J'ai une course à faire. (Jez & Enguerrand)

Le pirate se dirige calmement vers la chambre de la nouvellement soularde de capitaine. Déjà un premier point négatif, et il n'est pas spécialement de bonne humeur lui non plus. Il n'a rien contre rejoindre Providence, mais il aurait aimé éviter le voyage malgré tout. Le bon côté des choses c'est qu'il évite une situation conflictuelle, et ça c'est intéressant. Il arrive devant la porte et frappe de sa façon sobre, efficace et nette.

Il a repasser dans sa tête les choses qu'il a lui dire et surtout comment il allait le faire. Il n'est pas vraiment sûr de la bonne méthode pour converser avec elle. De toute façon il n'a jamais été doué pour ça. Alors il hausse les épaules intérieurement. Il verra bien comment les choses se déroulent au final, Il n'est pas spécialement inquiet non plus, il a certes une attache ici, mais elle a aussi un intérêt à le garder proche d'elle.

Il attend donc patiemment qu'elle lui demande d'entrer.

Les jours passent et se ressemblent tous. La monotonie ne m'est pas si désagréable que cela ; à l'inverse, elle peut parfois me sembler réconfortante - comme si elle faisait office d'une illusion particulièrement séduisante : celle que ma vie ne vient nullement de voler encore en éclats. Je ne pleure ni n'ai la force de me sentir triste. En réalité, je me sens seulement vide. Un vide sidéral que je tente de combler comme je le peux. Je regarde la bouteille de whisky, avant de remplir une nouvelle fois mon verre vide. Le cadavre rejoindra les autres éparpillées çà et là. Quelle importance, après tout ? Je songe un instant qu'un tel comportement m'aurait horrifié trois semaines auparavant, et qu'il me laisse aujourd'hui dans la plus totale des indifférences.

Je suis assise sur ce que, parfois, je me plais à voir comme étant mon trône. Face à l'immense baie vitrée qui occupe tout un pan de mur de mon bureau, je regarde le vide qui fait écho à celui que je ressens - mais celui de l'espace est bien plus beau. Lorsque l'on frappe à la porte, je ne daigne point bouger. Je savoure - le mot est bien fort, je suis tout à fait incapable de sentir le goût de ce liquide insipide - une gorgée d'alcool, avant de me décider. Je demeure la capitaine de ce vaisseau.

- Entrez, dis-je d'une voix forte et claire mais plus froide encore que la glace.

Enguerrand entre donc dans la chambre et referme la porte derrière lui. Le spectacle est affligeant, surtout quand on connait la capitaine d'antan. Il déteste les alcooliques, sinon il serait sous les ordres de Conrad Stackborn. Il reste neutre comme toujours en apparence.

- pâle imitation. dit-il en trouvant que sa voix glaciale n'est pas au même niveau que la sienne.

Entre mes mains, je fais légèrement bouger le verre, de telle sorte que le liquide tournoie sans risquer de se déverser sur mes mains - ou pire, sur mes beaux vêtements. Je ne daigne ni me lever, ni même esquisser le moindre mouvement en sa direction. La voix et les mots qu'elle m'offre ne laisse planer aucun mystère quant à l'identité de mon visiteur.

- Que veux-tu ? Je réponds sur le même ton.

Il ne décide de faire au plus simple.

"- je pars." dit-il donc sans préciser la raison et surtout sans dire que c'est temporaire pour le moment.

Il observe la réaction.

Je me fige un instant lorsqu'il m'annonce son départ soudain. Je ne me tourne nullement en sa direction, mais mon regard se pose sur le berceau de Jaeven disposé près de moi. L'enfant dort profondément, indifférent à tout ce qui peut se produire autour de lui. Je porte mon verre à mes lèvres et bois une nouvelle gorgée du liquide ambré.

- Soit, répondis-je simplement dans un premier temps.

L'image de mon fils endormi parvient à me soustraire un léger sourire. Sans déposer mon verre, je tourne enfin mon visage sur le côté, afin d'essayer de l'apercevoir dans mon champ de vision. Ma voix s'adoucit légèrement, quoi que mon ton n'invite nullement à la discussion.

- Aurais-tu l'obligeance de m'en dire davantage ?

Bien sur qu'il va avoir l'obligeance, il est venu pour ça. Il regarde le berceau un instant, mais ce genre de considération n'est pas suffisante pour peser dans sa décision. Par contre cela pèsera dans celle de la capitaine il en est certain.

"- j'ai cherché mes mots un moment, parce que tu es la mère de mon fils, ma capitaine, et quelqu'un de dangereux. Mais j'imagine que chacun possède des compétences particulières, et la diplomatie n'entre pas dans le champ des miennes." commence le pirate... c'est déjà foutrement long comme introduction. "Premièrement je ne sers jamais sous les ordres d'un capitaine alcoolique, sinon autant rejoindre Stackborn. Ensuite mon fils ne devrait pas pâtir de ton chagrin, il n'a pas besoin de sentir les vapeurs d'alcool autour de sa mère. Enfin il faut que je me rende sur Providence pour une opération cybernétique."

Voilà il a tout dit... enfin presque.

"- à mon retour tu auras terminé ton deuil et sa manifestation la plus offensante, ton alcoolisme crasse. achève Enguerrand de Cassagnac. "C'est le père de Jaeven qui parle. Pas le pirate."

Je me fige en l'écoutant parler, peu habituée à ce que l'homme ne se montre si loquace. Cela a pour effet de capter la maigre attention que je suis capable d'offrir en cet instant.

- Eh bien, il est rare qu'Enguerrand de Cassagnac ne fasse autant usage de sa salive.

Je recommence lentement à faire tourner l'alcool dans mon verre. Je prends le temps de me lever, concentrant mon énergie afin de ne point tituber, ni montrer trop de marques de l'emprise que peut avoir le liquide ambré sur moi.

- Ainsi donc, tu pars sur Providence... Eh bien soit. Tu es libre. Cependant...

Je termine mon verre cul sec avant de me tourner enfin en direction de l'homme, cherchant à attraper son regard. Aussi froide que la glace, je m'approche de lui, abandonnant mon verre sur mon bureau au passage.

- ... Je n'apprécie guère le ton que tu emploies pour t'adresser à moi, Enguerrand. Je n'ai d'ordres à recevoir de personne. Mon deuil comme mon goût prononcé pour l'alcool cesseront promptement, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à moi. Nul ne saurait jamais décider de cela ou de quoi que ce soit d'autre me concernant à ma place.

La colère brûle dans mon regard, glaciale.

- Ai-je été suffisamment claire, Enguerrand ?

"- fait ce que tu as à faire. J'en ferais de même." répond le pirate de sa voix neutre et calme.

Il est rare que ce dernier émette un besoin, une envie ou même une exigence autre que de ne pas servir sous les ordres d'un imbécile. Généralement les choses personnelles n'entrent jamais en ligne de compte car en fait tout ce qui lui importe c'est sa survie et son art de l'épée. Sauf qu'il a un fils désormais, et que ce dernier ne sera pas élevé par une alcoolique dont la famille est réputée pour avoir un tempérament erratique.

Ces mots sonnent donc comme une promesse, le genre de promesse qu'il fait rarement, voir jamais. Le genre de promesse qui ferait froid dans le dos de n'importe quel être vivant. Elle est sans aucun doute la capitaine la plus terrifiante qu'il n'est jamais rencontrée... mais il reste le bretteur le plus mortel qu'elle n'est jamais rencontré.

Je soutiens son regard de longues secondes durant. Je suis encore trop lucide pour ignorer la menace qu'il représente. Néanmoins, je ne songe point qu'il assassinerait la mère de son fils ; et s'il venait à le faire, il n'en sortirait lui-même pas vivant. Il prendrait certainement la vie d'un nombre important de mes hommes, mais j'ai suffisamment confiance en leurs compétences pour savoir qu'il n'en réchapperait point. Je suis bel et bien d'avis de ne nullement avancer aussi loin sur le chemin du déraisonnable. Aussi, même si je ne suis point assurée que le sens de ses mots me conviennent, je décide de comprendre le sens qui saura apaiser quelque peu ma colère : je m'occupe de mes propres affaires, et lui des siennes. Mon ton n'est point plus avenant pour autant.

- Bien.

Précisément à cet instant, comme si notre fils avait pu être conscient de la tension présente dans la pièce, il se réveille et se met à pleurer. Je détache mon regard d'Enguerrand, me détourne de lui et m'avance en direction du berceau de Jaeven. Je prends tout de même le soin de surveiller mes mouvements, afin de conserver une démarche aussi droite, fière et élégante que possible. Je fais également attention lorsque je prends mon fils entre mes bras, et je n'ai d'yeux que pour lui alors que je m'adresse à nouveau à Enguerrand.

- Désirais-tu t'entretenir avec moi pour d'autres raisons, ou as-tu terminé ?

Les autres affaires ne le concernent pas. Il y a des tas de choses qui ne lui conviennent pas vraiment, mais ce n'est pas lui le capitaine et il n'est pas vraiment un bon juge dans ces autres domaines. Sauf peut-être la nouvelle tête brûlée, elle va faire tuer des gens autour d'elle en restant à l'abordage, ce qui le dérange un peu sur le principe. Il aura un entretien avec le maitre d'abordage pour que ce dernier prenne en compte les difficultés liées à la flamboyante et impulsive jeune femme.

- non. Fait ce qui est le mieux pour notre enfant. Pour le reste il ne m'appartient pas de m'en mêler. dit-il alors.

Sous entendu qu'il se mêlera de ce qui concerne son fils, qu'elle le veille ou non.

Tout en berçant mon fils contre moi, je vais chercher un biberon de lait maternel que j'ai pris le temps de tirer lorsque j'étais sobre. A peine ai-je mis la tétine devant son visage, en murmurant des mots rassurants à son égard, qu'il se met à téter avec une vigueur rassurante. Je lui offre mon attention encore quelques secondes, avant de relever les yeux en direction du père de l'enfant.

- J'attends effectivement de toi que tu te mêles de ce qui concerne notre fils. S'il en avait été autrement, tu ignorerais encore son existence. Je souhaite que Jaeven grandisse avec ses deux parents, puisque cela est possible. Il est donc appréciable que tu te soucies de son bien-être.

Je poursuis des mouvements lents et rassurants, usant de ma concentration pour ne point risquer de choir. Je décide finalement de rejoindre lentement l'un des fauteuils présents dans mon bureau. Ainsi, je puis serrer mon fils contre moi d'une manière bien plus confortable.

- Cependant, si je ne saurais déjà nullement apprécier que tu puisses questionner ma légitimité de capitaine, je n'apprécierais encore moins que tu mettes en doute mes capacités à être une mère. Est-ce ce que tu essaies de faire, Enguerrand ?

"- j'ai rien à dire à la capitaine. Et je suis le père, je sais ce que les alcooliques finissent par faire à leur famille. Ca n'arrivera pas à notre fils." explique Enguerrand toujours dans les mots directs. Il n'en dérogera pas. Elle est la mère et il a le devoir de lui dire quand elle fait n'importe quoi vis à vis de son fils. Vice versa.

Mon regard se fait dur à nouveau.

- Ma propre mère a été alcoolique durant la fin de sa vie. Je ne traiterai jamais mes enfants comme elle a pu me traiter, sifflé-je entre mes dents. Ce n'est pas toi qui m'apprendra à être une bonne mère.

A nouveau, Jaeven s'agite entre mes bras, certainement trop réceptif à ma colère. Je m'apaise lorsque je le regarde et le berce contre ma poitrine.

- Tout va bien mon ange, shhhh. Papa et maman ont une discussion d'adulte, ce n'est rien, shhh...

L'enfant reprend la tétine du biberon dans sa petite bouche et je ne le quitte plus guère des yeux, adoucie.

"Je suis un mauvais père... ça ne m'empêche pas de noter les comportements qui ne correspondent pas. Mais comme tu veux. Par contre ... je en veux jamais entendre la moindre remarque concernant mon comportement en tant que père." lâche Enguerrand de sa voix neutre.

"Je reviendrais plus tard dire au revoir à notre fils. Quand je serais d'une humeur plus adoucie." signale le pirate en se dirigeant vers la porte.

- Tu entendras des remarques quant à ton comportement si jamais ta conduite venait à faire souffrir notre fils, répliquai-je simplement, sans lever mon regard en sa direction.

Je ne cherche nullement à le retenir. Je suis prise de vertiges, mon esprit est embrumé. Je suis en colère, également. Peut-être davantage contre moi-même que contre lui. Puisque je sais qu'il a tout à fait raison. Je sais que mon comportement n'est point digne de la mère que je voudrais être pour mon fils. Mais à cet instant, rien ne compte davantage qu'essayer de combler le vide sidéral que je ressens. Je ferai certainement n'importe quoi simplement pour éprouver une émotion. Avec tout l'alcool que j'ai pu ingérer aujourd'hui, j'y parviens. Cette colère est une victoire, à l'instar de la douce mélancolie qui s'installe à présent. Un léger sourire naît sur mes lèvres.

"- vice versa mama Jezabel, vice versa." dit-il en souriant légèrement alors qu'il prend la porte de sortie. Le message est passé et normalement elle l'aura bien compris. La manière serait sans doute à peaufiner légèrement la prochaine fois. Mais l'important c'est le résultat.

Je choisis d'ignorer sa remarque. Après tout, il est certain que l'intérêt qu'il montre à la situation est une preuve qu'il s'implique en tant que père. N'était-ce point ce que je souhaitais ? Lorsque Jaeven termine son biberon, je le berce un moment contre moi afin de le faire digérer, puis, je m'en vais le recoucher. Je me rassieds dans mon fauteuil près de lui, comme s'il ne s'était rien passé. J'ouvre une autre bouteille - de vin rouge, cette fois-ci - et remplis mon verre avant de le porter à mes lèvres.

Il s'éloigne donc, satisfait d'avoir fait passer son message et en espérant que son fils ira bien à son retour. En attendant il va lui falloir patienter et prendre le temps de s'acculturer à son cyberware quand il l'aura. Ca a prendre un peu de temps.