La crémation de Bartolomew Robert White, qui faisait partie des victimes de la destruction d'un complexe industriel récent appartenant à la corporation Kether-White lors des attaques trinitaires visant Vanguard, avait tourné au pugilat entre Rudolfo et Leonard Kether. Lehie avait été furieuse qu'ils se donnent en spectacle le jour de l'enterrement de son père, elle savait bien qu'ils ne s'aimaient guère et manifestait souvent une hostilité franche quand ils se voyaient que seul les anniversaires d'Honor semblaient éteindre brièvement, mais elle n'avait jamais imaginé qu'ils iraient jusqu'à là un jour pareil. Honor avait voulu savoir pourquoi Tonton Rudolfo et Papy Leonard s'étaient battus et elle avait répondu qu'ils étaient jaloux de ce qu'ils avaient partagés avec Grand-père Bart. Sa fille avait répliqué qu'elle trouvait sa stupide ce à quoi, Lehie était bien d'accord. ça faisait aussi mal que de savoir que Bartolomew était parti pour toujours. C'était comme si un dieu de son enfance, de son adolescence avait fini par mourir.

Les circonstances dans lesquelles son père était mort s'était imprimé au fer rouge dans son esprit. La guerre. Qu'elle n'aurait jamais imaginé voir un jour sur le sol de Renaissance. Elle avait découvert la solidarité des habitants de Vanguard face aux destructions et aux pertes. C'était quelque chose de beau qui n'apparaissait que dans l'horreur. La beauté se mêlait au laid, à l'horreur indicible, mais c'était en définitive l’être qui définissait le beau et le laid, créant un monde rempli de vérité qui était propre à chaque humain, elle avait pas mal philosophé sur ces notions pendant ses années d'art et de lettres. Elles avaient reçues une convocation chez un notaire, c'était apparemment au sujet de l'héritage de son père. Lehie avait pris la route en emmenant Honor comme il était spécifié sur la lettre et en arrivant, avait appris qu'il lui laissait l'intégralité de ses biens, de ses actions en bourse et de sa fortune à l'exception de la maison ou il avait vécu les dernières années de sa vie et d'une pension mensuelle qui revenait à Rudolfo. Le notaire lui avait remis divers papiers qu'elle avait rangés dans le véhicule sauf un qui était tombé au sol. Lehie se baissa pour le ramasser et, curieuse le retourna pour y découvrir un dessin enfantin. Elle le regarda longtemps, propulsée dans un lointain passé.

Une jeune fille de quatre ans entend les terribles sirènes et les voix qui la réconfortent. Rien ne va plus. On l'emmène à un orphelinat à l'arrière d'un véhicule. Là, ou d'autres enfants comme elle, sont orphelins et sont adoptés par des hommes et des femmes fortunés. Le visage de sa mère étendue sur le sol de la cuisine, victime d'une overdose la hante et l’empêche de dormir. Plus loin encore dans les souvenirs de Lehie, une fillette de six ans se fait voler les rares affaires que l'orphelinat leur accordait, elle s'en plaint à un surveillant qui retourne le dortoir sans succès. Elle se fait agresser dans les vestiaires par des filles plus âgés qui la frappent, heureusement l'intervention de la terreur des dortoirs lui épargnait de recevoir plus d'un oeil au beurre noir. Lehie ressent de la gratitude pour sa sauveuse qui lui explique qu'il est important de ranger ses affaires et de ne pas cafter aux adultes. Cette explication, la petite fille de six ans la garda en tête quand la directrice la convoqua pour qu'elle s'explique pour son coquard.

J'ai glissé dans les douches, répondit-elle, mais c'est un piètre mensonge et la directrice le sait. Mais elle ne peut rien faire. Heureusement qu'il y a Mr. Moriarty, un ancien professeur d'art désormais à la retraite qui complétait ses revenus en animant des activités créatives à l'orphelinat. Lehie se passionnait pour la peinture et le dessin, ne se satisfaisant jamais totalement de ses œuvres. Puis un jour, deux hommes accompagnés de la directrice se présentèrent dans la salle, ils avaient demandé à voir les activités créatives. La jeune fille de huit ans les regarda se promener entre les enfants et leur poser des questions, et son dessin ne la satisfaisait pas non plus ce jour-là. L'un des hommes s’arrêta et l'interrogea une seule fois.

- Que penses-tu de ton dessin ?
- Il ne me plaît pas. Je veux le refaire. En mieux.

La petite Lehie l'ignore encore, mais ses mots simples d'enfant avaient fait basculer sa vie. C'est elle qu'ils choisirent entre tout les enfants. La directrice vint la chercher pour lui annoncer qu'elle avait été adoptée et qu'elle devait partir. Quitter l'orphelinat, l'unique refuge qu'elle avait connu pendant quatre années pour le monde extérieur. Tristesse, peur et joie se mêlent dans le cœur de l'enfant qui offrit en guise d'adieux des chocolats à la terreur qui l'avait sauvé des méchantes filles et à ses amies. Elle se retrouva avec les deux hommes qui lui disent qu'ils seront ses parents, ses pères. La sécurité est peut-être à portée de main pour la petite Lehie. Finalement, il s'avère qu'ils sont très occupés, ils travaillent beaucoup pour la corporations Kether-White qu'ils ont créée ensemble. Ils travaillent pour un rêve prométhéen. Rendre le monde meilleur. La petite fille découvre le luxe et la solitude, elle a besoin de se distraire donc elle continue à peindre et à dessiner. Et quand cela ne suffisait plus à éloigner le vide qui s'était créé, elle lisait des livres de l'immense bibliothèque de Papa Bart. Quand il est là, il écrase tout par son charisme, comment être à sa hauteur ? Impossible. Il lui était plus facile de communiquer avec Leonard qui partageait sa passion pour la peinture. Elle apprend petit à petit que tout était possible quand on avait la volonté de le faire.

Pauvre petite Lehie, elle est blême dans la cage de l'ascenseur de l’hôtel particulier que ses pères possédaient à Vanguard. Elle a manqué de s'évanouir avec ses difficultés à respirer dans un espace clos. Le diagnostic est sans appel, elle souffre de claustrophobie et on lui recommande de porter un masque respiratoire afin de normaliser sa respiration ainsi que des exercices de relaxation. Ses pères s'inquiètent au sujet de son avenir. Les voyages spatiaux ne manqueront pas de déclencher des crises de claustrophobie chez leur protégée, hors, c'était le seul moyen pour aller étudier à l'université. Deux ans plus tard, Lehie commença à éprouver des douleurs au ventre, on lui prescrit des médicaments, mais rien à y faire, les douleurs revinrent chroniquement. Comme ce n'était pas létal, on décida que ce n'était pas une priorité de l'opérer, mais on programma une opération pour ses dix-huit ans.



Si on veut, on peut. Lehie découvrit que l'escalade, sport qu'elle découvrit pour la première fois en première année du collègue et demanda à continuer en dehors des cours. Ses pères la laissèrent entre les mains des instructeurs d'escalade certifiés qui lui apprennent les nœuds, les précautions à prendre et caetera. Cela lui fut utile quand Bartolomew parvint à se libérer suffisamment longtemps pour lui offrir un voyage ensemble sur un bateau de plaisance dans l'enceinte d'une baie protégée des terribles Gorl'k. Ils s'amusèrent énormément puis à la fin du séjour, Bartolomew lui annonça qu'il lui offrait une randonnée dans les magnifiques montagnes de Renaissance. Elle avait quatorze ans le jour de cette annonce et elle n'oublia jamais la découverte rendue magique par un guide qui savait rendre vivant ce qu'il racontait. Elle était fascinée par la flore et la faune de sa planète natale qu'il fallait préserver.

Tout vola en éclats quand Leonard surprit Bartolomew à le tromper avec un autre homme plus jeune en 97 ADD. Il décide de divorcer, furieux et l'effet s'en ressentit durement sur Lehie dont les notes commencèrent à baisser. Rapidement, on décida que Leonard quitterait la corporation Kether-White et vivrait de son coté tandis que Bartolomew resterait avec son bel amant. La garde fut partagée. Elle commença même à fumer, mais, surprise par Leonard, elle entendit la pire semonce de sa vie la faisant renoncer à ce vice-là. Néanmoins, elle était en colère contre Bartolomew, et plus particulièrement Rudolfo qu'elle accusait d'avoir tout détruit. Petit à petit, le caractère bon vivant de Rudolfo fit son effet, et elle commença à infléchir quelque peu sa position.

À dix-huit ans, elle se libéra enfin de douleurs chronique qui lui brûlait le ventre grâce à l'implantation d'un système digestif, elle dut néanmoins prendre des médicaments anti-rejet et limiter ses activités pendant quelques temps. Toutefois, elle prit quand même son tout premier voyage spatial dans un état d’extrême nervosité dû à sa claustrophobie et à ses réticences liées à la piraterie récurrente dans le système. Le voyage se passe néanmoins sans encombre si l'on excepte le fait qu'elle le passa quasiment sous masque respiratoire et droguée avec des médicaments censés atténuer ses symptômes. Pas de quoi lui laisser de très bons souvenirs de la traversée, mais elle tenait à faire ses études hors système.

Grendel. Une planète moins luxuriante que Renaissance, mais dotée d'université. La jeune adulte passera son temps libre à découvrir la planète pendant ses loisirs notamment à expérimenter ses montagnes pourtant considérées comme dangereuses même pour les alpinistes les plus expérimentés. En deuxième année, elle rencontra son premier amour John Geary d'une manière... Percutante. Il la fit se sentir belle, elle, qui avait un physique banal. Il la complimentait sur ses muscles et ses cheveux aux reflets bleutés. Elle aimait sa culture du vieux corporatiste et son amour pour les livres. Ils passaient leurs temps à discuter d’œuvres littéraires et à s'exprimer en vieux parler corporatiste. C'était l'amour avec un grand A.

En 103 ADD, Lehie a des nausées matinales, le test de grossesse est positif, mais John ne prit pas très bien prendre la nouvelle. Il insista pour qu'elle avorte exposant une litanie d'argument qui militait en ce sens. Ce n'était pas envisageable pour elle, un petit être grandissait dans son ventre et c'était merveilleux. John se comporta comme un connard et découvrit vite que sa discrète amante n'était pas faible de caractère. Ils se séparèrent et très bientôt, elle eut également la mauvaise surprise de découvrir que son bel ami répandait des rumeurs cruelles sur son compte. Lehie était déçue, dévastée, comprenant qu'elle ne connaissait pas aussi bien qu'elle l'avait cru, John. Des amies la lâchèrent croyant à ces rumeurs et d'autres la soutinrent. Ces dernières lui permirent de tenir à la fois sa grossesse les études du master.

C'est une belle fête du travail.

Le 7 Escer 104 ADD naquit Honor Stéphanie Kether-White, la sage-femme plaisanta en affirmant que c'était du beau travail et Lehie répondit qu'il fallait être deux pour ça. En regardant sa fille dans son berceau, elle était heureuse mais aussi pleine d'inquiétude pour la suite de ses études. Comment concilier un enfant à charge et les exigences des professeurs ? Et surtout supporter ce connard qui avait été son petit ami et resterait le père de son enfant ? La réponse ne tarda pas. Des nuits blanches à essayer de calmer sa fille, des petites maladresse de jeune mère. On lui dit qu'elle n'avait pas à subir le comportement de John, mais Lehie gardait un fond d'amour pour lui et ne voulait pas d'un procès, et finalement, c'est l'administration de l'université qui le chassa ne souhaitant pas avoir une mauvaise publicité si l'histoire venait à s'étaler dans les journaux locaux.


Lehie songea à abandonner à plusieurs reprises, la tête dans un devoir et sa fille reposant dans un berceau à proximité ; elle avait presque renoncé à la vie sociale pour se consacrer à ses études et à Honor. Pourtant, elle continua à avoir l'impression d’être débordée, dépassée. De n'avoir pas de temps pour elle. Ses professeurs comprenaient les difficultés que cela engendrait surtout ceux qui étaient parents et insistait pour qu'elle ne renonce pas en soulignant combien il était bonne élève. Ses amies restantes lui offrirent de garder tour à tour Honor afin de lui permettre de travailler ou bien lui conseillèrent de trouver une nourrice. Elle en a fondu en larme plus d'une fois de ce soutien.

Fur et à mesure qu'Honor grandissait, les difficultés s'atténuaient en même temps qu'elle acquérait de l'autonomie. Une amie, trouvant qu'elle était trop concentrée sur son travail lui suggéra de faire une expédition en montagne pour décompresser. L'idée séduisit la jeune maman bien que réticente à le faire, elle laissa finalement la garde de sa fille de deux ans à ses amies et partit.
En revenant, quelque chose avait changé, Lehie venait de retrouver une chose qui lui avait manqué pendant sa grossesse et les deux années qui ont suivi la naissance d'Honor. De l'énergie. De la force. Elle décida de recommencer à l'avenir, de s'offrir plus d'espace et de temps pour respirer. Tout ce qui l'entourait lui semblait plus beau que jamais et moins noir qu'à son départ. C'était comme une renaissance. Tant et si bien qu'elle finit par penser que c'était son idée de sortir à la montagne alors que c'était celle d'une amie. Il était bien difficile de reconnaître la jeune femme débordée qui pensait à tout arrêter. Son professeur d'art lui dit que ses peintures avaient une vitalité retrouvée bien loin des toiles sombres qu'elle avait faite pendant trois années. Trois années noires durant lesquelles sa seule joie était sa fille Honor. Lehie commença à réaménager ses horaires, se couchant à 22 h du soir et se levant à 5 h du matin, c'est sans surprise qu'elle récupéra sa forme physique d'avant sa rupture avec John. Les cicatrices émotionnelles commençaient à se résorber se muant en de lignes fines pansées par Honor et la pratique sportive.

Un jour, elle finit par être confrontée aux dangers de la montagne, prise dans une tempête en dépit de la météo qui annonçait un beau temps ce jour-là avant de changer de registre au fur et à mesure que des indications contraires parvenaient aux stations. La Lehie débordée et perdue serait peut-etre morte pas cette nouvelle Lehie. Elle trouva le moyen de survivre essayant de descendre en contrebas avant que la tempête soit sur elle, puis en cherchant un abri pour se protéger de la tempête. La jeune mère survécut non sans y perdre quelques doigts trop endommagés par le froid pour qu'elle puisse les conserver. Elle avait eu la présence d'esprit de se réchauffer les mains en pensant à la peinture et au dessin et de se nourrir au nutri-soja à l'orange (infect !) mais oubliant ses doigts de pied.

- Maman !
- Honor, ma chérie !

Grande effusion de la mère et de la fille dans une chambre d’hôpital sous le regard amusés de l'amie qui gardait Honor ce jour-là. Lehie sortit de l’hôpital après que les médecins se furent assuré du bon fonctionnement de ses doigts de pieds cybernétique et lui prescrivirent encore une année de traitement anti-rejet pour la chair intègre bien ces organismes étrangers, mais elle en avait déjà pour son système digestif cybernétique. Lehie était consciente qu'elle avait failli y passer en dépit de toutes ses précautions. Elle devait en tirer une leçon qui était très simple. La technologie de l'UC n’empêchait pas les défaillances ni les erreurs humaines. Après cette mésaventure, elle obtint avec fierté son doctorat en 108 ADD et put enfin tourner la page de Grendel pour revenir sur Renaissance, la planète qui l'attachait en son cœur. Mais d'abord, il y avait un voyage spatial à faire et elle se souvenait très bien de son premier en de très mauvais terme. Pas de chance, Honor était complètement enthousiasmé par le voyage et il était bien difficile de résister à son charme enfantin. On aurait pu presque croire que les rôles étaient inversés avec tout les encouragements qu'Honor prodigua à sa mère tout au long du voyage. La malheureuse Lehie était pâlotte, elle savait à quoi s'attendre, mais les effets furent moins pires que la première fois. Peut-être était-ce la distraction que représentait le fait de s'occuper de sa fille. Honor adora particulièrement la salle à gravité zéro dans laquelle elle pouvait nager comme un petit poisson de l'espace.

-T'es une baleine de l'espace maman !

Cette petite pique de sa fille était vraie ; elle ne sentait décidément pas à son aise dans les vaisseaux spatiaux et tenter l'expérience de la gravité zéro avec Honor, n'avait rien arrangé. Lehie avait l'impression d’être une baleine échouée sur une plage. Heureusement que le voyage se termina enfin sans encombre bien qu'un vaisseau pirate aurait été aperçu sur le pont de commandement et la rumeur courut parmi les passagers avec un frisson de terreur, qu'il s'agissait du Santa Maria, vaisseau du seigneur pirate Philippe Leblanc. Ou était-ce un autre vaisseau pirate qui avait dédaigné la proie qui s'était présenté. Nul n'eut la fin du mot de l'histoire, mais elle plut beaucoup à Honor qui demanda à que sa mère lui parle du système de Dorado. Lehie commençait à s'inquiéter à l'idée que sa fille adorée devienne pirate tout en essayant de relativiser en pensant que cela lui passerait.


Dès son retour, la jeune maman avait présenté sa fille à ses pères et fit construire une demeure très spacieuse et lumineuse à l'écart de Vanguard après avoir posé ses exigences à un architecte. La localisation la situait au bord d'une baie protégée des Gorl'k où il était possible de naviguer sans risques tout profitant du vent. Non loin, il y avait des montagnes permettant à Lehie de se ressourcer. Elle engagea cinq hommes et femmes en guise de personnel pour s'occuper de la maison puis se consacra à ses passions et à sa fille. Lehie participa à des expositions pour ses peintures, publia quelques nouvelles et vendit certaines de ses photographies de la nature à des magazines. Son argent, loin de le dépenser en folie, Lehie le consacra à des causes qui protégeaient les orphelins, les enfants malades et la nature.

Elle se souvint que pour le cinquième anniversaire d'Honor, elle lui avait acheté un Kihitui que la fillette avait aussitôt surnommé Jabba. Puis revint brutalement au présent rappelé par sa fille qui s'inquiète pour elle. Lehie la rassura, ce n'est rien, c'est juste des souvenirs qui remontent ma chérie. Elle remit le dessin parmi les papiers en se demandant quelles autres surprises l'attendaient dans ces documents. Mais peu importe. Il était temps de rentrer à la maison, elle s'empara du poste de conducteur et démarra. Le véhicule partit au loin vers la maison idyllique que la jeune maman avait fait construire pour elle et sa fille.