Fast and oblivious

La question qui trottait dans la tête du pilote du Rasoir d'Occam depuis qu'il avait cueilli son nouveau passager sur Vanguard était la suivante : Comment diable me suis-je retrouvé avec un Compagnon sur mon vaisseau ?! La situation était tout simplement improbable. Les membres de la Guilde des Compagnons étaient pratiquement des nobles par leurs associations avec toutes les huiles et hauts placés des factions et lui, il était pilote pour les rebuts de la société et les criminels. La surprise était donc totale quand il avait été contacté pendant qu'il était sur Vanguard pour servir de transporteur pour un jeune Compagnon. Apparemment, on avait eu son nom par des contacts communs. Vasco ne savait tout simplement pas s'il devait être heureux que le bouche à oreilles lui donne de nouveaux clients ou s'il devrait être inquiéter par l'attention qu'il attire sur lui-même et ses activités. C'est une question que le jeune impérial ne s'était que rarement posée, les questions morales et stratégiques étant régulièrement repoussés à l'arrière de son esprit pour se concentrer sur le pilotage. Il soupira, se reculant dans son siège dans le cockpit. Passant sa main dans ses cheveux, il se reconcentra. Le voyage était encore à son départ, partant de l'orbite de Renaissance vers Tortuga. Le trajet serait plaisant, traversant la ceinture d'astéroïdes à un de ses espaces les moins denses. Il pourrait faire un peu de voltige pour se changer les idées après tout.

Le passager qui causait tout ce brouhaha dans la tête du pilote, c'était un Compagnon dénommé Xeth Ak'lahren. Le jeune homme était dans l'aire de vie et n'avait pas trop parlé depuis qu'il avait monté à bord, le trajet déjà établi. Il avait ses affaires pour quelques jours. Il reporta ses yeux sur les capteurs à longue distance. Il fallait faire attention dans les zones proches de Tortuga, les pirates pouvaient être entreprenants, et ce n'était pas tous des clients après tout.

Et dire que je devais quitter Vanguard pour passer les sept prochains jours sur le Nemesis…
Et dire que je devais me taper trois jours de vol avec un inconnu choisi expressément par Jezabel Alvarez pour me rendre à destination.
Et dire que je détestais avoir accepté ce contrat.

C’était, tout compte fait, les pires dix jours de mon calendrier depuis un bon moment.

Le pilote n’avait pourtant rien dit ou presque depuis mon arrivée et j’en faisais autant : lui faisait son boulot tandis que je me morfondais sur mon propre sort.
Pathétique.
Un soupir et puis deux… Juste le temps de me dire que j’allais être coincé dans cette fichue vedette pour les prochaines 70 heures et qu’il valait mieux que je me fasse à l’idée.

Le temps passait au compte-goutte dans l’aire de vie qui n’avait rien à voir avec ce quoi j’étais normalement habitué.
Je devenais dingue.
Un livre, deux collations, trois tentatives désespérées de somme plus tard… J’arrivai au bout de ma patience.

Pas que je vivais mal avec le silence en général, mais l’étroitesse de l’endroit me rendait ultra-conscient de la présence de l’astronaute… Tout comme lui devait le faire d’ailleurs.
Je mettais mis discrètement à errer derrière, à épier les capteurs… Et pour une raison qui tenait plus de la courtoisie que de l’intérêt :

« Vous faites souvent ce genre de contrat pour Alvarez? »

Étant donné que nous allions passer quelques jours ensemble… autant faire en sorte d’être…
Presque aimable?

Au contraire de ce que l'on pouvait penser, Vasco ne s'attardait pas outre mesure sur la présence d'Akh...Ahk...Ak'lahren dans son vaisseau. Il y avait le concept d'un Compagnon à bord, qui le faisait se demander comment il en était arrivé là, mais il avait déjà eu des gens du genre à bord, quoique des gens qu'il connaissait déjà avant. Outre cette ligne de pensée, le pilote impérial n'avait pas pensé plus que ça au mo'at au nom imprononçable qui était son passager. Pas jusqu'à celui-ci se mette à fouiner dans le coin du poste de pilotage. Jetant un coup d'oeil de temps à autre pour s'assurer que le passager ne touchait à rien d'important, Vasco se concentrait sur son pilotage jusqu'au moment où la voix grave du jeune homme se fit entendre. Ah, c'était Jezabel qui avait organisé ça. Le pilote pouvait s'avouer un peu distrait sur qui l'engageait mais c'était la discrétion de son service qui le rendait intéressant pour de nombreux clients. Le jeune pilote n'était pas spécialement emphatique alors, il prit la question comme elle venait et conserva sa ligne de marché.

- Ah, ho compadres! Tu comprends que je suis pas vraiment à liberté d'en parler, mais oui, j'en ai déjà fait... j'imagine que c'est autant indiscret de te retourner la question ?

Vasco, diplomate hors-pair. Le jeune impérial ne cherchait pas à être vexant, le ton direct et franc du jeune homme témoignant de la chose, son regard se plantant dans celui évasif du Compagnon.

Compadres?
Un impérial?
En même temps, pourquoi étais-je surpris?
Jezabel Alvarez qui engagerait un des siens, ce ne serait pas nouveau…
Du moins, c’était la conclusion à avoir avec ce genre d’appellation.
Compadres.
Je me retins de claquer ma langue de justesse.
Ma tentative d’être humainement acceptable dans la société et en présence dans ce qui m’apparaissait comme un pirate était douteuse…
Surtout lorsque mon seul pseudo-statut n’entrait pas en ligne de compte…
Dans le cas présent, j’étais le client, non pas le produit.

Indiscrétion pour indiscrétion, je finis par me poser derrière le siège de pilotage.
Mon intérêt vacillant entre les capteurs et mon interlocuteur, c’était à se demander pourquoi Jezabel avait préféré un taxi interstellaire plutôt que d’envoyer un de ses hommes…
Ce n’était pas comme si j’étais un inconnu sur le Nemesis.
À mon grand dam, d’ailleurs…

« Je suppose que la réponse est la même : j’en ai déjà fait et nous avons le même embaucheur jusqu’à preuve du contraire en ce moment. »

C’était une façon très directe d’étaler ce que je savais : Alvarez m’avait engagé pour la divertir et avait engagé le pilote pour que j’arrive sain et sauf et en temps…

« La service est différent, mais le but est le même. »

Le capital.
Quoi qu’on en dise, c’était ce que dont nous avions besoin…
Puis, un soupir.
J’étais sans doute une plaie pour l’heure. Consciemment.

« Pourquoi le rasoir d’Occam? »

Tentative d’être agréable numéro deux : enclenchée.

Le Compagnon était un drôle d’oiseau. C’etait impressionnant comment il pouvait faire sentir qu’il n’avait pas envie d’etre là et de parler à Vasco et en même temps ne pas donner cette impression dans chacune de ses paroles. Le jeune pilote n’était pas un excellent juge des personnes qu’il rencontrait, n’ayant jamais cherché à comprendre davantage les gens qui l’entouraient. Il haussa les sourcils quand il lui déclara que tout n’était qu’une question d’argent. C’etait une façon bête de dire leurs arrangements communs, mais il comprenait son idée.

-Ouais on peut dire ça comme ça, Jezabel a des spécifications particulières après tout.

Dans la familiarité qu’il employait pour parler de la capitaine, on pouvait remarquer qu’il ne se souciait pas de l’étiquette pirate. Il ne l’appelait pas par son titre comme plusieurs capitaines l’exigeaient. Il se rappelait d’un vieux pirate qui lui avait passé un savon sur le sujet d’ailleurs. La question de Xeth le tira de ses réflexions.

-c’est un vieux truc pour dire que la solution la plus simple est souvent la meilleure. C’est un peu une blague avec moi-même et une description de ce qu’est le vaisseau pour moi