C'est un entrainement comme un autre

Aujourd’hui, c’était un grand jour, j’allais pouvoir mettre en pratique mon idée que j’avais eu lors de la visite médicale, apprendre à me déplacer sur un sol glissant en chaussette. Cela pourrait s’avérer pratique à l’avenir lors des combats, si jamais je perdais mes chaussures dans la bataille et me retrouvait sur une surface glissante. Bon d’accord, c’était peu probable, voir même impossible, mais j’avais perdu ma dignité lors de la visite médicale et je voulais la retrouver en apprenant à me déplacer ainsi, pour ne plus jamais tomber. Mais évidemment, je n’avais trouvé personne pour s’entrainer avec moi donc je m’étais résolu à le faire toute seule. J’avais longuement cherché le couloir parfait, ni trop passant, ni trop abandonné et je l’avais finalement trouvé près des salles d’entrainement, parfait, pas souvent du passage mais pas non plus délaissé, bien glissant à souhait à une endroit mais plus rugueux à un autre pour pouvoir prendre mon élan. Il ne me restait plus qu’à me mettre à l’œuvre.

Le moment venu, je quittais mes chaussures pour les poser dans un coin discret et m’élança à petite foulée avant de me laisser glisser. Les premiers essais ne furent pas très concluants, je n’arrêtais pas de tomber sur les fesses, mais au fur et à mesure, je tenais en équilibre et augmentait ma vitesse de course pour avoir plus d’élan et tester mon équilibre. Finalement, je revins à mon point de lancement après une glissade correcte et me mis à courir le plus vite possible avant de m’élancer sur la partie du couloir lisse. Bloquant mes muscles pour me tenir en équilibre, je me laissais couler sur le sol quand une silhouette arriva en sens inverse, Catherine. Voulant m’arrêter pour ne pas la heurter, je cherchais à me ralentir sans pour autant tomber.

[Si dé « Oui »]

Spoiler:

[Si dé « Non »]

Spoiler:

Catherine ne faisait pas que travailler à l’Infirmerie, non non. Quand elle n’était pas de quart, souvent, elle lisait des articles. Fallait dire que c’était passionnant et qu’elle avait tant de choses à apprendre, encore ! Bon, parfois, elle se reposait. Parfois, elle essayait aussi de trouver un moment propice pour aller prendre sa douche, à distance des heures de pointe. Mais déambuler dans les couloirs du vaisseau, presque sans but, ça, ce n’était pas dans ses habitudes.

Sauf que c’était bien ce qu’elle faisait, là. Parce que son but initial, c’avait été la salle d’entraînement. À cette heure-là, Aldric avait fini son quart et ils avaient convenu de se retrouver pour qu’il continue à lui apprendre à se défendre. Mais la salle était vide. Et Cathy se sentait à la fois agacée et inquiète. Il était sans doute quelque part à essayer de bidouiller sa prothèse. Ce n’était pas qu’il ait trouvé un passe-temps qui l’inquiétait, mais plutôt le fait qu’il avait une fâcheuse tendance à se faire mal…

Et, visiblement, il n’était pas le seul à se trouver des passe-temps dangereux.

Interdite, l’infirmière resta une seconde silencieuse en voyant la maître d’abordage glisser sur le sol. Ce fut son arrêt – sans chute, heureusement ! – et ses paroles qui lui firent retrouver sa voix, mais pas pour répondre à la question.

« Idayo ? Mais qu’est-ce que vous faites ? »

C'était dommage, j'avais réussi à glisser encore et encore sans me faire surprendre, et maintenant que j'étais lancé à pleine vitesse, il fallait que je me fasse surprendre, la poisse. Heureusement pour moi, je réussis à m'arrêter à temps sans tomber et regarda Catherine en haussant les épaules.

"Et bien je m'entraine pour les prochains abordages. On sais jamais, nous pouvons attacher sur un pont mouillé donc il faut savoir tenir en équilibre. Et puis comme je suis responsable de mes hommes, je voulais m'assurer d'abord que cela n'était pas dangereux comme entrainement. N'ai je pas raison ?"

Je n'allais pas non plus avouer que j'avais un ego chiffoné. Cela passait mieux le pretexte de l'entrainement, du moins je l'espérais.

"Mais et toi, qu'est ce que tu fais par ici. C'est rare qu'on te croise là, non ? Tu ne t'es tout de même pas perdue j'espère."

Je doutais fortement qu'elle se soit perdue depuis le temps qu'elle était là, mais au moins cela détournais l'attention de mes essais de glissade.

La désinvolture affichée par Idayo, tant dans son haussement d’épaules que dans sa voix, cristallisa toute l’inquiétude de Catherine. Comme Aldric, la maître d’abordage semblait ne pas vouloir considérer une seconde les risques qu’elle prenait et, comme avec Aldric, l’agacement balaya sa retenue habituelle.

« Non, vous n’avez pas raison ! Vous auriez pu tomber et vous casser une jambe, un bras, un poignet… – et c’était un casse-tête à réparer un poignet – ou même vous fracasser le crâne ! En quoi est-ce responsable ? »

Elle était officier, par l’Unique ! Elle se devait d’être opérationnelle pour son équipe, pour le bon fonctionnement du vaisseau, pour… Et elle était officier, réalisa Cathy. Elle n’aurait donc pas dû élever la voix. Croisant les bras, comme pour contenir sa contrariété, l’infirmière se força à inspirer pour retrouver son calme. En temps normal, le rouge lui serait monté aux joues et elle aurait baissé les yeux, d’avoir osé exprimer son agacement face à un officier. Mais, soit qu’Idayo lui paraissait plus accessible que d’autres, soit que son énervement était trop fort, elle ne ressentait cette fois aucune gêne.

« Non, je ne suis pas perdue. Je devais retrouver Aldric à la salle d’entraînement, mais il n’y est pas. »

Je vis bien que j'avais énervé l'infirmière quand elle haussa le ton pour me gronder, me rappellant tout ce que j'aurais pu me faire si jamais je m'étais mal réceptionné. C'est vrai que j'avais occulté les dangers dans mon idée loufoque, mais cela n'était pas la peine de tant me gronder. Et elle sembla s'en rendre compte car elle croisa les bras en faisant la moue, abandonnant le sujet pour un autre, celui de sa raison dans ce couloir.

Apparemment, Aldric devait s’entraîner avec elle, mais il n'était pas là. De mon côté je cherchais où j'aurais pu le voir, mais rien ne me vint. Il n'était pas passer par là et je ne l'avais pas vu depuis la veille au soir donc je n'allais pas pouvoir franchement l'aider sur ce point. Mais je pouvais le faire sur un autre, son entrainement.

"Mais je peut t'aider moi. Attend, je revient"

Faisant demi-tour, je me mis à courir pour aller chercher mes chaussures qui étaient à l'autre bout de ma piste de glisse et les enfila avant de revenir près de l'infirmière.

"Pour me faire pardonner, je vais t'aider à t’entraîner. Du moins si tu le veux bien. Promis, je contrôlerais mes coups pour pas aller trop vite ou te faire mal."

En mentionnant Aldric, Catherine ne demandait pas d’aide. Elle expliquait juste ce qu’elle faisait dans ce couloir, assez loin de l’Infirmerie, de façon à préciser qu’elle n’était pas perdue. Quand même, au bout de presque six mois à bord, elle ne se perdait plus ! Elle se demanda donc en quoi Idayo comptait l’aider… mais ne posa pas la question parce qu’il y avait soudain plus important :

« Ne courez pas ! »

Non mais enfin ! Elle était toujours en chaussettes ! Sur un sol glissant !

Heureusement, la maître d’abordage retrouva ses chaussures sans encombre et Cathy se détendit légèrement. Mais la proposition la prit par surprise.

« Ce serait avec plaisir, mais… vous êtes de repos, non ? Et… Je… Vous allez vous ennuyer. Je ne suis pas très douée. »

Si j'entendis la réclamation de l'infirmière de ne pas courir, je n'en fis rien et continuais sur ma lancée pour m'arrêter au niveau de mes chaussures et les enfiler. Revenant vers elle, je lui proposais de l'aider à s’entraîner, ce qui sembla la surprendre. Bah quoi, on était du même équipage, on devait se soutenir. Elle ne savait pas où était Aldric, moi je venais de me faire attraper à glisser donc j'allais devoir arrêter, autant m'occuper en l'aidant à s'entrainer.

"Tu crois vraiment que notre chef nous accorde de congé ? Si on doit faire un abordage, de repos ou pas de repos, il faut y aller et faire la peau à l'ennemi. Et puis je peut m’entraîner sur mon temps de repos, cela ne me gêne pas du tout. Et puis on est tous pas doué dans un domaine, par exemple moi je suis nulle pour me soigner."

Tout sourire, trouvant mon jugement imparable, je pris la direction d'une salle d'entrainement l'air de rien, certaines qu'elle allait me suivre. Et si elle ne le faisait pas, tant pis, je me trouverais une occupation.

Malgré sa recommandation, Idayo ne ralentit pas l’allure, et Catherine leva les yeux au ciel, avant que la maître d’abordage ne récupère ses chaussures. Sa proposition, lorsqu’elle l’eut rejointe, prit l’infirmière par surprise, mais l’argumentaire qui suivit fit naître une ébauche de sourire sur son visage.

« Je vois ça, » émit-elle, un brin sarcastique, quand Idayo reconnut qu’elle n’était pas douée pour se soigner.

Elle paraissait beaucoup plus douée pour se mettre en danger.

Le reste des arguments de son interlocutrice ne lui semblait pas franchement plus convaincant mais, puisqu’elle venait de dire que ça ne la gênait pas de s’entraîner sur son temps libre, Cathy lui emboîta le pas. Quelques mois plus tôt, à son arrivée sur L’Iceberg, elle n’aurait jamais osé déranger un officier sur son temps libre. Elle n’aurait jamais osé, non plus, lui crier dessus. Mais Idayo était une femme, avait le même âge qu’elle et glissait en chaussettes dans les couloirs. En fait, elle était Idayo avant d’être la maître d’abordage.

Lorsqu’elles arrivèrent à la salle d’entraînement, elle s’expliqua :

« Aldric essaie de m’apprendre à me défendre avec un couteau. Mais je ne me débrouille pas très bien. »

Ou, plutôt, elle ne se débrouillait pas trop mal à l’entraînement. Le truc, c’était qu’en situation de stress, elle était incapable de mettre en application ce qu’elle avait appris.

Je fus ravie d'entendre son ton narquois quand je dit que je ne savais pas me soigner. Si elle parlait ainsi, c'est que j'étais pardonné, donc cela me convenait très bien. Et preuve de plus s'il en fallait une, il me suivit vers la salle d'entrainement. J'étais vraiment convaincante, cela ne faisait pas un doute. Donc je savais me battre avec ma langue en plus d'avec mon corps, c'était un avantage.

Arrivant dans la salle d'entrainement je me retournais vers elle, mon cerveau carburant déjà à comment je pourrais l'aider à s’entraîner. Le couteau, cela me semblait simple et j'avais déjà une légère idée d'entrainement. Elle n'allait sans doute pas aimer, être surprise, mais c'était la meilleure méthode, du moins celle que j'avais apprise.

Je lui laissait le temps de prendre un couteau, semblant vérifier que le mien était assez affûté, avant de lui foncer dessus comme on le ferait à un abordage. Je fis exprès de viser le bras qui tenait sa lame, sachant que c'était le point le plus vulnérable et qu'en combat cela l'affaiblirais et la ferait lâcher l'arme. Je ne comptais pas la blesser et si elle n'avait pas le temps de l'interrompre, la pointe allait s'arrêter à quelques centimètres de sa peau, sans la toucher.

Sans rien ajouter, Cathy emboîta le pas à la maître d’abordage jusqu’à la salle d’entraînement. Si Idayo lui avait répondu, peut-être l’infirmière se serait-elle excusée de lui avoir parlé sur ce ton, mais, en l’occurrence, elle n’y songeait déjà plus, concentrée sur son entraînement à venir. Elle ne s’attendait pas à ce que la maître d’abordage se propose de l’aider et elle ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Les techniques d’Idayo seraient-elles très différentes de celles d’Aldric ? La jeune femme avait probablement l’habitude d’enseigner le combat – c’était un peu son rôle, non ? – mais peut-être pas à des gens aussi novices qu’elle…

En arrivant dans la salle, elle prit le temps de sortir son couteau, dans l’idée de le montrer à sa professeure improvisée en lui demandant s’il ne valait pas mieux des lames émoussées, mais Idayo ne lui en laissa pas le temps. Son attaque la prit totalement par surprise et, par réflexe, elle effectua le geste que lui avait appris Aldric pour parer un coup. Mais, bien évidemment, elle ne fut pas assez rapide et Idayo passa sans mal sa garde, sa lame s’arrêtant à quelques centimètres de son bras.

Catherine recula d’un pas dans le mouvement.

« Mais je… Nos couteaux ne sont pas émoussés… »

Mon attaque eu l'effet escompté, Catherine se défendit, essayant de parer mon coup. Toutefois, elle ne fus pas assez rapide et je pus assez aisément passer sa garde pour venir arrêter ma lame à quelques centimètres de son bras. Dans son élan, mon adversaire fit un pas en arrière et je me redressais le temps qu'elle prenne la parole pour protester contre mon attaque. Haussant les épaules, je me contentais d'hocher la tête.

"En effet, ils ne le sont pas. Mais d'expérience, on se méfie moins quand ils sont émoussés, en se disant qu'on ne se fera pas mal. Résultat, au premier combat venu avec des lames non émoussées, on se retrouve blessé, trop habitué qu'on est à utiliser des armes émoussés."

Penchant la tête sur le côté, je lui exposais tout cela, l'air le plus sérieux du monde, ayant foi en mes connaissances. Toutefois, je lui laissais une porte de sortie.

"Mais nous pouvons aussi nous entraîner avec, si cela te rassure plus. Je n'en vois pas l'inconvénient."

Sous le coup de la surprise, elle avait bafouillé, mais Idayo, elle, transpirait le calme et l’assurance. Ce qui, paradoxalement, irrita Catherine. Quelques instants plus tôt, la maître d’abordage semblait sûre d’elle également alors que son comportement était plus digne d’un gamin qui faisait une bêtise que d’un officier… mais, surtout, ses paroles sonnaient comme une critique de l’entraînement que lui avait proposé Aldric. Et personne ne critiquait Aldric !

Mais, avant qu’elle ait pu répliquer vertement qu’elle n’avait pas l’intention de se blesser et de se rajouter du travail alors qu’elle n’était pas de quart, Idayo lui coupa l’herbe sous le pied en lui proposant de prendre des lames émoussées si elle le souhaitait. Cathy ouvrit la bouche, la referma sans rien dire… et réalisa que son agacement n’était pas uniquement dirigé contre la maître d’abordage. Une bonne partie s’adressait plutôt à son mari en fait. Elle déglutit avant de répondre.

« C’est vous la maître d’abordage, convint-elle donc finalement – elle n’allait pas dire au Doc comment faire son boulot après tout. C’est vous qui savez. »

Elle se mit donc en garde, espérant être prête à répondre à une éventuelle attaque, cette fois. Même si elle ne savait pas trop à quoi s’attendre.