La puce et le capitaine

Conrad réfléchit, c'est encore la meilleure solution.

- je suis ton capitaine et en un sens ton nouveau père. Alors c'est la meilleure solution en effet, tu apprendras doucement mais surement je ne m'inquiète pas pour toi. tente-t-il de la rassurer.

- ensuite il faut que tu laisses trainer tes oreilles dans les couloirs et que tu me racontes les ragôts et les secrets que tu entends. ajoute le capitaine. Comme je te le disais c'est le début d'une nouvelle aventure pour nous et je n'ai pas encore eu le temps de m'assurer de tout le monde.

"Ton nouveau père"... ça me fait renifler. J'aurais pas cru que le vrai me manquerait un jour et pourtant... J'ai envie de lui faire confiance, je me demande une seconde avec quoi il frappe quand ça file pas assez droit, lui, et puis je ravale tout. J'ai pas envie de savoir. Je hoche la tête, je sèche mes yeux. Ca ira. De toute façon on a décollé alors...

"Juste laisser traîner et j'attends que vous me disiez s'il faut aller écouter plus activement, c'est ça ?" je me rappelle à mi-voix. "Mais ça va vite se savoir, non ? Que je suis votre aide de camp et tout. Ils vont plus rien dire quand ils me verront."

- tu es une gamine que je prends pour s'occuper de ranger mon bureau et parce que je t'ai à la bonne... c'est la version officielle. Pas une mini espionne. Suffit de pas montrer à tout le monde combien tu m'aimes trop fort parce que je t'ai emmené dans l'espace. il a un petit sourire tranquille.

Pas sûr qu'elle en soit à ce stade pour le moment. Surement plus inquiète de a coupure avec sa vraie famille. Mais c'est ici sa nouvelle famille alors autant qu'elle en comprenne rapidement les codes. Parce que c'est un brin dysfonctionnel.

Il est presque rassurant quand il fait ce sourire. Malgré ses deux mètres douze et quelques. Et son boulot. Et le reste. Peut-être qu'il ment lui aussi pour ce que j'en sais. Mais pour l'instant... pour l'instant je sais pas et je peux pas savoir, alors je m'y fie. J'ai encore remarqué aucun coup fourré, alors...

"D'accord." Je me gratte un peu la tempe. "Mais puisque j'ai cet accès à votre bureau on risque de m'approcher. Enfin peut-être." Et puis... "Ca vous dérange pas de parler de ces trucs ici ?"

- je ne suis pas paranoïaque à ce point ma puce. dit simplement le pirate.

Mais parfois il sait qu'il devrait l'être. C'est juste que ce n'est pas sa nature et qu'il sait parler à voix basse. Et il faut aussi compter sur le fait qu'espionner les conversations du capitaine c'est mal vue et peut conduire à des questions désagréables.

- tu penses que tu vas t'y faire ? demande quand même le capitaine.

Je hausse les épaules.

"Ca devrait aller. J'ai même pas encore commencé et puis personne m'a rien demandé pour le moment alors tout va bien. Au pire j'vous dirai ?"

Je me demande soudain s'il va me demander un compte-rendu de la discussion avec les dames, hors trucs de filles. Ca a peut-être déjà commencé sans que je sache, en vrai.

Il regarde ses habits et ça semble lui aller.

- tu es contente de tes habits ? qu'il demande sans répondre à la question précédente.

Elle lui avait fait un câlin tellement elle était heureuse après le casse du siècle. Il espère que les fringues choisies lui conviennent parce qu'il ne compte pas passer sa vie à attaquer des magasins. C'est un risque grand pour un bénéfice tellement petit que généralement ça n'en vaut pas la peine.

"Oh oui, ils sont super !"

Surtout le chapeau, que j'ai pas mis là parce que... bon. Voilà. C'est pas utile dans un vaisseau. Même si c'est super joli. Là j'ai mon petit haut pervenche et en bas un pantalon beige avec une paire de chaussures fermées. Je me sens mieux que dans ma robe reprisée et raccourcie qui gratte un peu. Mais je l'ai gardée. Je la remettrai sûrement. Pas aujourd'hui.

"Je sais même plus si je vous ai dit merci..." je réalise, d'une petite voix. "Alors merci. Merci beaucoup."

- dans mes souvenirs tu m'as prise dans tes bras... ça compte comme un merci. dit tranquillement le pirate. En tout cas tu es resplendissante dans tes nouveaux habits. commente le capitaine.

Il espère sincèrement que la petite se sentira bien à bord. Même si c'est pas un orphelinat et que la vie de pirate n'est pas facile.

"Merci." je rosis. "C'est Miguelito qui m'a conseillée pour le pantalon. Les poches surtout."

C'est le type qui a ouvert la porte du magasin, Miguelito. Il m'a expliqué que je devais avoir des habits pratiques, pratiques, pratiques. Je cherche un compliment à faire sur ses habits mais je vois pas trop quoi dire alors je dis rien et j'attends la suite.

Conrad regarde l'heure et décide qu'il est temps de se mettre en route. Il se lève donc et fait signe à la petite de le suivre.

- la vie du navire est rythmée par les quarts. Comme je suis le capitaine j'ai pas vraiment d'horaire... même si en théorie sur un navire militaire ça serait faux. Mais on est pas des militaires et j'ai pas envie de me contraindre à des horaires. Chacun ses privilèges. explique Conrad en se dirigeant vers le pont. Tu es déjà allé sur le pont ?

Je me lève aussitôt et je le suis.

"Non pas encore." je réponds en trottinant derrière lui. "Enfin je crois pas. Il est où ?"

Pour moi un pont c'est au-dessus d'une rivière, pas dans un vaisseau spatial...

Ils arrivent rapidement sur le pont du Liberty. Un endroit plein de sérieux où les gens ne sourient pas et travail concentré. Conrad regarde ça l'air dépité.

- comme tu peux le voir c'est un endroit sérieux.... trop sans doute. dit-il en prenant sa flasque pour boire un coup. C'est ici que le capitaine commande. Il y a les navigateurs, les opérateurs des senseurs, les spécialistes en communication, un officier mécanicien, le tacticien quand ce n'est pas le capitaine et la mystique quand on en a une à bord.

Il a sans doute oublié des gens mais c'est pas très grave.

J'ouvre des yeux de plus en plus grands au fur et à mesure. C'est immense ! Et plein de gens très sérieux et concentrés. Et j'ai rien compris à ce qu'il m'a dit.

"Et ils font quoi tous ces gens ?" je demande avec curiosité. "Et qui est qui ?"

Elle connait rien à rien la petite. Les navigateurs c'est les gars là bas. C'est eux qui pilotes le vaisseau, l'opérateur des senseurs c'est la fille avec le joli sourire et les jam... bref. Elle est en charge de faire la synthèse de tous les détecteurs du navire pour comprendre ce qui se trouve dans notre environnement. Le spécialiste des transmission s'assure que nos messages atteignent les personnes avec qui ont veut parler. Et le ou la mystique parle avec Calypso.. mais j'en ai pas encore à bord. explique Conrad.

Je regarde, j'essaie d'enregistrer mais ça fait beaucoup de choses d'un coup. Je crois qu'il aime bien la dame des senseurs. Je tique à la suite.

"Calypso ? Mais c'est pas un..?" J'ai la présence d'esprit de pas finir ma phrase. Je demande pas qu'ils vénèrent saint Odat, au contraire ça me fera des vacances, mais de là à parler à un démon...

"Un ?" demande Conrad curieux mais toujours souriant et rassurant.

"Beeen..." j'hésite. Je baisse un peu la voix. "Là d'où je viens on en dit pas du bien. De Calypso."

J'ai beau pas être d'accord, même moi j'oserais pas critiquer ouvertement saint Odat au milieu d'un groupe d'Inquisiteurs... dire ce qu'en disent les autres c'est moins risqué.

Forcement elle a été éduquée par les trinitaires... des fanatiques qui sont complètement à fond derrière un dieu qui ne se montre jamais. Conrad est un pragmatique, il a vu les miracles de Calypso et donc sait qu'elle existe. Il n'a pas besoin d'avoir la foi dans son existence. Par contre il a la foi dans le fait qu'elle aidera les pirates qui aident les mo'ats. Ce qui est son cas.

- et bien c'est la protectrice des pirates, surtout de ceux qui brillent. explique Conrad. Donc tu diras pas de mal d'elle à mon bord. Ou je te jette dans le vide spatial.

Il est pas agressif quand il dit ça. On dirait plutôt qu'il explique que dans 2 minutes il va lui servir une glace.

Il est pas agressif, presque on dirait qu'il parle du temps qu'il va faire demain, mais les mots m'inquiètent et ça doit se voir. Je lève aussitôt les deux mais devant moi en signe de défense. De paix. De "non pitié pas le vide spatial, ça a l'air encore pire que le vide tout court". Est-ce que c'est un fanatique lui aussi, comme tous les autres à terre, juste avec un fantôme différent ?

"Je dirai pas de mal. Promis. Mais euh... j'ai le droit de poser des questions par contre ?"

Foutue voix, foutus aigus de gamine de huit ans...

- Il n'y a que les imbéciles qui ne posent pas de question. Donc j'espère bien que tu vas en poser des questions. il est d'ailleurs très curieux de savoir lesquels et espère que c'est au sujet de la Dame.

"D'accord." Je cherche comment poser les questions. Lesquelles poser. "Elle est comment ? Calypso ?"

"Elle est ... capricieuse, changeante, et pas toujours facile à suivre... c'est une femme en bref.. mais en plus extrême. dit Conrad avec un sourire aux lèvres. Mais quand elle est de bonne humeur elle offre des faveurs à ces mystiques et ces dernières ont une influence directe sur les capacités de notre vaisseau. Accessoirement elle parle vraiment avec ses mystiques... mais il faut être en partie Mo'at au moins .. sinon elle te snobe même si elle t'entend.

Conrad aurait vraiment voulu avoir du sang mo'at en lui pour devenir lui aussi un mystique et pouvoir parler à la déesse.. mais ce n'est pas possible.

J'essaie d'imaginer. C'est pas facile. Une femme qui change d'avis toutes les deux minutes et qui parle aux gens, mais seulement à certains, pour leur "offrir des faveurs", j'crois qu'à la maison on appellerait ça une "fille perdue". On vénère pas les filles perdues. Enfin j'ai pas l'intention de continuer à me forcer à dire mes prières donc ça devrait pas me déranger, mais...

"Pourquoi elle ignore les hu... enfin les pas Mo'ats, si elle existe ? Et elle fait quel genre de trucs pour le vaisseau ?"

Certaines habitudes de langage s'oublient pas en un jour... chez moi y a les humains d'un côté et les Mo'ats de l'autre. J'ai jamais entendu un autre mot pour les pas Mo'ats. C'est pas que je les vois comme inférieurs ou quoi hein, on est pas toujours mieux traitées qu'eux, nous les filles. Puis des fois j'ai parlé à certains, ils étaient pas méchants. Tristes à faire peur souvent, le regard sans vie comme ma mère et tous les gens dociles à leur misère... mais pas méchants ou stupides.

"Dites capitaine, vous avez un autre mot que "humain" pour les pas Mo'ats ?"

Elle est là depuis toujours et les Mo'at la vénèrent depuis la nuit des temps. Je crois qu'elle a pas bien vu l'arrivée des envahisseurs. Donc tout ce qui lutte contre eux elle apprécie, mais pas au point de leur parler... même s'il est possible de la rencontrer en chair et en os. Enfin c'est ce que disent certains anciens. explique Conrad.

Un autre mot. Colonisateurs, envahisseurs... propose le capitaine. Il y a pas vraiment de mot, enfin je crois pas.

D'un autre côté il n'a jamais vécu au sein des factions toujours avec les pirates depuis qu'il est né.

Je plisse le nez.

"C'est pas beaucoup mieux comme nom... j'ai envahi personne moi. Même mes parents ils sont nés ici."

Et Calypso... elle aime pas les pas Mo'ats, mais elle aime bien les gens qui brillent, mais elle veut pas leur parler quand même. C'est pas une fille perdue, c'est une chieuse oui... si elle existe. Je suis pas convaincue qu'elle existe. Vraiment pas. Mais je vais garder ça pour moi.

"Donc vous si ça se trouve elle vous aime bien, mais elle vous..." Je m'arrête, je le regarde mieux en fronçant les sourcils. "Vous êtes mo'at capitaine ?" je doute soudain.

La seule chose qui me permet de faire la différence entre un Mo'at et un pas Mo'at, c'est parfois un accent et toujours des chaînes. D'une façon ou d'une autre ils en ont toujours. Ou un nom. Mais lui il brille, il a pas l'accent trinitaire et j'ai que son prénom alors...