Visite non facultative

Ça faisait bientôt trois mois que Catherine et Aldric avaient rejoint L’Iceberg et, sans dire que la jeune femme se sentait parfaitement à l’aise, elle commençait à prendre ses marques. C’aurait été mentir de dire que les habitudes de ses camarades – les membres d’équipage étaient ses camarades à présent, elle allait s’y faire, si si – ne la perturbaient plus, mais il y avait des progrès. Elle se sentait encore choquée, parfois, embarrassée, souvent, mais moins anxieuse. Le capitaine était froid mais n’avait définitivement pas l’air fourbe. Le médecin-chef était bourru mais pas méchant. Personne ne lui avait reproché ses éventuels impairs, ses questions ou son manque de connaissance. Bon, certes, le Doc savait avant de l’accepter à l’infirmerie qu’elle n’avait qu’un savoir parcellaire, mais… même. Il lui laissait le temps et lui donnait les moyens d’apprendre.

Et il lui confiait aussi des tâches qu’elle était capable d’effectuer. D’après lui. Genre réaliser les visites de routine pour les membres d’équipage. Honnêtement, Cathy n’était pas convaincue qu’elle était la mieux placée pour ça, mais son gain d’assurance n’allait pas (encore) jusqu’à contredire le docteur Silverhound ou discuter ses ordres. Et puis, si quelque chose lui semblait anormal, elle pourrait toujours le signaler dans les dossiers médicaux, n’est-ce pas ? Il y avait même une fonction pour mettre des alertes qui s’allumeraient directement sur le HCom du Doc si elle ne se trompait pas… Mais il était évidemment hors de question de déranger le Doc pour rien.

Assise au bureau de l’infirmerie, Catherine attendait donc son prochain patient prévu en pianotant sur son HCom, histoire de lire son dossier. Idayo Montoya. La Maître d’Abordage. L’officier d’Aldric. Elle avait à peine quelques mois de plus qu’Aldric et elle, mais elle était Maître d’Abordage. Une femme, jeune, Maître d’Abordage. Si, si, elle commençait à s’habituer. Et puis, au moins, d’après son dossier, elle n’était pas blessée si souvent que ça. C’était bien, ça. Si elle faisait attention à elle, elle faisait sans doute aussi attention à ses subordonnés. Aldric avait une chance de garder sa deuxième jambe.

Aujourd’hui, c’était visite obligatoire. Je ne savais pas pourquoi, mais j’avais reçu une convocation pour me rendre dans le bureau du médecin pour la visite de contrôle. Sans doute que comme je partais souvent à l’abordage il avait peur que je sois blessé ? Peut-être que Itsao s’inquiétait pour moi, je n’en savais rien, mais j’avais visite médicale. Donc j’avais averti tout ceux qui étaient sous mes ordres qu’il ne fallait pas me chercher pendant environ une heure puis je m’y étais rendu, pas du tout stressée pour un sou. Je n’avais jamais été malade, avait qu’une cicatrice qui était normale, tout allait rouler, j’en étais certaine.

Toquant à la porte, j’entrais dès qu’une voix féminine, tiens il a changé de sexe le Doc, m’en donna la permission. Et en effet, le Doc avait changé de sexe et de métier car j’avais l’infirmière en face de moi. Je ne la connaissais pas trop, elle était arrivée il y avait quelques mois, mais je la savais en couple avec Aldric, l’un des hommes sous mes ordres. Et elle semblait vraiment tendue, comme si j’allais la manger, il fallait que j’arrange cela. Faisant une courbette très basse, je pris ma voix la plus enjoué.

« Bonjour Madame. Je suis à votre merci pour que vous confirmiez que j’ai toujours une tête, deux bras, deux jambes. Du moins au dernière nouvelle c’était le cas. »

Me relevant, je la regardais tout sourire. Pourvu qu’elle se détende sinon ça allait être gênant cette visite.

Lorsqu’on toqua à la porte, Catherine releva le nez de son HCom et prit une profonde inspiration, avant de se composer un masque neutre. Cette fois, ça y était. La Maître d’Abordage était devant la porte et il n’y avait personne d’autre qu’elle pour lui faire passer sa visite de contrôle. Enfin, ça ne pouvait pas être plus compliqué que de soigner une blessure, hein ?

Elle invita donc la jeune femme à entrer en se levant de sa chaise pour l’accueillir… et la voir s’incliner si bas qu’on aurait dit un fidèle trinitaire dans une église de l’Unique. Sauf que le ton enjoué et le grand sourire qui accompagnaient les paroles n’avaient, eux, pas leur place dans une église. Instinctivement, Cathy ne put qu’esquisser un sourire en réponse.

« Si je me contente de noter ça dans votre dossier, le docteur Silverhound va m’incendier, » répondit-elle.

Le ton était presque léger, traduisant la tension qui diminuait un peu dans ses épaules. Aldric n’avait pas l’air d’apprécier son officier et avait sous-entendu qu’elle était arrogante et imbue d’elle-même. Mais, là, ce n’était pas du tout l’image qu’elle offrait.

« Asseyez-vous si vous le voulez bien, proposa-t-elle en indiquant la chaise qui faisait face à la sienne. Il faut que je vous pose quelques questions, avant de vous examiner. »

Je me contentais de sourire à l'énonciation du Doc qui la tuerais si elle se contentais de mettre ces infos dans mon dossier. Je savais qu'il n’en était pas capable, mais tout de même. Et puis l’effort de l'humour méritait d’être relevé donc je me contentais d'hocher la tête tout sourire avant de venir m’asseoir sur la chaise qu’elle m'avait indiqué. J'avais réussi à la faire sourire, c'était déjà un bon point. Elle me semblait assez jeune, pas non plus dans mes âges, mais pas assez vieille pour être ma mère. Bon, si je comparais à l'homme qui me servait de père, cela n'était pas très compliqué vu qu'il approchait de la soixantaine. Il faudrait qu'on pense à le débarquer pour qu'il prenne sa retraite, j'allais devoir en parler à Jaziel à l'occasion. Mais pour le moment, je me reconcentrais sur la visite médicale que je devais passer. Cela serait dommage qu'elle me juge inapte à mon poste pour la simple raison que j'étais dans mes pensées. Un peu de sérieux et de concentration. Tout en gardant le sourire, je regardais l’infirmière.

« Je vous écoute madame l'infirmière. Que voulez-vous savoir. Si votre époux va bien ? Il ne s'est pas blessé ces derniers temps à ma connaissance, il est toujours en un seul morceau aussi. Mais ce n'est pas ça que vous vouliez savoir, n'est-ce pas ? »

Nouvelle tentative d'humour, ça ne fait pas de mal. Et cela détendrais peut être l’ambiance, on ne savais jamais.

Elle s’asseyait. Ça aussi, ça contribua à détendre un peu Cathy. Ça signifiait que la jeune femme n’avait pas l’intention de rechigner et qu’elle voulait bien répondre aux questions. L’infirmière se rassit donc à sa place et reprit son HCom pour y afficher ce qu’elle devait demander à sa patiente. Heureusement, le Doc lui avait laissé une liste des items à aborder. Déjà, c’était plus facile à remplir et, surtout, elle n’avait pas de risque d’en oublier. Elle n’eut pourtant pas le temps de commencer qu’Idayo lui donnait du « madame l’infirmière » et parlait d’Aldric.

« Non, ça je le sais déjà. Parce qu’il n’oserait pas le cacher. Il sait que s’il essaie, il va le regretter. »

Et, au moment où les mots s’échappèrent, elle réalisa qu’elle n’aurait pas dû les prononcer. Et ses joues prirent quelques degrés. Une bonne épouse ne jugeait pas son mari. Même si Idayo avait l’air sympathique, elle n’aurait pas dû laisser tomber le masque. Aussi tenta-t-elle de le reconstruire en jetant un œil à sa liste.

« Je dois vous demander comment vous vous sentez à votre poste. Si tout se passe bien ? »

Elle hésita une seconde avant d’ajouter :

« Et, peut-être pourriez-vous m’appeler Catherine ? »

Non, parce qu’être appelée « Madame » par un officier, alors qu’elle n’avait aucun rôle important, c’était gênant, en fait.

J'haussais les épaules, l'air innocente. Je ne savais pas comment cela se passais dans leur couple, et cela ne m’intéressais pas spécialement. C'était leur vie, je n'avais pas à m’immiscer dedans. Tant que Aldric faisait correctement ce que je lui demandais, cela me convenait. Après en dehors, c'était son problème, pas le mien. Et apparemment l'infirmière pensait la même chose car elle se ressaisit rapidement pour passer à la partie question pur, commençant par la première, mon état d'esprit.

"Je me sens super bien, je suis contente que notre capitaine me fasse confiance et j'ai une équipe super motivé et efficace. Sans doute la meilleure équipe d'Abordage qui existe. Et d'accord, je vais vous appeler Catherine si c'est votre choix."

Oui j'étais chauvine, mais je me devais de l'être, après tout j'en étais fière et je savais qu'on faisait tous du bon boulot.

"Une autre question ?"

Heureusement, la Maître d’Abordage ne renchérissait pas, ce qui permit à Catherine de reprendre contenance. Elle se sentit soulagée, aussi, qu’elle accepte de l’appeler simplement par son prénom. Retourner à un domaine plus professionnel, c’était également un soulagement, et l’infirmière nota rapidement la réponse de la jeune femme – pas dans le détail, évidemment – avant d’embrayer sur la suite.

« Est-ce que vous arrivez à prendre un peu de repos ? »

Parce que les officiers motivés avaient quand même une fâcheuse tendance à enchaîner les quarts ou à oublier qu’il fallait sept heures pour faire une nuit complète. Il suffisait de voir le Doc. (Et elle, elle ne comptait pas, elle n’était pas officier.)

Et s’ensuivirent une série de questions sur l’hygiène de vie de la jeune femme. Habitudes alimentaire – bon, si elle mangeait au mess, les repas étaient censés être équilibrés –, moments de détente, etc… Avant de passer à la partie plus médicale.

« Est-ce que vous avez des douleurs persistantes quelque part ? »

L’équipe d’abordage, c’était des combattants. Des sportifs et des athlètes. Ils devaient être en pleine forme, mais mettaient leurs organismes à rude épreuve.

Je répondais à sa première question avant de l'encourager à continuer. Ce que je n'aurais peut être pas dû faire car la question suivante me fit monter le rouge aux jours. Pour moi, j'arrivais à prendre du repos, peut être pas comme elle l'entendait, mais je m'en sortais. Dans le doute, je lui énonça la vérité que le Doc savait déjà, et m'avait déjà sermonné pour cela.

"En vérité, cela dépend de la période. Si nous avons une attaque en prévision, je vais dormir très peu tant qu'elle n'est pas passé, pour tout revoir, préparé le plan, m'assurer que tout est prêt et opérationnel, mais une fois que c'est passé, je vais passer une grosse nuit, laissant mon second se charger de l'interim pendant mon sommeil et reprendre un rythme de sommeil normal. Mais normalement c'est déjà marqué dans mon dossier, le Doc est au courant et m'a déjà grondé."

Je répondis à la suite de ses questions bien gentiment, me faisant le plus précis possible avant d'aborder le point technique. Machinalement, je fis jouer toutes mes articulations avant de faire signe de la tête.

"Non, je n'ai jamais de douleurs persistantes. Même ma cicatrice ne me fait pas mal quand je bouge trop le bras. Tout va bien dans le meilleur des Dorados."

Fière de moi, je lui fit mon plus beau sourire. Pour le moment, je m'en sortais bien, à part le sommeil. Il fallait juste que cela continue dans la même veine et je serais contente.

« C’est déjà noté, oui. Mais c’est une question standard… et rien n’empêchait d’espérer que ça ait changé. »

Mais l’espoir était vain, en l’occurrence, et Cathy nota donc qu’il n’y avait pas de changement. Elle nota aussi, mentalement, de s’assurer de l’état d’Idayo avant et après les attaques prévues… Et réalisa que c’était sans doute pour ça que le Doc avait insisté pour qu’elle réalise les visites de contrôle. Pour qu’elle apprenne à connaître l’équipage autrement que par les soins dont ils avaient besoin.

Elle n’enfonça pas plus la jeune femme, néanmoins, parce que ça ne servait à rien. Elle savait déjà que ce qu’elle faisait n’était pas bien. Elle enchaîna plutôt sur la suite du questionnaire. Auquel la Maître d’Abordage répondit sans se faire prier. La mention de la cicatrice fit toutefois naître un instant de doute chez Catherine qui vérifia de quoi il s’agissait dans le dossier de sa patiente. Avant de reprendre.

« Et après les entraînements, vous n’avez pas de douleurs récidivantes non plus ? Dans le dos ? Dans les épaules ? Vous n’avez pas l’impression d’être fatiguée ou essoufflée plus rapidement ? »

Lorsque son regard se posa sur la série de questions suivantes, par contre, elle ouvrit la bouche et la referma sans qu’aucun son n’en sorte. Ses joues, en revanche, durent virer au rouge brique, vue la température qu’elle sentait grimper.

Je fus soulagée qu'elle n'insiste pas sur le fait de l'importance du sommeil car je la connaissais depuis le temps qu'on me la rabâchait. Mais je n'y pouvais rien si je fonctionnais ainsi. A la place je répondis aux questions suivantes du questionnaire, restant le plus sincère possible. Je fis signe que non en ce qui concernait les entraînements, l'impression de fatigue ou d’essoufflement. Je bougeais tout le temps donc je ne ressentais rien de tout cela, heureusement il faut dire.
C'est là que je vis une scène assez surprenante, l'infirmière qui virait au rouge en lisant quelques chose sur son écran. Bizarrement, je connaissais cette sensation car je la vivais souvent lorsque le Doc me posait une certaine série de question sans prendre de précaution. Voulant venir en aide à la jeune femme, je me rapprochais et pris ma voix la plus rassurante.

"Si c'est les questions sur ma vie de femme, on va les abréger au maximum. Je n'ai pas de compagnons sur le navire, je dors toute seule toute les nuits et je n'aime pas descendre à terre donc je ne vais pas m'encanailler lors de mes permissions. Je sais que cette série de questions est assez gênante, pour vous, pour moi. La seule personne qui ne semble pas gênée, c'est votre supérieur, mais je doute qu'il ai de la pudeur donc il ne compte pas. Et si on passait aux questions suivant cette partie indiscrète."

Je me redressais dans ma chaise et attendis gentiment.

Tout en notant scrupuleusement les réponses de la Maître d’Abordage, Catherine se fit la réflexion que la visite se passait bien. Si on exceptait le petit souci du sommeil, tout se passait pour le mieux… jusqu’aux questions embarrassantes.

Les joues brûlantes, Cathy se demanda si elle allait réussir à relever les yeux de son HCom pour regarder sa patiente et, surtout, où elle allait trouver le courage de formuler les interrogations à haute voix. Ses discussions avec Mam’ puis la Compagnonne Laylia lui avaient appris que les pirates n’avaient pas forcément de problèmes à parler de Ça, mais… mais…

… Mais Idayo semblait comprendre où était le problème et répondait aux questions qu’elle n’avait même pas prononcées. Un profond soupir de soulagement s’échappa des lèvres de Cathy tandis qu’elle relevait les yeux de son HCom pour offrir un regard de pure gratitude à la jeune femme.

« Merci, » souffla-t-elle, en rentrant les informations sur son écran.

Ses joues chauffaient toujours mais la gentillesse de son interlocutrice et la nature de ses réponses l’aidèrent à reprendre contenance. Elle n’avait rien d’indécent à écrire et la plaisanterie sur le comportement du Doc lui fit même esquisser un sourire.

« Vous ne prenez pas de traitement, du coup ? »

Que ce soit hormonal ou autre… Mais rien n’était noté dans son dossier, donc la question était plus rhétorique qu’autre chose. Ensuite il resterait l’examen physique et ce serait tout bon.

Je me contentais de sourire et d'hausser les épaules à son remerciement, y trouvant moi aussi mon compte vu qu'on ne s'éternisait pas sur le sujet qui n'avait pas d'intérêt, ni pour l'une, ni pour l'autre. A la place, on passa à la dernière question de l'examen théorique et tout sourire je fis signe que non de la tête, rajoutant tout de même une précision à la question.

"Je n'en prend pas tant qu'on ne considère pas le café comme tel. Je n'aime pas spécialement le gout, mais cela tiens parfaitement éveillé quand on en as vraiment besoin. Avec les combats, tout ça tout ça. C'est un traitement ?"

Je penchais la tête sur le côté pour la regarder en attente de sa réponse mais également de sa prochaine question ou bien ses instructions pour la suite. De mémoire, on arrivait à la fin des questions et il faudrait passer à l'action. Une joyeuse perspective quand on voyais les joues de la jeune femme encore rouge des questions intimes. Elle avait déjà vue une femme en sous-vêtement ? Je n'allais pas lui poser la question, mais j'allais être vite fixé sur le sujet et pourrait aviser pour pas trop la gêner.

Le nouveau sourire de son interlocutrice permit à Catherine de reprendre vraiment contenance, et elle esquissa même un léger sourire à sa réponse suivante. Tout en notant "Consommation excessive ? de caféine" dans son questionnaire.

« Non, ce n’est pas un traitement. Mais ça peut devenir une addiction si vous en prenez trop et que vous ne pouvez plus vous en passer. Et ça peut fausser votre jugement en vous donnant l’impression d’être en forme alors que non. »

Et puis, la caféine, ça avait des effets sur le cœur et le cerveau et… elle ne se souvenait plus de tous les détails qu’elle avait lus dans un des bouquins du Doc, il faudrait qu’elle vérifie. Et qu’elle fasse d’autant plus attention à Idayo avant les abordages prévus.

Mais, ça, Cathy se garda bien de l’exprimer à haute voix et valida son questionnaire rempli. Puis, elle releva les yeux sur la Maître d’Abordage.

« Il faut que je vous examine. »

Et cette fois, il n’y avait pas d’embarras dans sa voix. Réaliser un examen clinique, elle savait faire et elle en avait déjà fait plus d’une fois. Ce n’était pas comme poser des questions sur l’intimité de sa patiente.

« Je vous laisse retirer vos chaussures et votre pull et vous peser, d’abord ? »

J'hochais la tête, rassurée que cela ne soit pas un traitement. Cela aurait fait tâche sur mon dossier sinon. Au moins là il paraissait propre à deux ou trois détails près, rien de bien méchant. Et comme je m'en doutais, on passait à la dernière partie, le pratique. Sans broncher, je retirais mes chaussures et mon pull, notant qu'elle n'était pas gênée par cela et me relevais de ma chaise pour me diriger vers la balance. Sauf que je ne le fis pas normalement. Je l'aimais bien l'infirmière, elle étais adorable donc je ne me gênais pas pour faire le clown et sautiller jusqu'à la balance qui était un peu plus loin, en oubliant que j'étais en chaussette. Et ce qui devait arriver, arriva, je glissais et termina sur les fesses, restant un instant surprise avant de me relever en riant et reprendre mes petits bonds jusqu'à mon objectif final, finissant par sauter dessus avec un grand sourire.

"Hop là. Dis moi, dis moi balance, je pèse combien. Sois gentille, dis pas que j'ai grossis, sinon je vais devoir me mettre au sport encore plus que d'ordinaire pour garder ma silhouette de reine du combat."

Comme si j'en avais quelque chose à faire de mes potentiels kilos en trop. En vérité, je voulais juste m'amuser et rendre cette visite médicale beaucoup plus rigolote que d'habitude car c'était d'un ennuis profond à chaque fois. Le Doc n'avait pas un brin d'humour.

La présence d’Idayo avait quelque chose d’apaisant qui la mettait à l’aise mais Catherine ne s’attendait pas à la voir sautiller. Elle n’eut pourtant pas le temps d’exprimer sa surprise que sa patiente glissait et tombait. Cathy se leva d’un bond, repoussant sa chaise, qui bascula derrière elle.

« Ça va ?! »

Mais, avant qu’elle ne fasse le tour du bureau, Idayo était déjà debout et reprenait ses bonds jusqu’à la balance. Ce qui devait signifier qu’elle ne s’était pas fait mal. Les sourcils froncés de Cathy se détendirent donc, puis ses lèvres s’étirèrent en un sourire amusé au commentaire de la Maître d’Abordage. Rire ne faisait plus partie de ses habitudes depuis longtemps mais, cette fois, son sourire atteignait ses yeux.

Abandonnant la chaise par terre, elle termina le mouvement qu’elle avait amorcé pour s’approcher de sa patiente et noter le poids qui s’affichait sur son HCom.

« La balance est de bonne humeur, aujourd’hui, visiblement, osa-t-elle répondre sur le même ton de plaisanterie que son interlocutrice. En fait, elle dit que vous pouvez même manger un peu plus. »

Elle s’écarta pour laisser à Idayo la place de descendre et reposa son HCom sur le bureau, avant de se saisir du stéthoscope et d’indiquer le siège d’examen à sa visiteuse.

« Je vous laisse vous asseoir. »

Et elle allait bien voir si Idayo s’était fait mal en tombant, comme ça.

Alors que je tombais sur les fesses sur le sol, une chaise dans mon dos tomba aussi, repoussée apparemment violemment par sa propriétaire qui m'avait vu chuter. Je ne pris pas la peine de lui répondre, me contentant de me relever et repartir pour la balance où je la suppliais de ne pas dire que j'avais grossis. Et apparemment cela fonctionna comme détente de l'atmosphère car Catherine osa une plaisanterie et je souris tout en lui assurant que je n'allais pas m'en priver de manger un peu plus. Surtout que la cuisine était très bonne dans l'ensemble.

Descendant de la balance quand elle m'en donna la permission, j'alla docilement m'asseoir où elle me l'indiquait, sans pour autant faire le clown. Une glissade suffisait. Et puis j'avais quand même l'égo décorné. Je me battais, mettait ma vie en jeu à chaque abordage et là je glissais en chaussette sur le sol, ridicule. M'asseyant, je me redressais pour me mettre droite, le sourire aux lèvres, n'en montrant rien de ma douleur mentale. Elle n'avait pas besoin de le savoir, cela ne regardait que moi. Et puis cela me donnais une idée d'entrainement, il fallait juste que je trouve un sol bien glissant pour marcher en chaussette. Et puis sinon je demanderais au capitaine de me passer du savon ou de l'huile pour rendre glissante une pièce. Cela pourrait être drôle.

Plaisanter avec ses patients allait finir par devenir une habitude si ça continuait. Pourtant, l’humour et les taquineries ne faisaient plus partie de son quotidien depuis des années. Avant, quand ils étaient enfants, elle ne s’en privait pas avec Aldric. Mais, après leurs fiançailles, avec la maladie d’Ainsley et le métier de son ami, les occasions avaient peu à peu disparu. Et ce n’était pas les circonstances qui les avaient menés à Espoir puis sur L’Iceberg qui avaient amélioré les choses.

Mais l’équipage de L’Iceberg plaisantait, lui, même à l’infirmerie et même – pour le chef mécanicien – avec un bras à recoudre. C’était étrange. C’était agréable. Et Cathy n’eut donc pas besoin de se forcer pour conserver son sourire quand Idayo lui répondit que ça ne la gênait pas de manger plus avant de se diriger – d’une démarche normale – vers le siège d’examen. Cette fois, elle ne tomba pas et ses mouvements ne laissaient pas paraître la moindre douleur, ce qui rassura l’infirmière. Elle s’approcha de sa patiente et commença à l’ausculter en silence, ne donnant que les quelques indications nécessaires à son examen. Quand elle eut terminé, elle attrapa le tensiomètre posé non loin.

« Plus qu’une vilaine machine à interroger et vous serez libre, déclara-t-elle avec un sourire. Sauf si vous avez des questions. »

M'asseyant sur le siège d'examen, je me laissais ausculter silencieusement, me pliant à ses consignes quand elle en avait à me donner. Mais je ne restais pas oisive pour autant car dans ma tête ça carburait déjà pour imaginer comment je pourrais m'entrainer à tenir debout et avancer sur un sol glissant. Je réfléchissait aussi à qui je pourrais convier s'amuser avec moi, cherchant une personne pas trop sérieuse, mais ni trop tête en l'air, je n'avais pas très envie que quelqu'un se cache quelque chose par ma faute. Il me fallait donc le cobaye parfait, et pour le moment, je ne voyais personne qui répondait à cette description.
Je sortis toutefois de mes pensées quand l'infirmière m'annonça que l'on avait bientôt finis, ne restant plus qu'une machine à interroger sur mon état de santé, en l’occurrence le tensiomètre.

"Je n'ai aucune question. Et je ne me fais pas de soucis, il est toujours gentil avec moi."

Je levais la tête vers elle tout en lui tendant mon bras pour qu'elle puisse prendre ma tension, me pliant volontiers à ce dernier examen comme il signifiait ma permission de continuer à faire ce que je faisais, me battre. Une fois que je fus libéré, je remis mes chaussures, mon pull et m'inclina à nouveau comme à mon arrivée.

"Bonne journée à vous madame l'infirmière, oups, Catherine."

Et je partis sur ces mots, amusée par ma dernière plaisanterie. Bon, maintenant je devais trouver le complice et le lieu pour les glissades.