Use Your Mind

Alors que le Liberty se déplaçait à une vitesse subluminique, Lilith avait passé les commandes à l’une de ses pilotes expérimentés pour prendre un peu de repos après quatre heures de concentration. Le jour comme la nuit n’existait plus lorsqu’on voguait à travers l’infiniment grand. Le noir était omniprésent, seuls quelques éclats de lumière permettaient de distraire les yeux de quelques hommes et femmes d’équipage. Lilith, malgré sa fatigue pesante qui lui faisait traîner le pas, préféra aller s’asseoir devant l’un des hublots géants qui donnait sur cet horizon glacial. Là, tout n’était que chaos, désordre et solitude. Pourtant, la jeune Maître de navigation y trouver un repos méditatif. Du regard professionnel, elle passa à un regard plus doux et relâché sur l’espace qui les englobait. La rouquine fixait un point en particulier, un point, presque invisible à l’œil nu. « […] la deuxième étoile à droite. Juste après la comète du Kraken ! » Cette réplique l'a hanté depuis presque un an maintenant. Elle était les derniers mots de son frère aîné, Reese. Il les avait dits avec une pointe d’humour pour ne pas l’inquiéter… À moins que ce fût un rire nerveux. Lilith ne saurait jamais.

Avachi contre son banc, le dos collé à la cloison du vaisseau, les yeux perdus dans l’infini et l’indéfini, elle songeait. Tracassait par ses débuts ici, elle passait chaque jour à se repasser les dernières huit heures qu’elle avait vécu avec ses pilotes. Elle était ici depuis quelques jours et elle avait la grande impression d’échouer. Angoissée, elle mordait ses joues intérieures en repensant à tous ces petits hics qui pouvaient lui faire douter de sa personne. Intellectuellement, elle se sentait pleinement capable d’assumer ce poste, mais socialement, elle reconnaissait qu’elle n’était absolument pas à l’aise. D’ordinaire, sur les autres vaisseaux, elle était également pilote, mais avait la chance incroyable d’être la fille du Maître navigateur ou la sœur de celui-ci, alors elle n’avait plus qu’à suivre le mouvement. Les gens venaient naturellement vers elle et elle suivait simplement les leaders pour se faire une place progressivement. Mais aujourd’hui… La meneuse, c’était elle. Il n’était plus question de suivre qui que ce soit pour se faire sa place et devant tant d’effort à fournir, Lilith souffla. Son expiration lui serrait la gorge, elle la fit trembler comme ci elle essayait de cacher des sanglots qui demandaient à sortir. Son oeil humain la piquait à cause de la fatigue et elle essaya de battre au mieux ses paupières pour le réhydrater. Un bâillement plus long demanda également à sortir et Lili lui barra la route de sa main de chair et d’os. Pendant un instant, elle pencha la tête sur ses membres et se demanda si ces morceaux artificiels ne jouaient pas eux aussi un rôle dans cette histoire de prise de confiance.

La réplique du mouchoir lui fit étouffer un rire. Justement, la rouquine se demandait ce qu’elle devait faire avec maintenant qu’elle l’avait souillé. Lui rendre aurait été bizarre et d’un autre côté, il était tout doux alors le garder sans rien d’autre en échange la mettait un peu mal à l’aise. Lilith respira un bon coup et tentait d’afficher un sourire, hélas, voilé par le chagrin.

« Je viens de commencer, alors elle n’est pas pour tout de suite. »

Craignant qu’on la suspende pour instabilité alors qu’elle avait commencé depuis à peine quelques jours, la rouquine se pressa de poursuivre en observant la Seconde du Capitaine.

« Vraiment, ça va. Je suis bien mieux ici. Je me sens utile et ça, c’est bon pour ce que j’ai. »

La solitude et le temps pour elle, la rouquine ne connaît pas, ça lui fait peur. Se retrouver seule avec ses démons, c’est un passage qu’elle n’est pas encore apte à passer. Elle le sait, pour se reconstruire, elle doit se poser de nouvelles bases et travailler et pour elle le meilleur moins de tirer un trait sur le passé et d’avancer. Elle regarde le mouchoir et l’entortille autour de son index puis reporte son regard dans cet espace sans fin.

« Merci pour le mouchoir. Une chance que vous étiez là… »

Lilith tente l’humour pour dédramatiser et surtout oublier la sensation désagréable qui enserre son cœur.