Que celui qui est volé ne s’aperçoive pas du larcin, qu’il n’en sache rien, et il n’est pas volé du tout.

Ah, Tortuga. Le cœur battant de c'côté d'l'univers. J'aime beaucoup Tortuga. Le caillou a cette atmosphère incomparable, abîmée, viciée, tarée, cette drôle de sensation d'être encore à la maison même si j'suis toute seule depuis longtemps. J'pensais pas qu'ça serait si dur de quitter le Liberty. 'fin, pas d'le quitter en soi... d'le laisser r'partir sans moi par contre, ouais. Ca m'a vraiment fait bizarre. Ca m'rappelle un peu les fois où j'ai été m'faire recruter dans des équipages trinitaires. Sauf que là, les seuls Trinitaires sont plus pirates qu'autre chose, et que j'sais que j'rentrerai pas. J'imagine que c'est c'qui s'passe quand l'oisillon prend son envol.

Et quelle meilleure façon de fêter son envol que de faire n'importe quoi ?

Non mais sérieusement. J'ai passé deux jours à quasiment que dormir, manger et r'garder passer les gens, alors après ça va, c'est bon, j'm'emmerde. Du coup j'passe mes journées à boire, à papoter, un peu à prendre des nouvelles sur les vaisseaux qui ont atterri récemment quand même, pas mal à chercher galante compagnie, et des fois un peu à faire des bêtises. Mais si peu ! Genre chiper des trucs, surtout à des solitaires sans Flamme et sans équipage. S'ils brillent pas ils ont rien à faire sur Tortuga, et s'ils ont pas d'équipage ça réduit très fort les risques qu'on me tombe sur la gueule - au cas où ils s'rendraient compte trop tôt qu'ils ont perdu leur bourse, t'sais. Oh j'suis pas pauvre, faut pas déconner, mais eh, ça coûte cher la gnôle, les chapeaux et les robes ! Et les nuits à terre. Même si c'est pas du quatre étoiles, loiiin de là, j'crèche à un endroit où j'risque pas d'me faire égorger dans mon sommeil. Et ça a un prix. Salé.

Aujourd'hui j'suis sage, sûrement parce que la journée a commencé y a vingt minutes pour moi. On est à c'qui correspond au début d'après-midi sur l'astroport, mais pas moyen de dormir avant le creux de quatre heures. Du mat'. Ce moment magique où les bourrés dorment, où les putes dorment, où les tenanciers dorment, et où tout c'beau monde se recharge pour la journée d'après. Parlant de putes faudra qu'j'aille toucher deux mots à celle qu'a officié la porte après la mienne, elle était vraiment, mais vraiment pas crédible.

Bref, j'descends d'ma chambre, en tunique à pans, toute sage, assortie à mes yeux, pantalon dessous parce qu'y a quand même un minimum sur Tortuga, cuissardes, et j'vais me caler à la première table qu'a l'air d'avoir d'la place pour moi. Pas loin justement y a un vieux, genre au moins j'sais pas, cinquante ou soixants piges, et plein d'chaises libres autour. J'l'ai déjà vu traîner dans l'coin, j'crois pas lui avoir parlé et j'crois pas qu'il ait foutu la merde. Il brille pas beaucoup, mais il brille. Une p'tite aura pas folichonne mais c'est toujours mieux que rien.

"Hey." j'fais, très naturellement, avec un grand sourire "dans cinq minutes on est super potes".

"Essai d'pas bouffer les mollets de quelqu'un aujourd'hui, tu veux bien? Tu m'as causé tout un tas d'emmerdes hier."

Gaël lance un regard à l'Atikaya l'attendant sur le pas de la porte de sa chambre d'auberge et qui lui retourne un air blasée. Il grogne encore un peu - Gaël, pas la bestiole - puis finis d'enfiler sa chemise avant de sortir de la chambre. Querida, impassible, marche au pied à côté de lui, complètement insensible à la mauvaise humeur et aux reproches de son compagnon de route. Ça doit être bien de n’en avoir rien à foutre de qui on a emmerdé.

L'impérial s’assoit à une table, Querida venant se rouler en boule sous sa chaise, et commande à déjeuner. Ah non, dîner. Il faut dire qu'il n'a pas trouvé le sommeil avant 5h du matin, alors... En attendant son repas, il fait mentalement la liste des choses qu'il doit faire aujourd'hui. Rencontrer un type dans une taverne à l'autre bout de l'astéroïde, tenter d'avoir des renseignements sur un vaisseau nommé Le Morse, et refaire son stock de feuilles d'Yäiewt. Il n'en a presque plus, ayant oublié de refaire son stock à son dernier passage sur le Crust, et devra se contenter de celui de seconde qualité de Tortuga. Fait chier, mais c'est mieux que d'être en manque. Puis, sortie de nulle part, une gamine blonde vient s’asseoir face à lui. Surprit, le brun arc un sourcil et répond avec un temps de retard.

Hey. J'peux t'aider?"

Il a l'air tout surpris. J'fais souvent cet effet aux gens, j'ai remarqué. J'suis tellement unique et irrésistible. Et modeste.

"Ptet." j'dis de ma plus jolie voix flûtée. Vu de près il a l'âge d'être mon père au moins, et ptet le grand-père de la gamine de quinze piges que j'ai l'air d'être.

Ca va être marrant, tiens.

"Moi c'est Mod." j'réponds à la question qu'il m'a pas posée.

J'ai pas envie d'manger seule. On s'emmerde, seule, et j'ai pas envie qu'un gros lourd s'invite. Rien à foutre que lui, il ait ptet envie d'être tranquille. Où y a d'la gêne, y a pas d'plaisir, comme on dit...

"T'attends quelqu'un ?"

...et j'ai envie de mettre les pieds sur la table. La seule raison pour laquelle j'le fais pas encore, c'est qu'j'ai pas envie qu'il se casse. Parce que j'ai pas envie d'manger seule certes, mais j'vais pas lui courir après. J'ai bien vu qu'il y avait une bestiole sous sa chaise aussi, et même s'il faut plus qu'un gros chien pour me faire peur, j'ai pas envie d'me faire croquer les fesses pour si peu.

On garde ça pour ce soir, voyons.

Elle à quoi? 15, 16 ans? Qu'est-ce qu'elle fou dans un endroit comme celui-ci? Et à venir lui parler comme ça? Gaël lance un regard alentour pour voir si l'un de ses parents est présent, mais personne ne semble faire attention à la blonde. Malgré sa mauvaise humeur, le brun ne l’envoie d'ailleurs pas balader. Elle n'est plus tout à fait une enfant, mais il a toujours eu un petit point faible pour les jeunes.

Il entend alors un sifflement mécontent en provenance de sous sa chaise et il siffle lui même une brève note grave afin de rappeler Querida à l'ordre. Après la connerie qu'elle lui a sortie hier, il ne lui fera pas confiance pour se calmer toute seul pour encore quelques jours. Ses yeux retournent ensuite sur... "Mod"? Et il lui offre un demi-sourire en coin amusé avant de répondre simplement :

"Gaël."

Il secoue négativement la tête à sa question au moment ou le tavernier lui amène son repas. Avant que l'homme n'ait pu repartir vers les cuisines, Gaël l'arrête et demande à la blonde :

"Tu veux manger quelque chose?"

...ouais non, c'est pas un chien. Ca siffle pas, les chiens. Pas un kihitui non plus, j'en ai assez entendu sur le Liberty... pas un kao... définitivement pas un caly'uaykai. Pas Srätx non plus d'ailleurs... Quoi qu'ça puisse être, ça a l'air pas commode, mais ça a celui de répondre aux sifflements de son humain. J'bronche pas, j'fais celle qu'a rien r'marqué. On va voir comment il réagit. Le bonhomme hein, Gaël. J'ai bien vu qu'il r'gardait autour, j'ai l'habitue de c'genre d'attitude. Il veut savoir si j'suis seule, si un diablotin va jaillir d'une boîte quelque part. Sauf que le diablotin, il est déjà là.

Après, savoir s'il s'inquiète pour lui ou pour moi...

"J'veux bien ouais c'est gentil. Plat du jour, et du rhum, un pichet, merci." Joli sourire au tavernier qui commence à m'connaître, avant d'en faire un encore plus éclatant - et un peu amusé - à Gaël. "J'vais pas t'laisser boire de l'eau, ça s'rait criminel."

J'me penche un peu en avant, toute innocence dehors et tout décolleté dedans. La tunique a un col trop sage pour dévoiler grand-chose de compromettant, même comme ça. C'était pas l'but, pour une fois, même si on dirait. Un prétexte pour changer légèrement de position.

"Qu'est-ce qui t'amène de beau par ici ?" j'ajoute, badine. J'te dis, on est déjà presque super potes.

Gaël hausse de nouveau un sourcil, perplexe, en l'entendant commander de l'alcool. Elle à l'âge pour boire? Bon, après, ils sont sur Tortuga, alors les lois tout le monde s'en balance. Particulièrement les lois sur la consommation d'alcool d'ailleurs. Sinon, elle est peut-être plus âgée qu'il n'y parait? Il lui donne clairement pas plus de 20 ans, avec ce visage, par contre.

Il laisse donc faire sans rien dire, ayant encore un peu de temps pour éclaircir la question avant que le pichet de rhum n'arrive. Parce que s'il se fou de ce qu'une mineure bois quand ses parents sont dans le coin, il n'aime pas particulièrement l'idée de faire boire de l'alcool qu'il aura payé à une gamine. Surtout si ça s'avère être sa première fois. Il n’a pas envie de gérer une adolescente bourrée ni du vomi d'adolescente bourrée. Et encore moins des parents d'adolescente bourrée en colère, d'ailleurs. Il a été sympa jusque là, mais faut pas abuser, quand même.

"Là tout d'suite, le plat du jour."

Il prend une bouchée, question de la faire patienter un peu avant de lui donner une vraie réponse. Ouais, il se fou un peu de sa gueule, mais ce n’est pas méchant, et puis il vient de se lever et n'a pas encore bu de café. Ou d'alcool.

"Mais sinon, je vis ici, temporairement. Entre deux équipages. Et toi?"

"Ouais, on mange bien ici." j'commente sur un ton appréciateur.

J'ai bien vu qu'il se foutait de moi et qu'il me faisait mariner, mais c'est pas méchant. Si j'devais m'vexer pour si peu...

"Le rhum au pichet est très buvable d'ailleurs. Pas comme dans d'autres bouis-bouis, hein Johnny ?!" je lance au proprio qui répond d'un grand rire et de la promesse de m'arracher les oreilles si je traite encore son palace de boui-boui.

J'prends le rhum et les verres qu'il pose sur la table avec une moue boudeuse et dépitée totalement surjouée, et Gaël parle d'entre deux équipages. Drôle de coïncidence, si on oublie qu'on est sur Tortuga.

"J'vois l'idée ouais. Quel poste ?" j'demande en remplissant les verres. "T'es là d'puis longtemps ?"

J'vais pas le diriger vers le Liberty, il est trop éteint. Pis le Liberty, il est plus là...

Quoi, répondre à sa question ? Nan. Pas envie. J'veux voir au bout de combien de temps il va oser demander mon âge.

L'interaction entre Mod' et le proprio en dit long sur le fait qu'ils se connaissent bien, et potentiellement qu'elle n'est donc pas aussi jeune qu'il l'avait cru. Si le proprio lui sert de l'alcool ainsi sans discuter, c'est aussi qu'il doit avoir l’habitude, non? Elle a quelque chose de... spécial aussi, qui attire le regard sans qu'il ne puisse vraiment déterminé quoi encore.

Gaël est curieux et a envie de lui poser la question, mais il a été élevé dans la haute société impériale - il est lui-même Vizconde, en qualité de fils aîné de son père, bien qu'il ait tendance à l'oublier - et certains réflexes collent à la peau malgré des années à baigner dans le monde de la piraterie. Parmi celles qui collent toujours, la règle d'or stipulant qu'il est hautement inapproprié de demander son âge à une femme. Ouais, les convenances, ça fait chier. Pire que du papier collant pour les moustiques, ce truc.

Il se concentre donc sur les questions de la demoiselle, espérant grappiller au détour de la conversation quelques indices pour satisfaire sa curiosité - ses inquiétudes face au fait de faire boire une potentielle mineure étant temporairement rassurée.

"Abordage. J'ai déjà été quartier-maître, mais ça prend du temps et un équipage stable pour ça. Tu connais un vaisseau qui embauche?"

Comme elle a évité son retour de question, Gaël n'ajoute rien en gardant sous silence depuis combien de temps il est sur Tortuga et attend patiemment. C'est de bonne guerre, non?

Je hausse les épaules. J'connais ça ouais. Ca recrute toujours après une attaque, et depuis quelques temps les attaques ça y va. Quant à savoir pourquoi il a "été" quartier-maître... y a pas mal de raisons possibles, les plus évidentes étant un désaccord avec d'autres officiers ou un équipage dissous pour une raison ou une autre, genre après une attaque trop mauvaise ou une période de vache maigre un peu trop longue. Rien de bien folichon, dans tous les cas. J'ai pas envie d'plomber l'ambiance, alors j'demande pas. Pas tout d'suite.

"J'ai entendu deux-trois trucs ouais, mais ça dépend c'que tu cherches. Pis comme tu dis y a souvent b'soin d'gens en abordage, moins souvent d'quartiers-maîtres." j'commente en levant mon verre. "Aux rencontres." je trinque, tout sourire, en attendant qu'il lève le sien.

Hop, ça y est, on est super potes. Ou tout comme. Tu vois, c'était pas si compliqué. Après, on trinquera ptet à ses perspectives d'embauche... à Tortuga... à la Liberté, à Calypso, au Code, au gouverneur de Salem qu'est une belle enflure mais qui nous arrange bien, et aux oiseaux dans l'ciel de Renaissance. En général à ce toast-là, reste plus grand-monde.

"Alors dis-moi tout Gaël. Qu'est-ce qui te botte ?"

Quel genre de pirate tu es, pour briller si peu ?

"Mmm, oui. De toute façon, bosser ici et là me va pour l'instant."

Mais d’où elle sort celle-là, pour venir lui poser toutes ces questions? C'est pas comme s'il était le type le plus intéressant des alentours ni le plus causant. Alors si c'est parce qu'elle s'emmerdait et qu'elle tente de se distraite en tapant la causette à un inconnu, elle est plutôt mal tombée. Mais encore et toujours, la petite a quelque chose de particulier qui empêche Gaël de s'en désintéresser.

Il a déjà croisé d'autres personnes comme elle, maintenant qu'il y fait plus attention. Des personnes magnétiques. Non pas d'une attirance charnelle ni même réellement charismatique. Ils "vibrent", distordent l'air autour d'eux de sorte qu'on ne peut faire autrement que les remarqué et être fasciné par eux. Les pirates les appellent les Flammes Exaltées. Pour les voir, il faut posséder soi-même une Flamme. C'est probablement pour cela que les factions en font aussi peu de cas, croyant peut-être à une simple superstition de vieux criminels de fond de l'espace? Gaël, quant à lui, en a néanmoins suffisamment vu briller pour ne pas douter de leur existence.

"Qu'est-ce qui m'botte? Tu les as, de ces questions, toi, alors que j'ai pas fini de déjeuner. On s'connait pas depuis dix minutes et tu veux savoir si j'suis fan de scrabble? Mais si tu veux vraiment savoir, déjà, le rhum c'est bien."

Puis il prend une bonne gorgée de son verre pour cacher son sourire amusé.

J'éclate de rire.

"Arrête, le seul truc au monde plus chiant que ça, c'est l'nutrisoja goût chou bouilli !"

En général j'suis assez fine pour savoir quand on fait semblant d'pas comprendre, alors j'insiste pas - un évitement, c'est une réponse en soi, une réponse qui dit "rien d'assez avouable pour en parler à n'importe qui" -, mais cette façon d'amener les choses... Parlant de bouffe, du coin de l’œil j'vois une assiette s'acheminer, j'me recule juste assez pour qu'elle se pose sans encombre devant moi. Ragoût de je n'sais quoi et sa sauce de même. Miam. Non mais vraiment. Miam.

"Le rhum c'est la base, si t'aimes pas ça faut t'reconvertir." j'commente en attaquant le bout d'viande le plus proche. "T'en penses quoi d'çui-là ?" j'ajoute avant d'enfourner ma prise.

Gaël relève son verre pour trinquer une nouvelle fois à la mention de la petite sur le rhum.

"Faut boire à de telles sages paroles."

Mais parlant de boire, il a besoin de fumer. Il n'a pas encore pris le temps de fumer un joint de feuilles d'Yäiewt depuis son réveil, et le manque commence à se faire sentir. C'est un des premiers trucs qu'il fait dans sa journée normalement, mais l'arrivée improvisée de Mod' à sa table l'a empêché de mener à bien son habitude. Il repousse donc légèrement son assiette à moitié entamée, et sort son matériel à rouler de la poche de son jean. Après tout, c'est Tortuga. Tout le monde s'en fou qu'il se prépare un joint d'un truc illégal en pleine salle à manger d'une taverne.

"Il est pas mal. J'ai franchement déjà eu pire."

Il relève un instant les yeux de la cigarette qu'il se roule pour lancer un regard amusé au propriétaire qui a tout entendu et lui fait les gros yeux.Puis, comme elle semble déterminée à faire la conversation, il fait un effort.

"T'es sur un équipage de passage ou tu vis dans le coin?"

Je trinque avec lui, sans cesser de sourire. Ca se fane un peu quand j'vois c'qu'il sort de sa poche, mais j'dis rien. Après tout, c'est pas comme si tout l'monde ici buvait de l'eau et fumait du tabac payé avec de l'argent gagné à l'usine, pas vrai ?

"Pour l'instant, j'vis dans l'coin. Qui sait, ça changera ptet demain." Un clin d'oeil et on repart manger. "L'imprévu, c'est le sel de la vie."

Gaël termine de rouler sa cigarette et l'allume avant de s'adosser au dossier de sa chaise et de prendre une grande bouffée. Ça va déjà mieux. En plus, la petite blonde répond à sa question, ce qui annonce une suite de conversation un peu plus équilibrée en terme de dévoilement de soi.

"En effet. Encore qu'il faut savoir apprécier ce qui est salé, c'est malheureusement pas donné à tout l'monde."

Lui y a goût, bien sûr, ou il ne ferait définitivement pas le métier qu'il exerce actuellement. Gaël a besoin que les choses bougent, de gérer des problèmes et de continuellement être en action. S'il s'installe dans une case bien rangée, il devient fou et ses démons le grugent beaucoup trop rapidement.

Il reprend alors sa fourchette pour entamer la seconde moitié de son assiette.

"Même si tu es une adepte de l'imprévu, j'ai vécu assez longtemps ici pour savoir que rien n'est fait pour rien. J'imagine que t'es pas venu m'voir uniquement pour la conversation, non?"

"Un pirate qu'aimerait pas l'sel ? C'est comme un poisson qu'aimerait pas l'eau." j'commente, l'air d'énoncer une évidence.

C'est vrai quoi, si on veut du plan-plan on s'engage pas dans c'genre de vie. On va plutôt voir la marine marchande. Ou on reste à terre. On devient prêtre. Va savoir c'qu'il est d'venu, Jean, une fois qu'il a été ordonné.

Quant à savoir pourquoi j'suis v'nue l'voir... bah étrangement, si, c'était pour la conversation. Et m'faire payer à manger et à boire. Et voir où ça m'amènera. Alors j'avale ma bouchée, je souris et j'demande innocemment :

"Tu paries sur quoi ?"

In-no-cente, j'te dis.

Gaël a un demi-sourire, sincère cette fois. C'est effectivement ce qu'il aime, dans la vie de pirate qu'il s'est dessiné, fausse identité ou non. Il affectionne tout particulièrement l'imprévu, l'action, les choses en constant changement et, surtout, ne jamais stagner longtemps dans la même situation. À sa réponse, Gaël secoue d'abord la tête avec un air faussement exaspéré. Elle aime s'entourer de secret, la petite lumière. Il prend donc le temps de terminer son repas, question de la faire mariner un peu pour la peine, tout en regardant Mod' pour la sonder, puis fronce légèrement les sourcils.

"Mmm. J'ai pas encore connu de pirates qui refusent de se faire payer à boire et à manger alors... finalement, c'est p't'être simplement pour profiter de l'occasion? Quelque chose me dit d'ailleurs qu'c'est pas la première fois qu'tu fais ce genre de chose, t'as l'air beaucoup trop à l'aise dans la situation, et j'crois aussi que tu es plus âgée que t'en as l'air, ce qui doit t'aider."

Il prend une gorgée d'alcool puis lui offre un bref sourire amusé.

"J'me trompe?"

Oh, il boude ? Dommage. J'fais comme lui alors, je continue à manger. Et à boire. Avec entrain. C'est d'autant meilleur que c'est gratuit. Et puis la réponse tombe et j'arrive pas à retenir un sourire alors je l'accentue.

"Ptet bien... ou ptet pas. Mais j'confirme, ça m'fait bien plaisir de manger à l’œil. Et il paraît que j'fais pas mon âge ouais. J'vois ça comme une garantie pour l'avenir, j'aurai des rides plus tard que les autres !" j'rigole. J'ressers le rhum. "Et toi, tu m'invites gracieusement parce que ?"

Un sourire amusé et vaguement dépité étire les lèvres de Gaël alors qu'il secoue négativement la tête. Il s'est fait avoir comme un débutant par une petite luciole, lui qui est pourtant rodé à une vie de mensonges et d'observations. Bha. Il ne lui en veut pas. Ce n’est pas bien méchant, et il doit simplement commencer à se faire vieux. Et gâteux. La belle horreur.

"Parce que j't'ai prise pour une gamine perdue. Et j'ai jamais pu laisser les gamines perdues crever de faim, c'pas humain."

Il hausse négligemment des épaules en prenant son verre de rhum nouvellement rempli.

"Tout le monde a des faiblesses."

Gaël prend une gorgée puis hausse un sourcil en direction de la petite blonde.

"À quel point j'me suis trompé sur ton âge, dis-moi?"

"Moooh." je fais, ostensiblement attendrie et presque pas ironique. "C'est tout à ton honneur ça, c'est chouette." j'dis, plus sérieusement. "Faudrait plus de gens comme toi."

La question d'après me fait franchement rigoler par contre. Un grand rire naturel et spontané. Et pas très discret.

"Ca dépend, j'ai quel âge d'après toi ?" je minaude, innocence personnifiée, en mimant une moustache avec une mèche blonde.

Vraiment. Innocente.

Gaël grogne faiblement, bourru, devant la réaction de la petite blonde. C'est qu'elle semble le trouver mignon avec sa réponse, en plus.

"Quand je t'ai vu arriver, j't'aurais pas donné plus de 16 ans."

Il prend alors une nouvelle gorgée puis fronce légèrement les sourcils en la regardant avec intensité, comme pour percer l'illusion.

"Mais là, j'te donnerais plutôt début vingtaine. 22 ans peut-être?"

"Pas maaal..." je commente, appréciatrice, en lâchant ma moustache de cheveux. "T'es drôlement physionomiste, c'est rare qu'on m'donne autant." Physionomiste ou alors un peu plus futé qu'la moyenne, va savoir. "Qu'est-ce qui m'a trahie ?"

Un petit sourire un peu plus sincère - et toujours amusé - étire les lèvres de l'impérial à la réponse de Mod. Elle ne lui a toujours pas confirmé son âge exact, mais apparemment, il n'est pas tombé très loin. Il secoue néanmoins la tête à la négative face à la déduction de la petite blonde.

"Nan, pas physionomiste, j'suis simplement un peu doué pour lire les gens, si on veut. Et c'est ta façon d't'exprimer qui t'a vendu au final."

Il remplit de nouveau leurs verres, puis demande :

"Mais tu m'as toujours pas dit si j'suis tombé pile."

Physionomiste et futé donc.

"J'parlais déjà comme ça à seize ans tsais." j'commente. C'est vrai le pire. "Nooope." j'souris. "Pas loin mais pas pile, et t'en sauras pas plus." On entend presque un p'tit coeur à la fin de la phrase.

Gaël lui concède le droit au silence avec une moue.

"Ma mère m'arracherait les oreilles si elle m'entendaient demander l'âge d'une dame, de toute façon."

Il lui retourne un sourire amusé avant de prendre une nouvelle gorgée de son verre. Mod' est probablement aussi éloignée de l'image de la "Dame" qu'il est possible de l'être, dans son sens non péjoratif bien sur.

"Ah, les mères." je commente, compréhensive. Plus ou moins.

La mienne, si elle savait... ouh là là, ne serait-ce que l'quart d'la moitié... elle m'aurait reniée cent fois. Au moins. Et prié l'Unique de vite m'envoyer rôtir et d'pas leur en vouloir pour c'que j'suis d'venue. Un truc comme ça. J'suppose. Lui il est resté en assez bons termes avec la sienne pour au moins faire semblant d'lui obéir, ptet. Moi y a pas grand-chose de c'qu'elle m'a inculqué qu'est resté en tout cas.

On va changer d'sujet, hm ?

"Dis voir, maint'nant qu'on est super potes et tout." J'me penche en avant, comme pour un Grand Secret. "Qui c'est qu'tu caches sous ta chaise ?"