*Ting* * Frrrrrr*

*Ting* * Frrrrrr*

Le Ting de la commandeuse, le Frrrr de l'édition du ticket.

"PUTAIN, LES GENS C'EST L'HEURE DE FERMETURE DE LA CUISINE!"

Le hurlement de dépit de la cuisinière, audible depuis le bar, mais guère plus loin, la faute à la salle bruyante.

"Putain, ils m'font chier, c'est pas a une heure pareille qu'on prend une commande, putain, je suis pas un ordi qui fonctionne jusqu'au bout de la nuit, m'font chier, ces connards."

Mais la cuisinière connaissait son métier et en quelques minutes, le steak fut grillé, le burger monté, les frites servies et le tout envoyé. Et la commandeuse éteinte. Rageusement. Puis le ménage fut commencé. Cela prenait du temps de ranger une cuisine professionnelle. À vrai dire, un cuisine normal aussi, mais tu récures rarement entièrement une cuisine normale tous les jours. Une cuisine pro, si. Sinon, l'hygiène, vient, te dis bonjour et ferme ton resto.

Audrey râlait toujours.

Le cri de la cuisinière ne lui fait même pas hausser un sourcil. Quand on dit on fait jusqu'à telle heure, on FAIT jusqu'à telle heure. Point barre. Une commande c'est de l'argent et c'est pas en en refusant qu'on fait tourner boutique. Après, il comprend la fatigue et le ras-le-bol. Il laisse gueuler. Il sait que la petite fera ce qu'il faut.

D'ailleurs elle le fait. Il attrape l'assiette, sert le type un peu paumé qui est bien content d'avoir son burger, qui s'en souviendra, qui reviendra peut-être rien que pour ça voire même laissera un pourboire. Il débarrassa les dernières tables, poussa dehors les derniers ivrognes, et, tandis que le retardataire dégustait ses frites, passa son habituelle tête dans la cuisine. Juste la tête. Pour les pieds, ça attendrait que le sol soit sec.

"Beau boulot ! Encore une journée de terminée !"

C'est la rengaine du soir. Il le dit quand il est content, pas exceptionnellement, mais pas énervé.

Elle regarde Wulf, tout content de sa bonne journée et elle soupire. Elle soupire parce que ce soir encore, le raz le bol l'assaille.

Elle aime le RA.

Mais elle n'aime plus faire des burgers a longueur de temps.

"Wulf? On peut parler une fois que j'ai fermé la cuisine?"

D'habitude, soit elle le renvoie dans ses cordes - quand elle est de mauvaise humeur, soit elle sur-réagit - quand elle va bien. Là, elle répond totalement à côté. Il n'aurait rien dit que ça aurait été pareil et ça l'arrête net. Surpris, il fixe sa cuisinière préférée, cherchant une trace de coup ou quelque chose d'important qui aurait pu demander un entretien ou un truc du genre. Gêné, un peu anxieux, il se passe la main dans les cheveux.

"Ouais, bien sûr. Cette question. Tu veux un coup de main ?"

"Non, ça ira, merci."

Elle avait bien besoin du temps de lavage de la cuisine pour répéter son discours. Elle l'avait répété depuis des jours chez elle, mais jusque là, elle n'avait pas eu le courage de déclencher la discussion avec Wulf. C'était maintenant chose faite.

Elle donna un dernier coup de jet sur le sol carrelé puis elle chassa l'eau à la raclette vers les égouts puis elle retourna vers le bar.

"Wulf... Je ne t'ai jamais remercié de m'avoir embauché ici, mais..."

Mais ? Oulah, ça partait mal. Déjà que Minipouce le remercie, il aimait pas ça mais alors le mais, c'était carrément pas une bonne nouvelle. Il croisa les bras, les sourcils soudain froncés.

"Mais quoi. Si c'est pour négocier une augmentation, tu commences mal, j'aime pas ce genre de sous entendu alors tu termines vite fait ta phrase, qu'on en finisse." Ca voulait rien et tout dire et il n'était pas d'humeur à avoir une grammaire correcte. Il n'aimait pas les mais, il n'aimait pas ce qu'il pensait qu'elle allait lui dire, il n'aimait rien de tout ça.