suis réfugié dans un coin sombre et je l'ai attendu. Toute la nuit, il semblerait, car je me suis endormi dans le fauteuil jusqu'au matin. Une chance que je me suis réveillé, car j'ai eu juste assez de temps pour me lever et me dissimuler dans les ombres lorsque Jezabel fit son entrée dans son bureau. J'ai attendu qu'elle s'installe, puis je me suis avancé, les bras croisés.

- Passé une bonne nuit ?

Mon ton sonne sarcastique, plus que je l'aurais voulu. Je me maudis intérieurement, mais je ne laisse rien paraître sur mon visage qui la fixe sérieusement.

Perdue dans mes pensées, je ne remarque qu'au dernier instant la présence de ma seconde dans mon bureau mes sourcils se froncent légèrement ; je dois bien avouer que je ne suis pas mécontente de la voir, malgré ma fatigue et le travail qui m'attend. Néanmoins, je n'apprécie que peu son intrusion.

- Nadya. Que diable fais-tu ici ?

Je balaie ma question d'un revers de main nonchalant. Peu importe ; la présence de quiconque d'autre aurait sûrement fait éclater un véritable scandale. Néanmoins, Nadya est ma seconde, et je la connais depuis si longtemps qu'elle n'a officieusement plus guère besoin d'autorisation pour pénétrer dans mes quartiers.

- Peu importe. Puisque tu es là, je t'en prie, installe-toi donc.

Je ne m'attarde guère davantage sur le ton qu'elle emploie, bien qu'il me surprenne de par son caractère véhément.

- Fort agréable, en effet, je te remercie. Pourquoi tant de sarcasme dans ta question ?

Bien sûr qu'elle a remarqué. Merde. Je n'ai pas envie de la confronter, mais d'un autre côté, je sens mon estomac se tordre à l'idée qu'elle est sans doute allée vers quelqu'un la soirée précédente. C'est souvent pour cela que la capitaine s'absentait toute une nuit de son vaisseau. Je serre les poings et attend un moment avant de lui répondre.

- Jez. Faut se parler. J'ai besoin de savoir...

Finalement, je ne réponds pas à sa question, mais je la fixe droit dans les yeux, comme pour percer son âme.

- J'ai besoin de savoir comment tu t'es senti l'autre soir. Quand nous... Notre baiser.

Mes yeux s'abaisse aux derniers mots.

Je fixe Nadya, à la fois stupéfaite et troublée face à ses paroles. Notre baiser ? Il s'agissait définitivement d'une erreur ; je me suis donnée pour règle de ne guère avoir de relations charnelles avec mon équipage. J'ai fort bien eu l'occasion de voir les effets de tels actes, d'autant plus entre un capitaine et son second. Néanmoins... Néanmoins, il me faut bien l'admettre : ce baiser, nous le voulions autant l'une que l'autre. Il me semble encore sentir le contact doux et chaud de ses lèvres contre les miennes. Son odeur, son souffle, enivrants. Je fronce légèrement les sourcils et me lève, m'approchant d'une des immenses vitres qui laissent entrer la lumière dans mon bureau, espérant sans nul doute que cela suffirait à masquer mon trouble.

- Pourquoi diable est-ce d'une quelconque importance à tes yeux, Nadya ?

Je fronce les sourcils à mon tour. J'avais espéré qu'elle ne tenterait pas d'éviter la question, mais en même temps, je ne suis pas étonnée. Je sais que ma question la trouble, ça se sent dans sa voix, dans sa posture. Je la connais trop bien, ma Jez...

- Réponds à la question, Jezabel ! Qu'est-ce que tu as ressenti ? Rien ? Tu as préféré oublier ? Parce que moi je n'ai pas oublié. Je n'ai pas pu oublier...

Il y avait probablement que moi qui pouvait se permettre d'être aussi ferme avec elle. N'importe qui d'autre se ferait renvoyé de son bureau à grande engueulade, mais Jez et moi avions quelque chose de plus entre nous et je le sentais, et ça me tourmentait depuis des jours. Mon regard s'abaisse néanmoins, un peu honteuse de ma conduite, mais je devais le savoir à tout prix, quite à la vexer un peu.

Une nouvelle fois, je me sens heurtée par la véhémence du ton que Nadya emploie. Je lui tourne le dos, les bras croisés, le regard perdu dans l'horizon teinté des couleurs du petit matin. Il n'existe personne au coeur de l'univers qui pourrait se targuer de me parler ainsi sans avoir à en subir les conséquences. En public, tout cela aurait sans nul doute dégénéré. Néanmoins, il n'y avait jamais rien d'usuel avec Nadezh'da Vistana. Depuis que l'on se connait, elle possède l'incroyable capacité d'éveiller en moi des émotions et des comportements que personne d'autre n'est jamais parvenu à m'arracher. Je soupire, lasse.

- Penses-tu sincèrement que je puisse oublier cela ?

Je demeure dos à elle, laissant le silence s'installer un court instant.

- Jamais je n'oublie les moments que nous partageons, Nadya. Jamais.

Je me rassérène à ses derniers mots, soufflant légèrement en me rapprochant d'elle tranquillement. Je viens glisser une main rassurante dans son dos, comme pour lui faire savoir que je ne suis pas en colère contre elle.

- Pardonne mon ton, Jez. Je ne sais pas ce qui me prend...

Je baisse la tête de nouveau, le regard fixé sur son dos. J'ai tellement envie de la prendre, de l'enserrer dans mes bras, mais je me retiens, me contentant seulement de me mettre sur le côté, ma main quittant son dos pour la tourner doucement vers moi.

- J'ai été hantée tous ces derniers jours par ce baiser... J'essayais de comprendre d'où il venait, pourquoi il était arrivé... Mais j'ai cherché trop loin. La réponse, elle était devant moi tout ce temps...

Je m'ose à glisser une main contre sa joue avec douceur, la chaleur de ma peau contre le sienne. Le contact a pour don de me soulager, comme un baume sur une blessure. Je la regarde dans les yeux.

- Jez je... Je t'aime. Je t'ai toujours aimé, ce n'est que maintenant que je le réalise...

Je frissonne. Emportée par le ton de sa voix, par ses mots déchirants, par sa main qui m'effleure le dos. Emportée par des émotions dont j'avais oublié la couleur et le sens. Nadya me parle, et moi je demeure immobile, silencieuse, tandis qu'une impétueuse tempête secoue mon âme, m'ébranle. Je tiens néanmoins bon, et lui fait enfin face. Je ne fais guère partie de ceux qui fuis.

Sa main se pose sur ma joue, nos regards s'emmêlent, au rythme effréné des battements de mon coeur. Cette proximité m'effraie autant qu'elle m'apaise. Je demeure pourtant calme, impassible. Ne montre point tes émotions, Jezabel. Elles sont une puissante arme que quiconque peut choisir de retourner contre toi. Pourtant, lorsque les mots de Nadya résonne, j'oublie. J'oublie qui je suis, pourquoi je suis, j'oublie mes fondamentaux et mes principes. Je t'aime.

Le coup me frappe en plein coeur. J'hésite un instant à me détacher d'elle, à la congédier, à hurler que ce n'est guère correct. Les secondes s'égrènent, le silence pèse. Les mécaniques de mon coeur entame le mouvement inverse. Lentement, ma main se pose sur la sienne, l'enserre. Mon visage demeure neutre, cependant, mon regard trahi peut-être ce vent qui hurle en moi.

Les mots qui pourraient sortir de mes lèvres se tarissent avant même d'avoir vu le jour. Je ne sais que dire, que faire. Alors emportée par une vague trop forte pour que je puisse lutter, mon visage s'approche du sien, et mes lèvres viennent se sceller sur les siennes.

Une vague de soulagement s'abat sur moi alors que les lèvres de Jezabel entrent en contact avec les miennes. Je la réceptionne aussitôt dans mes bras, venant coller mon corps contre le siens. Mes lèvres trouvent et retrouvent les siennes, tentant d'apaiser cette tension que je sens en elle. Je profite de ce premier instant de tendresse aussi longtemps que je le peux, jusqu'à en perdre le souffle.

Je décolle mon visage du siens, nos souffles rapides s'entremêlant. Mes lèvres viennent effleurer les siennes si doucement que ça me fait frissoner.

- Jezabel... lui soufflais-je.

Puis je replonge de nouveau, attrapant ses lèvres avec les miennes dans un baiser plus ardent, plus insistant. Mes mains viennent chercher son corps avec plus d'urgence. Elle est si belle, si parfaite... Je ne peux m'empêcher de la vouloir tout pour moi dans cet instant.

Pendant l'ombre d'un instant, j'oublie. J'oublie qui je suis et pourquoi ce que nous faisons n'est guère correct. Je me laisse emporter par un élan qui me vient d'un lieu en mois, encore peu exploré, que j'avais d'ailleurs partiellement oublié. Je pose ma main sur la joue de Nadya, tandis que nos lèvres se mêlent encore et encore. Mon autre main se pose sur le bas de son dos pour l'attirer encore davantage contre moi. Elle murmure mon nom et je ne veux guère l'entendre. Je ne veux rien entendre d'autre que son souffle brûlant qui se mêle au mien en une symbiose parfaite. Lentement, ma main effleure sa joue, son cou, la naissance de sa poitrine.

Je ne saurais décrire avec exactitude la nature des émotions qui m'envahissent, cependant, elles sont si fortes et si puissantes qu'elles m'emportent contre mon gré. Je sens mon coeur s'emballer au creux de ma poitrine et cela m'emporte et m'effraie à la fois.

Le monde autour de moi semble disparaître peu à peu. Le Némésis, les autres membres de l'équipage, même le bureau dans lequel nous nous trouvons, tout disparaît dans cet instant. Je sens ses mains contre ma peau et soudainement, je suis prise d'une urgente envie de sentir sa peau contre mes doigts. Mes mains s'affolent contre son corps, essayant frénétiquement de défaire, ne serait-ce qu'un peu, sa tunique. Finalement, mes mains se frayent un chemise, sous sa chemise, jusqu'à la peau de son ventre, puis se glissent le long de ses côtes, remontant jusqu'au dessous de ses seins...

Je m'arrête net à ce moment, comme si la situation venait de me percuter comme un train. Mes mains se figent contre le corps de Jezabel alors que mes lèvres quittent les siennes. Je la regarde, soudainement incertaine. Qu'est-ce que les autres diraient s'ils les verraient, en ce moment ? Que va penser Jillian ? Qu'en pense Jezabel ? Je regarde ma belle capitaine dans les yeux. Il est trop tard pour faire marche arrière, et honnêtement, j'en ai aucunement envie...

Mes lèvres s'abattent sur leur proie une fois de plus alors que mes mains caressent ce corps que j'ai désiré depuis si longtemps. Je la tiens, maintenant, et je n'ai plus envie de la relâcher.

Et tandis que je sens son odeur sucrée m'enivrer, sa peau douce m'emporter, mon esprit et mon coeur voient naître la plus grande de leurs batailles ; le premier me rappelle avec justesse que ce n'est en aucun correct, qu'une de mes règles d'or est de ne pas mêler mon équipage et ma vie personnelle, que cette relation avec Nadya ne peut rien apporter de bon. Elle est ma seconde. Je suis sa capitaine. Nous ne pouvons avoir ce genre de rapport.

- Nadya...

Cependant, mon coeur, lui, n'est guère en accord. Il s'affole dès qu'elle s'approche, souhaiterait ne jamais la laisser s'en aller loin de moi. Il sait à quel point j'ai besoin d'elle ; il sait que ce que je ressens à son égard n'a pas le moindre rapport avec les coucheries usuelles qui peuplent mes nuits. Je la veux. Je la veux pour moi, toute entière, à jamais.

- Nadya...

Je mets fin à notre baiser enflammé, à contre coeur. Je conserve néanmoins précieusement une de ses mains dans les miennes.

- Nadya, tu sais fort bien que cela n'est guère correct. Nous ne le pouvons nullement. Notre histoire n'a guère commencé, et déjà, elle est vouée à l'échec. Nous ne pouvons...

Et encore, je me sens attirée par ses lèvres, son parfum, son regard, si beau. Elle est si belle.

- Je suis ta capitaine, Nadya. Je... Je ne puis t'octroyer ce genre de traitement de faveur.

Je sens mon coeur s'emballer, devenir plus léger qu'une plume. Je ne pourais pas être plus heureuse de partager ce moment avec la personne qui m'est le plus cher au monde. Je ferais n'importe quoi pour Jezabel, et ce, pas parce qu'elle est ma capitaine, mais parce qu'elle est ma meilleure amie depuis le début, parce qu'on a vécu beaucoup d'épreuves ensemble, parce que nous avons chacune le dos de l'autre en toutes circonstances...

Et soudainement, je sens Jezabel se séparer de moi et mon coeur coule jusqu'au fond d'un océan de désespoir. Le choc me percute avec la force d'un galion. J'enserre sa main en creux de la main, désespérée de la garder avec moi. Mon corps se met à trembler légèrement à l'idée de la perdre de nouveau.

- Tu le sais bien que ça n'a rien à voir avec nos rôles respectifs...

Ma voix se met à casser alors que ma gorge se noue. Je ravale difficilement ma salive en tentant de continuer.

- Je t'aime, Jez'... Je ne peux pas supporter l'idée de t'avoir loin de moi pour plus longtemps. Tu as toujours été plus que ma capitaine. Tu es d'abord et avant tout ma meilleure amie, tu fais partie de ma famille, et je refuse de refouler ce que je ressens pour toi rien que pour un titre ! À quoi bon avoir des titres si c'est pour nous enfermer dans une cage et nous enlever notre liberté ?!

Ce regard qu'elle me lance me brise le coeur. Je ne puis souffrir de lui faire du mal. Néanmoins, les enjeux sont trop importants pour que je me laisse aller dans ces bras chéris sans songer à l'avenir.

- Au contraire, Nadya. Cela a tout à voir avec nos rôles respectifs. Que se passera-t-il si, toi et moi, nous ne sommes plus en accord ? Si tes sentiments ou les miens venaient à s'éteindre ? Mettrions-nous en péril le Némésis tout entier pour cela ? Toi comme moi en avons vu les conséquences auparavant, et pour rien au monde je ne veux que cela se reproduise. J'en ai suffisamment souffert en tant que jeune femme pour l'infliger à Jillian, et pour te l'infliger à toi.

Je soutiens son regard, bien qu'il m'afflige et pèse lourd sur mes épaules. Néanmoins, je serre davantage sa main dans la mienne.

- Tu sais mieux que quiconque que j'ai déjà dû procéder à grands nombres de sacrifices pour le bien du Némésis. J'ai sans nul doute commis des atrocités et fait des choix qui ont brisé une partie de moi. J'ignore ce que je ferais sans toi à mes côtés, Nadya. Je ne puis prendre le risque de te perdre ; je ne puis prendre le risque d'entacher d'une quelconque façon notre lien et le travail qui nous incombe. Céder aux crises de nos coeurs mettrait tout cela en péril.

Je termine ma phrase en murmures, et ma main lâche la sienne.

Je sens mon sang bouillonner dans mes veines et je lutte contre la vague d'émotion qui menace de me submerger à n'importe quel moment. Je sens mes yeux devenir plus humides mais j'ignore cela pour l'instant, me contentant de serrer les poings pour me contenir.

- Alors tu... tu vas me repousser... sous le prétexte que tu veux "protéger le Némésis" ? Jez, j'suis pas le genre de personne qui va tout flinguer en l'air pour une histoire du coeur ! Le Némésis c'est ma maison, c'est ma famille, la dernière chose que je veux c'est que quelque chose de mal lui arrive...

Je lâche un juron lorsqu'une vilaine larme s'échappe de mon oeil. Je m'empresse à me détourner pour l'essuyer rapidement, prennant un moment pour calmer la tempête qui me serre la gorge et la poitrine.

- Je... ne peux pas... envisager aucun futur où mes sentiments pour toi changeraient... Mais si toi, tu as si peu foi en moi, en nous...

Les mots bloquent dans ma gorge alors que je serre les dents à m'en donner mal à la mâchoire. Je soupire bruyamment par les narines, levant les yeux vers le ciel pour refouler une nouvelle vague de larmes.

Et tandis que ses yeux s'humidifient, je me sens faiblir. Déchirée entre mes convictions profondes et mes sentiments débordants, je me retrouve impuissante, face à une situation où tout contrôle m'échappe. Je conserve la tête haute. Je prends une grande inspiration.

- Il n'est en rien question de prétexte, Nadezh'da. Je conserve des croyances et des principes, qui sont chers à mon coeur. Pour la grande majorité d'entre eux, tu en connais les raisons. Ne fais pas semblant d'ignorer tout cela !

Ses larmes, sa détresse, me donnent l'impression de sombrer, et de voir autour de moi le monde s'écrouler. Seigneur, pourquoi est-ce aussi douloureux ? Presque aussitôt, je me calme et fais un pas en sa direction pour prendre à nouveau ses mains entre les miennes.

- Je t'en conjure, Nadya, ne pleure pas. Je t'en prie. Ce n'est pas en toi, que je n'ai pas foi. J'ai toujours eu une confiance sans failles à ton égard. Seulement, j'ai aimé, par le passé, tu sais. Une fois. Et lorsqu'il m'a été arraché, je...

Je ferme les yeux un instant, dévastée. Lorsque je les rouvre, j'ai la sensation de porter le poids du monde sur mes épaules.

- Si je venais à te perdre, Nadya, j'en mourrais. Si je laissais libre cours aux sentiments qui menacent à l'instant de faire déborder mon âme, j'offrirai au monde une arme de plus afin de m'anéantir. S'il t'arrivait malheur, Nadya, je...

Submergée par l'émotion, je suis incapable de prononcer un mot de plus.

Ma tête s'était abaissée depuis peu, tentant de cacher les larmes que je n'avais pas réussi à retenir. Les mains de Jezabel viennent attraper les miennes, trahissant mon émotion. Mes mains crispées tremblent entre les siennes et une larme solitaire vient alors se planter sur le dessus de ma main.

- Tu ne penses pas que c'est une peur que je partage aussi ? Tu penses qu'il viendrait quoi de moi si quelque chose devait t'arriver ?

Je lève finalement la tête, des traces de larmes fraîches marquant toujours mes joues.

- Je suis consciente des risques de notre profession, Jezabel. Ça fait longtemps que j'ai accepté le fait que je n'allais probablement pas vivre une longue vie, mais ça fait justement que chaque moment où nous sommes en vie est précieux...

Je glisse mes mains hors des siennes pour venir les glisser sous sa mâchoire, de chaque côté de son cou d'alabâtre.

- Et je ne pourrai pas supporter l'idée de passer le reste de ma vie à refouler ce que je ressens pour toi...

Mes pouces lui caresse le visage doucement alors que mes yeux se plongent dans les siens.

- T'ai-je déjà donné raison de douter de ma fidélité ? J'ai toujours été là pour toi... et ça ne changera jamais, Jez'. Je t'en donne ma parole...

On ne peut aucunement me désigner comme étant une femme au grand coeur. Et pour cause ; il n'y a seulement qu'une poignée d'êtres qui peuvent se targuer d'atteindre mon coeur - la liste se résumant à Jillian, Nadya, et bien que je ne puisse guère l'avouer, Hannabeth - et la douleur que m'inflige leur peine n'est qu'à peine supportable.

- Je ne veux nullement être la cause de tes peines, Nadya. Je ne veux d'ailleurs point que tu ressentes de la peine. Jamais.

Ses paroles me frappent en plein coeur ; si je ne parviens guère à l'accepter et à en faire une vérité, je sais fort bien au fond de moi qu'elle a raison. Accepter d'aimer à nouveau me terrifie, et me sort entièrement de ma zone de confort. Ses mains se posent sur mon visage, et à nouveau, je ferme les yeux ; cette fois, par apaisement. Alors je pose mes mains sur les siennes, et je m'agrippe à elles, avant de la regarder à nouveau.

- Promets moi que tu ne mourras pas, Nadya. Promets moi que je n'aurais pas à te pleurer.

Mes traits s'adoucissent tranquillement lorsque les mains de Jezabel viennent agripper les miennes, et je sens comme une vague d'apaisement s'abattre sur moi. Je rapproche mon visage du siens doucement pour venir coller mon front contre le siens, mes pouces lui caressant son visage d'ivoire avec tendresse.

- Je ne suis pas prête à partir, surtout pas maintenant... Je ne veux plus que tu t'inquiètes pour ça, Jezabel. Je suis là, je n'irai nul part. Pas sans toi...

L'une de mes mains quitte sa joue pour venir se glisser dans le creux de son dos. Je l'attire vers moi de nouveau et mes lèvres retrouve les siennes avec douceur. Ma main posée dans son dos la tient plsu ou moins fermement contre moi. Je veux qu'elle se sente en sécurité dans mon étreinte, mes lèvres cherchent à effacer toutes ses craintes, ses inquiétudes. Ma main toujours dans son cou cherche à la rassurer avec de douces caresses. Puis je sens mon coeur s'embraser de nouveau, et je n'ai plus aucun doute: je tiens la femme que j'aime dans mes bras, et je ne veux plus jamais la relâcher...

Le contact de sa main dans le creux de mon dos me fait frissonner. Je sens à nouveau son souffle sur ma peau, son front contre le mien, et l'assurance dans son regard. Aucun mot ne pourrait décrire ce que ses yeux reflètent en me regardant. Aussitôt, je sens une chaleur bienfaisante m'envahir, et à nouveau, doutes et craintes s'évaporent comme si elles n'avaient jamais existé. Nos lèvres se mêlent à nouveau ; je glisse une main contre sa nuque, et l'autre agrippe son omoplate, comme si ma vie en dépendait. Je viens pourtant de passer une nuit fort agréable, en compagnie d'Enguerrand ; mais rien qui ne soit ne serait-ce que partiellement comparable à ce que Nadezh'da Vistana éveille en moi.

J'en oublie la fatigue et les appréhensions ; j'en oublie mes promesses et la cage protectrice dans laquelle je m'enferme depuis des années. En quelques minutes, elle est parvenue à faire voler en éclats toutes mes certitudes, et à s'emparer d'une part de moi que je ne songeais plus offrir à quiconque. Mes lèvres sur les siennes se font plus brûlantes, et à nouveau, je ne songe plus qu'à la garder auprès de moi pour toujours et à jamais.

Mes mains sur son corps tentent de lui assurer qu'elle n'a plus besoin de cette armure qu'elle s'est bâti au fil des nombreuses années. Mes bras lui communiquent qu'elle est en sécurité, que rien ne peut l'atteindre maintenant que nous sommes ensembles. Avec mes lèvres, je lui transmet toute la tendresse possible pour lui faire comprendre à quel point elle est importante pour moi. Cependant, j'ai toujours été du genre à me laisser emporter, et la tendresse laisse place à la passion... puis au désir.

Je l'ai désiré pendant tellement d'années. Elle a toujours été à mes côtés, assez près pour la voir, mais trop loin pour la posséder. Mes mains la cherchent avec avidité, se glissent sous ses vêtements comme si la chaleur de sa peau était l'unique chose qui allait calmer mon coeur enflammé. Pourtant, lorsque mes doigts entrent en contact avec cette peau d'ivoire tant désirée, c'est plutôt l'inverse qui se produit. J'ai l'impression qu'une incendie de désir s'est emparé de mon corps et je ne parviens plus à me contrôler.

Je viens vautrer mes mains contre son dos, la décollant du mur pour la tourner vers son bureau. Je la force à se reculer vers le meuble. Mes mains viennent balayer le bureau maladroitement et j'entends tout tomber au sol, mais je m'en fous. Je glisse mes bras sous les fesses de ma belle et vient la déposer contre le bureau, séparant mes lèvres des siennes alors que mon regard de braise se pose sur elle.

Elle et moi, moi et elle, nous entamons notre première valse ; elle sera magistrale, je n'en doute aucunement. Tandis que ses mains se font pressante contre moi, je cède, moi aussi, au désir. Malgré la nuit torride et épuisante qui vient de s'achever avec Monsieur de Cassagnac, je recouvre une énergie puissante et enivrante. L'envie de sentir son corps contre le mien, de voir nos souffles se mêler au rythme endiablé que nos coeurs nous imposent, de découvrir tout ce que je n'avais pu ne serait-ce qu'imaginer d'elle.

Je la laisse fort volontiers m'emporter sous la vague de passion qui nous submerge. Elle me conduit sur le bureau, et tandis qu'elle impose un instant d'arrêt dans nos baisers fiévreux, je passe mes jambes autour de sa taille, la plaquant davantage contre moi. Du bout des doigts, je caresse son visage doux et harmonieux. Ce visage qui m'a toujours été si agréable à regarder.

- Je te désire ardemment, Nadezh'da Vistana.

Il s'agit-là d'une invitation. Nous ne pouvons plus faire machine arrière ; il est trop tard, désormais. Alors encore, mes lèvres se pressent contre les siennes.

Les voila, les mots que j'ai si longtemps attendu. Ils surgissent de ses somptueuses lèvres, m'arrachant une légère plainte de désir impatient.

- Oh Jez...

J'ai à peine le temps de souffler son nom que mes lèvres se plaquent de nouveau contre les siennes. Je sens mes mains se faire plus pressantes, je m'affaire sur la chemise de Jezabel, tentant vainement de la détacher. Au final, j'abandonne mon combat contre ce farrouche vêtement et je tire sèchement sur le tissu. La chemise explose, révélant ce corps si désirable. Je recule, prenant un instant pour admirer cette beauté fatale qui se trouve devant moi. Elle est si parfaite... Son parfum m'enivre, le goût de ses lèvres, intoxiquant. Cette femme transpire la sensualité, je ne peux m'empêcher de la dévorer des yeux tellement elle est ravissante. Je plonge vers son cou, parsemant cette zone sensible de baisers ardents. Jezabel ne fait qu'alimenter le feu du désir qui brûle ardemment en moi, menaçant de nous consommer entières dans un inferno passionné, mais pour elle... je me laisserai volontière emportée par les flammes.

Et ensemble, nous nous laissons emporter par les flammes ardentes du désir qui nous consume. Avoir des relations charnelles n'a jamais été un élément porteur de problèmes. Pourquoi diable se refuserait-on une action si pure, si porteuse de bien-être et, qui plus est, n'a aucun coût ? En revanche, je possède des principes, et certains sont difficiles à chasser. Parmi ceux-ci, je m'étais promis de ne plus jamais entretenir ce genre de relation avec un membre de mon équipage ; malgré les années qui se sont écoulées, le souvenir de Jym, mon premier amour et père de ma Jayn, demeure vif et douloureux en mon sein. L'inquiétude des assauts, la crainte de la perte, l'horreur de la mort, sont autant de traumas que je ne veux guère revivre. Pas venant d'une personne qui possède mon coeur entre ses lèvres.

Pourtant, momentanément, j'oublie toutes ces craintes, et m'abandonne à ma seconde ; la chaleur de son corps, les battements de son coeur, l'odeur de ses cheveux et son souffle brulant me rendent ivre. Et dans cette merveilleuse ivresse, je souhaite me noyer. La fatigue de ma nuit passée avec Monsieur de Cassagnac semble s'être envolée. Je m'abandonne toute entière à Nadya. Au diable le jour qui se lève, au diable nos obligations. Ce matin, il n'y a plus qu'elle qui compte.