Renaissance, 77add

Le moineau est né par une belle matinée ensoleillée, dans une famille sans histoire de la petite bourgeoisie d’Alegria, une ville de Renaissance. Elevée et éduquée de manière stricte mais entourée de beaucoup d’amour, le désir ardent de voir la vaste galaxie de ses propres yeux poussa farouchement une jeune Calliope à s’intéresser très jeune aux arts militaires. Là ou les demoiselles de son âge s’intéressent à des loisirs oisifs dans une pâle imitation de ceux de la noblesse tant aspirée, elle courait déjà les rues à la recherche de sa dose quotidienne d’adrénaline. Une gamine aussi vive qu'un oiseau.

Amoureuse des immenses vaisseaux spatiaux dont elle admirait les décollages avec des yeux brillants, avide de pouvoir elle aussi un jour fouler leur pont et s’envoler dans l’immensité des étoiles, c’est tout naturellement qu’elle rejoint l’école militaire dès qu’elle fut en âge de le faire. Sa scolarité se déroula sans encombre, presque trop paisiblement, toute enthousiaste qu’elle était. Encouragée par la bienveillance de ses parents et leur fierté à voir leur fille cadette rejoindre les traces de son frère, lui aussi parti tôt pour gonfler les rangs de l’armée, Calli n’eut pas un seul regard en arrière quand elle quitta pour de bon sa planète natale pour rejoindre son tout premier vaisseau.

Salvatore, 95add

Appliquée et attentive à chaque détail, sa carrière débutée de soldat se dirigea très rapidement vers une spécialisation dans les missions de furtivité et d’infiltration. En première ligne pour un abordage, pour prendre de vitesse les points névralgiques cruciaux au bon déroulement de leur devoir. Son pas était léger et aérien, ses yeux alertes, et sa main vive. Très vite, elle se tailla une réputation parmi les autres bleus à bord, celle d’une combattante extrêmement douée aussi bien à mains nues qu’avec des lames. Malheureusement, la réalité rattrapa vite la jeune femme et ses visions idéalistes du prestigieux Impérium, à grand renfort de pragmatisme et d’éclaboussures de sang sur son visage. De cris pour la hanter dans son sommeil. Du bruit mat que faisait la chair quand elle la déchirait de sa lame aiguisée. Pas le genre de choses qu’on apprenait sur les bancs de l’école militaire.

La fracture entre ses espoirs stupide d’aventure et la fatalité du système militaire faillit lui faire perdre pied, mais dans la tempête rugissante qui l’agitait, un phare l’empêcha de perdre pied. Il était grand, brun, beau, chantait magnifiquement bien. Plus âgé, plus gradé qu’elle. Pas le genre de gars qui lui accorderait un regard en temps normal elle pensait, et elle s’était pourtant trompée ; un jour, elle avait osé lui parler, et avait découvert qu’il était encore bien plus que ce qu’elle pensait. Gerardo del Ruiz fut un modèle pour elle, une figure de proue sur qui elle raccrocha son idéalisme. Pour la gloire de l’Empereur, disait-il toujours. S’il le disait, c’est que cela devait être vrai.

Puis un jour, la communication arriva. Nouvelle affectation. Elle obéit, et une fois de plus, partit sans se retourner ; il était plus aisé de ne pas faire ses adieux afin de ne pas se demander éternellement ce qui aurait pu être ou ne pas être. Et donc, Calliope n'avoua jamais ses sentiments à celui qui avait été son mentor tout le temps qu'elle était restée sur son tout premier vaisseau.
Elle n’eut jamais la chance de chanter avec lui cette chanson qu’elle avait apprise par cœur pour lui faire une surprise.
Probablement le premier regret de sa vie, sans savoir que bien d'autres allaient se rajouter.

Santa María, Espace intersidéral, 109add

La sueur qui perlait sur le front de la jeune rousse la chatouillait quand elle glissait le long de sa tempe, mais ce n’était pas suffisant pour la déconcentrer en pleine séance d’entraînement. Le corps droit, la respiration lente, un simple bâton de bois entre les mains, celui-ci tournoyant autour de ses doigts comme s’il était animé d’une vie propre.
L’étroite salle était vide à cette heure-là, mais le chuintement de la porte et un mouvement derrière elle attira son attention. Elle se retourna, prête à bondir.

─ Calliope ?
─ Alejandro, c’est toi ? Ne me fais pas peur comme ça…
Un soupir s’échappa de ses lèvres qui s’étirent ensuite en un sourire malicieux, la rousse ravie de voir son amant pointer son nez ici.
─ L’abordage n’est prévu que dans quatre heures. Ne devrais-tu pas être en train de te préparer ? A moins que tu ne pusses pas tenir jusqu’à là pour me voir ?
─ Tu as tout deviné, mon petit moineau. Viens, on va se trouver un endroit ou on pourra être tranquilles tous les deux.

La proposition était tentante, mais la jeune femme protesta, levant ses mains en l’air dans une position exaspérée. ─ Hé, je suis en plein entraînement- Figure toi que même si certains se la coulent douce ici, d’autre s’assurent que tout se passera bien à chaque fois qu’on est envoyés sur le terrain !

─ Allez, pour une fois, arrête d’être aussi stricte avec toi-même.

Cette sentence lui arracha un nouveau soupir, puis la jeune femme alla reposer son bâton dans un des casiers métalliques à l’entrée de la salle d’entraînement. C’est vrai qu’avec l’âge elle ne s’améliorait pas sur ce point-là, et il n’y avait rien de bon à trop ruminer avant un assaut, il était mieux de tenter de se détendre comme ils le pouvaient dans la promiscuité du vaisseau spatial.

Alors elle commit la pire erreur de sa vie, et le suivit, confiante.

Très vite, elle sentit que quelque chose n’allait pas. Le silence inhabituel qui règne dans le corridor créa en elle un sentiment croissant de malaise. A cette heure-là, la coursive aurait dû être grouillante de vie, pleine de soldats se préparant pour le prochain assaut prévu le soir même. Déconcertée par cette vue, la jeune rousse se retourna pour interpeller son amant, mais contrairement à ce qu’elle pensait, il ne l’avait pas suivie.

Non, il était resté près de l’entrée de la porte précédente, ou l’avaient rejoint d’autres membres de l’équipage. Calli les connaissait tous, après tout, ils vivaient ensemble depuis déjà bien longtemps. Aurora, la jeune cuisinière aux tâches de rousseurs similaires aux siennes et à l’attitude effrontée. Angel, le maître artilleur aux gros bras et à la voix bourrue, qui chantait de manière tonitruante chaque soir sans exception à la cantine. Enrique, un mécanicien de génie qui grommelait toujours sur elle quand elle endommageait le précieux matériel militaire en mission.

Et puis bien sûr, Alejandro, son amoureux depuis déjà quelques mois, soldat d’infanterie tout comme elle, aux idées volubiles d’ambition et de liberté qui la faisaient beaucoup rire. Il ressemblait à son amour de jeunesse, avec ses yeux bruns profond.

─ Je suis désolé, Calli. J’aurai aimé que tu sois des nôtres. Mais tu n’es qu’un chien de guerre, qui restera toujours fidèle à son maître.

Elle n’eut jamais la chance de recevoir une explication.

─Pourquoi est-ce qu-

L’explosion venue des caisses entreposées à sa droite engloutit tout dans un déluge de flammes. L’onde de son déchira ses tympans tandis que son bras droit se désintégrait, pris dans la déflagration qui envoya le reste de son corps voler en l’air comme une poupée désarticulée. Elle se cogna avec violence contre la coque métallique du vaisseau, sa dernière pensée pour ses camarades, tandis qu’une lourde chape noire tombait sur son esprit pendant qu’elle glissa à terre. Les émeraudes éclatantes derrière ses paupières ne virent pas Alejandro et ses compagnons tourner les talons et quitter la pièce en scellant la porte derrière eux, tandis que les sirènes alertant d'une anomalie à l'intérieur du vaisseau se mettaient en route.

Salle d’opération d’une clinique inconnue , 109add

Elle hurla.

La peur montait lentement dans son corps, s'infiltrant insidieusement dans ses pensées alors qu'elle se mordait la lèvre inférieure jusqu'a que des gouttes de sang perlent, glissent le long de son menton et s'écrasent silencieusement sur la table d'opération. Non, elle ne voulait pas y penser.

─ LÂCHEZ-MOI !

La lumière blanche, chirurgicale, froide, qui était braquée sur ses yeux lui fit monter des larmes par réflexe, larmes qui faute de mouchoir coulèrent sur ses joues sans qu'elle puisse esquisser un mouvement pour les essuyer, les bras plaqués le long du corps et déjà reliés à diverses machines. Les bras ? Non, le bras qui lui restait.

Elle ne sentait plus sa main droite.

Elle ferma les yeux pour tenter d'endiguer le flot d’émotions qui menaçait de la submerger, mais une infirmière se pencha sur elle, et ce bref moment de déconcentration lui fit rejaillir toutes les sombres idées qui l'assaillaient. Elle imagina le scalpel qui allait racler les os de sa clavicule afin de la débarrasser du restant des lambeaux de chair qui en pendaient. Son corps entier frissonna, pris d’un instinct animal, et fut traversé de spasmes violents- seul les harnais de cuir sombre qui la tenaient serrée de près à la table l’empêchèrent d’en rouler pour tomber par terre. Les brûlures qu’elle ressentait sur son cou et son décolleté la démangeaient à s’en arracher la peau, et elle gémit, avant que le bruit inhumain qui montait de sa gorge ne mourra dans un sifflement. Bientôt, seules les larmes qui roulaient sur ses joues striées d’égratignures montrait qu’elle était toujours en vie, tant son agitation avait soudainement cessé.
Oui, il n'y a rien qu'elle détestait plus au monde que de se retrouver la peau nue contre le métal froid, glacial d'une table destinée à charcuter -ou, disons-le de façon politiquement correcte, soigner- les êtres humains. Une ombre passa ensuite sur elle, floue et indiscernable, puis lui posa un masque à gaz sur la partie inférieure de son visage, qui la plongea dans l'obscurité de l'inconscience quelques secondes après.
...
Que ce qu’elle avait été conne.

Calliope ouvrit brusquement les yeux avant de refermer les paupières tout aussi vite, aveuglée par la lumière éblouissante. La douleur en premier, et les interrogations ensuite, se déversant dans le cours de sa pensée encore brouillée par l'anesthésie. Une douleur particulièrement dans son épaule, sourde et diffuse, et ça n'allait pas s'améliorer avec les heures. Une autre douleur, moins lancinante, presque familière, causée par l'irritation de sa gorge par le tube qui en lui permettant de respirer, la gardait en vie. Une bordée d'insultes pour l’équipage médical qui n'avait pas dû y aller de mains mortes, en témoignait ses dents qu'elle avait du mal à sentir- elle tourna la tête sur le côté et cracha un filet de sang, mais ce simple mouvement lui fit à nouveau momentanément perdre connaissance.
Une poupée cassée. Quand elle revint à elle, la nuit était tombée, et avec elle une fraîcheur bienfaitrice s’était installée dans la pièce, par la fenêtre entrouverte. Ses yeux glissèrent sur la forme immobile entre les draps à sa droite, mais quand elle sentit l’anxiété la saisir, elle tira brusquement sur le linge, qui dévoila un bras tout de métal fait. Son bras. A ne pas en douter une merveille de technologie à la pointe de ce que l’armée pouvait offrir. Et pourtant, à cette vue, elle sentit sa poitrine se contracter sous les spasmes des sanglots qui montaient en elle.
Elle n’avait rien vu venir. Plus que la perte de son bras, qui la laissait amère, c’est la trahison de ceux qu’elle considérait comme des frères et sœurs qui anéantit Calli, la plongeant dans une douleur abrutissante qui engloutit tout. Tout ce qui faisait d’elle ce qu’elle était, dévoré par les flammes de la haine qu’elle éprouvait envers eux et envers elle-même pour ne pas l’avoir vu, pour s’être laissée ainsi avoir comme une sotte.
Ensuite, le vide.

Il ne lui restait rien. Elle le comprit rapidement, pendant les longs mois de convalescence et de rééducation. On lui raconta les évènements d’un ton précautionneux, compatissant à son sort pathétique. La mutinerie avait échoué dans l’œuf, et l’équipage fidèle au capitaine avait eu le dessus au terme du combat. Pourquoi les rebelles avaient tenté de saisir le navire? Il ne restait aucun témoin pour lui dire la vérité, et l’enquête officielle conclut simplement qu’une mutinerie courait depuis des mois en secret, menée par un officier insatisfait. Le sort du Santa Maria devient ainsi un exemple des conséquences qu'une mauvaise discipline peut avoir au sein d'un équipage...

Calliope survit à sa blessure presque par miracle, baignant dans une mare de son propre sang quand elle fut retrouvée par les survivants de l'attaque, après avoir anéanti les insurgés. Par chance dans son malheur, le souffle de l’explosion l’avait fait retombée sur le côté, le bras coincé sous son ventre, ou la pression exercée par son corps contre le sol avait empêché l’hémorragie d’être fatale. Il ne s’en était fallu que d’une dizaine de minutes avant qu’il ne soit trop tard lui avait-on dit avec une tape amicale et un grand sourire encourageant. Elle ne répondit pas qu’elle aurait préféré crever sur ce vaisseau maudit. Aveuglée par l'amertume ressentie face à cette trahison qui petit à petit, la faisait perdre pied de la réalité, elle n'était plus capable de voir la chance qu'elle avait eu de s'en tirer.
Ils étaient morts à présent, ses amis et son amant, en emportant avec eux dans la tombe ce qu’elle avait été, et tout ce qui aurait pu continuer à alimenter le feu qui brûlait en elle ; aucune rancœur n’était envisageable, aucune vengeance possible contre ceux qui étaient passés dans l’autre monde. Vivre pour ceux qui n’en ont pas eu la chance ce jour-là, morts sous les balles des rebelles? Connerie. Elle n’avait jamais vécu que pour elle-même et pour l’Imperium.

Oui, l’Imperium.

Elle devait continuer à remplir son devoir.

Cerberus, 110add

Les yeux vitreux de Calli se posèrent sur la feuille de papier froissée qui reposait entre ses mains gantées. Sa nouvelle affectation, la première depuis l’incident. Le Cerberus. Un vaisseau avec une certaine réputation, tout comme elle, ce qui lui arracha un rictus. Aujourd’hui, elle se tenait là en n’étant plus qu’une ombre d’elle-même ; une prothèse métallique mortelle pour remplacer son bras arraché, et une prescription médicamenteuse de calmants pour noyer l’anxiété et la paranoïa qui la prenaient parfois subitement sans prévenir. Jugée apte à reprendre son service, c’est tout ce qu’elle avait attendu. Même si cela devait être sur le Cerberus. Ce n’était pas son genre de contester les ordres de la hiérarchie et c’est ainsi que, silencieuse, elle fourra la notice dans sa poche, puis tira sur les plis de son uniforme afin qu’il retrouve une forme impeccable. Ses doigts se crispèrent légèrement sur le tissu sombre, tandis que ses mouvements se firent plus rapides l’espace de quelques secondes, jusqu’à qu’elle juge que c’était suffisant, après quoi elle prit une profonde inspiration. Il était temps d’aller se présenter à son nouvel équipage.