Salud y alegría, hermosura cría.

Dîner. Assit sur mon lit, dans mes quartiers, impeccable dans mon uniforme de cérémonie, mes galons de Capitaine et de Maître Artilleur sur les épaules, je réfléchis aux sentiments mêlés que provoquent en moi cette initiative. Sur le papier, c'est une bonne idée. Une rencontre officieuse bi-mensuelle permettant de renforcer la cohésion des officiers et remonter des problèmes avant qu'ils ne deviennent officiellement ennuyeux. Alors pourquoi est-ce que je me sens ambivalent à l'idée d'y participer ? Je ne pense pas que ce soit une question de temps libre. Je n'en ai que peu ce qui est normal lorsque l'on est stationné sur un vaisseau et, de plus, je n'ai pas grand chose à y faire. Je n'ai pas le trac non plus. Si c'est ma première participation à cette réunion j'ai, depuis deux semaines, déjà rencontré la plupart de mes collègues avec qui j'entretiens pour le moment une relation neutre et distante d'observation. Je suppose que le seul moyen de savoir est de passer le pas.

Je me lève, jette un coup d'oeil dans le miroir. Le bleu marine met ma haute taille en valeur et la coupe renforce mon côté martial. Tout tombe comme il le faut, j'enfile mes gants blancs, je retends la couverture de mon lit au carré et je quitte la pièce pour le Mess. J'espère toutefois qu'un effort de nourriture sera fait pour l'occasion.

Arrivé dans la salle, il y a déjà du monde. Je traverse, saluant d'un sourire ou d'un signe de tête ceux que je connais le mieux, serrant la main des autres pour m'asseoir à côté d'une femme blonde qui m'est - elle - totalement inconnue. La rumeur d'un passager avait cependant fait son chemin jusqu'à mes oreilles et je suppose qu'il s'agit là de la personne en question. Je lui souris gentiment, attendant la fin des rituels de salutation et, une fois le repas commencé et les conversations privées engagées, me lance.

"Pas trop impressionnée de vous retrouver ainsi entourée de militaires ?"

Lorsque Mia lui avait parlé de ce dîner regroupant tous les officiers, Flora n'avait pas pu refuser. Une invitation ne se refuse pas, et c'était un bon moyen de rencontrer enfin les officiers du vaisseau. Evidemment ce genre de soirée amenait une certaine dose de pression. Certes, ils étaient des officiers, mais cela restait des militaires de carrière, des gens qui impressionnaient Flora. De plus, une première impression était toujours capitale, elle se devait de bien présenter.
Flora avait enfilé une robe blanche ornée de dentelle, ses cheveux ramenés en un chignon tressé, un lys déposé sur le côté droit. Elle salua tout le monde, un sourire doux et un hochement de tête poli, des mots de circonstance, s'intéressant à chacun. Elle retint les prénoms, les visages, et entama le repas. A côté d'elle se trouvait le maître artilleur, Felipe de Golazzo. Cheveux courts, grand, plutôt bel homme, tiré à quatre épingles, barbe taillé, charmant selon Flora. Son impression se conforta quand il commença la discussion. Elle cacha un petit rire.

"Pour tout vous dire, je n'en ai pas l'habitude. Mais cette compagnie n'est pas désagréable, et puis personne n'a l'air bien méchant ainsi."

Finissant une bouchée d'une délicieuse entrée citron/coquille saint-jacques, elle continua.

"Vous êtes donc le maître artilleur n'est-ce pas ? Quand avez-vous pris vos fonctions ?"

Je souris, essuyant mes lèvres de ma serviette avant de boire une gorgée de vin blanc pour faire passer le tout. J'étais surtout Capitaine mais une civile n'avait pas besoin d'être au courant des subtilités entre le grade et le poste et cela m'amusait plus qu'autre chose. "Je suis arrivé sur le Cerberus le 04 Vercer 111, assez récemment donc. Cela étant, j'étais déjà Maître Artilleur sur l'Astaroth avant mon transfert en Dorado et cela doit faire une vingtaine d'année à présent que j'exerce des fonctions de ce type. Et vous-même ? Vous êtes arrivée dans le système il y a longtemps ?"

Comme d'habitude, Flora nota mentalement les dates, les noms. Elle n'en pensa rien, étant donné qu'il n'y avait rien à y penser et que de toute façon les choses militaires lui étaient étrangères dans une large mesure. Elle hocha cependant la tête, en signe d'attention. Cela ne l'étonnait pas du tout qu'il fut militaire haut gradé depuis longtemps, il avait cet air carré et direct qu'ont les gens de cette trempe. Flora se dit que son espace de travail, la salle où se tenait les canons imaginait-elle, devait être impeccable.

"Quelques mois, au début de l'année dernière à vrai dire. Dorado est un endroit plein de surprises mais j'imagine que l'on s'y fait."

Elle se tut, ne sachant pas si elle en disait trop ou pas assez. Ignorante du but de la première question de Felipe qui pouvait à la fois lui demander ce qu'elle faisait ou introduire la seconde. Estimant qu'il en avait dit assez sur lui pour qu'elle puisse rendre la pareille, elle continua.

"Je suis Abiscale de formation et je dispose de quelques prérogatives diplomatiques depuis peu."

"Ce qui explique votre présence à bord je suppose. C'est un plaisir de vous voir parmi nous, Abiscal." Malgré un léger sourire, j'étais tout à fait sérieux. J'aimais que les femmes impériales se donnent à une cause, à un métier, pas comme ma femme qui ne savait parler chiffon et que rôder dans les salons à la recherche d'un bon parti pour notre fils. Certes, c'était vaguement une occupation mais à part Danilo et peut-être ma chère épouse, l'Empire ne profiterait pas de ces talents. Alors qu'une absical promottait la loi et la justice. "C'est une vocation personnelle ou bien un choix dicté par des obligations familiales ?"

"Exactement."

Il n'en demanda pas plus et elle le remercia mentalement pour cela. Elle préférait garder ses plans d'action et ses objectifs pour elle ou avec le capitaine et la seconde le plus longtemps possible. C'était sans doute une précaution inutile mais elle avait bien trop entendu d'histoires de torture ou d'agents infiltrés pour être effrayée de cette issue possible. Les militaires, eux le savaient et ne faisaient pas preuve d'une grande curiosité concernant ses missions.
Elle arrêta la coupe de vin au bord des lèvres, but une lente gorgée sans sourire, l'air réfléchi.

"Une vocation personnelle, je crois que j'ai été poussée par un certain... destin."

Elle ne put s'empêcher de rire, ne prenant pas vraiment au sérieux la notion de destin et retrouvant son sourire habituel.

"Bien qu'il est évident que ce fut un choix soutenu par le marquis et la marquise Nunez Vargas."

Peut-être pas jusqu'à mon mariage ...

Il devait savoir que sa position était honorable pour une famille. Et il devait se douter qu'elle était devenue délicate au cours des années avec son mariage et son rôle de mère. Pourtant elle n'avait jamais plié. Sans cesser de sourire, un voile passa sur son regard et elle changea de sujet. Ses yeux pétillaient en un regard complice lorsqu'elle utilisa presque ironiquement le mot "destiné".

"Et vous, étiez-vous destiné à l'artillerie ?"

Qu'il soit militaire ou haut gradé n'avait rien d'étonnant, le domaine de métier par contre était un choix pensait-elle.

Le destin, l'honneur, les motivations impériales se ressemblaient toutes. La Grandeur de l'Empire. C'était dans leur sang, dans leur coeur. Il n'y avait pas de compromis possible. L'Empire, l'Empereur, passaient avant tout. Je hochais la tête. C'était une vraie impériale comme il en manquait dans ces coins perdus de l'Empire. Noble jusqu'au bout des ongles, retenue, intelligente et éduquée. Un vrai parti. Je lui souris, un peu moins poli et un peu plus chaleureux. Je pense que je pourrais bien l'aimer cette jeune femme.

"Pas vraiment. J'étais destiné à l'armée, c'était certain. Les troisièmes fils ne font pas grand chose d'autre. C'est mon frère qui aurait du suivre les études que vous avez entreprises mais il préféra s'adonner à la gestion pour aider notre aîné. Mes années à l'école militaire m'ont donné le gout de la technicité et de la tactique que je préférais au sport pur même si je reste assez sportif à mes heures perdues L'artillerie, c'est pas, voyez vous, celui qui a le meilleur canon. Nous avons tous à peu près les même. Mais comment se servir des canons à notre disposition pour un résultat maximal en fonction du modèle qui nous fait face. Cela demande beaucoup de connaissances de pointe et d'expérience pour être vraiment doué, contrairement à l'infanterie qui, au final, est plus une question de chance. Vous avez des militaires dans votre famille ?"

Flora décela un changement dans son expression, une sorte d'amabilité plus sincère. Cela lui fit plaisir et elle ne le dissimula pas en transformant elle aussi, subrepticement son sourire. Elle hochait la tête, buvant quelques gorgées tout en prêtant une attention visible au militaire.
Elle n'y connaissait rien en tactique et en compétences militaires. Pourtant il rendait son discours accessible à tous. Flora acquiesça à son statut de troisième fils destiné à l'armée, elle sourit le croyant bien volontiers lorsqu'il affirma être assez sportif. C'était visible et elle n'aurait pu lui donner un âge précis.
Si l'objectif premier de l'artillerie était de détruire, il en parlait avec suffisamment de finesse pour intéresser Flora. Cette histoire d'expérience, de connaissance de pointe l'impressionnait assez pour qu'elle fut sans voix. Même si elle considérait les moyens utilisés par l'armée, à savoir la violence, comme barbares, elle ne pouvait que rester interdite et fière devant la puissance, l'efficacité de l'armée impériale. Et de ses militaires.

"Mon mari seulement. Et ..."

Elle se tut un instant, se mordit l'intérieur de la joue sans même s'en rendre compte.

"Je vous avoue ne pas être tenue au courant de ses affaires."

Ce qui était normal, et elle se rattrapa tout de suite.

"Ou ne pas m'être intéressée suffisamment pour m'y connaître. Néanmoins je tente de me rattraper, étant donné ma nouvelle affectation. Je risque de vous imposer ma présence plusieurs fois par année."

Impossible de savoir combien de temps exactement mais elle appréciait le Cerberus et Mia.

Voilà un tic parfaitement charmant. Je laissais échapper un petit rire profond.

"Ah, l'amour du secret des militaires. Ne lui en veuillez pas trop, il est considéré comme malchanceux de parler de travail lorsqu'on est en permission, cela risque d'attirer le travail à vous, ou pire, la violence sur votre maison. Aucun militaire digne de ce nom ne parle de ses journées à son épouse."

En tout cas, pas moi mais pour cela, il faudrait que je lui parle, à mon épouse et l'Empereur m'en préserve ! Quoi qu'il en soit, elle est mariée. Je n'en doutais pas vraiment, elle n'est pas assez jeune et trop noble pour ne pas l'être.

"Tant que vous promettez de rester dans vos quartiers ou obéir aux officiers en cas d'alerte, je pense que votre présence sera plus un présent qu'un fardeau. N'hésitez pas, en tout cas, à poser des questions. En dehors des permissions nous sommes tous terriblement bavards sur nos spécialité respectives et parfois sur celles des collègues."

"Je comprends parfaitement. Je suis aussi astreinte à une certaine discrétion. Mais je n'avais pas connaissance de cette superstition. Ne voyez aucun a priori péjoratif dans l'emploi de ce terme, certaines superstitions valent la peine d'être suivies, la possible peine n'en vaudrait pas la chandelle."

De toute façon Gaspar et moi ne partageons pas de grandes discussions.

Elle souriait, et encore plus intérieurement en entendant ces conseils qui ressemblaient à des ordres. C'était typique des militaires. Au moins il avait la délicatesse de lui demander à elle de prendre ses décisions. Elle n'allait bien évidemment pas promettre bien qu'elle suivait déjà et qu'elle suivrait encore à l'avenir ses recommandations. Elle ne pouvait pas le promettre pour plusieurs raisons, d'abord parce que Flora avait une conscience aigue de la parole donnée, elle était la voix de l'empereur en un sens et ensuite parce que hiérarchiquement en tant que représentante diplomatique et abiscal, elle prenait ses ordres du capitaine. Et encore, il devait lui obéir si elle était en mission... comme elle devait lui obéir en cas d'alerte, si sa sécurité était en jeu par exemple.

"Rassurez-vous, je ne compte pas vraiment tdéambuler."

Elle rougissait très légèrement mais fit attention à ne rien laisser paraître autrement.

"Je n'en doute pas, j'ai d'ailleurs déjà entendu certains de vos collègues."

Del Ruiz notamment. Et elle se posait des questions, mais n'oserait bien sûr pas les poser. Du moins pas tout de suite. Elle reprit une bouchée, faisant passer son regard sur les convives.

"Je n'en doute pas" répétais-je avec un sourire sans préciser à quelle partie de son discours je faisais référence. Il en fallait plus pour me vexer qu'une référence à une superstition et je ne la pensais pas vraiment du genre à déambuler de toute façon. A venir voir ce qu'il se passe quand sonne l'alerte, par contre, c'était du dommaine du possible. Après tout, elle semblait calme et douce comme ça, à diner mais la vie d'une Abiscal était sans arrêt confrontée avec la lie du monde civilisé aussi, je la pensais plus forte que ce qu'elle voulait bien laisser paraître. Ce qui n'était pas pour me déplaire.

Etant à cours de sujets pour le moment et ne voulant pas laisser passer ce délicieux diner, je pris donc le parti de la laisser à ses pensées et de terminer mon assiette, bien certain qu'elle saurait poser des questions si elle en avait envie.

Flora avait le coup de fourchette léger et désespérait de finir ses assiettes à chaque fois. Elle savait que c'était impoli et demandait au préalable de petites portions ce qu'elle avait bien heureusement reçu cette fois-ci. Elle s'essuyait doucement les lèvres en les tapotant quand une interrogation lui vint.

"Pardonnez ma curiosité... mais comment se rythment vos journées lorsque vous êtes dans l'espace en tant que ... maître artilleur ? Ou du moins si c'est votre métier je crains de ne pas savoir discerner votre rang à votre uniforme."

Il était nouveau et Flora ne s'était visiblement pas assez renseigné. Heureusement il était d'une politesse et d'une délicatesse sans faille, elle pouvait donc se permettre une petite incartade. Elle s'était excusée purement pour la forme étant donné qu'il lui avait déjà proposé de répondre à ses questions. En les voyant ainsi, elle avait l'impression de voir des nobles, tout ce qu'il y avait de plus normal, lors d'un repas. Et avait du mal à les imaginer dans leur contexte. De plus elle s'était rendue compte que la vie de navire n'était pas forcément une vie d'aventure, ils ne combattaient pas pendant de longues périodes.
Cependant l'homme qui se tenait à côté d'elle n'avait pas l'air d'être un noble oisif mais plutôt un homme d'action, qui aimait les choses bien faites, elle le devinait à son allure. Hors des périodes plus intenses, Flora n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait faire.

Je souris. "Je suis Capitaine. C'est mon grade et celui que vous voyez sur mon uniforme. Les barrettes dorées indiquent le statut d'officier, argentées pour sous officier et bronze pour soldats du rangs. Pour vous donner une idée, le Second, de Moya et notre Capitaine de Aragon sont aussi Capitaines. Del Ruiz, par contre, est adjudant-chef, c'est en dessous d'où ses galons argentés. Mais mon poste en ces lieux est bien celui de Maître Artilleur, ce qui me met en dessous du Second et du Capitaine et a égalité avec Del Ruiz qui est quartier-maître. Il a la préséance sur moi pour tout ce qui concerne le bien être de l'équipage mais je peux lui donner des ordres s'il y a un enjeu tactique ou s'il y a situation d'urgence car je suis d'un grade et d'une ancienneté plus grands. Malgré notre égalité de rang et mon ancienneté, je reste toujours sous les ordres du Second et du Capitaine car à grades égaux, le poste décide. Je ne sais pas si c'est assez clair ? Je pourrais vous donner des cours de galons si cela vous intéresse, vous en sauriez assez pour connaitre toute la carrière de n'importe quel militaire rien qu'en regardant son uniforme." Je sais que je n'ai pas encore répondu à sa question sur mon quotidien et je ne l'évite pas mais je préfère faire une pause pour le moment afin de voir si elle a bien compris la première partie de mon explication avant de me lancer dans la seconde.

Flora commença d'abord par écarquiller très légèrement les yeux. L'explication était parfaitement compréhensible et l'effort évident qu'il faisait pour lui permettre de saisir toute la nuance fut remarqué. Elle avait déjà rencontré l'adjudant-chef Del Ruiz. Elle comprenait qu'ils devaient s'accommoder des grades en équipage afin de gérer la hiérarchie que demandait impérativement un vaisseau militaire.

"C'est assez clair. Eh bien je ne sais pas si je dispose d'un temps nécessaire à des cours à proprement parler..." Elle haussa un coin de sourire, montrant ainsi une pointe de complicité. "Mais je vous demanderai peut-être des éclaircissements à l'avenir sur certains ou certaines de vos collègues. Cela peut toujours m'être utile. Au moins pour m'éviter des maladresses."

Eviter des maladresses étant l'essence de son nouveau statut de diplomate et une des règles les plus importantes de sa vie, tout comme une aide précieuse dans son travail d'Abiscal. Elle se tut, consciente qu'il n'avait sans doute pas fini sa propre explication.

Elle ne dit pas oui. Mais elle ne dit pas non. C'est bien une diplomate, rompue à l'art de ne rien donner qu'elle ne saurait reprendre. Je décide de prendre cette réserve pour une demi-victoire -je suis du genre optimiste- et compte sur le temps et l'ennui pour la tenter à accepter par la suite. Pour le moment, il est vrai que nous ne nous connaissons quasiment pas et que je vais un peu vite. je souris.

"Pour répondre à votre question, la vie à bord est rarement très routinière, il s'y passe toujours plus ou moins quelque chose et je mets un point d'honneur à rester imprévisible pour mes hommes mais si je devais résumer... je me lève tôt, je fais un peu d'entraînement sportif puis petit déjeuner en lisant les transmissions de la nuit. Si rien ne s'est passé, je vais voir le quart de jour, je leur demande leur propre version des transmission et nous révisons les protocoles tout en faisant un certain nombre d'exercices et de simulations. Si je n'ai, bien évidemment, pas de réunion avec le commandement. Je déjeune au mess avec les collègues. Puis je fais une légère sieste. Je mets aussi un point d'honneur à connaître les dernières innovations techniques et tactiques. L'après-midi se passe comme le matin. Puis je mange, je m'entraîne, je lis et travaille à nouveau. Diner. Je donne mes instructions à l'équipe de nuit et je vais me coucher. Parfois, j'inverse les horaires pour vérifier les exercices nocturnes."

Ce qu'il lui dit l'étonna un peu, effectivement cette vie était loin des aventures que les militaires racontaient lors de soirées. Contrairement à ce qu'il disait, elle trouvait cela routinier, mais cela n'avait pas d'aspect péjoratif pour elle. Au contraire, Flora aimait la routine, l'ordre, les règles à suivre et les emplois du temps millimétrés. C'est après tout ce qui lui permettait de gérer plusieurs aspects de sa vie, la désarmant lors de situations d'improvisations.

Qu'il tentait de surprendre ses équipes était intelligent, Flora n'était pas aussi calculatrice mais elle comprenait l'objectif de cette manœuvre. Assurer une obéissance et un zèle parfait en tous temps sous une contrainte potentielle mais ponctuelle. Elle hocha la tête.

"Combien gérez-vous d'effectifs ?"

Elle parlait presque comme une militaire à présent pourtant elle avait un air sérieux. Flora s'intéressait réellement à chaque discussion qu'elle menait, mettant un point d'honneur à offrir toute son attention à celui qui parlait.

"Ici j'ai un groupe d'une trentaine d'hommes, répartis en plusieurs équipes pour les différents quarts, et autant de canons." Mon grade me permettant de commander facilement toute une frégate, j'avais eu bien plus à gérer mais j'appréciais pour cette fois d'être en petit comité. La milice en effet n'intégrait pas que des militaires et parmi les civils, il y en avait de tous horizons. Bien les connaître était donc nécessaire pour s'assurer de leur loyauté envers l'Empire, le premier devoir d'un noble impérial. "C'est assez standard pour une frégate de cette taille, au cas où vous vous poseriez la question. Vous vous plaisez en Dorado ?"

Flora hocha la tête gravement. Une trentaine d'hommes à gérer était une tâche ardue. Elle n'avait qu'une équipe très minime et déjà elle trouvait qu'être en position d'autorité était inconfortable. mais elle savait qu'il avait sans doute été formé à ces responsabilités. Plus qu'elle, qui en tant que fille n'avait jamais développé des qualités pour se faire obéir, mis à part concernant les domestiques.
En plus de ça, elle savait qu'il n'y avait pas que des militaires sur le Cerberus, mais des miliciens. Elle trouvait l'exercice compliqué, aussi elle avait son air sérieux et n'ajouta rien, mais il sembla devancer son impression.
Flora ne connaissait pas les effectifs dans le détail et ne pouvait savoir en comparaison si une trentaine d'hommes était un large nombre ou au contraire une petite équipe.
Il enchaîna sur une autre question qui la faisait réfléchir.
Non, elle ne s'y plaisait pas vraiment. Elle était tellement loin de sa zone de confort que parfois c'en était douloureux. Les gens étaient bien plus rustres, le mélange avec les factions presque impur, le système complètement vérolé par la piraterie qui lui faisait des frissons sur les bras.
Pourtant, elle trouvait dans cet amas de putréfaction, certaines perles. Et c'était son rôle de s'adapter. Elle sourit avec douceur comme à son habitude.

"Je suppose qu'il faut s'y faire. Ce n'est pas vraiment le genre de système dans lequel j'évolue habituellement mais il recèle de nombreuses surprises. Et vous ? L'espace doradien vous semble-t-il différent d'autres espaces ?"

"L'espace est toujours l'espace. Les lois qui le régissent sont universelles et impatiales. On y est jamais dépaysé et pourtant il est toujours différent." Je souris. "L'espace dont j'ai l'habitude est souvent peuplé de vaisseaux de commerce, de vedettes privées pleine de nobles volant de plaisirs en plaisirs et d'escarmouches voilées entre les factions. L'espace ici est constitué de travailleurs en majorité, de gens d'arme de différentes factions mais alliés et de pirates. Ce n'est pas l'espace qui change, ce sont les gens dedans. Et je dois avouer que je ne suis pas fâché d'avoir une occasion de revoir un peu mes préjugés." Tout ce qui me permet de rester derrière un canon et loin de ma femme a, de toute façon, mon intérêt le plus total. Dans la vie, on a souvent les priorités que l'on peut.

"Mon fils, lui, est tombé amoureux du système je crois. Nous avons passé quelques jours sur Renaissance et il n'avait pas assez de ses deux yeux pour voir."

C'était bien ce qu'elle s'imaginait. Un espace restait similaire. Elle sourit en pensant que la métaphore s'appliquait aussi aux planètes. On y trouvait les mêmes beautés, seuls changeaient les gens. En l’occurrence Dorado contenait la plus grande souffrance, les plus grandes pourritures et un mélange affreux que Flora regardait avec curiosité et un poil de dégoût.
L'espace pour elle, avait aussi ce goût de danger, peu importe où elle allait.

"Revoir vos préjugés ? Parlez-vous de la Trinité ? De l'Union ? Ou ..."

Elle baissa la voix, le regard plus grave.

"Des pirates ?"

Elle n'avait aucune idée de qui un officier avait-il bien pu rencontrer ? D'autant que les escarmouches entre l'UC et la Trinité avaient clairement éveillé les tensions, et que les réunions entre gens importants de factions se faisaient plus délicatement. Il avait pu rencontrer des pirates mais hors de l'espace... Dans tous les cas, il avait piqué sa curiosité. Cet homme a l'allure martiale avait donc plus de secrets qu'il ne semblait le montrer.

"Mes fils aussi ont ouvert de grands yeux sur Renaissance. J'aime à me dire qu'ils auront l'esprit aussi ouvert grâce au mélange de culture et que cela leur sera utile par la suite."

Je ris devant son maniérisme. Les pirates semblent pour elle une sorte de croque-mitaine tabous dont on ne parle pas dans les salons. Ici, dans un repas d'officier, ils sont bien parmi les sujets les moins extraordinaires. Après tout, ils sont une préoccupation de tous les instants.

"Je parlais de l'idée de la milice d'utiliser des originaires d'autres factions, non issu de la tradition militaire pour servir dans un vaisseau dirigé par l'armée. Cela va à l'encontre de tous les principes que l'on m'a inculqués même si je pense que contre l'anarchie des pirates, leur différence peut se révéler être une force." Je souris pour bien montrer que malgré mon amusement, je ne me moque pas d'elle. "Je pense que c'est la même ligne de raisonnement qui vous fait espérer que vos fils seront plus ouverts. La diversité bien dosée est une force et j'espère que notre expérimentation permettra de renouveler un peu certaines habitudes surranées de l'Empire. Pour sa gloire et son épanouissement." Je ne plaisante pas. L'Empire est toute ma vie, je lui ai toujours tout donné. Ma liberté, ma vie privée, mon coeur, ma santé, mon fils, tout.

Cela ébranlait pour le moins ses convictions. Elle se tut, l'air sérieux. Flora était traditionnelle, mais ce discours à demi progressiste lui plaisait. Il n'était pas sans défaut et son interlocuteur le savait. Pourtant les arguments qu'il avançait étaient pleins de sens. La réalité de la guerre, puisque c'en était une, au sein de ce système poussait à s'ouvrir à d'autres forces afin de les intégrer et peut-être de renforcer la puissance impériale. La diversité, dans une certaine limite, n'était donc pas si mauvaise. Elle pouvait être bonne, à condition de la contrôler. Elle aima la comparaison avec ses fils, une ouverture contrôlée c'était ce qu'elle essayait de leur inculquer.
L'idée d'être une milice venant de tous horizons était presque choquant pourtant et elle se garda bien d'en donner un avis ou d'encourager cette proposition. Elle se devait de rester relativement neutre. Sa curiosité cependant l'amena à poser une question, qui lui apporterait une information intéressante. Après tout, ce vaisseau, cette expérimentation... elle se devait de le comprendre car elle pourrait être amenée à travailler avec eux voire rendre des comptes de leur fonctionnement à d'autres. Un certain poids pesait sur ses épaules, aucun collègue du droit ou de la diplomatie n'avait pour l'instant eu autant accès au Cerberus qu'elle.

"N'avez-vous pas la crainte d'une trahison de la part d'un membre dont l'allégeance ne serait que feinte ou qui serait à son propre compte ?"

"Si, bien-sûr." La trahison était l'une des plus grande crainte de l'officier. Surtout lorsque, dans la milice, l'entièreté de la responsabilité des recrutements tombait sur le Capitaine au lieu de reposer sur les larges épaules de l'Etat-Major. Il y avait un luxe dans le fait de pouvoir rejeter une faute sur une administration, quand même. "C'est toute la complexité du poste d'officier. Même dans l'armée régulière, personne n'est à l'abri d'un retournement et d'une trahison. Les situations de crises et de combat impliquent une confiance sans faille à l'égard de ceux qui sont sous notre commandement, et les liens qui se tissent dans de telles circonstances sont naturellement très forts. Cependant, il faut que cet aveuglement ne soit pas total et l'officier doit toujours rester vigilant non seulement concernant les nouveaux arrivants mais également la conservation de la loyauté ds anciens,notamment en étant à l'écoute des frustrations et des mécontentement, tout en gardant également à l'esprit les recommandations et les possibilités de l'état major. Le poste d'officier est un poste éminemment humain, de proximité et c'est pour cela qu'il y a une telle hiérarchie dans l'armée, afin de rester toujours proche de la base. Dans le cadre de la milice et de son recrutement externe, ce danger est bien évidemment renforcé mais tous ici en sommes conscients et nous veillons, Madame, à ce que tout se passe au mieux. Aussi, je vous prierais de vous reposer sur moi et de ne pas vous inquiéter."

Flora avait eu l'occasion de côtoyer des militaires, et en des circonstances exceptionnelles, elle les avait vu faire. En fait, elle les avait même aidé à quelques reprises. Ils n'étaient pas du même monde, pourtant Felipe avait une façon d'en parler qui résonnait en Flora. La confiance sans faille, les liens très forts... et plus globalement, elle comprenait que le travail d'un supérieur était aussi de veiller sur ses "inférieurs" pour en assurer la loyauté. Si les conséquences étaient moindres dans le droit, et encore moindres ne voulait pas dire accessoires, elle pouvait faire le lien.
Elle eut un petit sourire.

"Il est évident que vous avez toute ma confiance et que je n'ai, en aucun cas, eu d'inquiétude quant à la loyauté de vos hommes. Les bâtiments impériaux sont encore ceux où je suis le plus en sécurité. C'était de la pure curiosité. L'originalité du Cerberus le place au centre de toutes sortes d'attentions. J'ai la chance d'y être observatrice privilégiée et de pouvoir m'entretenir avec vous, je ne m'en prive pas."

Il est plus facile d'avoir confiance en un homme qu'en une administration, m'avait appris ma longue expérience d'officier. Et cette fois ne faisait pas exception, même en faisant la part belle à politesse exquise de la jolie blonde.

"Je ne l'avais pas pris autrement, ne vous inquiétez pas." avançais-je pour calmer une quelconque inquiétude concernant ma susceptibilité. J'ai des coups de sangs, fréquents d'ailleurs mais curieusement pas sur ce genre de sujets là. C'est ce qui me rendait parfois difficile à vivre, il était compliqué de savoir ce qui allait ou non m'énerver. Ce soir, j'étais en compagnie d'une dame qui en plus d'être jolie et bien élevée se montrait intelligente. Ce n'était clairement pas le moment de le gâcher avec mon caractère de cochon impérial.

"Et qu'en pensez-vous, vous-même, pour le moment ? Entre nous et de façon totalement non-officielle ?"