Permis de souffler

La vie d'une bonne épouse trinitaire, ce n’était qu’obéissance, pondération et humilité, c’était bien connu. C’était la volonté de l’Unique pour que tout bon trinitaire puisse suivre la Voie vers Lumière, et…

« C’est injuste ! »

Le sac émit un bruit sourd de protestation quand Catherine le balança, avec tout sauf du calme et de la mesure, sur la table de la pièce principale, dans la petite maison qu’elle partageait avec sa belle-mère.

« Oui, mais c’est raisonnable. »

La jeune femme jeta un regard furieux à Ainsley qui la regardait de son fauteuil et qui ne semblait pas plus perturbée que ça par son éclat. Oui, c’était raisonnable. Evidemment que c’était raisonnable. Simon était aussi froid qu’un serpent, il risquait pas de ne pas être raisonnable. Mais merde ! C’était de sa famille dont on parlait ! Enfin, de la famille de Douce. Même s’il n’avait pas de cœur, il ne pouvait quand même pas être complètement insensible à l’inquiétude de sa femme, si ? Et au devenir des bébés ? Parce que Vive n’était qu’un bébé ! Et Bonne et Sage à peine plus ! Même si Jean n’était qu’un sale traître, Simon était censé être son ami, non ? Et, de toute façon, Vive et Sage et Blanche n’y étaient pour rien ! Et Bonne n’avait pas à jouer les garde-malades !

« Je ne suis pas stupide ! gronda Catherine. Je suis capable de mettre des gants et un masque et une tenue de protection ! »

Ainsley ne répondit rien, mais sa bru savait très bien ce qu’elle pensait. On ne connaissait pas la cause du mal qui frappait la famille de Jean et les protections ne seraient peut-être pas suffisantes. Simon avait eu raison de refuser qu’elle y aille… ou qu’elle revienne si elle y allait. Sauf que Catherine n’avait aucune envie de reconnaître que son frère puisse avoir raison en quoi que ce soit. S’il n’y avait pas eu sa belle-mère à la maison, elle aurait déjà frappé à la porte des Profitendieu et tant pis – ou tant mieux – si Simon lui interdisait de revenir !

Elle vidait son sac avec des gestes rageurs lorsqu’elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir dans son dos. Elle pivota sur elle-même, prête à déverser sa colère sur celui qui osait entrer sans frapper, avant de s’immobiliser. Une demi-seconde. Puis de bondir vers le nouveau venu, la surprise et la joie faisant passer sa colère au second plan.

« Aldriiiiic ! Tu es rentré ! »

Aldric était inquiet. Ce n'était pas la première fois que Catherine n'était pas à l'accueillir sur le quai. Parfois il rentrait à l'improviste, et il se réjouissait alors de lui faire la surprise de rentrer sans prévenir. Mais là... C'était une permission prévue. À l'avance.

Et elle n'était pas là.

Pourquoi?

Était-ce en rapport avec l'épidémie dont la rumeur était venue aux oreilles de l'équipage?

C'est donc inquiet qu'il passa la porte...

Pour se faire sauter dans les bras par Catherine. Et recevoir le sourire satisfait de Maman.

"Catherine! Tu vas bien? Je me suis inquiété! Pourquoi n'étais-tu pas aux quais?"

La joie de serrer son mari dans ses bras n'empêcha pas la surprise de Catherine de se nourrir de ses paroles. Comment ça, il s'était inquiété ?

« Aux quais ? Mais tu ne devais arriver que dem… »

Attends. Ce n'était pas déjà hier qu'elle se réjouissait de son arrivée imminente ? La visite et l'inquiétude de Douce dans la matinée lui avaient donné un autre sujet de préoccupation et avaient  commencé à détourner ses pensées du retour d'Aldric. Et l'ultimatum de Simon avait fini le travail.

« Oh ! Je suis désolée… Avec la maladie, je ne pensais plus que c'était aujourd'hui... »

Elle avait oublié son mari ! Et pire, elle lui avait causé du souci ! Elle se mordilla la lèvre inférieure, en se détachant de son meilleur ami pour lui laisser la place d'aller saluer Ainsley ou de rejoindre la table… toujours ensevelie sous le sac et les remèdes qu'elle en avait sortis.

« Tu vas bien ? Tu as fait bon voyage ? »

Elle ne demanda pas si sa mission s'était bien passée. Ça faisait longtemps qu'il n'en parlait jamais. Mais s'il était décidé, cette fois, elle l'écouterait avec plaisir.

"Ben non, j’arrivai aujourd'hui. C'était convenu... Attends quelle maladie? Maman, ça va?"

"Oui, ne t'en fais pas, Aldric. Bon, je vous laisse vous retrouver. Je vais dans ma chambre. À tout à l'heure!"

Le soldat regarda sa mère quitter la pièce, boiteuse, mais digne. La douleur se lisait dans chacun de ses gestes, mais jamais elle ne se plaignait. Il l'admirait tellement. Il aurait voulu faire tellement plus pour elle...

Mais revenons-en à Catherine.

"Si ce n’est pas Maman qui est malade, qui? Que se passe-t-il?"

Et évidemment Aldric s’inquiétait pour sa mère. Mais quelle cruche ! Elle n’aurait pas dû parler de la maladie comme ça ! Même si c’était le sujet qui avait occupé toutes ses pensées toute la journée, ce n’était pas une raison pour lui causer du souci ! Heureusement Ainsley démentait avant même qu’elle n’ait le temps d’ouvrir la bouche, avant de quitter la pièce. Catherine serra les poings, pleine d’une rage impuissante en la voyant boiter. Comme à chaque fois qu’elle était témoin de la douleur silencieuse de sa belle-mère, Catherine sentit une bouffée de haine envers l’Unique l’envahir. Comment osait-Il la faire souffrir ainsi ?

Et comment Simon osait-il l’empêcher d’aider ceux qui en avaient besoin ? La question d’Aldric ramena la colère de sa femme sur une cible plus accessible.

« C’est la famille de Jean ! cracha-t-elle, la colère couvrant presque le mépris qui accompagnait la mention de Jean. Douce a appris ce matin que Blanche, Sage et Vive sont malades ! On ne sait pas de quoi ! Mais Simon a interdit à quiconque de la propriété d’approcher leur maison ! »