Les gens qui brillent

"Je dois voir quelqu'un qui brille."

Ils se mettent à rire. Tous en même temps presque, comme dans un film. Un mauvais film où y aurait une gamine terrifiée assise avec plein de types effrayants, dans une taverne bruyante, puante d'alcool et de sueur et de fumées bizarres.

"Eh gamine, t'as cru qu'c'était la jungle ici ou quoi ?" y en a un qui rigole, pis y en a un autre qui grogne "les colombes ça d'vrait rentrer au nid l'soir, au lieu de traîner n'importe où", et d'autres encore, et celui avec les dents de travers il me regarde un peu surpris même s'il rigole aussi.

Et là j'me rends soudain compte qu'ils se foutent pas de moi comme juste avant, quand j'étais juste la gamine terrifiée que Dents-de-Travers venait de ramasser dans la rue et à qui il avait filé son verre par... pitié, je suppose. Y a quelque chose dans ce que j'ai dit, quelque chose d'assez ridicule pour être vrai. Je serre les dents, je lève le nez avec toute la dignité qui me reste.

"Je vous dis que je veux voir quelqu'un qui brille ! Des gens qu'on voit que sur les quais, qui ont... ce... ce truc, qu'on voit nulle part ailleurs."

Certains rigolent encore, mais certains ont l'air intéressé. Peut-être même curieux.

"T'es au bon endroit gamine."

Je retiens un "Modestie" vexé avant même de tourner la tête. C'est un des plus vieux de la table, il doit avoir, j'sais pas, une trentaine d'années ? Il inspire un peu plus confiance que les autres. Mais il brille pas. Personne brille à cette table. J'regarde mon verre, j'le pousse un peu vers le milieu de la table parce qu'il pue l'alcool, vraiment. Dans l'autre main, je serre mes ciseaux à me faire mal. J'ai rien de mieux pour me défendre... Toujours personne qui brille à table. Mais ils font un peu moins peur que... le dehors. Ils rigolent moins. Celui qui a parlé a presque l'air sérieux. En tout cas, clairement, ça l'intéresse.

Un test ?

J'regarde mieux. A table, encore. Autour. Et puis j'le vois, et je sais. Lui, là. Il brille. J'vais pour me lever.

"Hep, miss." Je me retourne, le type repousse mon verre vers moi. "Prends ça, t'en auras b'soin pour papoter avec le cap'taine."

Ah, c’est les capitaines alors les gens qui brillent ? Je prends le verre de ma main libre, ciseaux dans l'autre. Je force un p’tit sourire au gars et je vais vers la Flamme.

"Eh, c'était mon verre ! Ca m'apprendra à sauver des princesses, tiens..." j'entends gémir Dents-de-Travers.

Ca les fait marrer. Moi j'arrive à la table. Et je sais pas du tout dans quoi je m'embarque.

"Monsieur le capitaine ?" j'essaie, presque timide soudain.

Remarque, je sais pas du tout non plus comment on est censée parler aux capitaines. Ni de quoi il est capitaine. Ni même si tout ça ne serait pas rien qu'une vaste blague.

Je sais juste qu'il brille.

Enfin un navire à soit... il reste encore à récupérer un équipage digne de ce nom... parce que pour le moment ce n'est pas encore la joie. Mais bon il est maître de son destin et c'est tout ce qui compte. Pour le moment dans cette taverne il boit tranquillement en attendant que sa bonne étoile vienne lui donner un coup de pouce. Il n'est pas superstitieux, enfin si... mais en fait il préfère déclencher sa chance. Juste il sait déjà que le temps va jouer contre lui car il doit apprendre tellement de chose avant de tenter de faire de grande chose. Mais il n'est pas inquiet. Il va rester dans l'ombre et amasser de l'expérience. Le temps venu il percera au grand jour tellement rapidement qu'il sera impossible de l'arrêter.

Il boit tranquillement quand une petite gamine vient lui parler. Il n'a rien contre les enfants, mais n'a rien pour non plus. Ils représentent tout ce qu'il n'aura pas depuis la mort d'Emilie.

- quoi ? demande le capitaine avec sa voix pleine d'une chaleur surprenante.

Au moins elle a déjà un fond pirate en elle la petite ... rare pour son âge.

Ouais, quoi. Bonne question. Au moins il m'envoie pas balader. Il fait pas si vieux lui non plus, et il... boit. Comme tout le monde ici je crois. Et il a pas l'air de vouloir me bouffer non plus mais ça... Je pose mon verre sur la table et je demande, la main sur la chaise :

"Je peux ?"

En temps normal j'aurais pas demandé je crois. J'aurais juste fait. Mais ce soir est un soir bizarre, et j'ai des restes de trouille collés aux basques alors je la ramène pas (encore) trop. Ou alors ce grand type est vraiment trop... grand... et brillant.

Il regarde la petite pleine de courage de haut en bas et jette un coup d'œil dans la pièce à la recherche des parents ou autre chose du même genre. Mais il ne trouve rien.

- Elle n'est à personne cette chaise. Donc si tu veux la prendre c'est de ta responsabilité. dit-il de sa voix grave et profonde.

Ca m'engage à quelque chose ? Ca ressemble un peu au genre de pacte anodin qu'on signerait avec les représentants du Mal et qui lierait corps et âme à jamais.

Quelque part... je suis pas venue chercher saint Odat.

Alors je prends la responsabilité de m'asseoir, guettant sur son visage si c'est une bonne chose ou pas.

"Je m'appelle Modestie." je commence de ma plus belle voix de gamine de huit ans. Alors que j'en ai douze.

Ca me semble un moyen pas trop dangereux et pas trop compromettant de commencer une discussion. Quoi que je puisse bien avoir à dire. Et quelle que soit la façon dont je le dirai.

Elle s'assoit la gamine. Déjà un bon point elle n'a pas encore peur du grand méchant loup. Sans doute que ça viendra plus tard.

- Conrad. répond le pirate. Pourquoi tu viens me voir ?

Il est curieux naturellement. C'est pas tous les jours qu'une gamine vient tourner dans vos pattes sans que ses parents vous tombent sur le râble... pas dans ce genre de bouge. Il regarde à nouveau autour de lui guettant le regard d'une mère pirate amusée par la rencontre du capitaine et de l'enfant... mais toujours rien. Il va finir par croire qu'elle est venue par elle même.

Conrad. Il a bien une tête de Conrad. Pourquoi je viens... je baisse les yeux sur mon verre, incertaine. Je viens parce que j'ai pas le choix. Y a une part de moi qui veut tout déballer, et tout le reste qui dit que c'est de la folie. Il est encore temps de rentrer sûrement. Esquiver les tordus, me faire battre comme plâtre par mon père, rester enfermée jusqu'au mariage... m'éteindre pour de bon. Et ça, jamais.

Je relève les yeux, un peu plus déterminée par la nécessité. Autant y aller franchement, ça a déjà marché une fois.

"Vous êtes pas comme les autres. Vous... y a quelque chose. On dirait que vous brillez, de dedans je veux dire. J'ai vu ça que sur les quais. C'est parce que vous êtes capitaine ?"

Ca le fait sourire doucement la remarque de la petite. Il prend son verre de rhum et le boit. Il a diminué par rapport à avant mais c'est pas encore parfait. Il s'arrêtera jamais, les cauchemars sont là et il voit toujours Emilie dedans. L'alcool arrête les cauchemars de c'est tout ce qu'il demande.

- non. C'est parce que je suis un homme libre. Plus que tous les autres, mais que ma liberté n'empiète pas sur celle des autres. explique le jeune capitaine. On est pas nombreux.

Pas sur que la gamin saisisse le concept. Il n'arrive pas à lui donner d'âge. D'un autre côté il ne côtoie pas d'enfant.

Liberté. Il aurait dit "glace à la fraise" ou "pas de couches à changer ce soir" que j'aurais pas eu les yeux qui brillent plus. Je veux être ça moi aussi, libre et brillante, et j'en oublie complètement que ce type, je le connais pas.

"Emmenez-moi avec vous."

Oups ?

Conrad hausse un sourcil. Elle croit quoi la petite ? Qu'il arrache les enfants à leurs parents ou leur tuteur... ou même de la rue ? Il aurait rapidement un vaisseau trop plein.

- pourquoi je prendrais à mon bord ? demande finalement le pirate en buvant une autre lampée.

"Parce que je veux être libre moi aussi." je réponds aussitôt avec toute la force de ma certitude, en le regardant droit dans les yeux.

Parce que c'est mon cri du coeur. Et que quand on a pas de mensonge crédible à fournir, le mieux c'est encore de faire semblant de pas avoir compris le "qu'est-ce que j'y gagne ?" pourtant transparent. Et arrête de boire deux minutes.

Il repose son verre et se demande un instant si c'est une blague. Pourtant la petite à l'air sincère et sa Flamme est bien présente.

- Je suis content pour toi... mais c'est notre lot à tous et ça me dit pas ce que moi je gagne dans l'affaire. explique doucement Conrad Les gamines de ton âge ne sont pas très utiles à bord.

"Une bonne action ?" je tente sans y croire. Je secoue la tête, il a pas l'air totalement fermé à l'idée... faudrait pas tout faire foirer. "M'sieur Conrad, j'ai douze ans. Ca fait deux ans que je suis en apprentissage dans un domaine qui n'intéresse absolument personne à moins que vous soyez mercier, et je rapporte déjà un quart du revenu de la maison. Les gamines de mon âge elles apprennent, et elles apprennent bien. Les gens trop vieux, ils apprennent plus, ou mal, ou pas assez vite. C'est ça que j'ai à vous apporter, de... l'inversement sur les longs thermes on dit je crois ?"

Au temps pour la tirade... J'hésite. Ils ont beau avoir des drôles de têtes, est-ce qu'ils trempent forcément dans des trucs louches ? J'regarde les habits, les siens et ceux des gens à la table où j'étais. Solides, mais de bric et de broc, d'influences diverses, pas à la bonne taille toujours...

"Et puis... ça m'arrive de... ramasser des trucs. Ou d'en entendre. Des fois." je marmonne.

Elle est dégourdie la petite c'est sur. Précoce pour son âge avancé ... il lui aurait donné moins. Mais elle ment peut-être aussi. Il hausse les épaules intérieurement car ce n'est pas d'une grande importance.

- ça va mettre du temps avant que tu sois utile. explique le capitaine. Si j'investie sur toi alors tu me devras quelque chose. Un jour je viendrais te demander un service et tu diras oui. Quoique ce soit.

Conrad aime bien la gamine, mais tout à un prix dans l'espace et les pirates ne sont pas des enfants de coeurs. Autant qu'elle le comprenne rapidement.

Je suis pas assez désespérée pour sauter sur l'occasion. Presque. J'avais déjà ouvert à moitié la bouche et je l'ai refermée en me rembrunissant. Une fois n'est pas coutume, je fais vaguement honneur à mon deuxième prénom et je prends trois secondes pour réfléchir. Autrement dit, je m'engage dans je sais pas quoi de louche, en échange de je sais pas quoi de certainement très louche. Il aura les compétences qu'il veut et moi celles qu'il voudra me donner. Mais j'échappe au mariage. Qui a le plus à perdre dans l'affaire ? Moi. Qui a le plus à gagner ? Difficile à dire. Là tout de suite, moi. Mais dans un an, deux, cinq ? Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Et puis je repense à ce cinglé qu'ils veulent me faire épouser et je sais que oui.

"Je veux savoir ce que vous faites. Et je ferai rien qui me mette des chaînes. Ou qui me tue." j'ajoute après deux secondes.

J'inspire. Encore cette odeur de tournant et l'impression de peut-être faire la pire bêtise de ma vie. Deux fois dans la soirée déjà...

"Promettez-moi que vous me demanderez jamais ça, dites-moi dans quoi je m'embarque. Je signe pas un truc pareil sans avoir au moins une idée d'où je mets les pieds."

Signer un pacte avec les Forces Obscures, on a dit ?

La petite est trop précoce pour son âge... une vie déjà difficile sans doute. Mais ça ne le dérange pas vraiment. Il préfère ça à un gamin sans âme.

- tu va rejoindre la piraterie. La bonne, celle qui écume l'espace en faisant du profit tout en brisant les chaines qu'elle rencontre. s'enflamme doucement Conrad. Je te demanderais rien qui tu tuerais, et rien qui te ferais porter des chaines. ajoute-t-il mortellement sérieux pour le coup.

La petite doit comprendre qui il est où ils ne s'entendront pas. Elle doit surtout comprendre ce qu'il n'est pas.

...ouais, on a dit ça ouais. Je pense pas tout de suite à invoquer un visage vaguement blasé genre "je le savais", parce qu'il y a truc louche et truc louche, et moi quand je pensais au genre de trucs louches qu'ils pouvaient faire je pensais, bêtement, pas à ça. Je sais pas à quoi, mais pas à ça. Donc bon, il a bien le temps de voir mes grands yeux écarquillés de la nouvelle, et bien violets en prime. Et puis il accepte ce que j'ai demandé sans chercher. Moi j'ai surtout un trou dans le ventre.

"...je... sais pas si je pourrai. Je veux dire, l'espace j'en rêve, briser les chaînes oui, voler oui, mais..." Je pose ma deuxième main sur la table, celle avec les ciseaux, sans y penser. "...les pirates on entend parler de beaucoup plus que ça... et le reste je..."

Je veux pas tuer des gens, moi...

"On peut être pirate sans tuer, m'sieur Conrad ?" je demande d'une petite voix. Là on dirait que j'ai six ans.

Je devrais peut-être avoir peur de lui, et en fait non. Pas encore. Lui s'il voulait me faire du mal, il l'aurait fait depuis longtemps. Je vois surtout que si j'ai le choix entre tuer des gens et épouser un tordu, en fait j'ai aucun choix. Alors j'espère très fort qu'il va dire oui. Même si je sais qu'on est à Port Salem, et que les pendus du port ils ont pas fait que voler.

Il sourit tranquillement une fois de plus. Rassurant. Il ne va pas demander à une gamine de tuer.

- C'est "Capitaine" même si tu es pas encore à mon bord. précise Conrad. et oui on peut ne pas tuer et être pirate.

Ça ne dure qu'un temps. Mais c'est ainsi que va la vie. Les pirates pillent et tuent pour s'enrichir. Sinon ils seraient des rebelles et même si parfois ça le démange ... il veut d'abord gagner beaucoup d'argent et devenir ensuite célèbre un jour.

Je fais un petit bruit pour dire oui, un peu rassurée. Il peut me raconter ce qu'il veut, mais il aurait sûrement pas de mal à... me faire n'importe quoi, malgré les ciseaux qui dépassent un peu de ma main. Et pas sûr que quelqu'un l'arrête ici, surtout s'il est capitaine. Je suppose qu'il dit vrai. Mais quand même, ces pendus. Je veux pas qu'on me pende moi...

"Et les gens sur les quais... ceux qu'on voit toujours, pendus pour piraterie et plein d'autres trucs horribles. C'est..."

C'est quoi ? Les risques du métier ? Des gens qui ont fait encore plus que ce qu'on dit ? Des boucs émissaires ? Des potes à lui ?

"...ce que risquent les gens libres ?"

Décidement la petite pose les bonnes questions. Intéressant somme toute.

- on a rien sans rien dans la vie petite. Soit tu te bats pour t'en sortir et pour décider du chemin que tu veux suivre, soit tu es un mouton. Parfois les moutons vivent heureux. Mais tu as pas la tête d'un mouton, aors il te reste que l'autre possibilité... te battre. explique Conrad. La liberté à toujours un prix. Sinon tout le monde vivrait libre.

Il est plein d'intensité quand il fait son discours. Convaincu de son fait. Pirate jusqu'au bout des ongles.

Il est convaincant. Il donne envie de l'écouter. Et quelque part il a raison... j'ai jamais été ce que mes parents auraient voulu. J'ai jamais été une gentille petite fille, modèle, docile, silencieuse. J'ai donné le change deux ans, mais c'est moi qui me suis perdue et si je m'étais pas calmée, si j'avais continué à en faire qu'à ma tête, j'en serais pas là aujourd'hui. Foutue broderie.

Plus il parle et plus le fond de l'air a cette odeur de tournant. Sauf que maintenant, les enjeux sont posés sur la table et... je pensais pas qu'ils étaient si gros. J'y avais pas réfléchi. Je voulais juste échapper à cette folie de mariage. Alors que j'aurais le temps... d'attendre que ça se tasse, qu'il trouve mieux ailleurs, de quelque chose. D'écouter Jean. De m'occuper de la fratrie. De broder et de changer les couches. De rendre mes parents fiers de moi ? Est-ce que ça vaut le coup de faire semblant d'être un mouton, comme il dit, et de m'éteindre ?

Est-ce que ça vaut le coup de me balancer au bout d'une corde ?

"..."

L'air a cette odeur de changement. La certitude de m'éteindre à petit feu ? La possibilité de vivre libre, pour le temps que ça durera ?

J'ai la gorge serrée, la vue trouble. J'ai peur. J'ai encore plus peur qu'en ouvrant la fenêtre tout à l'heure. Mais je pleurerai pas.

Un filet de voix finit par sortir.

"D'accord."

Un sourire supplémentaire. Il est content la petite semble très dégourdie et elle va venir à son bord. Sans doute qu'elle sera pas utile avant longtemps... mais il va pas la laisser là alors que manifestement elle a besoin d'un radeau pour fuir la place. De ce qu'il connait des trinitaires il n'est pas surpris le moins du monde.

Il prend donc doucement un verre et le remplit de rhum, son verre. Dans le second verre liquide ambré ne dépassera pas le tiers de la contenance. Largement suffisant pour un petit bout de chou. Il pousse doucement le verre la petite.

- faut boire le rhum pour sceller le deal. explique Conrad. Oublie pas que tu m'en dois une petite.

Il lève son verre et attend qu'elle vienne trinquer.

Il a l'air content. Ca me rassure un peu et en même temps ça me donne encore plus envie de pleurer. Est-ce que ça se passe comme ça quand on signe un pacte avec... je sais même pas trop qui en fait. Est-ce que les pirates c'est les forces du Mal ? Est-ce que c'est juste des gens bizarres ? A partir de quel point être bizarre c'est être mauvais ?

Est-ce que j'ai le choix, de toute façon ? Est-ce que je trouverai mieux ailleurs ?

Je regarde son verre, celui qu'il me tend, celui de Dents-de-Travers qu'on m'a dit d'amener. Ca fait beaucoup de trucs qui puent l'alcool. Beaucoup de... rhum ? Oui. Y a pas de cet alcool à la maison mais ça circule beaucoup sur les quais. J'ai jamais goûté. Je cligne des yeux pour essayer d'y voir plus clair, je les relève pour le regarder.

"Pourquoi ?" je demande d'une voix un peu moins... pathétique ? "Le rhum ?" je précise en avançant un peu la main vers le verre. Sans le prendre encore.

Pourquoi ? c'est sans doute une bonne question pour quelqu'un de son âge. Ou même pour un non pirate. Après tout les traditions pirates ne sont pas criées à chaque coin de rue.

- c'est la tradition petite. Les pirates scellent leur accord avec du rhum. Il faut t'y faire. explique le grand homme. Tu vas pas aimer le goût mais c'est parce que tu es encore une gamine. Tu apprendras à apprécier normalement .... dans le cas contraire il faudra te forcer de temps à autre.

Il connait quelques pirates qui n'aiment pas trop le rhum. C'est pas rédhibitoire... mais ça aide pas dans les interactions sociales.

Dit comme ça, ça me rappelle un peu les rituels des messes et tout ce dont Jean parlait en rentrant à la maison le soir. Parlait. Je cache ma bouche derrière ma main, et j'appuie fort, comme si ça pouvait empêcher mes yeux de brûler encore plus. Il va être tellement triste Jean. J'aurais dû laisser un mot. J'aurais dû rester. J'aurais pas dû faire ça.

J'attrape le verre. Celui qu'il m'a rempli.

Je peux encore rentrer. Je peux encore me lever, courir jusqu'à la porte, retraverser les quais, retourner à la maison... espérer qu'ils auront eu assez peur pour pas m'enfermer et me battre et me...

...et je me jette presque contre son verre. Ca fait un bruit bizarre. J'ai foutu du rhum sur la table et sur mes mains, c'est mouillé et ça pue encore plus et je crois que j'ai l'air d'un awäk pris dans les phares d'un speeder en regardant les deux verres ambrés.

Mais c'est fait.