Blood of our blood

Laylia est nerveuse. Elle replace constamment une mèche de ses cheveux dans son chignon lâche sur le coté droit de sa nuque et ne cesse de frotter ses mains ensemble. Le remarquera-t-il avant qu'elle le lui dise? Comprendra-t-il à son attitude si différente de celle lors soirée passée ensemble que quelque chose ne va pas? Néanmoins, la véritable question est plutôt : comment réagira-t-il?

L'attente est une torture et la brune s'en veut d'être aussi inquiète. Il s'agit de SA décision, à elle et elle seule. Elle n'a choisi de l'informer que pour apaiser sa conscience. Elle aurait très bien pu poursuivre sa vie sans jamais plus le revoir et ne jamais dévoiler son nom au reste du monde, comme il est de droit et de coutumes pour les Compagnonnes. Sa mère, avant elle, a pris cette décision du silence, après tout. Mais, pour une raison qui lui échappe un peu, Laylia tient à ce qu'il sache. Elle n'attend absolument rien de lui, ne souhaite rien lui demander et ne va rien lui exiger. Qu'il soit heureux, enragé, consterné ou complètement désintéressé, cela ne change rien pour elle au final. Mais... il doit savoir. Au moins, savoir. Non?

Alors Laylia lui a donné rendez-vous ici, dans ce petit café tranquille de Port Salem. Jaziel. Elle ne lui a rien expliqué, sinon que cette rencontre n'était pas motivée par un intérêt professionnel, et il a été suffisamment aimable pour l'obliger. Cela fait maintenant quatres mois qu'ils se sont rencontrés, qu'il a été son client pour la seule et unique fois. Elle garde un très bon souvenir de lui, de leurs mots échangés surtout. Cet homme l'a fasciné de bien des façons, et la jeune Compagnonne en a à quelques reprises oubliées qu'elle travaillait en sa présence. Elle se souvient d'avoir pensé regrettable le fait qu'il ne pourrait pas devenir l'un de ses clients réguliers. C'est peut-être aussi pour cela qu'elle a su dès le début qu'elle voudrait le lui dire.  Et au final, c'est surement mieux qu'ils ne puissent pas rester en contact.

Si Laylia n'a jamais été aussi sûr d'elle de toute sa vie concernant sa décision, elle n'a jamais été aussi terrifiée non plus. Et maintenant qu'elle s'apprête à l'annoncer à Jaziel, la jeune femme doute. Comment annonce-t-on à un homme qu'on connait à peine qu'on porte son enfant? Comment on lui dit qu'il n'a pas son mot à dire sur la décision de garder cet enfant ou non, qu'il ne fera pas partie de sa vie non plus? Leurs vies sont trop différentes, et les grossesses chez les Compagnons, si rares, ne sont pas vues de la même façon que pour le reste de la population. Se marier et élever l'enfant ensemble? Non. Alors elle élèvera son enfant seule, comme le sien uniquement. C'est sa décision, son corps, son enfant. C'est son miracle à elle. Mais c'est cruel pour lui. Plus cruel encore que de lui cacher sa grossesse, finalement. Mais peut-être que s'il le désire vraiment...

Il s'étonne sans s'inquiéter. L'éthique des Compagnons veut en général qu'ils ne donnent que ce pour quoi ils ont été retenus, ni plus, ni moins et ce service est déjà parfaitement honnête tel qu'il est. S'il a passé une excellente soirée et s'est rappelé des plaisirs que l'on a dans les bras d'une jolie femme, Jaziel n'avait pas l'intention de revoir Laylia et ne pensait pas que leurs chemins pouvaient un jour se recroiser. Il n'avait rien contre elle, au contraire, cependant, il avait d'autres priorités pour sa solde. De grands projets.

Et pourtant, elle l'avait rappelé.

Et il avait accepté de la revoir alors que son équipage était de passage à Port Salem. Le fait qu'elle ait précisé que l'entretien serait personnel voulait dire qu'il ne devait pas s'attendre à ce que la rencontre lui soit facturé. Cela lui allait.

Ni nerveux ni inquiet, le jeune homme était donc au rendez-vous à l'heure dite, habillé de vêtements propres mais pauvres, tiré cependant à quatre épingle avec cette prestance qu'il n'avait pas encore oubliée. Il regarda la jeune femme sans penser à surveiller un potentiel stress et donc ne voyant rien.

"Mademoiselle." fit-il de son habituelle voix calme et tranquille

Dans le brouillard de ses inquiétudes, le temps s'écoule étrangement vite et lentement à la fois. Puis, d'un coup, il est là devant elle. Lui et ses cheveux de neige. Lui et ses yeux clairs si difficiles à lire. Lui qu'elle connait trop intimement pour les étrangers qu'ils sont. Elle se lève alors et se demande soudain stupidement s'il remarquera la légère différence dans la taille de son ventre, sous le tissu fleuri de sa robe.

"Jaziel."

Laylia l'invite à prendre place à sa table, puis se rassoit elle-même. Elle reste ensuite silencieuse. La politesse et tout ce qu'on lui a appris voudraient qu'elle ait déjà engagé la conversation, ou simplement lui ait demandé comment il allait. Mais en cet instant, elle n'est plus Compagnonne, et ce moment n'est pas pour lui. Elle inspire profondément et débute finalement.

"Je suis heureuse que vous ayez pu venir. J'ai craint ne pouvoir vous contacter de nouveau, ou que vous refuseriez de me rencontrer. Merci de vous être déplacé, vraiment. Et pardonnez-moi cette requête inhabituelle, je..."

Elle s'arrête un instant pour se recentrer et calmer sa voix. Puis elle lève enfin les yeux pour trouver les siens. Il pourra y voir sa détermination, la force de ses convictions aussi, et s'il sait la lire, ses craintes derrière aussi, peut-être.

"Il y a peu de bonnes façons de vous annoncé cela, alors je serais franche et directe. Mon implant contraceptif a fait défaut, lors de notre dernière rencontre. J'ai choisi de garder l'enfant."

Il s'assied devant elle, pose ses mains tranquillement devant lui, sur la table, et attend. S'il ne détourne pas le regard, il ne la fixe pas vraiment, ses yeux clairs portant naturellement sur elle sans vraiment la regarder, sans ciller, sans même montrer d'émotion. A cet instant précis, il n'en a pas. Il respecte le silence et attend patiemment qu'elle trouve en elle la force de le rompre. Il n'y met aucune tension, est totalement inconscient de celle de la jeune femme. Et puis, finalement, elle inspire, et débute. Il écoute. Attentif. Calme. Indifférent. A l'annonce, il ne réagit pas immédiatement, si ce n'est pour accuser le coup en laissant ses paupières retomber et se relever une nouvelle fois. Puis, il hoche la tête.

"Je vous remercie de m'en faire part." Un silence, court derrière la politesse. "Cependant, le devoir me pousse à vous avouer que je ne suis pas capable de subvenir aux besoins d'une famille pour le moment."

Il n'a... aucune réaction. Laylia reste figée, une impression de gouffre s'ouvrant dans sa poitrine alors qu'elle le regarde en attendant presque désespérément une réponse. Elle le connait peu, et si elle sait qu'il n'est pas expressif, elle ne s'était pas attendu à autant de calme et de manque flagrant de... de tout, en fait, pour une révélation aussi majeure et choquante. Sur l'instant, elle se dit qu'elle aurait préféré qu'il panique, s'emporte ou même saute de joie. N'importe quoi sauf cette indifférence. C'est stupide, néanmoins. Elle ne s'attend ni à ce qu'ils forment une famille, ni à ce qu'il lui doive quoi que ce soit. Alors qu'il soit indifférent à la situation est probablement le meilleur résultat possible. Non?

Puis enfin, il parle. Son expression comme ses paroles manquent toujours cruellement d'émotions, mais au moins elle peut se reposer sur le sens des mots qu'il lui offre pour tenter de le comprendre. Cela la soulage et la calme un peu. Laylia secoue donc doucement la tête de manière négative en levant une main devant elle pour lui signifier qu'elle n'attendait pas cela de lui, de toute façon.

"Ne vous en faites pas. Je n'attends aucune implication de votre part auprès de l'enfant, et encore moins auprès de moi. Le garder est ma décision, je ne vous l'imposerais pas. Tout ce que je souhaitais de cette rencontre était de vous en informer. Ne pas vous mettre au courant m'apparaissait comme vous cacher quelque chose de trop important."

Considérez-moi au courant, aurait-il répondu quelques années plus tôt. Erika a changé cela, elle lui a enseigné les bases des relations hommes-femmes. Même si elles disent qu'elles n'attendent rien, elles attendent quelque chose, ne serait-ce que de la sympathie ? Il n'a aucune idée de ce qu'il est sensé dire ou faire dans cette situation. Aucun manuel ne l'a préparé à ce genre de chose. Il réfléchit, prend son temps, pensif mais plus dans la réflexion que dans la réaction.

"C'est..." trouver les mots. Les bons mots. Et les bons gestes ? Il avance sa main pour tenter de recouvrir la sienne en signe de soutient. Il ne sait pas vraiment. Il n'a aucune idée de ce qu'elle peut ressentir à ce moment précis. Il ne saura jamais. "Une fois encore, je vous remercie d'avoir pris la peine de m'avertir. Sincèrement. J'aime à savoir qu'il y a un être de mon sang qui va ouvrir les yeux sur ce monde. Le sang, pour moi, c'est très important." Erika lui aurait soufflé de trouver un truc gentil à dire sur la maman aussi mais il ne voit pas l'intérêt alors il enchaîne. "Savons-nous déjà s'il s'agit d'un garçon ou d'une fille ?"

Nous.

C'est tout ce qu'il peut lui donner. Un "nous".

Jaziel réagit enfin un peu plus et Laylia pousse un subtil et silencieux soupir de soulagement. Elle lui sourit ensuite doucement, comme pour le remercier lui aussi de bien réagir à la nouvelle. La brune ne sait pas très bien comment réagir à son commentaire sur le sang, mais elle choisit de simplement hocher la tête et de ne pas y réfléchir pour l'instant.

Avant qu'elle n'ait pu répondre quelque chose, Jaziel enchaîne en demandant le sexe du bébé, et deux choses dans sa demande la surprennent. Qu'il s'y intéresse ainsi avec autant de détachement et de facilité, d'abord. Elle avait pris la décision de parler au sens général d'enfant, sans genre, afin de ne pas le blesser, mais maintenant qu'il demande, et au vu de sa réaction, elle ne voit plus la nécessité de garder cette information secrète. La seconde surprise est qu'il a employé le "nous". Ce n'était surement qu'une formulation toute bête. Néanmoins, Laylia réalise que malgré tout, et même s'ils ne se revoient jamais après aujourd'hui, ils seront à jamais un "nous" désormais. Unis par un enfant. L'effet lui est étrange et elle baisse les yeux en posant la main sur son ventre.

"J'ai su récemment oui. Ce sera une fille."

Il large sourire étire les lèvres de Laylia et ses yeux se mettent à briller. Il est impossible de ne pas voir son bonheur incrédule.

Une fille. Bon. Tant pis. Tout homme souhaite avoir un fils. C'est normal, pour continuer sa lignée. Mais les De Asturia ne sont plus et même si l'enfant avait été mâle, cela n'aurait rien changé. Une fille a autant de sang noble qu'un fils et ne se sentira pas dépossédée si elle vient un jour à connaître son héritage. Il appelle un serveur d'un geste de la main, commande d'autorité deux cocktails aux fruits sans alcool. Si elle ne peut pas boire, lui ne boira pas. Il attend en silence que les verres arrivent, prend le sien, le lève, toujours aussi calme, toujours aussi correct, toujours aussi neutre.

"A notre fille. " Il boit une gorgée. Ce n'est pas mauvais. Un peu sucré à son goût. Il réfléchit. Techniquement, elle lui a fait son annonce, il pourrait se lever et partir. Mais il a du temps et il est certain qu'une telle "révélation" demande des ronds de jambes particuliers. Une énième fois, il regrette qu'il n'y ait pas de Code de la Vie que l'on pourrait apprendre comme existent les Codes de l'Etiquette et le Code Pirate par exemple. Tout serait plus simple si l'on avait pas toujours à deviner. Il n'aimait pas les devinettes. Elles n'avaient rien d'une bonne énigme.

" Avez-vous une idée de prénom ?"

À son toast, quelque chose semble tomber dans la poitrine de Laylia. Les mots sont porteurs de beaucoup plus que leur simple sens premier, ce ceux que vient de prononcer Jaziel sont à la fois révélations et avenir. Une fille. Ils vont avoir une fille... La brune lève son verre et boit elle aussi. Le cocktail est surement trop sucré, mais depuis quelques semaines, la Compagnonne à une dent sucrée beaucoup plus prononcée qu'avant et ne semble pas pouvoir la rassasier, peu importe les sucreries qu'elle consomme. Surement un des effets de la grossesse.

Jaziel la surprend de nouveau avec sa question suivante, mais Laylia se fait tranquillement à l'idée qu'il s'intéresse d'une étrange façon à leur futur enfant : à la fois distant et avec une attention considérée et mesurée. Elle hoche alors la tête à la négative.

"Non, pas encore. Je crois que je devrais attendre de la voir avant de pouvoir choisir. Un nom est important pour l'identité de quelqu'un, et je n'arrive pas à me faire à l'idée de lui en donner un sans la connaitre davantage. J'ai commencé à la sentir bouger, un peu, mais c'est encore très subtil."

Elle s'arrête avant d'en dire plus en baissant les yeux, incertaine s'il est approprié de parler de détails sentimentaux avec le père de son enfant venant de lui dire qu'il ne pourra pas faire partie de sa vie.

La voir ? Qu'est ce que cela peut bien changer ? Un bébé est toujours moche, fripé et plein de sang. Un enfant a toujours de grands yeux et un air d'innocence. Ce n'est qu'à l'âge adulte que les caractères se révèlent. Son nom à lui est celui d'un ancêtre de sa lignée. Point. Quant à l'assurance de l'avoir sentir bouger, ce serait un renseignement précieux s'ils s'inquiétaient de la viabilité de l'enfant, sauf qu'il ne s'inquiète aucunement. Il bouge. Bien. Les bébés font ça. Ils bougent. Il réfléchit. Il a posé les questions que l'on attendait de lui. Et maintenant ? Veut-il vraiment la laisser lui enlever le dernier sang qui lui reste ? Il s'aperçoit que non. Ce n'est pas qu'il est contre qu'elle l'élève, au contraire, il n'a ni le temps, ni le gout, ni l'argent pour s'intéresser à l'éducation d'une fille. Juste, il veut garder un oeil sur son sang. L'honneur familial l'exige. Il ne peut pas l'ignorer totalement. Elle n'est pas encore née, elle n'a pas encore de nom et, déjà, elle est un joker dans sa manche.

"Puis-je vous demander de lui donner un nom impérial ?"

Il sait que Laylia se doute de son origine. Il ne cache pas assez bien son accent.

Laylia relève les yeux vers lui, plantant le bleu profond de ses iris dans celui glacé des siens, et reste interdite à le sonder quelques instants. À l'intérieur d'elle même, tout n'est que conflit. Elle se doute fortement, depuis leurs premiers échanges, que Jaziel est d'origine impériale, bien qu'il ne le lui ait jamais confirmé franchement. Aussi, donner un nom impérial à leur fille serait rattacher celle-ci à son père. Est-ce une bonne chose, au vu des circonstances? Laylia l'ignore. Leur situation n'est pas "normal" après tout et aucune solution n'est donc prescrite.

Au bout d'un moment elle finit néanmoins par hocher la tête et répondre :

"Je garderais votre souhait en tête lorsque viendra le moment de la nommer."

Ni une promesse ni un refus. Simplement une prise en considération sérieuse de sa demande. C'est le plus qu'elle peut lui offrir actuellement. Car si lui ne lui doit rien, il en va de même pour elle, et Laylia devra y repenser plus tard, une fois la pression du moment passé et qu'elle pourra y réfléchir sans trop de biais émotifs.

Puis Laylia hésite de nouveau, se mordant la lèvre. Puis, elle se dit que le geste ne peut pas faire de mal réel, surtout que cette rencontre sera probablement leur dernier contacte, non? Vu son intérêt pour l'enfant malgré tout, et que ce sera donc surement le seul contacte qu'il aura avec sa fille...

"C'est peut-être ridicule, comme vous ne pourrez rien sentir, mais... aimeriez vous la toucher?"

"Merci." Il n'a rien à dire de plus, rien à exiger et il le sait assez pour ne pas même essayer. C'était une faveur qu'il demandait, si elle l'examine, c'est déjà ça. Il allait se lever et mettre fin à l'entretien - après tout, que dire de plus ? - lorsqu'il la vit hésiter puis lui proposer de mettre la main sur son ventre. D'abord surpris puis indécis, Jaziel réfléchit rapidement. Sentir une peau sous sa paume ne réveillerait rien en lui, il en était certain. D'un autre côté, si elle le proposait, c'était que cela se faisait. A moins qu'elle en ait envie ? Il lui était impossible d'en être certain, d'un côté comme de l'autre. Seulement, il n'avait que deux alternatives. Accepter et le faire - puisqu'elle le proposait, ou refuser et partir. Dans le premier cas, il risquait au pire de perdre un peu de temps et de faire croire qu'il était sentimental. Dans le second, il risquait, au pire, de la froisser - ce qui n'était rien - et de perdre un possible lien avec son sang - ce qui n'était pas grave mais à éviter tout de même. Sans se soucier de cacher son hésitation, il répondit donc, après un silence plein de gravité.

"Pourquoi pas."

Il accepte, et le coeur de Laylia ne fait que s'accélérer davantage, au point qu'elle craint qu'il ne le sente palpiter à toute vitesse lorsque sa peau touchera la sienne. Elle prend donc une grande inspiration avant de se lever et de lui faire signe de s'approcher.

Ainsi debout, son ventre gonflé parait enfin. Pas encore énorme, on y voit néanmoins avec facilité la rondeur de sa grossesse au travers le tissu léger de sa robe, notable d'autant plus par la finesse naturelle de sa taille. Gardant une main sur son ventre, protectrice, Laylia tend l'autre afin de saisir les doigts de Jaziel. Elle pose ensuite la main de l'homme avec douceur contre son ventre, gardant la sienne par dessus. Le bébé bouge alors doucement, trop faiblement pour qu'on puisse le sentir de l'extérieur, mais assez pour chasser d'un coup les craintes de Laylia et lui arracher un large sourire de bonheur. Elle murmure alors, ne cachant rien de l'émotion débordante que le moment lui inspire :

"Elle dit bonjour."

Elle ignore ce que tout cela peut signifier ou non pour Jaziel, mais pour elle, le monde entier tourne maintenant autour de cette vie qui grandit en elle.

Il ne sent rien. Rien d'autre qu'une peau tendue sous sa paume, légèrement chaude et qui respire. Peut-être un peu vite, qu'en sait-il, lui, il n'est pas médecin. Et pourtant elle sourit. Elle a presque l'air heureuse. De quoi, il ne peut pas se le figurer, les émotions des autres lui échappent, il arrive parfois à les lire comme on déchiffre un tag sur la parois d'un astroport mais leur cause, ça, c'est l'incompréhension totale. Et pour être totalement honnête, tant que le résultat correspond à ses attentes, il s'en fiche un peu. Il hoche la tête, tranquillement lorsqu'elle reprend la parole. Ils savent tous les deux que les foetus ne parlent pas, inutile de gâcher le moment à le souligner.

"C'est bien."

Il ne sait pas trop quoi dire d'autre et sa gêne passe, fugace, sur son visage gelé. Il retire sa main avec douceur. Après tout, ils sont dans un lieu public, il conviendrait de ne pas l'oublier.

"Je vous souhaite une belle vie à toutes les deux." ajoute-t-il après une brève hésitation.

Le contacte est bref et Jaziel ne semble ni apprécié réellement le moment, ni non plus en être dérangé. Laylia note néanmoins une vague gêne sur ses traits, mais ne sait pas exactement à quoi la rattacher ni quoi en penser. Elle hoche donc simplement la tête en lui offrant un sourire reconnaissant. Reconnaissant de réagir aussi bien, de ne rien exiger d'elle aussi. Puis, l'homme initie la conclusion de leur rencontre et Laylia se surprend elle même d'être soulagée que celle-ci se termine aussi rapidement et sur une note pareille.

"À vous aussi. Et je ferais tout pour que sa vie soit la plus heureuse possible."

Elle a l'impression que sa dernière phrase n'était pas nécessaire, mais elle a tenu à le lui assurer tout de même. Le bonheur de leur fille tout comme sa sécurité sont désormais les deux choses les plus importantes de sa vie, et elle ne saurait être plus sincère. C'est donc avec l'impression d'en avoir trop peu dit pour un sujet aussi important qu'elle hoche de nouveau la tête, pour les adieux, et ajoute simplement, une main toujours sur son ventre :

"Merci d'être venu."

"Merci de m'avoir prévenu." S'il n'a en effet pas besoin qu'on lui assure que l'enfant aura une vie heureuse, il n'oublie pas que la jeune femme n'avait aucune obligation de lui annoncer la nouvelle. aucune façon de deviner comment il aurait pu réagir. Devenir violent, agressif, rejeter l'enfant ou au contraire le vouloir pour lui. Si cela avait été un fils, aurait-il répondu différemment ? Peut-être. Peut-être pas, il n'a pas de place pour un enfant dans sa vie pour le moment. Avec Erika tout aurait été différent. Plus tard encore, peut-être pourra-t-il. Maintenant, cela n'est pas une question. Il hoche la tête, recule encore d'un pas.

"Je prendrais parfois des nouvelles, à l'occasion, si vous acceptez de m'en donner. Disons, une fois l'an."

La proposition de Jaziel la fait hésiter de nouveau, et son sourire se fige un peu sur son visage. Elle prend donc quelques secondes pour évaluer la question, ne pouvant se permettre d'attendre à plus tard pour y répondre comme pour celle du prénom de leur fille. Finalement, Laylia hoche la tête à l'affirmative, mais précise tout de même :

"Bien. Contactez-moi via la Guilde lorsque vous le jugerez opportun, nous pourrons alors nous organiser une rencontre privée, seulement tous les deux."

Dans ses conditions est dissimulé son désir de contrôle sur leurs rencontres futures. S'ils se voient de manière professionnelle, non seulement leur secret sera préservé, mais également pourra-t-elle profiter de la distance professionnelle en cas de problème. De plus, elle s'assure en même temps qu'il comprenne bien que leur fille ne sera pas présente lors de ces rendez-vous.

"C'est entendu, nous ferons ainsi." Il n'a pas d'objection à lui laisser le contrôle des rencontres et des informations qu'elle peut lui donner. C'est sa fille à elle, il n'a pas l'intention de s'immicer dans sa vie ou de se laisser traîner dans une famille qu'il ne saurait pas comment intégrer à ses objectifs à moyen terme. Il souhaite juste garder un oeil sur l'être portant le sang des De Asturias, comme il garde un oeil très discret sur ce que deviennent ses soeurs, comme il surveille, mine de rien, la carrière de sa belle-soeur. Par sécurité.

Il se recule encore, pose sur la table de quoi payer les verres et s'incline à partir de la taille dans un salut que n'aurait pas renié son maître à danser d'une autre époque.

"Comme toujours, ce fut un plaisir. Portez-vous bien."

Et il s'en alla.

Laylia lui rend son signe de tête avec respect puis lui offre un ultime sourire fin du coin des lèvres.

"Le plaisir est partagé. Portez-vous bien également, Jaziel."

Le voir s'éloigner fait un drôle d'effet chez la jeune compagnonne. Elle sent sa gorge se serrer sans néanmoins ressentir de tristesse. Elle reprend donc place à la table, seule cette fois, et prend quelques minutes pour rassembler ses esprits et réaliser pleinement tout ce qu'ils se sont dit. Une barre soucieuse s'est installée entre ses sourcils alors que le reste de son expression semble s'être fermé. Elle ne sait pas encore très bien ce qu'elle doit penser de chacune des réactions et demandes de Jaziel mais une chose est certaine : son impassibilité, voir carrément son manque de réaction, l'intriguera et la hantera pendant de nombreuses nuits.

Une main posée sur son ventre, Laylia baisse finalement les yeux vers celui-ci et un sourire renaît sur ses traits. Peu importe, au final. Ce n'est plus qu'elle et fa fille désormais. Alors elle murmure doucement :

"Je t'aime et t'aimerais pour deux. Pour mille s'il le faut. N'en doute jamais."

La jeune compagnonne se lève alors puis, à son tour, quitte le café pour retourner à Vanguard et à sa vie.