Avant-garde

Je prends une gorgée en miroir, la laissant apprécier mes mots. Elle est tranquille, comme si elle n'avait pas conscience de sa beauté. Et je suis ici en qualité officielle aussi je ne fais pas de commentaires. Je laisse le silence parler pour nous et la forcer à se dévoiler un peu. Quand elle me propose enfin de visiter le vaisseau, j'ai un sourire satisfait mais ni condescendant, ni moqueur. Je hoche la tête, simplement. "Ce serait un plaisir et un honneur."

Un honneur, qu'il exagère. Mais elle ne fait pas de remarque ni ne hausse le sourcil qu'elle meurt intérieurement d'envie de hausser pour illustrer son scepticisme. Soit. S'il y tient, à l'honneur. Elle ne va pas rabaisser celui de la Vanguardia en faisant mine que son vaisseau ne vaut pas ceux des Impériaux. Il est bel et bien de facture impériale après tout.

Elle ne prendra pas la peine de se changer. Elle est très bien comme ça, après tout. Elle attrape juste sa veste sur le dossier de sa chaise après avoir levé des fesses du bureau et posé le verre à côté de son holoécran qui délimite son poste de travail.

" Il y a un endroit que vous souhaitez voir en particulier ? "

Sans le presser, elle attend tranquillement qu'il soit prêt pour le guider à travers les premiers couloirs.

"Le pont d'artillerie, évidemment" L'on ne se refait pas. Les canons restent mon premier amour. J'aurais pu en profiter pour espionner, aller vérifier l'état du pont de commandement, vérifier de l'attitude des recrues de ce vaisseau aussi froid que son capitaine est beau mais je ne suis pas là en ennemi alors je me laisse aller à mes envies. "Quel est votre endroit préféré de ce vaisseau, vous ?"

Evidemment.
Elle sourit doucement au mot "évidemment". On ne retire pas à un soldat son premier amour. Qu'il soit désormais Capitaine ou non.

Elle le laisse passer la porte et referme son bureau derrière elle avant de s'engager dans les coursives froides, mais propres. La Vanguardia a perdu du charme pirate qu'elle avait d'antan pour une apparence plus militaire. Mais en gardant l'âme toute impériale qu'elle a toujours eu.

La question du Capitaine qui marche à côté d'elle alors qu'elle choisit délibérément de ne pas prendre le chemin le plus court pour se rendre au pont des artilleurs - mais néanmoins pas le plus long non plus, la laisse pensive une seconde.

Pour sûr, le pont de commandement n'est pas son endroit préféré.

" Les cales d'abordage " Qu'elle répondra, honnêtement. Parce qu'on ne retire pas son premier amour à un ancien pirate non plus. Elle est maître d'abordage avant d'être Capitaine. Enfin, elle ne l'a pas été longtemps, mais peut importe le temps.

L'abordage hein. Pirate un jour, pirate toujours, je suppose, tout comme mon amour pour les canons ne faiblira jamais. Je ne le lui reproche pas, pourquoi le ferais-je. L'empire peut avoir besoin de gens comme ça et l'abordage se fait dans les deux sens. J'imagine donc qu'elle a commencé sur ce pont. J'espère qu'il était alors moins froid. J'ai l'impression de marcher dans un fantôme, pas dans une arme. Je me retiens même de frissonner. Je la suis donc, un sourire poli sur mes lèvres, mes yeux notant, par habitude, l'attitude de ceux que l'on croise et le chemin parcouru. Il est long, c'est étrange. Normalement le bureau du Capitaine n'est pas si loin des canons.

"Qu'aimiez-vous dans l'abordage ?"

La Vanguardia est construite sur différents plateaux, avec des couloirs parallèles qui peuvent mener à différents points du vaisseau, traversés par des veines plus petites afin de faciliter les déplacements des hommes en cas d'attaque ou simplement de besoin. Il y a des passerelles, qui permettent d'éviter les escaliers et ascenseurs, notamment pour faciliter le déplacement des plus grosses machines ou certaines cargaisons. Un vrai petit labyrinthe lorsqu'on ne connait pas. Sauf si on est sur le chemin principal et qu'on utilise les ascenseurs. A ce moment-là, tout est indiqué. Mais elle lui a proposé de visiter le vaisseau, pas de lui fournir une carte. Au moins, ainsi, il peut voir le quotidien du navire. Et croiser des hommes.

Hommes qui leur jette des coups d'oeils intrigués, sans être méfiants mais curieux sans doute de voir leur Capitaine se balader avec un impérial gradé. Encore plus dans la tenue qu'elle porte. Elle a l'air plus prête pour un cours de yoga que pour une entrevue officielle, faut le dire.
Et certains ne cachent pas leur regard en arrière lorsqu'elle passe à côté d'eux, histoire de profiter de la vue.

" La stratégie. Et puis, le contact. J'ai toujours eu du mal à m'imaginer un ennemi, avant de le voir réellement face à moi, une épée à la main, se battre pour sa vie... " Elle laisse un instant de suspend pour se reprendre ensuite. " Et vous, Capitaine ? Qu'aimiez-vous dans l'artillerie ? "

Je salue respectueusement d'un signe de tête les hommes qui reconnaissent mon grade et m'offrent un simple salut ou un regard étonné, j'ignore totalement les quelques qui cherchent à mater sans vergogne le postérieur de leur supérieure hiérarchique. C'est à elle de râler si elle le désire, moi, je préfère ne pas m'immiscer dans la politique interne du vaisseau. Ce serait presque une déclaration de guerre. Et donc une mauvaise idée.

Evidemment, je suis bien conscient des détours que nous faisons et du côté labyrinthique du vaisseau. C'est le cas de beaucoup de bâtiments et je ne suis pas ici pour rapporter d'autres informations que celles que j'ai déjà obtenues. Dans l'ensemble, le tout me parait porter une ambiance plus légère que dans un vaisseau militaire mais tout de même professionnel et aguerri ce que j'admire quelque peu. "La stratégie. Et la technicité, un bon artilleur ne doit pas seulement connaître ses canons mais ceux de l'ennemi en face. Ce sont des calculs, des angles, des reculs, beaucoup de projections. J'aime aussi voir clairement ce que je fais. En corps à corps, beaucoup de choses sont dues au hasard. Un mouvement de jambe, un pied qui bute sur un boulon, un essoufflement. L'artillerie, c'est du combat d'esprit contre esprit. Le mien contre celui de l'artilleur en face."

Elle n'est pas de celle qui pose des questions pour ignorer la réponse. Elle marche tranquillement à côté du Capitaine, et l'écoute, lui jetant de temps à autre un coup d'oeil intéressé. Enfin, un minimum intéressé par ce qu'il dit, alors qu'elle vérifie le chemin qu'ils empruntent également. Elle n'a pas non plus pris le plus long. Alors qu'il termine son explication, entrecoupée uniquement par de silencieux hochements de tête de sa partenaire de balade à travers les coursives, il arrivent dans un couloir plus large, avec pour fin, une grande double porte qui ressemble certainement aux portes d'autres vaisseaux impériaux, menant à des plateaux plus importants. Certainement le pont d'artillerie, vu qu'il s'agit de leur destination.

" Nous avions deux rôles très différents mais tout aussi importants l'un que l'autre dans le bon fonctionnement d'un vaisseau de guerre. " Parce qu'elle ne peut pas dire militaire pour sa part. Elle n'a toutefois pas honte de son passé et n'évite pas non plus d'en parler.

Mais elle s'approchera de la porte qui s'ouvre alors sur leur passage, lui offrant la première vision du pont d'artillerie de la Vanguardia. Grand, et bien entretenu, avec un équipement assez récent.