Son sang sur tes mains. [Jez]

J'hausse les épaules d'un air presque nonchalant, mais toujours avec la même classe innée qui m'habite. Je comprends fort bien ce qu'elle peut ressentir - quoi que je n'aurais jamais eu la moindre hésitation à presser quelque détente que ce soit si cela avait pu sauver l'une des personnes chères à mon cœur hélas parties trop tôt.

- Oh croyez-moi ; s'il vous est possible de sauver l'un des êtres qui vous sont chers, alors même qu'ils encourent un grand danger, vous ne ressentirez point l'ombre d'une hésitation. Tout se produit infiniment trop rapidement pour que vous puissiez vous le permettre, et l'adrénaline procurer par l'urgence de la situation est suffisamment vive pour vous animer.

- J'imagine... que tu souffles du bout des lèvres en l'entendant.

Tout allait toujours tellement vite. Le jour où tu aurais peur pour quelqu'un que tu aimes, tu n'aurais peut-être même pas le luxe de réfléchir. Juste celui d'agir de justesse pour préserver la personne en danger. Et peut-être que malgré tout, ça ne suffirait pas.

Peut-être que malgré tout tes efforts, toute ta volonté, ça ne fonctionne pas et que tu perdes des gens que tu aimes. Tu détestes cette idée, mais elle est là, logique.

Tu passes lentement une main sur ton visage. Tu doutes pas une seconde que la femme devant toi ait vécu de nombreux deuils, tout comme ta Capitaine-Tornade. Et au final, tu as déjà été confronté a la perte plus d'une fois. Et même si tu voudrais ne jamais le revivre, ça viendra.

Elle imagine. Oh, sans doute puis-je la comprendre ; il ne fait aucun doute que lorsque je n'étais qu'une enfant, la mort me semblait être une notion bien distante. J'ai connu mes premiers deuils très tôt. J'ai tué pour la première fois presque tout aussi tôt. Si la mort jonche mon quotidien, une part de moi ne parvient nullement à éloigner une certaine crainte qui martèle dans mon cœur.

Voilà bien longtemps que je ne m'appesantis plus des meurtres de mon équipage, et encore moins de ceux qui perdent la vie sous ma lame ; cependant, je conserve en moi la peur maladive de perdre ceux que j'aime plus que tout, et notamment mes enfants. Une peur lointaine, presque devenue inexistante sous l'effet d'une anesthésie locale qui engourdie tout mon être.

- Imaginer est une première étape importante ; cependant, je crains que vous ne puissiez réellement savoir comment vous réagiriez avant d'être confrontée à une telle situation. Le meilleur conseil que je puis vous offrir, est de tâcher d'être prête lorsque cela arrivera - parce que pour sûr, cela se produira un jour. Peut-être demain, ou peut-être dans quinze années ; cela n'en demeurera nullement moins anxiogène. Et vos pertes, croyez-moi, ne seront jamais moins douloureuses que cela le fut la première fois.

Elle t'encourage dans une direction bien précise, tout en se faisant oiseau de malheur. Oiseau de logique, aussi. Parce que ça viendra. Tu le sais aussi. Quant à être prête. T'essayeras. T'espères. Tu penses pas jamais l'être assez, mais tu tenteras quand même. Tu prends une lente gorger avant d'hocher de la tête.

- J'comprend. J'vais faire de mon mieux.

Tu veux que la prochaine fois qu'elle entendra parler de toi, ça sera pas parce qu'on t'auras briser des os, capturé, que quelqu'un s'est fait tuer en tentant de t'aider. Tu veux que la prochaine fois qu'elle entendra parler de toi, tu te sois vaillamment défendu.

Si elle avait été ma fille ou membre de mon équipage, sûrement lui aurais-je spécifié que faire de son mieux n'est jamais suffisant ; cependant, elle n'est ni l'une ni l'autre, et je me décharge bien volontiers de ces charges supplémentaires-ci. J'estime avoir fait mon travail de femme, de capitaine et de combattante. Le reste ne me concerne aucunement. Peut-être me suis-je déjà trop impliquée. Qu'importe. J'hoche la tête avec l'ombre d'un sourire.

- Qu'il en soit ainsi.

Sur ces belles paroles, je termine mon thé devenu presque froid, et je me lève gracieusement. Prudemment, je m'approche des fenêtres et observe l'extérieur autant que faire se peut.

- Il me semble que nous pouvons espérer tenter une sortie.

Mon regard se tourne vers elle, brûlant.

- Êtes-vous prête, Mademoiselle Tie'kluü ?

Tu hoches légèrement la tête avant de finir ta boisson avec Jezabel Alvarez. Tu la regardes se lever au bout d'un moment, inspecter la ruelle, dehors. Tu déglutis en l'entendant, mais te lèves et récupères les tasses pour aller les mettres dans l'évier... Hésiter... Puis fourrer le pistolet dans ta poche avant d'attacher sobrement tes cheveux en une natte lâche que tu glisses dans ton col. Tout et n'importe quoi pour être moins remarquable.

- Oui, j'suis prête...

Ou alors non, mais tu iras quand même. Si ta compagne d'infortune juge que la situation s'y prête, qui es-tu pour la contredire ?

Ses mots sonnent incertains mais je ne m'appesantis nullement sur cela ; je suis capitaine, pas psychologue. Je replace sur mes épaules la cape que j'ai emprunté à la garde robe du propriétaire de la maison ; je m'assure dans le miroir que je suis toujours aussi belle, que mes cheveux sont disciplinés, que mes vêtements ne présentent aucun pli. Ma lame est rangée à sa place, dans ma botte.

- Bien. En ce cas, allons-y.

Et sans autre forme de procès, je me dirige vers la porte, que j'ouvre doucement. J'observe et j'écoute silencieusement quelques secondes durant, avant de finalement faire signe à ma jeune compagne que la voie semble libre. Je referme la porte à double tours derrière nous, et m'engage paisiblement dans les rues de la ville, comme s'il ne s'était jamais rien passé.

Tu remontes la capuche sur ta tête, sans piper mot. T'as peur de sortir, mais aussi de rester là trop longtemps et que votre abri finisse éventé. Mais l'Albatros... L'oiseau de métal est ta maison, l'endroit où tu te sens le plus en sécurité au monde et il te tarde d'y remettre les pieds, de filer jusqu'à ton coin de cabine pour t'y blottir et enfouir le nez contre Hilton et la consistance douce de son pela-plumage. T'inspires lentement, observes bien Jezabel faire et quand elle te fait signe, tu t'avances.

T'as peur, mais t'as confiance en cette femme. Rien ne se produit et après avoir verrouillé derrière vous, elle te rejoins et vous vous avancez dans la ruelle, comme si de rien n'était. T'espères juste que ça suffira à ce que personne ne vous enquiquine.

Je suis l'une des capitaines les plus illustres de notre galaxie ; davantage que cela, je suis certainement l'une des femmes les plus charismatiques, les plus belles, les plus remarquables de notre univers. J'ai pour habitude que l'on me remarque, que l'on me voit, que ma présence occupe l'attention de tous. Néanmoins, j'ai également appris à faire profil bas, et à me fondre dans la masse grouillante et insignifiante de péons. Il faut parfois savoir s'abaisser au niveau des êtres insignifiants qui peuplent ce monde lorsque l'on souhaite survivre.

Quelques règles simples sont à respecter, afin d'éviter l'attention. Les rues sont encore bien fréquentées à cette heure de la journée. Il n'est nullement difficile de se mêler au monde, et de rejoindre la foule d'anonymes qui se pressent plus ou moins bruyamment ; il est important de sembler sûr de soi, et de montrer que l'on sait où l'on se dirige. Les personnes hésitantes attirent l'attention. Cependant, il ne nous faut guère aller trop rapidement ; paraître trop pressé ne sera nullement à notre avantage. Ce sont des règles simples, et je les maîtrise toutes. Nous ne devrions point rencontrer le moindre contre-temps.

Tu calques ton pas sur celui de Jezabel. Et même si t'as envie de courir, t'en fait rien. Tu sais que ça serait idiot et dangereux, mais l'envie reste là, retournant ton estomac alors que tu crains a tout instant que l'attention vous tombe dessus et vous laisse a nu sous les regards mal intentionnés, accusateurs.

Tu déglutis reste discrète sous la cape, une petite ombre qui se coule entre les passants. Tu sais avoir l'air de rien. D'un petit rien qui ne mérite pas d'attention. Et même si tu n'aimes pas ça, tu sais faire, espérant seulement que la chance voudra bien continuer un peu de vous coller aux bottines.

Je ne ressens pas une once d'inquiétude - l'angoisse est l'ennemi mortel d'un nombre incalculable d'individus. Bien sûr que les gardes remarqueraient une personne trop anxieuse. Il s'agit-là d'un signe évident que l'on a quelque chose à se reprocher. Est-ce ce que nous souhaitons ? Oh, nullement ! Je ressens le malaise de ma jeune compagne alors même que je ne suis nullement une femme qualifiable d'empathique. D'un geste assuré et doux à la fois, je pose ma main sur son épaule, et serre doucement. Elle demeure discrète et n'attire nullement l'attention ; nous sommes presque parvenues à bon port, il serait dommage de tout gâcher maintenant, n'est-il pas ? Au travers de la masse grouillante et bruyante d'individus qui cheminent dans la rue, nous pouvons déjà apercevoir les premières bribes du brouhaha portuaire.

Tu tressailles légèrement en sentant la main de ta compagne sur ton épaule. Tu lui jettes un coup d'oeil, comprends vite de quoi il est question. Tu inspires profondément, expires. Tu dois te calmer, t'apaiser. Tout va bien, tant que tu fais comme si tout allait bien.

Tu te détends un peu, ton pas se fait moins nerveux. Tu entends sans grand mal les bruits en provenance du port, ne peux que désirer y être au plus tôt, mais personne ne doit pouvoir cerner ce désir, au risque de le trouver suspect. Il y a eu des agressions aujourd'hui. La sécurité est sans nul doute renforcé.

Il semble y avoir davantage de gardes qu'usuellement. Cela n'est guère étonnant. Port Salem n'a jamais été une terre de paix et de tranquillité, malgré ce que veulent nous faire croire les hommes malsains et répugnants qui grouillent en ces lieux. Cependant, ils ne nous trouveront nullement. J'ai d'ores et déjà prévenu les membres de mon équipage, qui sauront nous ouvrir la voie si tel est nécessaire. De plus, parmi tous ces hommes en uniforme, je sais pertinemment qu'ils ne me connaîtront pas tous. Il suffirait de tomber sur celui qui ignore mon identité, et mon sourire le plus charmeur saura clore tout cela.

Nous avons presque pénétré le port, et je sens quelques regards s'accrocher à nous. Je demeure détendue, tandis que ma main a glissé jusqu'au milieu du dos de ma jeune protégée, pour l'inciter à poursuivre tranquillement sa progression.

Plus de gardes.

Tu t'emplois à les ignorer, regardant droit devant toi, comme si l'intensité de ton regard pouvait faire s'avancer le sol plus vite sous tes pieds. Vous y êtes presque, au port, quand tu sens la main de Jezabel glisser dans ton dos. Ça peut vouloir dire beaucoup de choses. Tu décides de faire comme si rien n'était, de continuer d'avancer, sans jeter un regard par dessus ton épaule. Tu sais qu'il ne suffit parfois de rien pour noyer les soupçons, comme pour les générer. Peut-être que tu aurais dû ralentir, t'attarder, mais cette fois, c'est pas ce que tu as choisis, ni ce que te laisse penser la main de la capitaine dans ton dos.

Vous y êtes presque. Vous pouvez y arriver.

Et si jamais on vous arrête... Tu comptes vendre chèrement ta peau.

Nous y voilà. Seuls quelques mètres nous sépare d'une zone où nous serons davantage protégée. D'une zone que certains gardes évitent consciencieusement, pour une quantité astronomique de raisons différentes. Nous progressons, et je demeure concentrée sur cet objectif, que je sais pouvoir atteindre. Il est évident que nous pouvons y parvenir. Nous avons déjà été dans des situations bien plus délicates que cela, n'est-il pas, maman ? Oui, une quantité... Astronomique, c'est cela. Ma respiration s'est légèrement accélérée, et je sens déjà le frisson de la victoire parcourir mon dos et mes épaules. Nous allons y parvenir... Nous y sommes presque...

- Excusez-moi, mesdames ?

Nom de...

T'aurais envie de courir les dernier mètres qui vous sépare du port, de pouvoir enfin t'y réfugier sans plus te préoccuper des mésaventures du jour.

Mais le sort s'acharne et tu ne manques pas l'appel derrière vous. Tu fermes une seconde les yeux, surement moins, avant jeter un léger coup d'oeil pour voir de quoi il s'agit. Si c'est un garde... ou... n'importe quoi d'autre.

Seigneur. Une seconde durant, je maudis tout ce que je puis ; l'instant d'après, j'ai recouvré un calme apparent, et l'assurance qui me caractérise. Céder à la panique serait le pire à faire ici. Aussi, je me retourne doucement en direction de l'homme qui nous a hélé, me plaçant instinctivement entre lui et ma jeune protégée. Si la situation venait à se détériorer, peut-être aurait-elle le temps de courir jusqu'au port afin de se mettre à l'abri. En tous les cas, j'ose l'espérer.

- Monsieur ? Que puis-je faire pour vous ?

Jezabel s'arrête... Et tu fais quelques pas avant de t'arrêter pour mieux regarder de quoi il est question. Tu cherches à paraître calme, mais en vrai, au moindre soucis, tu es prête a bondir de l'avant, courir à perdre haleine jusqu'au vaisseau et créer un sacré remue ménage dans la foulée.

Tu préférerais pas.

Pendant un instant, tu te dis, un peu superficiellement qu'il va falloir changer de coupe et de couleur de cheveux, sinon c'est mort, on va te repérer avec une simple description des kilomètres à la ronde. Par Calypso. Tu peux presque sentir la distance qu'il reste entre toi et le vaisseau. C'est comme si ça te tiraillait de l'intérieur, tout à ton envie de t'y engouffrer le plus vite possible.

L'homme me dévisage. Je lui offre mon visage, mon sourire le plus radieux, l'intensité de mon regard et la pâleur de mon cou. Je le vois hésiter, subjugué par ma beauté et par cette aura qui émane de moi. Il y a une somme astronomique d'avantages à posséder un corps et des traits capables d'envoûter la plupart des êtres de ce monde. Encore faut-il être capable de s'en servir adéquatement, cela va de soit. L'étranger bégaie, incertain. Il s'agit d'un jeune soldat trinitaire, certainement envahit par de multiples passions et fantasmes qu'il n'osera jamais formuler, de crainte d'être réprimé et puni par son ordre. Il se racle la gorge, peut-être pour reprendre consistance, et donner l'illusion qu'il n'a pas entièrement perdu le contrôle - effort vain, bien entendu ; je sais parfaitement que je possède l'intégralité du contrôle depuis l'instant où il a posé ses yeux sur moi.

- Faites attention, y a des meurtriers en fuite dans l'coin.

Je le remercie par un sourire encore plus éclatant - si tant est que cela est possible. Il nous faut partir rapidement, avant que l'un de ses collègues ne réalise qui nous sommes - ou que lui-même ait un éclair de génie.

- Je vous remercie Monsieur, nous serons prudente.

Immédiatement après, je tourne les talons et entraîne ma jeune compagne avec moi.

L'homme a tout du soldat. Heureusement, il est jeune et semble à présent s'abandonner à la contemplation de Jezabel Alvarez avec une intensité... Tout a fait notable.

Qu'il vous avertisse de faire attention à... Nul autre que vous-même pourrait être amusant, tu mais n’éprouves aucun amusement à l'idée d'être qualifié de meurtrière. Le terme est trop...

Tu n'es pas une meurtrière. Ce n'est pas ça. Tu refuses. Quoi qu'il en soit, Jezabel le remercie avant de reprendre sa marche et tu l'imites sans hésiter, d'autant plus pressé de rejoindre l'Albatros.

- Fhhh...

Ça aurait pu partir vraiment très vite en sucette. T'en est totalement consciente.

Je suis sereine désormais. Si les soldats sont incompétents au point qu'ils perdent leurs moyens ou qu'ils ne reconnaissent nullement mon visage lorsque je leur fais face, il est certain que nous parviendrons à rejoindre nos vaisseaux respectifs sans le moindre mal.

- Prenez note de cette leçon-ci ; soyez consciente de vos forces et vos faiblesses... Et sachez en jouer.

Des dizaines d'années plus tôt, ma mère me donnait cette même leçon. Aujourd'hui, je ne compte plus même le nombre de fois où savoir cela m'a sauvé la mise. Droite et fière, je poursuis mon chemin, désormais consciente d'être invincible.

Ton regard se pose sur Jezabel alors qu'elle verbalise cette leçon. Tu acquiesces lentement.

- Oui... Merci. Encore. Et pour tout, que tu dis doucement.

Tu respires déjà mieux. À l'approche des vaisseaux. Il te tarde de pouvoir t'y mettre durablement à l'abri.

- J'espère que notre prochaine rencontre sera... Plus paisible. Je vous souhaite une excellente fin de journée, madame.

Elle me remercie chaleureusement, et je sais à quel point elle peut être sincère. Je sais également que des moments comme ceux-ci demeureront rares ; je n'ai nulle intention de me transformer en gardienne. Néanmoins, j'ai pour souvenir qu'Hannabeth tient beaucoup à cette enfant, qui aurait tout aussi bien pu être sa propre fille - et par extension, ma nièce. Prétendre que ce détail n'a aucun lien avec mes agissements serait un mensonge éhonté. Cependant, ni ma sœur, ni cette jeune fille n'en sauront jamais rien. Avec un sourire doux, j'effectue un léger signe de tête à l'intention de ma compagne de mésaventure.

- Au revoir, Ren'anwë. Prenez soin de vous.

En regard de toutes les conversations que nous avons pu avoir ensemble, cette dernière phrase n'a strictement rien d'innocent, et j'ai toute confiance en elle pour porter l'attention nécessaire à ces mots. Sur ce, je tourne les talons et d'un pas assuré, je me dirige vers le Némésis.