La malédiction du père-du [Dayanara & Jezabel]

Mes attaques fusent, et puisque nous ne jouons plus, je note qu'elle se défend tout à fait convenablement, sans pour autant faire le poids face à moi. Enfin, après quelques joutes endiablées, elle quémande la reddition, laissant tomber ses lames à terre. Essoufflée, je cesse le combat, et lui lance un regard menaçant et lourd de sens et qui n'autorise aucune forme de discussion. Je prends le temps de ranger mes lames d'un mouvement souple des poignets, et je m'approche d'elle, droite, fière, intimidante.

- Je ne veux plus jamais t'entendre dire que je suis vieille, ni faire une quelconque allusion à mon âge. Suis-je bien clair, Dayanara ?

Dayanara se tend, sentant avec honte un frisson remonter le long de son dos, fébrile. L'autre est impressionnante dans sa rage froide. Elle doit combattre pour ne pas baisser le regard au sol et courber l'échine. L'ensemble de son corps est crispé et elle se rend compte un peu tard que la Alvarez attend une réponse.
- Limpide, Capitaine Alvarez.

Le ton porte une touche de solennité, il y a dans ce mot la portée d'une déclaration et d'une reconnaissance tacite. Elle tient dorénavant Jezabel en haute estime, reconnaissant de pleine cause ses aptitudes, au combat autant qu'au commandement. La pirate en elle a reconnu la légitimité de sa position.

Je demeure un instant en cette position, la fixant intensément. Finalement, je m'estime satisfaite et hoche la tête.

- Bien. Par conséquent, je considère l'incident comme étant clos.

Je m'éloigne d'elle, défroissant mes habits déjà parfaits.

- Que diriez-vous de venir boire un verre en ma compagnie dans cette même taverne que nous venons de quitter, afin que nous discutions les termes de votre contrat, Mademoiselle de Aguirre ?

Dayanara ne peut empêcher un soupire soulagé alors que la femme se détourne d'elle, la tension de son corps se relâchant instantanément. Elle ramasse ses deux épées échouées au sol et les range soigneusement dans leurs fourreaux, toujours un peu hébétée par les précédents évènements.

Roulant des épaules pour les détendre, elle hoche la tête en direction de Jezabel, un peu surprise. "Les termes du contrat ?". Les deux seuls navires où elle ait embarqué ne s'étaient pas encombrés de ce genre de détails ... Le premier pour ses activités quelque peu illicites -tout était sujet à contrebande visiblement, même les barres de nutrisoja- elle n'avait eu qu'à insister un peu pour y monter comme mousse, sans que son nom soit noté dans les registres.
Quant au second ... Le capitaine s'était laissé attendrir, certainement, en plus d'haïr la paperasse et les formalités.
- Je vous suis.

Nous pénétrons donc à nouveau dans la taverne, et je regagne la place que j'avais choisi en arrivant la première fois. La table a été débarrassée et nettoyée. Les épaules droites, je croise élégamment les jambes sous la table, invitant la jeune femme qui me suit à prendre place en face de moi. D'un geste de la main, j'héle le tavernier, qui ne se fait nullement prier pour accourir.

- Je prendrai un thé, s'il vous plait, Monsieur. Mademoiselle de Aguirre ?

Je redresse la tête en sa direction, attendant qu'elle fasse son choix. Lorsque cela est fait, je pose mes mains à plat sur mes cuisses.

- Bien. Vous avez déjà fait partie d'un équipage, n'est-il pas ? J'imagine que vous êtes, par conséquent, familière avec le Code ?

La jeune fille est confrontée à un dilemme, elle n'arrive pas très bien à sonder les réactions ou la personnalité de la personne qui lui fait face. Elle se sent observée et examinée sous tous les angles, et a d'autant plus peur de commettre un impair par ses choix. Elle relève la tête vers le tavernier d'un air décidé :
- La même chose s'il vous plait.

Solution de facilité, et de sécurité. Le rhum ne semble pas être la boisson de prédilection de son nouvel employeur. Elle penche la tête sur le côté, la moue pensive, à la question de Jezabel.
- Ouais, mais ... Le capitaine était pas très porté sur le code, j'crois bien. Moi j'le connais dans les grandes lignes, j'pense ! Respect et obéissance au capitaine, pas de castagne à bord ... Tout ça c'est évident. Les bases quoi. Après le reste ... C'est de l'instinct. Comment y disent ... "du bon sens", voilà.

Je souris à peine à l'entente de la commande, sans moquerie aucune. J'ignore où cette jeune femme va me mener, cependant, je ne doute nullement de ses talents et de ses capacités à me surprendre. Elle en a déjà montré suffisamment lors de notre petit face à face, et je sais d'instinct qu'elle n'a point montré tout ce dont elle est capable.

Je l'écoute attentivement lorsqu'elle m'énonce les parties du code qu'elle semble connaître, tout du moins, de manière approximative. J'hoche finalement la tête, bien que je sois peu convaincue. Elle apprendra, et elle ne sera pas la première à le faire ni la dernière, bien entendu.

- Bien. Les jeux d'argent sont également proscrits, et votre part des butins sera à partager avec les autres membres de l'équipage. Cependant, bien que je ne boive pas d'alcool par pur principe personnel, je n'interdis jamais à quiconque de boire, tant qu'il demeure capable d'honorer ses fonctions. Si vous désirez du rhum plutôt que du thé, faites donc.

Un léger sourire amusé reviens sur mes lèvres ; néanmoins, il disparait presque aussitôt, remplacé par un air sérieux et solennel.

- Vous devez savoir tout autre chose, quant à ma façon de fonctionner. J'ai pour habitude d'accorder ma confiance avec une relative simplicité. Cependant, un seul faux pas suffit pour que vous la perdiez à jamais. Les secondes chances n'existent guère ; vous êtes libre de faire vos choix, et vous en assumerez les conséquences, quelles qu'elles soient.

Dayanara se ratatine sur sa chaise, mortifiée et, de toute évidence, démasquée. Ca lui apprendra à vouloir jouer la dame. Mais elle aimerait autant ne pas commettre plus de faux pas avec le Capitaine Alvarez qu'elle n'en a déjà commis quelques minutes plus tôt ... Elle hoche la tête à chaque énonciation, approuvant silencieusement et retenant les informations.

On pose deux tasses vides devant elles avec une petite théière, qu'elle fixe distraitement, se perdant dans sa réflexion. Sa confiance hein ... Est-ce que la série de mensonges éhontés qu'elle va devoir fournir seront considérés comme une trahison ? Les raisons qui ont motivé sa demande, son lien avec Enguerrand, son identité même ...
Tout est un tissus de mensonge qu'elle va devoir soigneusement dissimuler pour le bien de ses objectifs. Elle sera certainement découverte, et ça s'approche de la certitude. Elle espère juste avoir le temps de se rapprocher suffisamment de son père ...
- Je comprend. Je ne vous décevrais pas, Capitaine Alvarez.

- Bien. Je suis une femme exigeante, cependant, cela n'est jamais que pour offrir le meilleur au Némésis ainsi qu'à mon équipage. Je sais me montrer bienveillante et généreuse en vers ceux qui me sont loyaux. Quant à ceux qui me trahissent, eh bien... Ils n'ont, en règle générale, nullement l'occasion de réitérer leur déloyauté.

J'attrape la théière et verse l'eau délicatement dans sa tasse, puis la mienne.

- Je ne dis point tout cela pour vous effrayer, ni pour vous faire douter. Vous méritez votre place sur mon établissement, et je suis ravie de vous accueillir. Cependant, je suis une femme de parole, et j'ai pour habitude d'être aussi transparente que possible quant à mes intentions. Cela vous laisse votre liberté et votre libre arbitre.

Pensive, j'hoche la tête.

- Bien évidemment, vos histoires personnelles ne m'importent en rien, tant qu'elles ne nuisent jamais de près ou de loin au bon fonctionnement du Némésis. Pour cela, je garderai un œil sur vos affaires avec Monsieur de Cassagnac, afin de m'assurer que rien de négatif n'en découle. Pour le reste, vos seuls devoirs sont, comme énoncé précédemment, respect du code et du contrat qui sera le vôtre. En parlant de contrat, possédez-vous un h-com ?

Je sors le mien, et y fait apparaître un contrat pré-rempli pour un membre de l'abordage, prête à le transférer sur le h-com de Mademoiselle de Aguirre afin qu'elle y appose sa signature.

- Evidemment, si vous avez la moindre interrogation, je suis toute ouïe.

Dayanara déglutit, suivant tant bien que mal les consignes et menaces à peine voilées qui assurent l'intransigeance de la femme lui faisant face. Elle approche la tasse de ses lèvres et boit une gorgée prudente, retenant la grimace de dégout. De l'eau chaude avec un gout de feuille. Grandiose. Voilà qu'il la convainc de rester au rhum.

Elle sourit doucement en entendant Jezabel. "Vous méritez votre place". Pour une quelconque raison, ces mots lui réchauffent le coeur. Elle se rembrunit légèrement à l'entente de la suite. Surveiller ses affaires avec Enguerrand ? Elle n'y voit pas de problèmes tant que l'autre ne l'empêche pas de se rapprocher de son père.

Elle doute un moment des sentiments de la femme à ce sujet. Ressentirait-elle de la haine envers Dayanara si elle apprenait que le père de son fils avait eu une enfant illégitime, avant son propre enfant ? Serait-elle une femme jalouse ? Sa fierté ne cacherait-elle en fait qu'une malsaine possessivité ? Dayanara n'a pas fini de s'en méfier mais hoche cependant la tête, docile.

Un léger rougissement apparait sur ses joues quand l'autre sort son h-com, sortant prudemment le sien de sa poche.
- Hmm ... Oui j'en ai un.

Elle l'a acheté quelques semaines plus tôt pour une poignée de crédits et peine encore à faire marcher cette chose plus vieille qu'elle. Le machin doit faire parti de la première génération de h-com, au moins. Elle n'avait pas les moyens pour plus.
- Ca me semble clair ...

Après avoir recueilli les coordonnées de Mademoiselle de Aguirre, j'envoie le contrat sur son H-com. Je prends alors le temps de savourer une gorgée de thé, lui laissant le temps de lire le contrat si elle en ressent le besoin.

- Soit. Si, toutefois, des questions vous venaient à l'esprit, je serai ravie d'y répondre. A bord, vous pourrez également vous adresser directement au Maître d'Abordage, au Quartier Maître, ou bien à ma Seconde. Le contrat ci présent est pour une première durée de six mois. Si je m'estime satisfaite de votre travail, et si vous êtes satisfaite de votre poste, nous le renouvellerons pour une durée indéterminée. Une rupture de contrat passe obligatoirement par mon biais, et doit se faire selon les règles énoncées, au moins dix jours avant la fin effective.  

Je bois une nouvelle gorgée de cette succulente boisson.

- Lorsque vous aurez signé, nous nous rendrons sur le Némésis, afin que je vous présente les lieux.

J'offre un demi-sourire à la jeune femme.

- Et... Avec un peu de chance, Monsieur de Cassagnac devrait être à bord.

Il l'est certainement, avec Jaeven. Si non, elle ne devrait guère tarder à le rencontrer, et je conserverai un œil sur la situation. Je ne suis point inquiète pour Enguerrand, évidemment. Le suis-je pour cette enfant ? Peut-être.

Dayanara se force à tremper ses lèvres dans la tasse de thé, si ce n'est pour apprécier le breuvage, au moins pour donner illusion. Elle sent l'appréhension autant que l'excitation doucement grimper en elle. Elle hoche la tête distraitement en se disant que c'est ici que tout commence, que tout se joue.

Elle survole le contrat du regard, globalement il reprend tout ce que la Alvarez a déjà dit. Elle s'applique tout de même à ne pas le lire en diagonal, se concentrant sur les clauses et spécificités. Autant faire les choses bien, cette fois.
Elle signe d'une main sûre le document sur son h-com, appuyant un peu trop fortement sur l'écran abimé. Cette signature est la première étape de son nouveau parcours. Et c'est foutrement excitant, même si totalement intimidant.

Elle répond doucement au sourire de son Capitaine, rangeant le h-com dans sa poche arrière.
- J'ai hâte de découvrir l'équipage et votre vaisseau, Capitaine.

La jeune pirate a une pensée pour une certaine adolescente qui sera certainement surprise de la voir à bord. Elle a hâte de la revoir. Jillian était bien la seule amie qu'elle se soit fait depuis ... Bien trop longtemps.

La jeune fille prend le temps de lire le contenu du contrat ; cela me convient tout à fait. Je n'ai nullement pour habitude de dissimuler quoi que ce soit à mes subordonnés. Outre mon horreur pour le mensonge et les secrets - ironique, n'est-il pas ? - le risque de soulever quelque mécontentement que ce soit par le biais de pratiques malhonnêtes est bien trop important. Je n'oublie en rien que, si mon équipage m'a élue il y a près de vingt ans de cela, ils possèdent le pouvoir tout aussi légitime de me destituer s'ils se mettent à songer que je ne suis plus guère à la hauteur.

Je prends le temps de terminer ma tasse de thé, tandis qu'elle lit, puis signe son contrat. Je me vois dans l'obligation de revoir mon programme, et mes précieux dossiers ont désormais disparu dans mon sac. Je les étudierai donc au sein de mon vaisseau, lorsque Mademoiselle de Aguirre en saura davantage quant à son nouveau lieu de résidence. Je me promets intérieurement de prêter particulièrement attention à ses agissements futurs ainsi qu'à la qualité de son intégration au sein de l'équipage.

- Bien. En ce cas, allons-y. J'espère que vous vous plairez parmi nous.

Je règle la note pour nous deux, replace mon tricorne sur ma tête et nous sortons ; cette fois-ci, nous prenons la direction du port de l'astéroïde, là où le Némésis, majestueux et puissant, dort en attendant notre retour parmi les étoiles.

Dayanara demande une dizaine de minutes à l'autre femme pour aller récupérer ses affaires à l'étage de la taverne, où elle séjournait temporairement. Elle redescend avec un petit balluchon qui semble bien dérisoire alors que supposé contenir toute sa vie.
Après un bref hochement de tête vers son Capitaine, elle emprunte son pas, un peu gênée de la voir payer son thé mais pas plus vexée que ça. Ses récentes dépenses en matière de logement ont sérieusement entamé son budget déjà maigre. Elle se réjouit d'autant plus d'avoir signé ce contrat qui lui permettra peut être enfin un peu de confort.

Elle est silencieuse sur le trajet jusqu'au port, pensive et, à sa grande honte, plutôt craintive quant à la suite des évènements. Le "Gladios" comprenait une flopée de vieux roublards qui s'étaient contentés d'un haussement de sourcil et de quelques grommèlements en voyant la petite minette monter à bord. Rapidement elle avait été intégrée comme partie de l'équipage, plus en tant que mascotte et de petite soeur qu'en tant que "camarade". Elle se rendait compte qu'elle ne connaissait que peu de choses de la vie sur un vrai navire, surtout aussi important que le Némésis.

Dans sa tête tournent des centaines de questions ... Enguerrand .. Jillian ... Ses premiers pas sur le Némésis vont être animés. En arrivant aux abords de l'immense Frégate, elle s'arrête un instant, l'oeil quelque peu brillant. Admirant l'ampleur de ce dans quoi elle s'engage, de ce qui sera sa maison dorénavant.

Je lui accorde le temps nécessaire afin qu'elle rassemble ses affaires. Sa motivation me fait chaud au cœur. J'ose espérer qu'elle ne me laissera jamais l'opportunité de regretter son admission à bord. Nous marchons en silence. Je suis préoccupée par d'autres affaires, qui dorment encore dans le dossier que mon sac conserve précieusement. Pour autant, je ne puis retenir un sourire lorsque les yeux de Mademoiselle de Aguirre se mettent à briller.

-Les Alvarez ont toujours eu un sens de l'esthétique développé -et, je le conçois, une appétence pour la Grandeur, commenté-je. N'ayez crainte, vous aurez le temps de l'admirer autant qu'il vous plaira.

Je l'entraîne à ma suite, et nous pénétrons à l'intérieur de mon bâtiment.

-Pour l'heure, nous nous contenterons d'un tour rapide du propriétaire, ainsi que de quelques précisions si nécessaires. Je laisserai le soin à votre supérieur de vous expliquer notre manière de fonctionner.

Tous les capitaines ne procèdent guère ainsi; pour autant, il m'a toujours paru important d'accueillir nos nouvelles recrues de la sorte. Nous traversons un premier espace de stockage.

-Les cuisines et le mess se trouvent par ici, dis-je en pointant une large porte. Les heures de services sont suffisamment larges pour que vous y trouviez votre compte.

Nous prenons la direction des ascenseurs.

-Il faut que vous sachiez que les abordeurs peuvent parfois se montrer rigides et froids. Néanmoins, lorsque vous aurez su prouver votre valeur et trouver votre place, vous comprendrez que le Némésis n'est rien d'autre qu'une vaste famille.

Dayanara regarde autour d'elle avec cet air qu'auraient des enfants découvrant une cachette secrète. Autant émerveillé que malicieux. Elle hoche la tête en suivant distraitement les explications, ses yeux se posant partout, étudiant les couloirs jusqu'ici déserts, les grandes portes, et étirant le cou pour apercevoir les salles qu'elles cachent. Elle ne peut retenir un trépignement à l'entente du mot "cuisines", quelque chose lui dit qu'elle y passera du temps. Elle a une éducation culinaire à faire. Et dix neuf années de nutrisojas à rattraper.

Elle s'étonne de ne croiser personne dans les couloirs, même si le brouhaha en fond démontre de la vie sur le navire. Jezabel parle de son équipage comme le ferait une mère parlant de son enfant "difficile", avec patience et tendresse. Daya s'amuse de la comparaison.
- J'ai bien l'intention d'prouver ma valeur ! Soyez sûre Capitaine. Est-ce que y'a un endroit pour s'entraîner ici ?

La jeune femme a l'air bien motivée, ce qui me conforte tout à fait dans l'idée que ma décision fut la bonne. Lorsqu'elle me questionne quant aux salles d'entraînement, j'hausse un sourcil circonspect, l'observant avec une attention nouvelle.

- Cela va de soit. Il en existe même plusieurs, disséminés à différents endroits du vaisseau. Le quartier des abordeurs possède une grande salle d'entraînement séparée en boxes qui permettent à plusieurs d'entre vous de s'exercer en parallèle. Si cette salle-ci est pleine, nous en possédons plusieurs autres à l'étage supérieur.

Nous voilà d'ailleurs arrivées au niveau du middle-deck.

- Si vous désirez accéder au dortoir, il vous faudra traverser l'ensemble de cet espace afin de rejoindre les autres ascenseurs ; ils vous permettront de redescendre à l'étage inférieur. Ici, vous trouverez notamment l'infirmerie, plusieurs espaces d'entraînements et de détente, ainsi que la grande salle, dans laquelle nous organisons toutes nos réceptions ainsi que les réunions principales. Il s'agit habituellement d'endroits pleins de vie ; à cette heure-ci, puisque nous sommes à terre, beaucoup sont à l'extérieur ou profitent de cet instant afin de s'entraîner ou de se reposer. Vous rencontrerez davantage de monde lorsque vous serez installée.

Dayanara sent monter en elle un élan d'impatience à l'idée de perfectionner son talent à l'épée. Depuis son arrivée sur Tortuga elle s'est contentée de quelques échauffements restreints par la petitesse de sa chambre, rien de très satisfaisant, ni de très efficace. Le duel un peu plus tôt a réveillé en elle l'euphorie naturelle qui la prend quand elle s'attèle à son sport favori.
- Hm, Cap'taine, c'est possible de me montrer la salle ?

Elle réajuste son bonnet sur son crâne dans un tic nerveux et grommèle en rougissant, un peu :
- C'est que c'est grand ici, et j'crois bien que j'vais me perdre ...

La jeune pirate dissimule ses joues rouges par un toussotement derrière sa main et tâche de se recentrer sur les explications de Jezabel. Le navire est vraiment immense et elle se rend compte qu'elle n'a pas retenu la moitié des informations. Elle visualise très bien la localisation des cuisines, cependant, pense-t-elle avec un sourire. Réajustant son baluchon sur son épaule, elle demande avec curiosité :
- Et vous amarrez souvent ?

Je sens une pointe de fierté et de satisfaction me gagner lorsqu'elle exprime le désir de voir la salle d'entraînement. Je puis sentir une grande motivation en elle, et je n'en attends pas moins de mes recrues. Aussi, je lui offre un sourire doux.

-Bien entendu. Je vous montre l'une d'entre elles, pour l'heure. Vous êtes libre de vaquer à bord du vaisseau - bien que je vous conseille d'éviter les quartiers de nos artilleurs si vous n'y êtes point invitée.

Nous nous engouffrons au sein de nouveaux couloirs. Au passage, nous croisons plusieurs membres de mon équipage, qui me saluent tous respectueusement.

-N'ayez crainte; le Némésis semble être immense et sinueux. Cependant, sa fondatrice a veillé à ce que tout soit extrêmement intuitif et pratique pour l'équipage. Il suffit d'en comprendre la logique, et je puis vous assurer que vous ne vous perdrez guère. De plus, si vous avez des difficultés, beaucoup de vos camarades, ma seconde ou moi-même nous ferons un plaisir de vous venir en aide.

Il est vrai que cela peut paraître impressionnant pour les quelques nouvelles âmes qui arrivent parmi nous. Cependant, ils s'adaptent tous très vite à la vie à bord, usuellement.

-Si nous amarrons souvent? Eh bien, cela dépend des périodes. J'ai facilement le mal de terre, cependant, nous sommes parfois obligés de faire des escales, tant pour nos vivres que pour ceux qui n'ont point été habitués à de longues périodes dans l'espace. Nous y voilà, Mademoiselle de Aguirre: la salle d'entraînement.

Enguerrand est comme la plupart du temps entrain de s'entrainer. Souvent seul, l'équipage a lentement fini par comprendre qu'il n'avait pas spécialement envie de donner des leçons en dehors de moment dédiés à cela. Et il ne s'entraine que rarement au combat de groupe. Il ne peut se permettre de montrer ce que les imbéciles appellent des bottes secrètes… ça n'existe pas. Ce ne sont que des techniques pas forcement complexes à mettre en œuvre, basées souvent sur une qualité spécifique, force, agilité ou rapidité et qui ne fonctionne qu'une fois. Si la technique est éventée et que l'adversaire s'y attend, c'est voué à l'échec, pire à une riposte. En fait d'expérience ce sont les bretteurs moins doués techniquement qui usent de ce genre de méthode. Ce qui ne fonctionne que dans des combats à mort où l'adversaire ne peut pas demander de revanche.

Il se contente pour le moment de d'effectuer de mouvement basique, parmi les plus simples. Des fondamentaux, sans lesquels rien n'est possible en fait. Mais il en s'imaginant un adversaire invisible et en le rendant rapide et fort il est facile de les réviser en essayant de garder la pureté du mouvement. Cette dernière a une raison d'être, mais seuls les gens comme lui le comprennent, avant cela il faut comme lui passer par un style déformé, hors norme, et se croire unique et plus fort… et l'être en fait.. plus fort. Mais une fois l'illusion passée les vrais maitres savent comment sublimer les fondamentaux.

Dayanara tourne le regard, qu’elle avait attentivement posé sur Jezabel, vers la salle d’entraînement. Laquelle semble déserte. Rien d’étonnant au su des paroles de la Capitaine; l’équipage profite certainement de la terre ferme à l’heure qu’il est.

Les yeux de la jeune recrue pétillent de plaisir à l’idée des heures qu’elle pourra passer ici, à s’entraîner, se perfectionner et à décharger par ses coups tout ce qu’elle accumule de rancoeur et de rage, mais également de volonté et d’espoir.
Elle a hâte, vraiment hâte. Et le sourire serein de sa nouvelle boss l’encourage en ce sens.

Les choses semblent se débloquer progressivement pour elle. A l’évidence, le Némesis est un peu la lumière au bout de son tunnel. Elle espère juste trouver dans cet halo l’être qu’elle a fantasmé depuis dix-neuf années.

Le sifflement quasi inaudible des lames qui fendent l’air et d’un corps qui lutte l’intriguent. Le son est sourd, étouffé par les tapis et les murs fins des box qui quadrillent la salle. Mais elle reconnaitrait entre mille la danse familière de l’épée.

Elle se tourne vers la Alvarez :
- Des gens qui s’entrainent même à quai ? Vous avez des gars bien motivés !

Je lui laisse l'opportunité de se familiariser avec l'endroit, et de découvrir ce qui est désormais son lieu de vie. J'aime savoir que les membres de mon équipage sont suffisamment motivés pour vouloir passer plusieurs heures à s'entraîner, même lorsqu'ils sont à quai. Moi-même, mets-je un point d'honneur à m'entraîner au moins une heure par jour. Si ce n'est pas entièrement satisfaisant à mes yeux, mon emploi du temps bien chargé ne me permet guère plus. Si cette salle d'entraînement est la plus proche, elle n'est point la plus utilisée. En revanche, je connais les habitudes de mes hommes, et je sais parfaitement qui est l'homme qui s'entraîne actuellement.

- Je ne recrute ni larves ni fainéants, Mademoiselle. Mes hommes doivent savoir se montrer dévoués, passionnés et travailleurs. Je suis une femme exigeante, en vers les autres tout comme en vers ma propre personne. L'on ne s'engage point sous mes ordres si l'on désire être inactif. Nous œuvrons pour la liberté et pour la gloire. Aucun des deux ne s'atteint sans éprouver un certain nombre de sacrifices. Venez. Il est de circonstance que je vous présente à l'homme qui s'entraîne derrière ces murs.

Je me dirige d'un pas assuré en direction d'un des box du fond, suffisamment large pour accueillir plusieurs combattants en même temps. Il n'y a qu'un seul homme qui prend tout l'espace disponible. Un homme que je sais plus que dangereux.

- Enguerrand? Veux-tu bien m'accorder une minute ? Il me faut te présenter cette jeune personne.

Le combattant est concentré sur ses mouvements, mais c'est aussi un homme qui déteste se faire surprendre et garde toujours une vigilance de tous les instants. Il n'est pas surpris par les deux personnes qui entrent dans son espace de travail. Par contre il fronce les sourcils lorsque la capitaine interrompt sa séance. Il prend néanmoins le temps de terminer son enchainement, ses gestes sont fluides et d'une pureté absolu. Il n'y a pas le moindre mouvement inutile, pas l'ombre d'une imprécision dans son positionnement. Il est stable et sûr de lui.

Finalement il n'a d'autres choix que de consentir à donner un peu de son temps. La "jeune personne" a intérêt à en valoir la peine. Il déteste être interrompu pendant ses entrainements. Une des rares choses qui peuvent le mettre en rogne. Mais pour le coup c'est un simple froncement de sourcils qui exprimera son mécontentement. Comme souvent de toute manière.

Il fait donc deux pas et vient se planter devant les deux femmes. Il rend le temps de dévisager la jeune femme, et quelque chose dans ses yeux le dérange... mais pas moyen de savoir quoi. Pour le reste elle semble avoir déjà combattu, mal sans doute, sinon elle aurait moins de cicatrice. Bien entendu il ne dit rien. Ni à la nouvelle venue, ni à sa capitaine.

Les trente dernières secondes sont un brouillard monumental durant lequel elle n’a pu que contempler, figée par la peur, la silhouette du Passeur. Les récits semblent indignes et insipides alors qu’elle pose son regard écarquillé sur Enguerrand de Cassagnac. Elle a du mal à déglutir ... Ridicule.

Le regard froid de l’autre lui fait baisser les yeux une fraction de seconde. Les poings serrés contre ses hanches elle essaie de reprendre ses esprits, canalisant tant bien que mal une respiration légèrement erratique. Inspire. Expire. Il est là devant elle, attendu et redouté, impressionnant par sa stature, par les traits de son visage qu’elle tente d’assimiler aux siens. Lui ressemble-t-elle ? Ses yeux sombres voient-ils le souvenir d’Isabella dans ses billes d’ambre ?

Inexpressive malgré son teint blafard, elle ose tendre une main légèrement tremblante vers son géniteur, une flopée de mots s’échappant nerveusement de sa gorge serrée :
- M'sieur ... euh 'suis Dayanara, je viens de hm ... Tortuga. Mais d’puis peu. Je-euh travaille ici maintenant. Enfin j'vais. J’ai signé un contrat, oui. Je-je ... Vous vous entrainez ? Oui bien sur, j'vois bien qu'oui. Je ... J’fais le tour du propriétaire. Enfin du vaisseau. Vous ... Euh j'vais m’entraîner aussi, hein. Je suis à l’abordage voilà. Alors p’t’etre que vous ... Enfin si vous voulez hein, je-euh ..

Elle sent ses joues brûler et retient sa lèvre de trembler en la mordant vivement. Fébrile, elle laisse échapper un rire nerveux pour camoufler l'angoisse qui l'assaille. La honte.

Enguerrand ne semble guère apprécier de se faire ainsi interrompre durant son entraînement. Je puis aisément le comprendre. Pour autant, il ne fait pas la moindre remarque. Mademoiselle de Aguirre devient nerveuse à mes côtés. Elle pâlit, et je crains qu'elle ne s'effondre d'un instant à l'autre. Elle baragouine quelques mots, tente d'articuler quelques phrases dépourvues de sens. Elle ne semble point à son aise. Je pose alors une main légère sur son épaule, et je souris. Mon regard cherche celui d'Enguerrand.

- Cette jeune fille s'est engagée sur le Némésis dans l'espoir de te rencontrer. Elle est certes, jeune et fougueuse ; cependant, sa lame est déjà fine et sa volonté d'acier. Je songe qu'elle peut tout à fait avoir un avenir radieux dans le monde des combattants, si on lui offre une chance d'exprimer son talent. Bien entendu, rien ne t'oblige à y prêter un quelconque intérêt. Néanmoins, peut-être pourrais-tu lui accorder une chance de te montrer ce dont elle est capable.

Enguerrand hausse un sourcil devant la diarrhée verbale de la jeune femme. Visiblement, elle est impressionnée ce qui n'amuse pas spécialement le combattant qui préfère être entouré de gens aux nerfs d'acier. Parce que le talent, c'est une chose, mais le plus important reste la capacité à rester calme et lucide en toute circonstance.

Il écoute ensuite les encouragements de la capitaine qui semble déjà avoir pris la jeune sous son aile. Étrange, elle doit avoir un minimum de talent, ou de la chance et de l'abnégation. Il ne sait pas et s'en contre-fiche. Elle ne sait pas conserver son sang-froid et c'est le genre de chose rédhibitoire aux yeux du pirate.

- trop fébrile. se contente de lâcher Enguerrand.

Il inspecte du regard les cicatrices au visage et comme elle ne ressemble pas à une torture faite par une seule et même lame, il en déduit qu'elle est souvent blessée.

- trop pressée. ajoute-t-il en montrant les cicatrices.