Tort tu as

Tortuga était étrange. Elle ne ressemblait en rien à ce que Catherine connaissait. Bien sûr, même si elle avait grandi à Port-Salem, à l'air libre, elle avait déjà visité plusieurs villes sous cloches ; à commencer par Espoir puis toutes les autres où s'était posé L'Iceberg. Mais Tortuga était différente. Déjà, ce n'était pas une planète. Rien qu'un petit astéroïde. Ensuite, la ville semblait petite elle aussi mais les discussions des membres d'équipage lui avaient appris qu'elle était en bonne partie souterraine. Et, surtout, elle ne semblait pas organisée comme une ville La jeune femme aurait été bien en peine de définir son impression avec des mots mais le fait était là. Depuis le port où elle se trouvait, au pied du vaisseau, Catherine avait du mal à discerner la moindre organisation dans l'agencement chaotique des bâtiments et l'ambiance bruyante qui en rayonnait.

C'était d'ailleurs pourquoi elle se trouvait toujours au pied de L'Iceberg. Son expérience malheureuse à Espoir quelques semaines plus tôt, dans une ville digne de ce nom et qu'elle connaissait un peu, l'avait un peu refroidie. Ce n'était pas qu'elle avait peur – elle n'avait jamais peur ! – de se promener seule dans les rues inconnues mais… disons qu'elle se méfiait. Et puis, il y avait plein de choses à faire à bord. Elle n'avait pas besoin d'aller explorer la ville en profondeur.

D'ailleurs, elle n'était pas seule sur le port puisqu'une jeune femme qu'elle était à peu près sûre de n'avoir jamais croisée s'avançait vers le vaisseau. Petite, toute en noir et blanc, avec même un bandeau noir sur le visage. Était-elle aveugle ? Il ne fallait pas plus que cette pensée pour pousser Catherine à faire un pas vers l'inconnue.

« Bonjour. Je peux vous aider ? »

On lui avait dit que l'Iceberg était à quai et la direction supposée du vaisseau. Elle avait choisi de se balader - et de fausser compagnie à son garde du corps, encore - malgré l'aversion qu'elle éprouvait pour cette désorganisation qui était l'esprit de Tortuga. Si elle comprenait cet esprit de liberté qui faisait du port une organisation presque anarchique, elle n'aimait pas ça surtout parce qu'elle n'arrivait pas à suivre le mouvement. Avec son masque et surtout son handicap, elle avait du mal à marcher sans se prendre un coup d'épaule ou autre. Srätx essayait de l'aider comme il pouvait, mais c'était toujours un calvaire que d'essayer d'arriver quelque part avec une centaine d'obstacle sur sa route.

Elle était presque à bout de souffle lorsqu'elle arriva près des quais de l'Iceberg. Du moins, son petit singe avait l'air content, et il connaissait leur destination. C'était que ça devait être celle-là, sans doute.

Et puis, aux alentours du Capitaine Jaziel de Nieves, tout était déjà plus ordonné et plus carré qu'ailleurs sur Tortuga. Mais elle fut quand même surpris qu'on l'aborde, s'arrêtant en entendant quelqu'un approcher, elle prit le temps un instant d'étudier cette voix féminine qu'elle ne connaissait pas. Mais ils étaient sur Tortuga. Ca devait juste être une nouvelle pirate. Ou une ancienne qu'elle n'avait pas encore croisée.

" Bonjour, vous faites partie de l'Iceberg ? "

Son accent mo'at se fit bien entendre, d'ailleurs.

Catherine n’était pas aveugle, elle, et elle ne manqua pas le temps d’arrêt de la jeune femme. Peut-être n’aurait-elle pas dû la saluer ? Peut-être n’avait-elle pas besoin d’aide ? Ou, même si elle en avait besoin, peut-être n’en voulait-elle pas et n’appréciait-elle guère qu’on lui en propose ?

La réponse de la jeune femme lui donna sans peine la solution. Elle avait le même accent que les esclaves qu’elle avait soignés avec Ainsley. Elle était mo’at. Sans doute était-ce son accent trinitaire qui l’avait freinée… Même si Catherine espérait de tout cœur qu’elle soit née et ait vécue libre et pirate. Elle ne la connaissait pas, mais elle ne souhaitait à personne de connaître l’esclavage.

…

Sauf peut-être aux esclavagistes.

« Oui, je suis infirmière à bord depuis presque deux mois, répondit-elle, avant de se présenter : Je m’appelle Catherine. »

Elle donnait rarement son nom de famille, à présent. Par précaution. Hors de question que quelqu’un de mal intentionné puisse remonter à Aldric par sa faute. Même s’il était peu probable qu’une mo’at rencontrée sur Tortuga ait le moindre lien avec l’Inquisition.

Deux mois ? Deux mois déjà qu’elle n’avait plus croisé l’Iceberg, ou bien était-ce qu’elle n’avait pas croisé cette femme avant ? Intérieurement, elle se demandait ce que Seik’el pouvait penser d’une nouvelle trinitaire à bord de son bâtiment. Elle avait remarqué la rancœur encore inégalée de la métis par rapport aux personnes issues de culture trinitaire. Ni’oh ? Elle, elle était méfiante, mais elle ne s’attardait pas tellement à la faction, surtout lorsqu’on rejoignait le Liberty. Son Capitaine était capable de juger les gens et elle lui faisait confiance sur ce point.

Paraitrait qu’il y ait aussi quelqu’un capable de juger ces gens sur l’Iceberg, mais elle ne l’avait jamais rencontré. C’était peut-être du vent.

« Ni’oh, du Liberty. » Qu’elle répondit simplement alors, avec un sourire vague et un peu timide. « Enchantée »

Drôle de rencontre, sur ce quai fourmillant de vie. Elle se rapproche un peu de l’infirmière, surtout pour s’éloigner de ces gens trop mouvementés pour elle.

« Je suis venue voir Seik’el, vous savez si elle est à bord ? »

Avec sa chance, elle est sans doute partie tôt pour une course ou l’autre nécessaire pour l’intendance. Un jour, il faudrait qu’elle prenne le réflexe du HCom pour organiser ses rendez-vous avec les gens.

Le timide sourire qui étira les lèvres de la mo’at alors qu’elle se présentait fit naître le même, en reflet, sur le visage de Cathy. Même si la jeune femme ne pouvait sans doute pas le voir.

« Enchantée également, Ni’oh. »

La question suivante la prit au dépourvu. Elle évitait de croiser l’Intendante quand ce n’était pas nécessaire et, comme elle n’avait pas eu l’intention de visiter Tortuga, elle ne s’était pas précipitée en dehors du vaisseau à leur arrivée et n’avait donc pas vu qui l’avait quitté ou non.

« Non, je ne sais pas, reconnut-elle donc. Mais je peux demander. Et, si elle est sortie, elle ne devrait plus trop tarder. Voulez-vous monter à bord pour l’attendre ? »

Ou la trouver si elle y était, évidemment. Mais la jeune femme n’avait pas l’air trop à l’aise sur le quai. Une boisson, chaude ou fraîche, et des biscuits la détendraient peut-être ? Du moins, des biscuits cuisinés par quelqu’un d’autre qu’elle… mais Cathy ne s’approchait plus des fourneaux depuis qu’elle avait été recrutée sur L’Iceberg, donc il n’y avait aucun risque.