La valse des Monstres [Hush & Wulf]

Le cœur d'Hush battait bien trop fort dans sa poitrine. Il avait attendu ce moment pendant bien trop longtemps, et enfin, une opportunité se présentait à lui. Ça faisait déjà plusieurs semaines qu'il avait promis à Sunny qu'il viendrait la voir dans son lieu de travail. Et depuis tout ce temps, il n'avait jamais cessé de penser à elle. Il avait dessiné ses traits un milliard de fois, il les avait sculpté dans son esprit, il en avait rêvé. Et il avait aussi rêvé de ce moment précis. Celui où il rentrerait dans le Runny, où il apercevrait la belle Sunny, et où il ouvrirait ses bras pour l'accueillir contre lui. Il la ferait tournoyer dans les airs, et il ne sait pas s'il parviendrait à la lâcher après ça. Enfin, il devrait bien la lâcher. Il avait un cadeau pour elle. Il avait passé beaucoup de temps pour sculpter ce bijou là pour elle. Un pendentif en pierre précieuse, dont il avait minutieusement sculpté tous les bords, pour que chacun d'eux reflète un millier d'arc-en-ciels, pour peu qu'ils reçoivent de la lumière en leur sein.

Il avait Tobias avec lui, bien évidemment. Solidement ancré sur les épaules de son père, le petit garçon regardait avec curiosité tout ce qu'il apercevait autour de lui, posant un millier de questions à son père, dans un langage qui n'était pas toujours intelligible. L'homme y répondait du mieux qu'il pouvait, par des gestes qui faisaient se pencher l'enfant en avant. Bien sûr, le mo'at avait veillé à ce qu'il ne puisse pas basculé par inadvertance. De sa hauteur, il pourrait se faire vraiment mal. Quand Hush indiqua à son fils qu'il devait arrêter de répondre pour le moment parce qu'ils allaient voir Sunny, Tobias comprit immédiatement. Il était très heureux de voir la jeune femme rousse. Il l'aimait beaucoup, lui aussi.

Alors tranquillement, Hush poussa la porte du Runny, non sans avoir pris une grande inspiration auparavant - pour le courage, pour pas qu'il n'y ait de faille. Souriant, le grand mo'at pénétra à l'intérieur de la jolie taverne, et son regard de géant balaya l'assemblée, à la recherche de la rouquine. Les secondes passèrent, et malgré ses efforts actifs, il ne la trouva pas. Elle n'était pas dans la pièce. Peut-être qu'elle était en cuisine ?

Wulf n'était pas loin. Il ne l'était que rarement, surtout depuis qu'il s'était décidé pour une relation exclusive avec Sarrazin qui le rendait à la fois profondément heureux et plus bougon encore que d'habitude, par contraste. Aujourd'hui, le brun était partie aux courses et il était seul dans la cuisine à faire a mise en place, Audrey ayant du s'absenter à son tour. Ce n'était pas grave même s'il avait grogné pour le principe. Il aimait cuisiner, il était d'humeur normale, et épluchait ses patates, noyant de jus les phalanges de son bras mécanique sans même songer aux longues heures de nettoyage que cela allait requérir. A la caisse, une serveuse, nouvelle, qui était un peu tête en l'air mais avait le don des chiffres à défaut de la mémoire des visages. Elle était plongée dans son Hcom quand le géant passa aux cuisines et ne pensa pas à l'arrêter.

Wulf, par contre, se rendit très vite compte qu'il n'était pas seul.

"Je peux savoir ce que vous fichez ici ?" fit-il en commun avant de reprendre dans un mo'at hésitant. "Si pour verre boire, grande salle. Si pour trouver autre mo'at, étage." Ca arrivait, parfois. Comme il hébergeait d'anciens esclaves, il arrivait que certains viennent avec l'espoir de retrouver une soeur, une fille ou une compagne. Quand ça arrivait, Wulf, derrière sa barbe, se sentait heureux. "Mais pas ici. Pas une place pour un enfant" ajouta-t-il, grondant, en faisant un geste de sa patate.

Hush avait le coeur qui battait toujours aussi fort. Il savait qu'il allait trouver Sunny d'un instant à l'autre. Elle était forcément ici. Elle lui avait dit qu'elle travaillait ici il n'y a pas si longtemps que ça. Et il avait une confiance aveugle en elle. Jamais il ne pourrait penser ni envisager qu'elle ne soit pas là. Pourtant, quand il entra dans la cuisine, il ne la vit pas. Il reconnut l'homme qui était là sans aucune difficulté. Il l'avait vu enfant, il avait tenté de retracer ses traits d'adulte. Il trouvait d'ailleurs qu'il s'en était bien sorti. C'était sa chance ! Il sortit vivement son carnet et son crayon. L'homme avait l'air gentil. Il se souciait de la sécurité de son fils, et avait tenté de lui parler en mo'at au cas où il ne comprendrait pas le commun. Hush marqua quelques mots aussi rapidement que possible, avant de tendre le carnet au rouquin.

"Bonjour. Je suis muet, je m'exprime à l'écrit. Je comprends le standard. Tu dois être Wulf. Je suis Hush, et mon fils s'appelle Tobias. Je viens voir Sunny."

Les yeux du rouquin passèrent rapidement sur le cahier qu'on lui avait tendu, et qu'il avait saisi parce que malgré son air bourru, il savait aussi être poli et n'était pas du genre à reprocher à quelqu'un son handicap s'il faisait avec. Il restait que c'était pas sa place, que son nom soit Tobias, Hush ou il ne savait quoi. Surtout s'il cherchait Sunny.

"Okay. Tu entends quand je parle ?" Il avait fait attention d'articuler, cette fois, mais sans hausser la voix faut pas déconner non plus. De toute façon il avait l'air d'entendre. Il se mit quand même en face que l'autre puisse lire sur les lèvres. On lui avait dit un jour que les muets étaient souvent sourds. Il en savait rien. Sarrazin était sourdingue mais, curieusement, ça l'avait jamais fait taire. "Hush pour un muet c'est quand même pas sympa comme nom. T'avais un maître avec un sale sens de l'humour. Si tu l'as toujours, je te rappelle qu'ici tu es en zone libre et personne peut venir te chercher toi ou ton fils sans avoir affaire à moi." Non mais oh. Cela dit, c'était pas le plus important

"Tu lui veux quoi à ma soeur ? C'est pour toi que tu la cherche ou pour le compte de quelqu'un ? Parce que vous pouvez tout me dire je ferais passer le message." Par réflexe, il croise les bras, se rend compte qu'il tient toujours le cahier, rougit, le tend à son propriétaire...

Hush est surpris par la question du rouquin, mais il se souvient instantanément des paroles de Sunny - qui le mettait en garde contre le bon fond mais mauvais caractère de son aîné. Il hoche donc doucement la tête pour lui signifier que oui, il entend même très bien, et qu'il n'est pas obligé de lui parler différemment. Hush ne comprend pourtant pas sa remarque suivant et fronce un peu les sourcils quand il fait mention de son maître. Il ne peut pas s'exprimer tout de suite puisque Cathwulf a encore son carnet entre les mains. La remarque étrange est cependant rapidement balayée par la suivante, qui lui assure qu'il est en sécurité ici. Même si Hush est libre depuis un moment, il est reconnaissant à l'homme de lui proposer son aide de cette manière.

Puis la situation se corse un peu quand il fait mention de sa petite sœur. Avec sa sensibilité, Hush ne peut que remarquer que Cathwulf est sur la défensive, et qu'effectivement, le sujet n'est pas évident à aborder. Le grand mo'at rougi un peu et il profite que l'autre lui tende son carnet pour essayer de masquer sa gêne. Il commence alors à écrire.

"C'est très gentil à toi de m'offrir ta protection. Je suis libre depuis quelques temps déjà.
Sunny m'a invitée à venir la retrouver au Runny Amber quand je passerai sur Espoir. Comme je suis de passage, je voulais venir lui dire bonjour, m'assurer qu'elle allait bien et lui donner quelque chose."

Libre ? Bah, c'était déjà ça, cela voulait dire que ce n'était pas une saloperie d'esclavagiste qui cherchait sa soeur ou qui se servait d'elle comme prétexte pour venir fouiner dans l'arrière boutique. Enfin à supposer que le type disait...écrivait vrai.

"Sunny n'est plus au Runny. Elle a trouvé un boulot au Crust." Il croisa les bras. "Si elle ne te l'a pas dit, est ce que tu es sur qu'elle t'attende ? Enfin tu peux bien faire ce que tu veux. Sinon, je vais lui envoyer un paquet dans les prochains jours. Si tu veux je peux rajouter ton cadeau. Ca ne te coûtera que ta part des frais de ports."

Les timbres, c'est cher. Faut pas déconner.

Sunny n'est plus au Runny. Sunny n'est plus au Runny. La phrase résonne en boucle dans la tête d'Hush, qui peine à masquer sa déception. Elle lui avait dit qu'elle travaillait ici, et qu'il pouvait lui rendre visite... Peut-être avait-il mal compris ? Peut-être Sunny n'avait-elle pas vraiment pensé ce qu'elle avait dit ? Peut-être qu'elle ne voulait plus le revoir ? Penaud, il se frotte le bras gauche, et ses épaules se voutent légèrement. Sunny... Il repense à leurs conversations, aux moments passés ensemble, à son rire... Son rire... Il l'entend encore dès qu'il ferme les yeux.

Non, ce n'est pas possible que Sunny ne veuille plus le voir. Et si tel est le cas, il veut la revoir une dernière fois. Il lui apportera son cadeau en personne, le lui remettra en main propre. Si ça doit être un adieu, il le fera en bonne et due forme. Il secoue donc poliment la tête pour décliner la proposition du grand roux qui lui fait face, et il écrit quelques mots sur son carnet.

"Non merci, c'est très gentil à vous. Je voudrais le lui donner moi-même, et si elle ne veut plus me voir, je voudrais pouvoir lui dire au revoir. Où est-elle, maintenant ?"