- Nous sommes tous les deux natifs d’Amerika et nous faisions partie de la même promotion à l’académie. Il est fils d'un riche éleveur, un homme aride qui jugeait ses congénères exclusivement sur leurs compétences. Je ne l'ai vu qu'une fois mais j'en garde un souvenir sec comme un raisin. J’ai 48 ans et je fréquente Cole depuis trois décennies, ce qui fait d’moi une force de la nature, doté d’une empathie certainement bien plus développée qu’la vôtre.

Auguste hoquette un rire.

- A n'en pas douter.

- Oui, oui oui. Nous avions la vingtaine bien sonnée quand on nous a affecté à Dorado, mais ça vous l’savez déjà. Avec sa gueule et ma verve, et accessoirement not’talent, on est devenu les fraîches coqueluches du haut commandement. Cole est passé Second du Visionary en un rien de temps et je garde de bons souvenirs de cette époque. On avait une niaque infernale et faire partie d'une unité Reco était vraiment enthousiasmant. On éclairait la voie, on prenait de sacrés risques. Bien sûr un homme de tête et un navigateur d'exception tel que Cole ne pouvait manquer d'être nommé un jour Capitaine. Je me souviens de son sourire lorsqu'il a reçu ses galons de la main du Général Amilton, il était beau mon poulain (rire). Et puis cinq ans plus tard, ce fut l'feu d'artifice. Les vétérans de la traque de Felipe nous regardaient sans y croire, mais Cole, à 42 ans, était nommé Commandant du Redemeer. J’apprendrais plus tard que plusieurs gradés carriéristes se défiaient sérieusement de lui, le catapulter sur le cuirassé de la Légion était un moyen commode de l’éloigner de l’amirauté. Le Commandant Crook venait de prendre sa retraite et Cole se posait comme le candidat idéal. Me concernant, ça m’allait très bien, le Redemeer était la promesse d’aventures lointaines et j’étais encore un pilote bourré d’enthousiasme.

On a vite déchanté. S’agissait d’abattre tout le sale boulot des FF.UC et même si je m’amusais beaucoup avec les chasseurs embarqués mon sens moral a pris un coup sévère. Mais on était à bord pour des années, autant gober la pilule en se pinçant le nez. Au début, Cole a bien mieux toléré les bains de sang que moi. On se frottait pour la première fois à des équipages pirates et beaucoup d'entre-eux n'avaient rien à perdre. Il n'y a rien d'pire que de tels acharnés. Nos abordages étaient toujours violemment disputés et je m’demande parfois si je n’suis pas un élu de Calypso tellement j'ai frôlé la vie lors de mes premiers tours de piste sur le cuirassé (rire). Mais Cole et son sens du devoir, son sentiment de travailler au service de son pays et de la liberté, ça lui permettait de légitimer chacun de nos actes. Dans l’ensemble je l’trouvais bien dans ses bottes. Personnellement, j'ai mis un peu de temps à m'acclimater à cette violence. Heureusement qu’à l’époque j’avais Jackie Estocado pour me détendre, sans ce fameux partenaire de jeu, ce fêtard invétéré, j’aurais certainement claqué un segment. Lui comme moi partageons le même défaut voyez-vous, nous accordons bien plus d’importance aux plaisirs qu’au travail. Mais pardonnez-moi je digresse et oublie son rôle dans votre divorce.

- Vous êtes bas.

- Mais non vous connaissez ma générosité. Bref, les choses ont récemment changé pour Cole lorsque nous avons débarqué sur Renaissance. La mission était simple, sécuriser la zone d’extension de Vanguard. Le secteur étant un lieu sacré pour les Mo’at, c’est nous qu’on envoyait comme de bien entendu. L’erreur de Cole, croire que le Mo’at légionnaire qu’il avait intégré à notre commando avait totalement renié son sang. Au sol, on s’est trouvé confronté à une résistance insoupçonnable de la part des autochtones. Ils tenaient trop à ce lieu pour qu’on s’adresse à leur raison et leur pacifisme, mais Cole est un homme pragmatique et il n’a pas compris que ses mots glissaient sur eux. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour retenir l’ordre de tirer derrière ses dents, mais quelque chose a dû manquer chez moi, ça s’est très mal fini. Notre agent Mo’at a tout enclencher en braquant son feu sur le Commandant. C’est parti complètement de travers et ça a été un massacre, anonyme et terrible. Mais en bon professionnel, on a tout nettoyé et rien n'a filtré.

Malgré tout, la mission a pleinement satisfait l’état-major. Cole lui n’en est pas encore revenu. Je lui ai tiré les vers du nez avec toute la volonté du monde et je crois comprendre comment il a pu refaire la tronche du Colonel avant-hier. Cole broie du noir depuis des mois, il est dévoré par le remord. Il a gravement failli en ordonnant d’ouvrir le feu dans la jungle et il le sait. Il a le sentiment d’avoir été corrompu par le Redemeer, il a eu ses moments de gloire lors des déploiements sous pavillon FF.UC, mais ils ne suffisent pas à relativiser toutes les missions secrètes et boueuses qu’on a mené. Il se sent tout simplement dans la peau d’un imposteur, d’un sale tueur auréolé d’un prestige factice. Mon ami va mal, même si Gordon est un pauvre con jamais Goodrow n’aurait levé la main sur lui s’il était en pleine possession de ses moyens.

- En effet, je l’crois aussi. Mais nous allons l’aider, avec votre aide. Sa carrière dans l’armée prend fin aujourd’hui mais nous allons l’aider à réintégrer la vie civile.

- A l’intégrer tout court vous voulez dire. Oubliez-le donc docteur, je vous transfèrerais tous mes crédits et vous ferez même don d’mon Bobby s’il faisait l’choix de suivre votre thérapie. Je vais m’occuper de tout vous en faites pas.

- Il ne choisit pas, la thérapie conditionne sa libération.

Et Auguste se redresse de toute sa hauteur, souriant.

- Nous n’avons pas fini MacAllan.

Il sourit toujours, l’œil luisant de défi. Et puis il se dirige vers la porte avec un geste de salut.

- Je m’occupe de tout ! Saluez Jane pour moi.



3 mois plus tard, Esperanza

- T’es pas éleveur.

- Je peux l’être.

- Non, t’es un combattant Goodrow, un aventurier.

- Ca je peux plus l’être.

- Dans l’armée non, mais Jackie a raison, on est pas fait pour la terre ferme. Je te donne pas un an avant d’finir fou allié au milieu de tes bestiaux. Il nous faut un vaisseau, et je l’ai trouvé. Viens, on a rendez-vous.

Cole prend son air sceptique, mais il emboîte le pas d’Auguste jusqu’aux docks. Ils parviennent aux passerelles de l’illustre armateur Mike Cavendish, qui les reçoit avec sa voix chaude.

- Les voilà ! Pas beaux à voir, mais encore debout !

Cole l’observe en opinant légèrement.

- Salut Cavendish.

- Content de te voir Cole. Auguste t’a encore rien dit je parie, par ici.

Les trois hommes s’acheminent jusqu’au hangar privé. A l’intérieur, un magnifique Blue Bird entièrement restauré les domine de toute sa hauteur. Goodrow Cole ne peut cacher son émotion et Auguste sait déjà que la partie est gagnée. Auguste lui pose la main sur l’épaule comme pour le faire revenir à terre. Il demande :

- Tu nous fais la visite Mike ?

- Avec grand plaisir. Goodrow Cole, je te présente le Lonesome !

Il leur faudrait plus d’un an pour monter un équipage digne de ce nom, apprivoiser le vaisseau et établir leur Lettre de Marque avec l’Union Corporatiste. Malgré son éviction, Goodrow Cole disposait encore de l'estime de nombreux officiers et l'Etat-Major aurait été bien mal avisée de se priver d'un tel soutien. A bord du Lonesome, Cole et McAllan étaient de nouveau pleinement eux-même et Dorado voyait naître un nouveau bâtiment Corsaire qui ne manquerait pas de faire parler de lui.