Au Pirate Ivre. [Enguerrand + Gillian] - 107 ADD

Gillian suivit du regard  l’équipe d’imbécile qui s’empressait de s’éloigner. Il n’en fallait pas beaucoup pour deviner que c’etait les guguss de tout à l’heure.  Vilain. Fort. Et utilisant leur nombre comme d’une arme.  Sans l’intervention du Passeur, l’issue de l’affrontement aurait été autrement plus serré. Elle ne s’en serait pas tirée avec des blessures relativement bénigne.

La jeune femme aux cheveux d’ivoire guida Emma  à l’interieur de la taverne  l’emmenant tout droit le comptoir tenu par Olivier. L’idée étant  d’aider là danseuse à noyer ses souvenirs dans l’alcool. Gillian savait que sa solution était vaine et temporaire. Ce n’était pas faute d’avoir essayé  pour oublier les derniers jours de sa vie sur Obscuro.  Les gueules de bois matinales ne l’en avait pas dissuadée ni ses problèmes d’argent.

Olivier  la remercia d’avoir ramené Emma puis ne discuta pas quand elle demanda un verre pour Emma et servit  son alcool le plus fort à la danseuse.  Ensuite  il paya  Gillian  avec une avance de 700 crédits et lui servit un verre. Satisfaite,  la videuse revint avec son verre et s’assit à la table  d’Enguerrand.

Je crois qu’il est juste de partager Maître. Après tout nous avons fait tous deux notre part  pour régler cette affaire non ?

Elle fit quelques comptes dans sa tête, sortit son HCom et  allongea 350 crédits en attente de transfert.  C’est étonnant qu’elle décide de se montrer honnête et prête à partager vu qu’elle a tellement besoin de fric.

Enguerrand s'est installé à sa table et a rallumé son cigare. Les premières bouffées sont désagréables mais rapidement le goût qu'il recherche fait son apparition et il peut reprendre tranquillement son activité du moment. Profiter de son cigare.

La fille vient se poser à sa table. Visiblement elle s'emmerde un peu... ah non... elle vient partager sa prime. Geste noble, et c'est pas comme s'il pouvait se permettre de refuser. Tout son argent va dans un coffre pour son prochain jouet cybernétique. En attendant il se serre la ceinture. Alors il sort son HCom et accepte le transfert.

Il sort de sa poche un cigare et le propose à la fille. Pas sûr que ce soit bien son genre par contre.

Elle rangea son HCom aussitôt à la fin du transfert soigneusement. Qu’un voleur s’avise de le lui voler et il comprendra rapidement son erreur car la jeune femme a le coup d’oeil pour les repérer. Se voyant offrir un cigare, elle le saisit, regarda la marque et de vautra contre le dossier de la chaise.

Merci Maître.

Visiblement l’alcool n’est pas son seul vice puisqu’elle sortit un briquet pour allumer le bout du cigare. Elle prend une ou deux bouffée.

Pas mal. Humm. C’est du tabac de Renaissance ? Vu la marque, c’est probablement du tabac cultivé par les esclaves Mo’At. Le prix en revanche... 10 crédits ? 7 crédits Maître ?

Elle hausse les épaules comme si elle n’en était pas vraiment sûre ou comme si elle s’en fichait. Manifestement, elle a des notions en la matière ce qui laissait supposer qu’elle n’avait pas toujours été videuse dans une taverne. Ce qui amenait logiquement la question de comment elle avait atterrie ici. Elle fixa le cigare puis en aspire une nouvelle bouffée puis sirota un peu son verre.

Enfin, peu importe Maître.

Comme si rien n’était. Pas terrible comme tentative de se rattraper. Qui est-elle ? Et qui avait-elle été ?

Enguerrand écoute la femme parler pour ne rien dire. Comme beaucoup de gens qui ne supporte pas le silence par ailleurs. Visiblement elle s'y connait un peu en cigare.

- Renaissance. Sans doute des esclaves. 7 crédits dit-il pour lui répondre.

Certains pirates ne consomment pas les choses produites par l'esclavage. Ils sont rares, les pirates sont des criminels à tendance rebelle. Pas l'inverse. S'il n'était pas aussi solitaire il serait resté dans la Légion. Mais la pression sociale de ses camarades était trop forte. Les pirates... c'est pas pareil. Dans un équipage on trouve de tout et personne ne veut te faire rentrer dans un moule.

Gillian se tut, observa quelques instants Enguerrand. La réponse est laconique et lapidaire. Elle lâcha une nouvelle bouffée de cigare. Tout le monde paraissait volubile à coté du Passeur.

C'est l'une des marques dont on trouve le plus de contre-façon sur le marché à cause de sa garantie de qualité. Je ne me souviens plus du pourcentage exact, mais en revanche, je sais qu'on achète parfois les douaniers avec. C'est plus discret que des crédits. Et c'est un bon moyen de se rendre sympathique à leurs yeux. ajouta-t-elle de manière anecdotique.

Elle se rappelait très bien une histoire de son oncle Ferkad qui avait recouru à ce type de corruption pour faire passer des marchandises en douce. (D'ailleurs, elle avait même inspecté de ses propres yeux son travail Une bonne technique. Seulement dans le temps, ça ne marchait pas avec elle. Il fallait la payer avec une autre monnaie. Des renseignements sur les gros réseaux et les trafiquants d'articles. Mais vu l'allure d'Enguerrand, il fallait sans doute qu'il se montre très convainquant et disposer de compétences sociales qu'il ne semble pas posséder. Attention, elle pourrait être surprise, se morigéna-t-elle, en se rappelant qu'elle se trompait de temps en temps avec les gens.

Je ne sais pas combien de temps, vous restez sur Esperanza Maitre. Mais si vous souhaitez un partenaire d'entrainement, je suis à votre disposition. Vous avez sans doute beaucoup voyagé et je me demande si vous avez entendu parler de Cyrille Boulanger ou l'avez rencontré.

Boulanger.... un nom qui réveille l'attention du combattant. Il a entendu parler de lui, et l'avais même croisé dans une taverne. Un pirate pas mauvais à l'épée pour un capitaine. Les capitaines n'ont pas le temps de devenir des maitres d'armes. Enfin si mais ils ne peuvent que rarement se hisser au dessus de ce niveau.

- Je l'ai rencontré. Doué. commente Enguerrand. Ton maitre ?

Il tire sur son cigare. Il connait la réponse mais n'a pas les détails. Et ça lui permet d'éluder la question du partenaire d'entrainement. La petite n'est pas au niveau. Elle a le potentiel par contre. C'est indéniable.

Non. Elle lui dit avec une tristesse infinie sincère. Mon père. Elle tire légèrement sur le collier révélant la croix et la chevalière gravée "Cyrille Boulanger" pour les yeux de De Cassagnac et la relâche rapidement. J'ai eu la chance de le connaitre. J'avais quatre ans quand il me l'a donné. Aussi laconique qu'Enguerrand. Mais on sentait l'émotion, le poids des souvenirs heureux avant qu'il ne disparaisse.

Elle ne dit pas que d'autres enfants de pirates et corsaires n'avaient pas cette chance, que Boulanger avait peut-être eu d'autre enfants. Tout ce qu'elle savait c'est que ses yeux étaient reconnaissables entre mille pour ceux qui avaient connu Cyrille Boulanger.

Mon maitre avait des idées... hérétiques aux yeux de l'Inquisition. Il était sévère et exigeant aussi.

En effet, Gilles punissait l'erreur et la maladresse par une balafre, et exigeait de ses élèves de la détermination et du courage. Combien de temps avait-il fallu pour qu'il accepte de lui enseigner ? Combien de blessure subie avant de maitriser les techniques sans atteindre la perfection de son maitre ? Elle n'en parlait pas souvent et toujours de manière vague. C'était son petit secret après tout qu'elle avait caché à sa mère.

La conversation se dirige vers un endroit qu'il connait mieux. C'est la fille d'un pirate et ça ne l'intéresse pas plus que ça. Par contre elle avait un maitre d'armes. Et ça éveille la curiosité du duelliste.

Quelles idées ? demande Enguerrand

Il tire une grosse bouffée de son cigare et vient boire un peu de son vin ensuite. Curieux de connaitre la réponse.

Elle en savait très peu sur l'histoire de Gilles. Mais le peu qu'elle connaissait était largement suffisant.

Il croyait en un être divin à la fin masculin et féminin, un mélange de Calypso et de Dieu, je crois. Comment dit-on ? Androgyne. C'est le mot. Oui. Ni homme ni femme. J'ai trouvé ça bizarre au début mais ça semblait... approprié pour lui.  Sa foi n'en était que plus forte. Il ne vivait que pour cet être  qu'il a trouvé sur Renaissance parmi les Mo'ats.  Il ne s'en ait pas caché d'ailleurs et l'Inquisition l'a trouvé.  

Elle ne connaissait pas les détails de cette partie là mais on pouvait aisément imaginer la traque impitoyable à laquelle avait échappé son maitre.

D'après lui, c'est sa foi qui l'a sauvé. C'était ce qui lui permettait d'atteindre l'Unité. Un état d'esprit propice à chaque acte de son existence comme il le formulait. Une forme de sérénité inébranlable... Excusez-moi, j'ai du mal à décrire ce que je n'ai pas encore trouvé. Au fil des ans j'ai cherché des réponses. Des pirates m'ont répondu la Flamme. Le Code. Des trinitaires m'ont dit : La foi en Dieu. Mon oncle Sirius m'a soufflé : La loi. Un poète m'a affirmé : Une fleur qui éclot, s'ouvre au monde.  Mon maitre avait raison de prétendre que cette Unité était différente pour chacun d'entre nous. Vous... Vous dites être né dans cette Unité.  

Enguerrand écoute les histoires sur l'homme qui a trouvé l'Unité. Gilles de Rey. On ne peut pas être née trinitaire, se balader en Dorado en chassant les maitres d'armes et ne pas le connaitre au moins de réputation. Un illumin, mais un vrai combattant à l'épée à n'en pas douté.

Je n'ai pas ce genre d'Unité. Je suis juste née avec un caractère froid et impassible. C'est mieux pour se concentrer. explique simplement le combattant.

Les attaques psychologiques de l'adversaire, les doutes qui vous rongent, la peur... il connait. Mais de part sa nature froide et solitaire il relègue ça sans mal au second plan quand il se bat. L'esprit doit être libéré de ces contingences afin d'être dédié au combat en cours.

Un illuminé en effet.  Et des plus dangereux quand on s'attaquait à ses croyances.  Gillian supposait que les Inquisiteurs l'avaient appris à leur dépens sur Renaissance. A l'écoute de la réponse de Cassagnac, elle songea qu'elle n'était pas une tueuse endurcie et impassible comme lui. Ou Gilles. Elle n'avait jusqu'à présent tué uniquement pour sauver sa vie.

Une plongée dans ses souvenirs. C'est comme si c'était hier.  La jeune femme avait d'emblée deviné  qu'ils venaient la tuer. Les avait attendu avec l'épée que lui avait légué Gilles.  Son visage s'assombrit, crispé. Chaque mouvement  effectué dans l'unique but de survivre  et éliminer ses adversaires. Le sang qui jaillit des blessures qu'elle avait infligée. Leurs morts. Malheureusement un avait été oublié. Un l'avait  poignardée  à l'omoplate.

Si je n'avais pas connu mon maitre, je serais morte aujourd'hui.

La peur. Le froid ressenti quand  elle avait senti la lame racler son omoplate. Engourdissement. Ombre de la mort qui plane et qui s'est éloignée quand son Kao s'était jeté sur le lâche agresseur.  Puis  la façon dont elle s'était vengée en poignardant le meurtrier de son chien jusqu'à sombrer dans l'inconscience. Une pointe de remord lui vint. Elle aurait pu se contenter de l'achever. Aussitôt, elle prit son verre et prit une grande lampée.

Je ne crois pas que je pourrais être comme vous. Mais je maintiens ma proposition d'entrainement. Je ne serais jamais à votre hauteur, j'en ai conscience, je veux seulement maintenir ma forme. Qui sait de quoi sera fait demain ?

Il y a des émotions qui passent sur son visage. Enguerrand perçoit son trouble quand à dire pourquoi. Impossible pour lui. Ce n'est vraiment pas sa tasse de thé.

- les maitres d'armes sont là pour ça. dit-il laconique.

C'est une évidence mais la femme en face de lui aime les évidences. Donc ça ne le dérange pas de lui en servir en guise de conversation. Elle insiste pour s'entrainer avec lui. Il soupire intérieurement. Il n'a pas le temps pour ça et elle est trop vielle de toute façon. Il n'a pas la patience avec les adultes. Il préfère les enfants et les plus jeunes. Ils sont plus malléables et apprennent plus rapidement. Il n'a aucune compétence pour enseigner alors si en plus le public n'est pas facile... ça devient compliqué.

- je n'ai pas le temps. dit-il toujours laconique.

C'est d'une évidence crasse en effet. La jeune femme ne peut rien ajouter. Mais Gillian était  hantée par les souvenirs les plus laids de son passé à cet instant, elle pensait à lamper des verres pour les effacer en dépit de la logique qui lui commandait de rester sobre pour le reste de la soirée. Ce n'était pas raisonnable. Elle s'en fichait comme de sa première chaussette, elle voulait exorciser ses souvenirs avec de l'alcool. Hop. Un verre de fini.

C'est regrettable Maitre. Par simple curiosité, comment avez-vous vécu votre premier meurtre ?

Elle baisse les yeux, tape du doigt sur la table  nerveusement redoutant une réponse qui lui donnerait honte de ses sentiments à cet instant-là. Un Maitre d'arme était  tout  à ses yeux et méritait le respect. L'obéissance. Il a toujours raison. Ou presque.  Brusquement, son visage se tourna attiré par un détail, un bruit entendu, elle venait de remarquer que la danseuse commençait à faire désordre  en aguichant les clients.

La tentative de l'alcool s'évanouit. Elle ne pouvait pas ignorer le risque de désordre potentiel.

Mais qui pose ce genre de question sérieusement. Cette femme est étrange.

- rien de spécial dit-il alors sincère.

Il avait derrière lui une longue vie de combattant lorsqu'il est devenu pirate et qu'il s'est mis à tuer des gens des faction pour gagner plus d'argent. Pour lui il est toujours un combattant et sa faction se nomme la Piraterie. Certes il a aussi refroidit quelques imbéciles dans des circonstances moins guerrière. Jamais des gens recommandables à ces yeux. Ce qui reste un meurtre... mais il a tué tellement de gens. De toutes les races, tous les peuples, tous les âges et tous les sexes. C'est son métier. Il est un homme d'arme et il tue les personnes qui portent les armes devant lui. Un gamin avec une arme... reste un homme armé. Il se laissera pas troué la peau sous ce prétexte. Sans doute pour ça qu'il n'est pas assez bien pour certains capitaines. Mais ce n'est pas son problème.

Gillian n'avait en effet rien ressenti à l'instant ou elle les tuait, seulement qu'elle était menacée et qu'il fallait les éliminer ou mourir.  Ce qui faisait de la réponse du maitre un soulagement d'un certaine manière. Ce n'était qu'après qu'elle s'était mise à ressasser ses actes choquée par la facilité qu'il y avait à prendre une vie.  C'était pour cela qu'elle buvait et fumait en partie. Pas parce qu'elle regrettait ses actes mais  à cause de la conscience subite de la fragilité de  l'existence,  de la trahison de ses supérieurs,  du chagrin de la perte de Cyrille, son Kao et de sa honte au souvenir de son acharnement à poignarder un cadavre.

Quand j'étais enfant, je croyais que c'était difficile de tuer, que ça avait quelque chose de particulier. Mais la première fois que je l'ai fait... ça m'a paru...  Tellement simple. Tellement absurde. dit-elle en levant son verre pour  l'observer avant de le lamper d'un coup.

Olivier venait d'intervenir pour calmer une Emma éméchée et la confier à une serveuse pour que celle-ci puisse emmener la danseuse se reposer.  Gillian poussa un léger soupir de soulagement contente de ne pas avoir à intervenir parce qu'elle n'avait aucune envie d'interrompre la conversation avec le Maitre. Remit le cigare à ses lèvres.

Elle n'est pas précise dans ses termes. Enguerrand soupire. Elle est aussi un peu étrange, tuer pour la première fois ne lui a pas fait grand chose. Lorsqu'il a tué pour la première fois c'était suite à un duel d'honneur et ça avait changé sa vie de bien des manières. Cette mort le hante encore parfois.

- Mon premier meurtre ne m'a pas touché. Mon premier mort me hante encore. précise alors Enguerrand avec une froideur extrême et un regard courroucé.

Son premier meurtre était un membre des services de sécurité d'un navire marchand lors de son premier abordage pirate. Il avait déjà les mains rouge du sang des ennemis de la Légion. Mais c'était la guerre alors il était dans son bon droit.

La distinction semblait intéressante aux yeux de Gillian mais elle sent qu'il n'appréciera pas qu'elle pose d'autres questions pour obtenir des détails. A-t-elle réellement envie d'insister ? La jeune femme se plongea dans un examen mental pour répondre à cette question qui flottait dans son esprit. Hmm... Elle avait quand même sa réponse. Gillian estima préférable de battre en retraite sur ce sujet-là et de ne pas le relancer.

De ses yeux bleus océans, elle balaya la salle du regard en partie pour vérifier les potentielles menaces pour la sérénité de la soirée et en partie pour quêter une serveuse afin de commander un nouveau verre. Rien à déclarer. Parfait. Un verre de plus sur l'ardoise !

Enguerrand est un homme silencieux par nature et il n'est pas du genre à combler de lui même les longs silences qui ne le dérangent pas. Les gens les trouvent souvent gênant ces silences. Pas lui. Il en apprécie le calme et la quiétude. Alors il en profite pour tirer doucement sur son cigare en buvant tranquillement un peu de son vin. L'endroit est calme désormais et la foudre frappe rarement au même endroit dans la même soirée non ?

La fille est jeune mais semble avoir eu une vie un peu particulière. C'est intéressant, s'il savait lire la flamme dans le cœur des gens il pourrait tenter de la recruter. Mais il ne sait ni lire ni parler à cette Flamme. Il ne sait qu'écouter les plus ardentes d'entre elles quand il a la chance d'en rencontrer une.

Le silence rendait dingue la plupart des gens, ils ne savaient pas quoi faire quand on refusait de leur parler.  Gillian   repens aux  questions  qu'elle avait posée.  J'ai posé deux questions. A votre tour d'en poser deux, Maitre. Un juste échange. De même valeur. dit-elle sobrement en sifflant le nouveau verre apporté par une serveuse. Sous-entendu qu'elle acceptait de répondre à deux questions de la part d'Enguerrand.

Une conception singulière de justice pour qui a été élevée dans une famille  de contrebandier et de douanier et pour qui le respect de la loi passait après cette justice personnelle.  Elle s'interdisait  de pratiquer le meurtre uniquement en dernier recours  et répugnait à tolérer  les drogues illicites, les viols et l'esclavage. Tolérer les drogues était un euphémisme chez elle ; elle haïssait littéralement celles-ci.

Enguerrand réfléchit un peu. Deux questions... pourquoi pas.

- Quel est ton objectif dans la vie. demande-t-il de manière parfaitement apathique.

Il est vaguement curieux, la fille est vaguement mignonne, elle fait passer le temps. Rester connecter avec le monde moderne et la jeunesse est nécessaire. Un jour il lui faudra transmettre son savoir. Mais pas à cette femme, trop vielle.

Elle hocha la tete. Prit un moment pour réfléchir avant de répondre. La tete baissée, un air triste  se lisait sur son visage. Assaillie par des souvenirs douloureux. IL est évident qu'elle en a traversé. Et la façon dont elle s'exprimait sans détailler laissait place à l'imagination  sur ce qui était arrivé et pourquoi.

Il fut un temps ou j'aurais su vous répondre sans hésiter. Mon chemin dans la vie avait été déjà tracé dès ma naissance par ma famille : contrebandière ou douanière. Tel est était les deux choix qui m'était dévolu. J'ai choisi. Et un jour, une affaire dont je m'occupais a mal tourné. On m'a tendu une embuscade. Je n'étais pas censée y survivre. J'aurais du mourir. Alors à la place, ils se sont débarrassés de moi en me vendant aux autorités. Mais je suis toujours là et pourtant, j'ai perdu quelque chose de précieux : un but dans l'existence.  Envoyer derrière les barreaux les trafiquants de drogue tel était mon but à cet époque.  

Son regard s'était allumé sur la dernière phrase, on sent une détestation très palpable  des individus de cet acabit. Il est évident qu'elle ferait tout pour nuire à quiconque  Gillian estimait qu'elle avait donné suffisamment de bribe sur son passé tout en restant vague. ça le poussera à se poser des multiples questions  et à choisir  celle qui l'intéresse le plus. Cela ne l'ennuyait jamais de s'expliquer. Sans doute parce qu'elle a été cette fillette qui rêvait d’être institutrice.

Une famille étrange qui offre deux voies opposées. C'est la première fois qu'il rencontre cela. La fille est donc une douanière reconvertie en videur et sans doute autre travaux mettant en avant ses compétences hors normes. Du gaspillage selon lui. Mais il préfère largement la savoir en dehors des autorités. Les contrôleurs douaniers comme elle repère plus aisément les navires pirates.... heureusement sa cible est plus précise. Les trafiquants de drogue. Enguerrand ne les aime pas non plus.

- Plus douanière mais toujours respectueuse de l'autorité ? demande Enguerrand.

Si elle l'est alors la piraterie n'est pas une option de carrière pour elle.

C'est stupéfiant comment une petite phrase peut transformer le visage de son interlocuteur.  Cette expression signalait  qu'elle avait un lourd passif avec ces "Autorités" néanmoins cela avait éveillé les  oreilles de son âme de contrebandière et de douanière à l'affut  de quelque chose à grappiller. Mais elle avait conscience que dans sa situation,  cela n'aurait probablement pas de grande utilité.

Si on peut appeler  "autorité"  des autorités corrompues,  je ne vois pas pourquoi  je les respecterais. De toute manière...

Gillian éclata d'un bref rire amer au souvenir  de la petite liste d'accusation vagues et factices que lui avait  dressé son oncle Ferkad quand elle  avait repris conscience à bord  de  son Hispania dont chacune l'enverrait en prison pour des années et qui,  combinée lui aurait peut-être valu la mort. Elle en avait été   laissée bouchée bée et anéantie. Une ironie amère,   si on songeait  qu'elle avait failli être tuée parce qu'elle  enquêtait sur un réseau de trafiquant de drogue et qu'ensuite  les autorités de Valentia la recherchait pour des faux crimes. Quoique.  Il y avait un peu de vérité dans ces accusations puisqu'elle admettait intellectuellement  avoir accepté des cargaisons illicites en échange  d'informations sur les  réseaux par lesquels circulaient les drogues  par exemple.

... disons que, euh, qu'il vaut mieux pour moi que je  ne me fasse jamais attraper par les autorités. ajouta-t-elle tout bas hors de portée des oreilles des honnêtes clients. Gillian espérait juste pouvoir vivre tranquillement jusqu'à la fin de ses jours en liberté.

Enguerrand enregistre. Il n'a aucun moyen de savoir si elle ment ou pas. Il n'est pas doué dans ce genre de jeu. Alors il va considérer qu'elle est un danger pour lui tant qu'il n'en saura pas plus. Et ça prend toujours du temps d'en apprendre plus sur les gens. Et même là les spécialistes de l'infiltration doués parviennent encore à se cacher.

- la piraterie t'a approché ? elle a en théorie le profil. Mais peut-être pas la Flamme.

Gillian tend la tete,   cela ne l'avait jamais effleurée l'idée de devenir pirate. Non. ça ne m'est jamais venue à l'idée Maitre. Un poste tranquille avec une bonne paie n'encourage pas à songer à une autre carrière.  

Tranquille  sa carrière de douanière ?  La plupart des temps, cela se résumait à des paperasses et des cargaisons à vérifier. Mais ses ambitions  l'avait mené à vouloir plus. A démanteler des réseaux de trafics de drogue au moyen d'un réseau d'informateurs  payé   sa cécité au sujet de certaines cargaisons tant qu'elles ne contenaient pas de drogue ou d'armes.  Son oncle  Ferkad en avait  fait partie,  il lui avait appris que dans le monde des criminels rien n'était gratuit. Tout se payait.

Mais parfois, je rêvais de vivre les histoires de mon oncle Ferkad. Sa préférée, c'était de raconter  comment il avait acheté des douaniers avec des cigares. Il répétait à l'envie que c'était la preuve qu'une vie ennuyeuse  se laissait acheter, et je pense qu'il ne trompe pas.  

Un sourire radieux éclaira son visage tandis qu'elle tirait  celui qu'elle fumait. Il est évident qu'elle repense aux histoires de son oncle. Puis revenant à la réalité, elle regarda autour d'elle la salle  bondée. Bien. Peu de chance qu'une mauvaise oreille remarque  leur discussion.

Je sais qu'un jour ou l'autre, il reviendra  se faire payer  le transport et les faux papiers. Comment ? Je l'ignore encore. Mais j'ai une telle dette envers lui que le lien de sang n'effacera pas.

Encore une petite qui a eu une vie particulière. Elle pourrait peut-être faire une bonne pirate, il ne sait pas vraiment il n'est pas spécialement bon juge des gens. Il hausse les épaules intérieurement, le recrutement ce n'est pas son dada. Et elle est trop vielle pour qu'il ait le moindre intérêt à ses yeux.

- le passé vous retrouve toujours. dit-il finalement.