[Vanguardia][She'lagh] Métaux lourds

Vako fait une grimace dès que les questions commencent à concerner son père. Avait-il envie d’imaginer qu’Aldéric ou She’lagh ne vivent pas en ascètes sans rencontres charnelles ? Non. Absolument pas.

- Non ! Enfin si mais non !

Et son imagination décidément retorse de se mettre en marche pour lui suggérer des vignettes tout sauf pudiques, poussant le pauvre médecin à se cacher dans sa boisson.

- Ce sont vos affaires et je ne veux pas vraiment savoir ce que vous faites ou avez fait avec des membres d’équipage ! C’est presque pire que de savoir que mon père a une vie sexuelle.

Se rendant soudain compte que toute cette histoire peut être très mal prise, il tente de se rattraper aux branches en se justifiant.

- Parce que vous êtes ma supérieure, c’est juste pour ça ! J’aurais dû fermer ma bouche, non… ?

Le rire est léger. Et pourtant, même si ça arrive de temps en temps, c'est un fait rare que d'entendre la Capitaine de la Vanguardia rire franchement et tranquillement devant la gêne manifeste de son doc'. Pauvre doc'. Elle a l'impression de le martyriser avec ses questions.

" M'imaginer comme femme est presque pire que d'imaginer votre père ? ... Je devrais me sentir vexée, quand même. " Qu'elle soupire enfin, clairement amusée et clairement pas mise en colère par ses réponses cela dit. " Ce que je voulais dire, Vako, c'est que ce n'est guère un secret que j'ai failli me marier sur ce vaisseau avec un membre de l'équipage, qui est parti depuis. Et il doit être noté dans un de vos dossiers que j'ai eu un enfant aussi. "

Et aux dernières nouvelles, ce n'est pas les Caly'uaykai qui amène les bébés à leurs mamans.

Il est tellement étonné d’entendre sa Capitaine rire que Vako en oublie presque son embarras. Réussir à amuser sincèrement She’lagh qui est toujours si sérieuse, si triste, est un exploit. Tant pis s’il se fait à ses dépends.

- Il y a une… Différence, tente-t-il d’expliquer en choisissant soigneusement ses mots, entre lire un dossier et penser à ce que ça implique.

Comme c’est compliqué à expliquer, cette dissociation entre la Capitaine et la femme derrière. Peut-être qu’il devrait simplement cesser de chercher des mots délicats pour le dire ?
Il inspire en grand et se lance.

- Vous êtes une figure d’autorité pour moi. J’ai du mal à me dire, parfois, que vous pouvez également être humaine dans tout ce que ça implique de très banal et très charnel. Tout comme j’ai du mal à me dire que mon père est une personne normale qui, régulièrement, ramène des femmes pour n’absolument pas jouer aux petits chevaux avec elles. Je pense que je préfère imaginer que vous avez failli vous marier très chastement avec quelqu’un plutôt que songer que ce n’est pas le cas.

Il hausse les épaules, faussement détendu.

- C’est peut-être mon éducation trinitaire qui veut ça. Je ne sais pas.

Elle était prête à le couper. Mais finalement, le voyant prendre son courage à deux mains pour tenter de lui expliquer, elle se contente du rôle de spectateur et de l'écouter avec attention. Le thé a refroidi. Mais il ne l'intéresse plus vraiment.

Elle hoche doucement la tête à son explication. Elle a retrouvé son calme habituel, mais elle a gardé un mince sourire... Un peu attendri pour le coup.

" Je comprends. " Qu'elle répondra plus doucement. " et c'est tout à votre honneur, en fait. Je ne pense pas que ce soit spécialement lié à votre éducation cela dit. "

Mais elle ne se targuerait pas de savoir pourquoi il pense comme ça. Elle préfère nettement cette situation à avoir un doc qui s'imagine ce qu'elle peut faire de son corps tout en l'oscultant, ça c'est sûr par contre.

Cette fois c’est Vako qui rit, tout doucement, parce qu’il voit très bien le lien entre son éducation et la pudeur certainement excessive dont il fait preuve.

- Je pense que ça joue un peu… Mes prochains vénèrent les figures d’autorité presque aveuglément, au point d’ignorer beaucoup de choses. Et la passion ou le plaisir sont mal vus en société. Mon père a fait des efforts pour m’enlever ces idées de la tête mais j’ai assez bercé dedans pour garder des séquelles de ces bêtises.

Et il en a conscience. Les péchés, les punitions divines, le regard de l’Unique pèsent sur sa vie bien plus qu’il ne l’aimerait.
Mais dans le cas présent, se réflexions rejoignent sans le savoir celles de She’lagh. Il préfère garder ses distances que faire preuve d’absence de professionnalisme.

- Mais je pense qu’il est mieux pour un médecin qui voit défiler beaucoup de patients aux moeurs légères de ne pas imaginer ce qu’ils ont fait pour avoir une morsure infectée au gros orteil.

Affirme-t-il donc en riant de nouveau.

Elle penche un peu la tête de côté, pas mal à l'aise ou ennuyée par le fait qu'il remette sa parole en doute. Pas du tout. Plutôt heureuse que son doc' en sache autant sur lui même au final. Peu sont enclins à tant d'introspection, surtout dans la population trinitaire. C'est presque une fierté en fait, et elle se sent sourire sur cette pensée.

Avant de rire une nouvelle fois légèrement à sa constatation.

" Certainement. Et c'est une très bonne qualité qui s'ajoute à toutes celles que vous avez... Je ne suis pas certaine de vous l'avoir déjà dit et c'est un tort, mais je suis fière de vous avoir à bord, Vako "

Voilà qui est beaucoup trop pour Vako. Il rougit d’abord, jusqu’aux oreilles et même plus, puis il tente de répondre.

- Gfhjjj…

C’est un échec, c’est un gargouillis étranglé, ce n’est pas une acceptation polie et digne des mots de sa Capitaine. Il ne s’attendait absolument à ces compliments. Il n’imaginait pas les entendre de sa vie entière, venant de la femme austère qu’il sert, de la fille d’un homme qu’il n’a pas réussi à sauver.

- Jeeeee…

Mais non, rien ne passe proprement entre ses lèvres. Les mots se dissolvent à peine pensés.
Il décide donc de se cacher derrière sa tasse, littéralement, en la levant devant lui et en espérant être invisible juste une minute avec ce subterfuge.

Elle ne s'attendait pas à une telle réaction...

Elle se retrouve un peu surprise face aux gargouillis du docteur et pour une fois, elle se lit franchement sur son regard. Elle ramène mécaniquement sa mèche derrière une oreille pour mieux l'observer, et pencher un peu la tête de côté, attendant de voir s'il réagit autrement ?

Apparemment non...

Alors elle commence à sourire, sans pouvoir s'en empêcher, sérieusement amusée.
Puis se lever et remettre correctement ses vêtements.

" C'est vrai, je devrais le faire plus souvent... Vous finirez peut-être par réussir à dire quelque chose la prochaine fois. "

Voilà qui n’aide absolument pas le pauvre Vako. Lui rappeler qu’il est étranglé d’embarras face à une seule flatterie alors qu’il essaie de se remettre de ses émotions est le meilleur moyen de l’entendre geindre. C’est un son plutôt charmant, un long bruit bas qu’il n’arrive pas à taire. Au moins a-t-il la décence de se finir par un véritable mot.

- Merci ?

La tasse redescend à mesure qu’il retrouve un semblant de contenance.

- Je ne m’y attendais pas. Je suis désolé. Ca ne se reproduira pas…

C’est un mensonge. Il le corrige rapidement en se rendant compte qu’il ne peut pas garantir d’être capable de garder un visage stoïque.

- … Pas trop. Je ferais de mon mieux.

Elle tourne à nouveau la tête vers lui face au gémissement qui sort de sa gorge. Comme une plainte... Comme... Elle détourne le regard et s'accroche à... Non, pas le lit de l'infirmerie qui est un peu plus loin. Le mur. Oui, le mur, c'est bien.

" Il n'y a pas de quoi... "

Son regard revient sur lui, pensif. Elle est debout, ses mains ont rejoint nonchalamment ses poches, prête à partir.

" Vous êtes un très bon médecin, Vako. N'en doutez pas. Je suis désolée de ne pas vous l'avoir dit plus souvent. Je ne suis pas un Capitaine parfait... J'espère que vous me le pardonnerez. "

Le ton devient un peu trop solennel et son regard se voile un peu. Mais elle se reprend, rapidement.

" Je ne vais pas vous déranger plus longtemps "

- Hum, She’lagh ?

Avant qu’elle ne parte, il a quelque chose à lui dire. Il se rend bien compte que lui non plus ne lui dit pas ce qu’il pense, et il songe soudain que peut-être que sa Capitaine a besoin de mots positifs dans sa vie elle aussi.

- Vous êtes une bonne Capitaine. Vous êtes aussi une bonne personne et je suis ravi de vous servir. Mon père m’a toujours dit que les De la Luz sont des supérieurs en qui on peut compter et que l’on peut suivre aveuglément et… Et je trouve qu’il a raison.

Unique, que c’est embarrassant. C’est aussi -malheureusement- un bon exercice pour ce qui est de garder la face quoi qu’il arrive.

- Je pense que je devrais vous le dire plus souvent aussi...

Elle est presque dehors, le coeur vaguement plus léger, déjà, après cette discussion. Comprendre qu'elle n'est pas si seule qu'elle le pense, même un tout petit peu, au milieu de cet immense équipage, est rassurant. Mais voilà qu'il la retient.

Elle se tourne à moitié vers lui, mais se fige un peu à la conclusion qu'il lui donne.
Avant de se fendre d'un sourire. Tranquille. Touché. Ému.

" Merci Vako. "

Que dire de plus ? Ca fait déjà beaucoup de choses partagées en une seule soirée alors qu'elle ne voulait que pour un bobo qui ne méritait même pas autant de soin. Elle a malheureusement du travail à reprendre et après un signe de la main, elle continuera son chemin vers la sortie de l'infirmerie. Son bureau. Et ses rapports de recherche.