[Flare] Cours 101 [Keli]

Roosevelt jeta un coup d’œil aux données numériques qui défilaient devant ses yeux ; la maintenance se déroulait sans anicroche. Aucun problème n’était à signaler, ce qui l’agaçait légèrement. Il avait besoin de casse-tête pour nourrir sa matière grise, mais si tout était dans les normes, sans aucune imperfection, qu’avait-il donc à faire sinon fixer des chiffres et des codes qu’il connaissait par cœur ? La maintenance constituait une part intégrale et prenante de son quotidien. S’il n’y avait pas de droïde qui rentrait de « mission », qu’il n’y avait rien à réparer, cette routine s’installait, et la maintenance se passait dans le calme plat avec des collègues dont il peinait à retenir les visages et les noms.

Un soupir discret lui échappa, tandis qu’il porta son regard bleu sur son collègue du jour, ou plus précisément sur les jambes du jeune homme, et qu’il laissa ses pensées vagabonder sur des problèmes plus complexes et les réponses appropriées à mettre en application dans telle ou telle situation. De longues minutes passèrent dans lesquels il ne dit rien, ses yeux immobiles, et puis, dans le pêle-mêle de sa tête, une pensée lui traversa l’esprit. Quelques mois s’étaient écoulés depuis son arrivée au Flare, et il n’avait toujours pas trouvé quelqu’un pour lui apprendre les bases du combat ou plutôt, de l'autodéfense. Il s’était promis d’au moins apprendre à donner un coup de poing potable, et possiblement, un coup de pied aussi. Il lui fallait quelqu’un pour lui enseigner, car en cas de combat, il ne pourrait pas nécessairement se cacher derrière les droîdes de combat, et ainsi lui vint-il à l’idée de demander à son collègue :

- Savez-vous vous battre ?

La question sort de nulle part. Tu es penché sur F-02-1, dit “Grincheux”, pour sa maintenance mais tu lèves les yeux vers l’ingénieur spécialisé.

- Oui ?

Le tournevis revient à sa place, la maintenance est mise en pause deux secondes.

- Raisonnablement. J’ai fait mes classes, j’ai appris à me battre comme tous les autres.

C’est curieux, comme question. Qu’est-ce qu’un contractant peut bien vouloir faire de tes capacités -en somme toutes très moyennes- en combat ?

- Pourquoi est-ce que ça vous intéresse ?

Sans réellement porter attention au jeune homme, Roosevelt avait posé la question. D’un coup d’œil machinale, il le détailla de haut-en-bas. Il n’avait peut-être pas demandé à la bonne personne ; le blond n’avait pas la carrure d’un grand combattant, même lui paraissait plus imposant ! Mais Roosevelt n’avait pas tendance à juger le livre par sa couverture, et si son collègue avait fait ses classes, il avait déjà une base que lui ne possédait pas.

- Êtes-vous capable d’enseigner ? demanda-t-il dès qu’il eut une réponse positive.

Pourquoi posait-il la question ? Ça lui semblait logique. Il prit toutefois la peine d’articuler ce qui lui trottait dans la tête. Enfin. La moitié.

- Je n’ai aucune connaissance pratique du combat. La théorie laisse aussi à désirer.

Il n’en ajouta pas davantage, trouvant qu’il avait donné suffisamment d’information pour exposer son idée, et la demande sous-adjacente qui l’accompagnait.

Serait-il en train de te demander un cours de combat… ?
A toi.
Keli Lennox, soixante kilo tout mouillé, doté de l’intimidante carrure d’une brindille.
Voilà qui est imprévu. Et presque drôle, à bien y réfléchir. Tu ne te serais jamais attendu à ce que tes prestations acceptables en entraînement puissent devenir un motif suffisant pour te transformer en professeur improvisé.

- Je peux vous apprendre quelques bases, si c’est ce que vous demandez. Je ne peux pas faire de vous un maître en art martiaux, par contre, il faut que vous le sachiez.

Reprenant ton tournevis, tu viens de nouveau te draper autour de l’épaule de F-02-1 pour atteindre la vis trop serrée qui l'empêche de bouger convenablement.

- Je finis mon service dans une heure. Si vous voulez que je vous montre la différence entre un coup de poing utile et celui qui vous cassera la main, je serais libre pour le faire.

Hochant la tête, Roosevelt clarifia ses attentes.

- Ce n'était pas mon intention, je vous assure. Ça empièterait bien trop sur mon temps, et probablement sur le vôtre aussi.

Il ne voulait que les bases, histoire de dire qu'il ne dépendait pas uniquement des droïdes et des autres pour se défendre. Il était quand même sur un vaisseau militaire. S'il ne s'intéressait pas aux guéguerres des autres, ça ne voulait malheureusement pas dire que les conflits ne viendraient pas à lui. Autant prendre ses précautions en bon adulte responsable. Et ça restait très logique de demander ce service à une crevette, du moins, à ses yeux.

- Je suis libre aussi, donc c'est parfait.

Aussitôt, il reporta son attention aux données numériques, vérifiant l'état global des circuits et des connexions entre l'I.A. et la mécanique du robot.

- Parfait alors.

Et retour à “Grincheux”, sa vis récalcitrante, ses articulations à huiler, sa petite tête de bon droïde à tapoter discrètement à la fin de l’entretien.

Une heure et trois minutes plus tard, très exactement, tu finis de ranger ton matériel dans sa boîte. Une dernière inspection des plans de travail et tu viens retrouver Melbourne. Il ne sait peut-être pas où est la salle d’entraînement. Peut-être même n’a-t-il jamais mis les pieds dans un combat ? Tu préfères prendre les devants.

- Vous devriez vous mettre en tenue de sport et vous assurer de ne pas porter quelque chose qui vous blesserait pendant un combat.

Tu tires légèrement la langue pour montrer ton piercing en guise d’exemple.

- Comme ça ou des bagues.

La maintenance terminée, Roosevelt éteignit l'interface après avoir jeté un dernier coup d'œil aux données. Satisfait, il hocha la tête, avant de reporter son attention sur son collègue. Battant des cils à sa recommandation, il avoua :

- Je n'ai pas de tenue de sport.

Ses exercices quotidiens, il les faisait généralement en caleçon ou en pantalon dans sa cabine. Il ne cherchait qu'à garder une bonne forme ; il était tombé une fois dans les pommes à cause d'une santé négligée, et il avait retenu la leçon. Quoiqu'il n'avait pas l'intention de devenir monsieur muscle.

- Je n'ai ni piercing ni bijou, dit-il en remuant les doigts d'une main sous le nez de la crevette blonde. Et vous ? Vous comptez le retirer ?

Il demanda en désigna la bouche du jeune homme de l'index.

Pas de tenue de sport. Tu mets monsieur Roosevelt dans la catégorie “patate de canapé” à cet aveu et espère silencieusement que son pantalon supportera une séance de sport. Toi tu as un uniforme fait pour, mais lui… C’est son propre problème. Tout comme ton piercing est ton soucis.
Que tu règles assez vite en tirant la langue et en dévissant la boule. C’est l’affaire d’une seconde, pas plus, et tu mets le bijou dans une poche.
Langue tendue pour montrer l’absence de barre.

- Oui. Je tiens à avoir une langue entière.

Il a suffi d’une menace d’un instructeur pour te convaincre de ne jamais, au grand jamais, tenter d’entraînement sans préparation préalable. Il avait parlé d’oreilles en lambeaux, l’imagination avait fait le reste.

- Si vous êtes prêt je vous montre la salle de sport. Il y aura peut-être des tenues pour vous à disposition.

Un instant, Roosevelt se demanda comment il comptait perdre sa langue dans un combat. S'il ne la tirait pas, c'était plutôt difficile d'arracher son piercing. Quoiqu'il semblait tirer sa langue assez fréquemment. Il ne dit toutefois rien, se contentant d'acquiescer.

- Je vous suis, dans ce cas.

Il lui emboîta le pas jusqu'à la salle de sport, notant le chemin dans un recoin de sa tête. Jusque là, il n'avait gardé en mémoire que les principaux endroits où ils se rendaient quotidiennement, c'est-à-dire la pièce dédiée aux droïdes et sa cabine.

D'une manière ou d'une autre, il réussit à mettre la main sur une tenue de sport. Vieillotte, elle respirait la mocheté. Mais Roosevelt s'en moquait, tant qu'elle faisait l'affaire, et le débardeur gris délavé l'empêcherait de crever de chaud. Sans son uniforme sobre, sa musculature fine, bien ficelée, se révélait, trahissant son entraînement quotidien. Il ne mettait pas les pieds dans une salle d'entraînement, car il trouvait qu'il y avait suffisamment d'exercices à partir de sa cabine, et que son propre poids était bien suffisant.

Tu le guides jusqu’à la salle de sport où tu peux faire la démonstration de la préparation la plus rapide du monde : tu enlèves juste le haut de ton uniforme pour ne garder que le t-shirt noir en dessous.
Voilà.
C’est tout.
Il n’y a rien de plus à faire que d’attendre monsieur Melbourne.
Il s’avère être plus musclé que l’ingénieur moyen, comme s’il faisait du sport en secret. Tu fais du coup vraiment tige à côté de lui, avec ton absence totale de définition musculaire, tes coudes osseux et tes longs doigts fins.
Ceux que tu lèves pour faire une cible au niveau de ton épaule.

- Frappez ma main ? S’il vous plaît. Je voudrais voir ce que je dois commencer par vous montrer.

Frapper une main ne devait pas être une chose difficile. Un poing dans une paume. Et pourtant, Roosevelt réussit à tout faire de travers, à commencer par un poignet cassé. Certes, il ne frappa pas assez fort pour briser l'os, mais juste assez pour que ce soit douloureux. Et avec son mauvais élan, ses gestes trop larges et ses jambes mal placées, bien droites, il perdit aussi l'équilibre, tombant sur la brindille blonde.

- J'imagine qu'on est pas supposé tomber. Et pardon.

La coordination, ça n'avait jamais été son point fort. Même ses exercices quotidiens, il se contentait des plus simples. Pompes, redressement assis, course sur place – s'il utilisait la corde à danser, il embrassait le plancher. Puis, il y avait ceux d'étirement et d'endurance. Mais rien de compliquer qui nécessitait de coordonner ses jambes et ses bras. Il avait sa place dans un labo, pas dans une salle d'entraînement. Ça, il l'avait compris depuis belle lurette ; il était un empoté. Du moins, quand ça ne concernait pas les droïdes ou la cybertechnologie.

Quelles étaient les chances pour qu’il soit aussi maladroit, qu’il soit bien pire que toi ? Presque nulles, n’est-ce pas ? Et pourtant. Tu réceptionnes l’ingénieur avec un petit bruit d’étonnement, manquant de tomber avec lui mais réussissant à rester sur tes pieds presque par miracle.
Il va falloir commencer du niveau zéro. Non, du niveau moins dix.

- Ce n’est pas grave...

Tu le pousses très doucement sur ses pieds et lui laisse le temps de se remettre de ses émotions en réfléchissant.

- Essayez de simplement… Rester debout en position de défense.

Tu viens lui prendre les poignets pour lui montrer la position en question : bras en garde croisée devant lui, coudes bien rentrés.

- Je vais vous pousser et vous devez simplement rester debout, d’accord ?

Le blondinet était plus solide qu’il n’y paraissait. Même Roosevelt s’étonna qu’il ne se brise pas sous son poids, et qu’en prime, il reste sur ses deux pieds. Ça le confortait dans son choix.

Se laissant repousser sans broncher, il se tint droit face à son collègue, puis hocha la tête à la suite de ses directives et se plaça comme il lui indiqua. Si ses coudes étaient bien placés – tant qu’il ne bougeait pas ses bras –, ses jambes, elles, n’étaient pas assez écartées, ni même pliées, et lorsqu’il le poussa, il ne résista pas bien longtemps avant de perdre l’équilibre et de tomber sur les fesses. Il eut le réflexe de mettre ses mains vers l’arrière pour amortir la chute ; une vive douleur dans ses poignets en résulta, lui arrachant une grimace. Il était mal tombé.

Sans se plaindre, il se releva avec maladresse et attendit la suite, muet.

Ah.
Niveau moins vingt, plutôt.
Très bien, très bien. Tu lui laisses le temps de se relever, évitant poliment de mentionner la grimace faite lors de la chute. Tu te doutes qu’il a eu mal. Ce n’est juste pas très urbain de se moquer.

- Vos jambes.

Tu lui montres l’idée en te mettant en garde : les jambes souples, le centre de gravité bas, les épaules bien en avant pour être le plus stable possible.

- Il faut que vous soyez le plus près du sol pour mieux tenir. C’est…

Ah ! Tu as l’illumination sur comment expliquer à un ingénieur.

- Les jambes des droïdes. Il faut que les articulations plient bien pour qu’ils restent stables, il faut qu’ils accompagnent le mouvement pour leur équilibre. Est-ce que vous voyez ?

Instinctivement, Roosevelt jeta un coup d'oeil aux deux pâtes molles qui lui servaient de jambes, puis imita son compère. Il plia les genoux, écarta les jambes et maintena son buste en bonne position - ses coudes ne suivirent pas le mouvement. Il se concentrait sur ses jambes, et il en oubliait ses bras. Pendant un instant, il se retrouva même trop près du sol et la position fut difficile à garder jusqu'à ce que le blondinet lui mentionne les droïdes. Là, un éclair de lucidité sembla le foudroyer. Il se rendit toutefois compte qu'il était plus facile d'insérer les algorithmes dans l'I.A. que dans sa propre tête.

Un cas désespéré. Mais il tenait bon et tentait d'appliquer à la lettre les explications. Et l'image des droïdes aidaient drôlement bien.

- Je pense que je devrais tenir en équilibre maintenant, dit-il sans grande conviction et de cette expression impassible qui rappelait celle d'un robot.

Dans sa position, il ne tomberait pas, certes, mais il ne serait pas non plus en mesure de se défendre de ses bras et de ses mains. Du moins, dans un intervalle respectable.

Tu as décidé de commencer par le niveau le plus bas d’entraînement, c’est la raison pour laquelle tu ne fais aucune remarque sur les bras de l’ingénieur. Ils sont aussi inutiles que des vis sans tête mais ils ne risquent pas de le blesser. C’est déjà mieux que rien.
Alors tu t’avances. Tu rentres dans son espace sans animosité aucune, même pas en position de combat, pour l’observer une seconde.

- Attention.

Et tu pousses. Pas vraiment fort, plus sèchement qu’autre chose, tu pousses sur ses pectoraux pour le déséquilibrer. Pour voir s’il a compris.

Roosevelt hocha la tête pour signaler qu'il était prêt, et cette fois, il ne tomba pas. Un peu désiquilibré, son buste bougeant d'avant à l'arrière avant de finalement se stabiliser, mais ses jambes tinrent bon et il n'embrassa pas le plancher qui lui faisait de l'oeil.

- Hm, la position est solide, mais désagréable aux chevilles et demandante aux muscles des cuisses, qu'il commenta, fronçant les sourcils comme s'il cherchait une réponse à un problème d'ordre capital.

Son expression à la fois concentrée et sérieuse était presque commique ; sourcils froncés, nez légèrement plissé et lèvres pincées.

- Le combat est un sport comme les autres. Il faut un entraînement pour supporter l’effort.

Ta réponse est si factuelle que le haussement d’épaules que tu te retiens de faire est presque audible. Bien sûr que la position est désagréable. Elle n’est pas faite pour être confortable.

- Et les passes ne durent jamais bien longtemps, vous n’aurez pas à la tenir plus de quelques minutes.

Cette fois c’est du pied sur sa cuisse que tu pousses, avec un peu plus de force. Tu es très loin de pouvoir envoyer quelqu’un voler d’un seul coup -ta morphologie n’est pas faite pour ça- mais il y a tout de même de quoi déséquilibrer quelqu’un qui ne s’y attend pas. Tu veux voir sur monsieur Melbourne arrive à s’adapter.