De l'art, pour l'Art

Trois cent crédits. Par Calypso. Un tiers de mon salaire. Mais je suis dans la merde. J'ai accepté. J'ai dit que je voulais bien écouter le prix de l'artisan. C'était presque déjà une preuve d'achat. J'ai plus le choix, putain. J'essaie de ne pas paraître trop abattu par la nouvelle. Trois cent boules. Allez, c'est pour ma mère. Et c'est pour aider les artistes en dèche. Allez, je n'aurais qu'à serrer la ceinture un peu ce mois-ci. C'est pour une bonne action.

« _ Vendu ! J'annonce d'une voix à moitié éraillée. »

En m'approchant à nouveau du vase, je suis aussitôt sous son charme. Finalement, c'était que trois cent crédits.

Marché conclu, je vais  aller chercher le papier à bulle et le carton pour protéger  votre nouvelle acquisition une fois la transaction faite. Merci de  sortir votre Hcom pour une carafe gravée au diamant !

Elle n'allait pas partir avant  de s'assurer qu'Henry aurait bien ses crédits.  Ce serait très bête que le client embarque la carafe sans payer parce qu'elle était partie chercher le matériel pour emballer la précieuse carafe n'est-ce pas ?

J'essaie de ne pas pleurer en tendant mon holokit pour payer la somme astronomique de cette foutue carafe. J'ai le bras tout mou alors que je confirme la transaction, la mine sombre. Bon, ben c'est fait. Je regarde la propriétaire richissime s'éloigner avec mon nouveau bien. Je n'ai plus le cœur à rien. Je ne suis même pas sûr que je vais pouvoir payer la location du speeder. Vais-je devoir me plier à une avance sur salaire ? Misère.

Je reste bien sagement dans le hall d'entrée en attendant le retour de l'artiste. Je sais pas trop ce que je vais bien pouvoir lui dire maintenant...

Je vais emballer votre carafe, commença-t-elle avant de poursuivre sur un ton taquin. Je ne vais pas vous laisser partir la carafe sous le bras comme ça.

A voir son expression, il en serait bien capable sans qu'il s'en rende compte tellement il était absorbé par sa nouvelle acquisition. Lehie se saisit de la carafe pour l'emmener dans le local destiné au personnel autorisés et rempli d'emballages servant à protéger les toutes nouvelles acquisitions des visiteurs. La jeune mère l'enroula avec soin dans le papier à bulles puis le déposa dans un carton prévu à cet effet et enfin scotcha soigneusement les abattants du carton. A double tour histoire que la carafe ne se sauve pas pendant le transport. Elle se servit ensuite dans les prospectus d'activité sportives, d'annonce de professeurs particulier d'art ou autres matières et les déposa sur le carton en même temps que le reçu d'achat. Enfin - comme le devait peut-etre penser avec soulagement l'acheteur - Lehie revint avec le carton, les publicités et le reçu.

Voilà, il ne vous reste plus qu'à régler trois cents crédits et vous pourrez jouer avec le papier à bulle mais j'ose espérer que vous attendrez d’être rentré chez vous.

Elle finie par revenir, accompagné d'un carton contenant probablement ma nouvelle acquisition. Enfin, je ne peux même pas en être sûr vu qu'elle est allée faire son affaire. J'en suis à froncer les sourcils, soupçonneux mais ses paroles chassent mes pensées idiots. Qu'aurait-elle à y gagner de ne pas me refourguer sa camelote ? Je me racle la gorge, gêné. Je tapote mon Holo pour vérifier. Mais oui, je viens déjà de régler. Elle essaye de m'arnaquer, ou bien ?! Je lui rends l'écran en ajoutant :

« _ Euh, madame, j'ai déjà confirmé la transaction, regardez, juste là. »

Tu vas pas me faire payer deux fois hein ! Attention ! Je tends les bras pour recevoir mon bien. Faut que j'me casse. Vite. Avant de pleurer.

Ben voyons, le rouquin ne payera pas deux fois, c’est la publicité qu’elle lui donnait en plus du carton qui allait lui donner l’envie de débourser plus sur d’autres activités. C’est infiniment plus insidieux. Lehie possédait tant d’argent qu’elle ne s’inquietait pas pour elle et ne souciait pas de faire vendre ses toiles. Contrairement à celles de ses confrères qu’elle acceptait d’exposer dans sa galerie. Il ne s’était pas trompé d’adresse de règlement. Hourra pour Henry !

Merci de votre achat monsieur.

C’est fou combien elle pouvait ressembler à un banal employé avec son physique sans attrait. Elle lui tendit sa nouvelle acquisition et les prospectus.

Elle me tend le paquet avec quelques prospectus en plus. Elle veut encore me faire raquer d'la thune. Déjà qu'elle a voulu me faire payer deux fois... Elle m'adresse un sourire poli en même temps. Moué. J’aperçois des prospectus sportifs. Tiens ?

« _ Vous touchez au domaine du sport aussi ? C'est drôle comme pub dans une galerie telle que la vôtre. »

Je dépose le carton pour feuilleter les deux trois publicités. J'en ai presque oublié mon fric.

Il faut reconnaitre une chose à Lehie, elle ne s'est pas rendue comme qu'elle avait demandée deux fois au rouquin de payer. Ce n'est pas vraiment  une commerciale qualifiée pour ainsi dire, il est normal qu'elle fasse des boulettes types.

Je propose des activités de proximité, elles ne sont pas très éloignées de la galerie. , répondit-t-elle avec patience, ces prospectus étaient loin d’être une plaisanterie. Je ne pense pas qu'on doive s'enfermer dans une pièce pour développer sa créativité, au contraire. Mais chaque artiste a sa propre manière de faire, certains me contrediront sans doute.  

Lehie ne dit pas  qu'elle est claustrophobe, qu'elle aime la pratique sportive en extérieur. Multiplier les expériences.

Je hausse un sourcil. Des activités proches d'ici, intéressant.

« _ Oh, qu'est-ce que vous pratiquez de beau ? Attendez... ses toiles sont aériennes, légères, colorées. Je place ma main sur mon menton, en pleine réflexion. Je dirais... que vous êtes adepte du saut en parachute. Mes yeux s'illuminent, c'est forcément ça. J'ai bon ? »

Bien essayé monsieur mais raté. Vous voulez avoir droit à deux essais  avant que je vous dise ? , demanda Lehie en sentant un petit sourire mutin fleurir sur ses lèvres.

Raté... Merci, Sherlock.
Je plisse les yeux.

« _ De l'hoverboard, alors ? »

Un vrai boulet.

« _ Ça ne serait pas de refus... »

Corde. C'est large comme activité possible mais elle voulait voir ce qu'il ferait de ce mot unique. Par jeu. Pas par cruauté.

Un gros nul...
Corde... corde, on peut faire plein de trucs avec une corde !

« _ Ah ! Je l'ai ! De la spéléo ? »

Logique.

Je pourrais en faire mais il faut prévoir des vetements chaud, il fait frisquet dans les grottes. Je pratique de la via ferrata, de la randonnée,de l'alpinisme, de la navigation à voile. C'est pour ça qu'elle a choisi le mot corde. Elle fait beaucoup de sport qui implique une corde.

J'étais pas si loin. Mébon. J'ai raté, quoi. Je manquais d'indice, c'est sa faute !

« _ Oh, je vois. J'étais presque de le juste ! Mais vous faites ça où ? » Depuis l'armée, mes sports se résument un peu à la course à pied et à la muscu...

Ma bouche se déforme dans un grand « O » . Sa baie privée, AH OUI ?

« _ Eh bien, quoi qu'il en soit, je n'hésiterai pas à vous contacter pour l'une de ces activités. »

Le pire, c'est que c'est vrai. Elle m'a peut-être vendu cette foutue carafe mais voir un peu du pays et découvrir d'autres sports serait une grande joie.

Baie privée oui. Jaloux ?  Elle voit bien qu'il est bouché bée. C'est la magie de ce qu'on appelle "l'aisance financière".

Si vous n'avez pas le vertige, ce sera avec plaisir.

Nonobstant le fait qu'elle souffre d'une forme extrême de claustrophobie, qui lui interdit certaines activités  comme la spéléologie sans  un équipement adapté pour prévenir les difficultés respiratoire et les évanouissements.

« _ Super ! A très vite, alors ! »

Je ne sais pas trop comment j'en suis arrivé à changer radicalement d'avis à son sujet. Elle est passée du statut de "vendeuse de camelotes" à "potentielle sportive intéressante" du coup, je suis pas mal intrigué. Et je suis sérieux, quand je dis que je la recontacterais bientôt. Des virées en plein air me ferraient le plus grand bien.

Je la salue une dernière fois avant de quitter la galerie, bien moins bougon que dix minutes plus tôt. Finalement, même briser sa tirelire apporte parfois de belles surprises. Faudra que je prévienne Wulf, ce gros radin.

Elle le salua une dernière fois, en le regardant partir sur ces mots enjoués. On aurait dit un gamin excité par une grande découverte. Il lui revint à l'esprit qu'il est l'heure de quitter sa galerie et de se pelotonner avec son adorable petit Awak devant un film d'animation. Personne ne la remplacera, donc elle prit le temps d'éteindre les lumières, d'activer les alarmes puis sortit avec ses affaires en verrouillant l'entrée avec une grille anti-intrusion renforcée. Lehie monta dans son véhicule en jetant une dernière fois un regard pensif sur sa galerie d'art. Elle pensait à l'enrichissement que lui a apporté cette rencontre. Qui rejaillirait peut-être sur ses œuvres.