Au spa de la baisse de garde [Mia & Raedhun - Crust]

Maintenant que j'suis à poil, j'me glisse dans l'eau en face de la grand-mère, avec un soupire d'aise. Faudrait vraiment que j'fasse ce genre de conneries plus souvent. C'est con d'avoir un spa et de jamais en profiter, hein ? Cela dit, j'ai pas souvent le temps ni l'occaz' d'le faire.

- Putain, si c'est une malédiction et que l'enfer ressemble à ça, j'signe direct.

Et puis, alors que j'avais commencé à m'enfoncer dans l'eau, la tête légèrement en arrière et les bras posés sur le rebord comme sur un accoudoir, j'me redresse. Attends, quoi ? J'sonde la grand-mère pour voir si c'est encore une blague ou une connerie comme ça, mais il a l'air sincère, son compliment. Sur le coup, j'reste con.

- Ben merde, c'est ton séjour ici qui te rend romantique à ce point ? J'espère que tu vas garder cette impression tout l'temps, même quand ça fera cinquante fois que tu s'ras venue par ici.

C'est maladroit, ouais, mais c'est mon moyen à moi de dire que j'l'apprécie au point d'vouloir voir sa gueule le plus souvent possible. C'est rare hein, venant d'moi qui aime tant que ça mon indépendance et tout ce qui va avec. Mais j'sais pas, Mia, c'est une femme avec qui j'aime passer du temps, comme ça m'arrive rarement, d'ailleurs. Pour essayer de noyer le poisson, j'lance sur le ton de l'humour :

- Et merde, t'es en train de me draguer ? Fais chier, j'me fais avoir à tous les coups.

Je glousse doucement. Elle ressemblait un peu à Felipe, sur certains points : elle usait de dérision pour dévier tout compliment potentiel. Pire, elle semblait même le dépasser en maladresse lorqu'on en usait. Peut-être pouvais-je m'amuser un peu avant de revenir sur un sujet plus sérieux.

« Je ne vois pas ça comme du romantisme, simplement comme un fait : tu as transformé une idée en activité très lucrative. Ca ne demande pas seulement du talent, ça demande de savoir également s'en servir. Tu es une femme d'affaires, quoi qu'en dise ton attirail, et tu l'assumes sans le montrer. C'est une des raisons pour lesquelles je te respecte autant. »

Tout était vrai, bien entendu, mais je ne l'avais dit que pour l'embarrasser davantage, presque par jeu. Avant d'éclater de rire et de la pousser doucement du plat de la main, pour dévoiler la plaisanterie.

... Mais merde, elle a quoi à la fin ? J'reste conne devant ses paroles, j'comprends pas vraiment où elle veut en venir... Jusqu'au moment où elle rit. J'sais pas pourquoi mais j'me détends à ce moment-là. J'ai rien contre le compliments, j'suis heureuse même, quand mon boulot est reconnu. Mais ça me met toujours mal à l'aise. Certainement un héritage de ma jeunesse chez les Nuñez Vargas, là où les compliments pleuvaient tout le temps, et où il était presque impossible de démêler le vrai du faux. A défaut, tout était faux.

- Ha-ha-ha. Très drôle grand-mère. Déconne pas, j'tombe facilement amoureuse hein, quand on flatte mon égo comme ça. Comment tu crois que mon mari m'a séduite ?

En vérité, j'trouve ça hyper amusant. C'est bien joué de sa part. Mais j'vais pas lui donner cette satisfaction, en plus. C'pas comme si j'en avais réellement quelque chose à carrer de ce qu'on peut penser de moi. Sinon, j'me baladerai certainement pas à moitié à poil, avec un naän'gi de dix putain de mètres, dans un restau de luxe dont je suis la proprio... Et p't'être que j'me montrerai pas dans des soirées de dépravation, non plus. Mais ça, c'est une autre histoire.

Le sourire large, sincère et probablement un peu trop satisfait, je secouais la tête, comme pour répondre à sa blague par le déni.

« Le pauvre doit se faire des cheveux blancs depuis votre mariage. Que dis-je, depuis votre rencontre », rajoutais-je, sur le ton de la plaisanterie. « Malheureusement pour toi, j'ai pour règle inconsciente de ne tomber amoureuse qu'avec ceux qui peuvent me nuire. »

J'écartais les bras pour m'étirer, non par sommeil mais par aise. Madre mia, je comprenais maintenant à quel point le jacuzzi m'avait manqué sans que je n'en soit consciente.

« Autrement dit, si tu veux avoir tes chances pour me séduire, tu as plutôt intérêt à ce que notre relation ait de très mauvaises conséquences pour moi. J'ai copulé avec des pirates, péché auprès de criminels en puissance et même trahi les tabous de l'armée, tout ça majoritairement sans le savoir. »

Puisqu'on est seules, j'm'emmerde pas, j'prends mes aises. Je m'allonge à moitié dans le jacuzzi, la tête en arrière.

- Ah ouais, pas mal grand-mère, y a un certain niveau. T'es pas aussi coincée qu't'en as l'air, alors. Même moi j'fais presque pas mieux, mais... Qu'est-ce qui t'fait croire que j'peux pas te nuire ?

J'la regarde, avec un sérieux que je feins très bien. Je joue avec le feu, ça me ferait presque jouir.

Qu'il était dur de lire derrière ce regard si sérieux. Le mensonge avait pris racine, et je m'étais laissée emporter par lui. L'officier prit instinctivement le pas sur la vacancière, et mon regard se fit plus froid, presque, que celui de Jaziel. L'esprit analytique et calculateur reprenait les commandes, et je ne pouvais l'en empêcher.

« Absolument rien », fis-je simplement, calme, la fixant droit dans les yeux. « Mais je ne dois pas m'inquiéter, n'est-ce pas ? » Si l'intimidation ne faisait pas partie des traits de caractère que j'appréciais particulièrement chez moi, j'étais cependant très douée pour en user, que ce soit pour rire ou, dans le cas présent, à titre de précaution.

La grand-mère prend la mouche, 'fin elle me prend au sérieux. Je jubile, même si elle commence à presque me menacer ou j'en sais rien. C'vrai qu'elle fait flipper quand elle fait ça, mais putain, j'crois que je savoure un peu trop ma victoire sur ce coup pour réellement tiquer sur ça. Ca fait partie du jeu, nan ? Alors je me permets un sourire bref, pas un truc incroyable mais un sourire amusé, quoi.

- T'inquiètes, grand-mère. J'suis pas le genre d'amies qui plantent des couteaux dans le dos. Et certainement pas après avoir partagé deux baignades à poil.

Je ramène mes genoux contre ma poitrine, je la fixe et je réfléchis.

- Ca fait combien, au niveau des scores ? Ex-aequo, nan ?

Puis, lorsqu'elle sourit d'un air amusé, je glousse, me détendant à nouveau comme si tout ceci n'avait été qu'une plaisanterie.

« Toi non plus ne t'inquiètes pas », fis-je simplement, comme pour la rassurer sur le fait qu'il n'y avait nul doute là-dessus. « Les scores, mh ... Tout dépend j'imagine de ce qui compte comme un point. Quels sont tes critères ? »

- J'm'inquiète pas. J'sais que toi et moi on est un peu amoureuses.

Et puis j'hausse les épaules.

- J'en sais rien. J'crois pas que j'ai des critères. Ce serait trop... Chiant ? Et j'ai pas envie d'me faire chier avec toi. Tu m'inspires pas ce genre de choses. J't'ai eu, tu m'as eue, égalité. Nan ?

Je haussais les épaules, souriant simplement.

« Ca me parait honnête », fis-je simplement, avant de changer de sujet d'un trait, comme cela m'arrivait souvent. « As-tu pu trouver des ressources, pour l'accord dont nous avions parlé ? Pitié, dis-moi oui ; si j'entends encore une fois mon Quartier-Maître se plaindre au nom de l'équipage sur la cuisson des poissons panés, je crois que je l'étouffe avec. »

Ca n'était, évidemment, pas une citation : j'avais ajouté les poissons panés pour l'aspect comique. Et d'un certain côté, Del Ruiz avait raison de le faire, mais ça n'en restait pour autant pas moins agaçant.

Je fais mine de réfléchir, et j'prends un putain de plaisir à la faire poireauter avec une gueule aussi neutre que possible pour qu'elle devine rien.

- Ben, en fait...

J'détourne même le regard, comme si j'étais gênée. On s'marre bien, hein ?

- Il s'pourrait que je t'ai dégoté la meilleure cuistot d'Hope.

Je lui avais lancé le regard de celles qui ne se feraient pas avoir deux fois de suite par le même stratagème, avant de hausser les sourcils, curieuse.

« Comment ça, la meilleure cuistot de Hope ? Elle a quoi comme diplôme ? », lançais-je, en toute innocence.

J'me penche un peu en avant.

- Un diplôme qui va te permettre de faire taire ton Quartier-Maître pour toujours. Au sujet de la bouffe, j'entends.

J'lui fais un clin d'oeil.

- Tu la récupères d'ici une petite semaine, si ça te va. Par contre, faut que j'te dise qu'elle avait des appréhensions. C'pas vraiment une militaire née, alors ça l'inquiète un peu d'aller sur un vaisseau comme le tiens. Tu déconnes pas, hein ?

Je hochais doucement la tête, lui offrant un sourire en coin. Je ne pouvais retirer l'image de Gerardo flottant dans l'espace de ma tête, me sermonnant mentalement : l'Adjudant-Chef n'était pas simple à vivre, mais ce n'était pas un mauvais bougre. Et puis en toute honnêteté, il y avait bien pire que lui à bord du Cerberus.

« Si ça peut te rassurer, je m'engage à l'accueillir moi-même. On a quelques corporatistes chez nos miliciens, et je crois qu'on a récemment engagé un trinitaire. Tu peux m'en dire un peu plus sur elle ? Elle a quelle origine ? »

- C'est pas moi qui suis inquiète. J'ai confiance en toi, je sais que tu vas en prendre soin.

Je réponds du tac au tac. J'peux pas être plus sincère.

- Elle est corporatiste, justement. Et inquiète par rapport aux tensions entre vos différentes factions, notamment. Elle a une histoire de vie un peu particulière, loin de vos protocoles militaires. J'lui ai dit que ce serait pas un souci. J'suis partie du principe qu'elle vous accompagne pour cuisiner, pas pour parler politique ou militarisme.

Autrement dit, elle s'inquiétait de ce que le fait de travailler pour l'Empire, même temporairement, pourrait lui apporter comme ennuis auprès de sa patrie. C'était un peu le même refrain à chaque fois, quand nous devions engager des miliciens d'autres nations.

« Je vois. Je n'attends effectivement pas d'elle quoi que ce soit d'autre que d'aider nos cuisines. J'irais même plus loin : le plus grand risque qu'elle prend, c'est de recevoir des demandes en mariage d'un peu partout sur le Cerberus, après avoir sauvé nos assiettes. »

- Ben merde, j'l'ai pas couverte pour ce genre de risques.

J'dis ça sans chercher à cacher mon amusement. J'imagine déjà très bien la scène, surtout qu'elle est sacrément mignonne la petite cuistot.

- Si ça foire, j'suis censée intervenir pour éviter qu'on l'abîme. J'ai des relations diplomatiques en voie de développement avec son patron, alors j'préfèrerai que ça se passe bien, quoi. Mais sa cuisine est à la hauteur de celle du Crust. Tu m'en diras des nouvelles. Puisque t'es ma première cliente sur ce service-là, tous tes retours seront bons à prendre pour que j'ajuste le tout pour la prochaine fois.

Des relations diplomatiques ? Je devenais de plus en plus curieuse d'apprendre où elle avait bien pu la dénicher, pour qu'elle se donne tant de mal. Mais ça n'était pas l'heure des questions, ni pour Raedhun, ni pour sa nouvelle protégée : commençons d'abord par rafistoller les cuisines.

« J'en aurais probablement. En tout cas, je suis contente que tu nous fasses confiance. Certes on t'a soufflé l'idée, mais je suis consciente que c'est un gros pari pour toi, de commencer avec des militaires. Je ferais en sorte que tu ne le regrettes pas. S'il y a le moindre problème, tu en seras la première informée. J'ai juste une question, mais je pense qu'elle ne va pas te plaire. »

J'lève un sourcil, étonnée.

- Ben. A priori nan, puisqu'elle est pas mal attachée à l'endroit dans lequel je l'ai chopée. Mais on est jamais à l'abri, hein. Pourquoi ça devrait pas me plaire ?

« Pour des raisons politiques. Comment réagiraient tes relations diplomatiques si, à la fin du contrat, je leur volais leur étoile montante ? »

J'avais l'habitude de ce genre de réflexions : à force de travailler avec la milice, il n'était pas si peu courant que nous cherchions les talents où nous le pouvions, quitte à les recruter dans des structures existantes. Cela ne nous faisait pas que des amis, et la même risquait d'arriver à Raedhun. Ne pas l'en informer aurait été une possibilité, mais elle était malheureusement une amie.

- J'imagine que j'aurais pas vraiment mon mot à dire, ni ma part de responsabilité. Ca se jouera entre le patron et la cuistot, et de ce que j'ai vu, le patron aime suffisamment sa cuistot pour la laisser voler de ses propres ailes si ça doit la rendre heureuse.

J'ferme ma gueule, fixant les bulles qui éclatent à la surface de l'eau chaude.

- Bon, c'est pas dit que le patron en question m'en veule pas un peu, mais ça, ce sera la faute de personnes. J'reverrais juste mes plans à son propos, c'est tout.

Je haussais doucement les épaules. Elle n'avait pas tort.

« Si c'est bon pour toi, c'est bon pour moi », fis-je simplement avec un sourire amical. « Et sinon, quand est-ce que tu me présentes ton mari ? J'en entends beaucoup parler mais au final j'ai presque envie de croire qu'il n'existe pas. » C'était de l'humour, bien entendu : difficile d'entendre parler de Raedhun sans que son mari ne vienne dans la discussion.

- Ben figure toi que ç'aurait été avec plaisir, mais cet imbécile fait exprès d'avoir des obligations pile quand j'suis dans le coin. A croire qu'il me fuit.

C'est faux, hein. Il fait pas exprès. Mais c'est vrai que ces derniers temps on a pas beaucoup de cul de ce côté là. Comme c'pas toujours évident de se tenir au courant de nos allers et venues, que nos missions sont souvent de dernières minutes, ben on se rate souvent d'une semaine, de trois jours, de quelques heures... Mais bon, on l'vit bien.

- Plus sérieusement, j'ai bon espoir de le voir pointer sa sale gueule entre aujourd'hui et après-demain. P't'être que t'auras l'occaz'. Sinon faudra revenir nous voir. T'as deux chances sur cinq de tomber sur lui, deux chances sur cinq de tomber sur moi et le dernier bout du gâteau, c'est le jackpot : lui et moi en même temps !

Et puis je lui lance une œillade aguicheuse, mais j'ai du mal à cacher mon amusement, cette fois.

- A moins que tu dises ça parce que tu me voudrais pour toi toute seule ?

Je ris succintement. C'était Raedhun, et je commençais à avoir l'habitude de retrouver cette même attitude dragueuse que Felipe avait éprouvé de longues décennies durant.

« Tu me lis comme un livre ouvert, ma parole », lui lançais-je, menteuse éhontée, avant de prendre un air déçu bien trop théâtral. « Mais rien qu'à imaginer la foule de prétendants qui serait vert de jalousie, tous mes plans pour te capturer s'effondrent avant même que je ne puisse les débuter. »