Just another night [w/Cathwulf Searuweard]

Encore une longue journée à décuver au Rust&Bones. Heureusement, les clients affluent pas trop. Aujourd'hui y en a eu deux. Un petit qui avait besoin d'allonger légèrement la taille de sa prothèse de jambe, et oui s'il y a croissance il y a ajustement. Le deuxième, un type d'une quarantaine d'années qui venait réviser sa prothèse de bras en piètre état. Avec ce qu'il a payé, j'ai pas fait de miracle mais le minimum, ça devrait permettre à son bras de tenir un peu plus longtemps. Le reste du temps, je l'ai passé à comater sur le comptoir en attendant des clients qui ne sont jamais venus. Je vous dirais bien une connerie du genre "Demain sera un jour meilleur" mais je sais que c'est des conneries, demain sera merdique, comme aujourd'hui.

Enfin, tout ça nous amène au meilleur moment de cette journée. Je tourne la pancarte sur "Closed", ferme la porte à clef derrière moi et prends la direction du Runny Amber. Le chemin est toujours le même, un peu long mais bon, c'est ce qu'on récolte à force de tabasser la clientèle des tavernes proches de chez soi, j'imagine. On va se tenir à carreau sinon il faudra traverser la moitié de la ville pour trouver une taverne. En plus, le patron est sympa, je l'aime bien, pour l'instant.

Je pousse la porte d'entrée et me retrouve dans l'ambiance de la taverne. J'aime bien l'odeur de cette endroit, une odeur familière de piraterie, de nostalgie. Elle n'est pas plus ou moins remplis que d'habitude. Surtout des habitués visiblement, j'en reconnais certains, mais je fais mine de les ignorer tout en me dirigeant vers le bar. Wulf est là, je prends une chaise pour m'asseoir en tapotant ma main sur le comptoir.

« La même chose que d'habitude patron, s'il te plaît. »

La politesse c'est pas tellement dans mes habitudes, mais c'est lui qui détient mon alcool. Ma voix est grognante presque froide, mais je m'efforce de cacher mes misères du jour derrière mon plus beau sourire. L'alcool devrait aider à devenir plus avenante et à les oublier, que se soit celle d'aujourd'hui, celle d'hier ou celle de cette année. Et si ça me transforme juste en loque humaine - comme d'habitude - tant pis.

Le Runny Amber, moins d'un an après son ouverture fonctionne déjà bien, le bouche à oreille fonctionnant à merveille et les cocktails, hamburger et le rhum fidélisant les curieux. Même des notables de Hope se sont pris au jeu dont certains bons buveurs font au bar une rente non négligeable.

Silène de Senedo, avec un accent quelque part, l'impérial étant une langue absolument imbitable, est l'une de ceux là. Intéressante à jeun parce qu'elle possède une boutique de mécanique et de réparation cyber, elle est l'une des plus grosses buveuses du coin. Avec un sourire tout commercial, Wulf pose devant elle une bouteille de Kraken et un verre vide ainsi qu'un sceau à glaçon. Les habitués ont le droit à des petites attentions, surtout lorsqu'ils consomment beaucoup, aussi il rajoute un mélange de noix bien salés et de fruits sucrés supposés aspirer l'alcool et surtout décupler la soif. Il n'y a pas de petit profit.

« Alors, comment allez-vous aujourd'hui, Miss ? »

Sans attendre, j'attrape la bouteille et verse le liquide noir dans le verre jusqu'à moitié. Le premier verre d'une longue série. Mon regard s'arrête sur l'étiquette de la bouteille. Le Kraken ? Le rhum n'est pas ma boisson préféré, mais ça fera l'affaire pour le moment. J'ajoute deux glaçons puis, en levant mon verre, je plonge mon regard dans celui du rouquin.

« Une journée comme une autre. »

Je souffle pour marquer l'ennuie. En vrai, s'il n'y avait que l'ennuie ça irait. Première gorgée d'alcool, le passage me brûle la gorge, mais le goût est délicieux, c'est loin d'être de la pisse. Ceci dit pour le prix, ça a plutôt intérêt. Ma main repose mon verre et plonge dans le bol pour attraper une noix salée avant de la mettre dans ma bouche. Je croque lentement, l'air pensive sans le quitter des yeux.

« Et toi ? Le bar tourne ? »

Pas que ça m'intéresse réellement, je cherche juste à faire la conversation en étant sobre et c'est pas facile. Je fini mon verre d'une seule traite en émettant un léger grognement de douleur, ça pique un peu. Encore un ou deux comme ça et je serais la championne de la conversation.

Ouais ben pareil hein. Routine tout ça. C'est rare la vie sans routine, et même dans la piraterie ou en tout cas sur le Roar, il y avait tout un tas de jours sans rien de très excitant à faire à part s'entraîner et vérifier que tout fonctionnait bien. On croit qu'il n'y a que des abordages mais non, pas du tout, y a de longues périodes entre avec pas grand chose d'autre à faire que son boulot et des entraînements. C'est pendant ces temps morts qu'il a apprit la cuisine d'ailleurs et il ne s'en plaint pas même si depuis l'arrivée d'Audrey il en a nettement moins besoin.

« Il tourne bien mais pas encore assez bien. J'cours toujours après mon bénéfice. Les temps sont durs ma bonne dame. » Y a pas grand monde alors il la ressert puis, conscient qu'elle a d'autres préférences, il remballe la bouteille de Kraken et lui en sort une de Whisky plus proche de ses goûts.

« Parait qu'ils veulent régler l'importation des alcools étrangers à Renaissance maintenant. Encore une idée idiote des Trini, probablement pour tenter de redresser leurs finances. Ils savent plus quoi inventer pour se faire de la thune sur le dos des honnêtes gens. »

Ah il sort le whisky ! Ça c'est plus ma came.

« Ah ! Tu me fais plaisir patron ! »

Je sirote le verre de rhum assez rapidement, en l'écoutant parler. La politique et l'économie c'est pas des sujets qui m'intéressent du tout mais je reste attentive par politesse. J'aime ni les Trinitaires, ni la Corporation, ni l'Impérium et ce que ces tarés font comme politique j'en ai rien à carrer. Tant que ça me touche pas directement. J'hausse le sourcil quand même quand il parle "d'honnêtes gens" et un sourire se dessine sur le coin de ma joue. Vu le prix des consos, je me serais pas targuée d'être "honnête" à sa place.

« Les temps sont durs... En effet... »

Pour moi c'était pas le même genre de difficulté, j'avais peu de clients mais un seul client me rapporte beaucoup en général. Mes prix sont en-dessous de ceux des cliniques pour les réparations mais ce type de mécanique étant très fine ça reste au dessus des moyens du tout venant et suffit à m'assurer un revenu acceptable. Mon regard glisse le long de son bras mécanique et je repense à la proposition que je lui avais faite de lui remettre en bon état contre une réduction.

« Tu sais que ma proposition tiens toujours si tu veux réparer le tas de ferraille qui te sert de bras. »

Et au vu de l'état du machin, il en aurait bien besoin. Il risque de lui arriver des bricoles.

Il sourit, conscient de la futilité de la conversation mais heureux quand même de pouvoir discuter avec une habituée. Depuis moins d'un an qu'il a ouvert, il n'a pas vu sa Taverne vide et cela lui fait presque aussi plaisir que de retourner dans l'espace. Il ne lui manque que le rire de Sarrazin pour se sentir vraiment bien. Et évidemment la quadragénaire revient sur son bras. Il retient un soupir. Qu'est ce qu'ils ont tous avec son bras hein ? Il lève les yeux au ciel. En plus, vu tout ce qu'elle pompe la dame, il n'est pas sur qu'il sortirait vainqueur de ce genre de marchandage.

« Ouais, ouais, je sais mais j'ai des tas de trucs à acheter avant mon bras. Il tiendra bien encore quelques temps allez. C'est qu'un bras, c'est pas comme si c'était indispensable. » Il lui sert un verre de whisky. Il ne veut pas avouer que les reproches de son frère quand il s'est réveillé de l'explosion lui tournent toujours dans la tête et qu'il se refuse farouchement à dépenser pour réparer sa connerie un doublon de ce qu'il aurait pu économiser pour ses cadets.

« Promis, si je décide un jour de le faire réviser c'est vous que j'irais voir. »

Plus je regarde cet engin, plus mon sens de mécanicienne s'affole. Ce truc est une vraie bombe à retardement, c'est un miracle qu'il ait brisé la main de personne. J'ai entendu des habitués dire qu'il avait cassé des verres en les serrant un peu fort. Si ça se trouve c'est pas grand chose en plus, un nettoyage et un petit réglage de précision et on repart comme à neuf... Enfin, non pas pour ce modèle-là, mais aussi proche du neuf que possible.

« Je dis surtout ça pour toi, tu vas finir par te blesser ou blesser quelqu'un... Et ça risque de te coûter plus cher que de laisser quelqu'un y jeter un œil deux minutes... »

Je commence à le connaître un peu, lui parler d'argent et de coût ça peut éventuellement le rendre un peu plus ouvert sur la question. Après, il me semble pas aussi bête qu'il en a l'air, il doit avoir une bonne raison de repousser ce genre de réparation, mais ça ne coûte rien d'insister. Il faut bien que je gagne mon pain aussi.

« Et sérieux arrête de me vouvoyer, je suis pas une lady. C'est quoi la prochaine étape ? M'appeler madame ? J'ai vraiment l'air d'avoir 70 ans ? »

Sans déconner, j'ai vraiment horreur de ça et il me semble pas que se soit la première fois que je lui dise. Je m'envoie une gorgée du verre qu'il vient de me servir. Comment quelqu'un peut, sérieusement, préférer le rhum ?

Il ne va pas lui dire de quoi il a l'air, ce ne serait ni gentil ni commerçant mais certainement pas d'une lady, ça c'est certain. De toute façon... « si j'avais voulu avoir des ladies dans ma clientèle, j'aurais ouvert un salon de thé sur Alegria ou Paradis. » Il sourit, pas vexé, amusé même par la gouaille de la jeune femme. Peut-être qu'il laissera quelqu'un regarder un jour. Depuis que le Docteur Trinitaire qui était venu l'autre fois lui avait remis le nerf en place, il devait bien avouer que ça allait nettement mieux question verres brisés.

« Okay. Combien tu prendrais pour juste un coup d'oeil deux minutes ? »

Je fini mon verre d'une seule traite et le pose sur le comptoir.

« Disons trois verres à l'œil. »

C'est loin du tarif réel, mais "vite fais" n'étant pas trop défini, je peux juste lui faire un diagnostique et une estimation du prix que ça lui coûterais pour le remettre en état en dépensant le moins de deniers possibles. Ça a l'air d'être sa principale motivation et j'ai dû mal à en comprendre la raison d'ailleurs.

« Passe au magasin demain, je te dirais ce qu'on peut faire pour que ça te coûte le moins cher possible. » Ma main se lève. « T'es pas obligé de me dire non tout de suite, penses-y. »

Je prends la bouteille une nouvelle fois en me disant que l'alcool doit commencer à faire effet vu la manière dont je viens de lui parler et me ressers un verre. Je lui présente la bouteille.

« Tu me laisses boire toute seule ou tu te joins à moi ? »

Il a pas l'air d'avoir trop de boulot, c'est pour ça que je me permets de lui proposer.

Trois verres (mais des verres de quoi là est la question) c'est plus que raisonnable pour un diagnostique, il le sait bien. Et il hésite, surtout que les trois verres à lui lui coûtent moins que ce qu'il les fait payer, c'est évident. Après... c'est pour lui et pour lui, il n'aime pas dépenser des sous -ni des verres parce que ça revient au même au final. Alors qu'il est encore en train de peser le pour et le contre, la jeune femme reprend, sûre d'elle. Sans rien dire, il attrape la bouteille tendue et se sert un whisky dans un verre propre. Peut-être que si elle lui paye trois verres il peut se laisser convaincre. Qui sait. En attendant, il préfère changer de sujet.

"Tu m'as jamais dit ce que voulait dire le tatouage sur ta figure je crois ?"

Je contiens un grognement mécontent quand il évoque mon tatouage, mon regard s'assombrit et mon ton devient acerbe.

« C'est une erreur de cuite, mais j'ai pas encore assez bu pour parler de ça. »

S'il avait pas ma boisson et qu'il m'était pas sympathique je serais probablement devenu beaucoup moins courtoise, mais je sais pas trop pourquoi j'arrive pas à lui rentrer dedans comme je le ferais pour n'importe qui. Je bois une gorgée dans mon verre et reprends d'un ton adouci.

« T'as des tatouages, toi ? »

En tout cas, s'il en a, ils sont pas visibles.

"Ouais j'ai une sorte de dragon avec une aile mécanique sur mon épaule de chair. Je l'ai fait après l'accident de mon bras, j'avais besoin de quelque chose de foncé pour équilibrer avec les morceaux de métal qu'il y a de l'autre côté. Mais je l'aime bien, il est cool. Tu veux le voir ?" Cathwulf était depuis longtemps trop commerçant pour se vexer quand quelqu'un lui disait non. Le but, c'était surtout de faire la conversation et le sujet en avait lancé un autre, c'était tout ce qu'il demandait. Au fond, il s'en fichait pas mal, lui, de pourquoi les autres font ce qu'il font ou qu'il puisse ne plus y avoir de saison. Ce qui lui importait c'était que chaque client se sente important et revienne.