You were my first.

C’était tout naturel de devoir choisir une partenaire à des fins romantiques.
« Romantique » étant un terme tout à fait charmant pour définir le sexe.
Crument, simplement.
J’ai toujours eu des réserves envers le genre féminin. Non pas par préjudice, mais par l’habitude de l’autre sexe.
Les hommes étaient un terrain connu, un lieu où je pouvais me reconnaître autant que je reconnaissais Lukas James dans les moindres de leur geste.
Alors lorsque le Conservatoire m’avait assigné une compagne la veille de ma graduation, je me sentis pris au dépourvu.
Certains gérent leur stress en révisant ce que nos Maîtres nous ont enseigné, d’autres préférent s’engourdir un peu afin de posséder la situation dans un état d’esprit plus… apaisé, dirons-nous.
Dans mon cas, je ne faisais que trembler.
Trembler pathétiquement.

C’est étrange considérant que j’avais fait face à des situations qui dépassaient sans doute l’entendement de la normalité …
Mais à cet instant…
Face à un corps de femme…
Cette seule pensée me mettait dans tous mes états.
La chambre avait été préparée en fonction de recevoir celle qui devrait m’apprendre tout ce que j’avais soigneusement évité jusque-là et tandis que mes pieds marchaient seuls, me faisant tourner et retourner dans tous les sens, je n’arrivais pas à me faire une raison.

Je m’assis sur le lit.
Me calmer.
Il fallait que je me calme.
Ma jambe gauche tressautait sans mon commandement tandis que ma main droite tentait de desserrer le nœud de ma cravate.
J’étouffais… Ou je ne savais pas.
Je ne savais plus.
La sueur jonchait mes tempes.
Je l’épongeai rapidement avant ma manche en fermant mes yeux quelques instants.
Compter jusqu’à dix, jusqu’à cent… Puis recommencer en Mojat, puis re-recommencer jusqu’à mes lèvres échappent deux simples mots que je ne m’accordais que dans les moments les plus désespérés :

« Calypso, rutxe… »

Mais même les prières ne pourraient rien y faire et je le savais.

Je me tus lorsque j’entendis des pas dans le couloir.
Sans même m’en apercevoir, je m’étais remis debout, une main derrière le dos, l’autre jouant nerveusement avec mes doigts, craquant les phalanges, puis pinçant avec mes ongles avec mon pouce...

Je devais l’occuper, elle aussi, la cacher…
Je la mis également derrière mon dos. Serrant mon poignet avec un peu trop de vigueur, je ne fis qu’attendre qu’on ouvre la porte pour m’incliner de la façon la plus solennelle qui soit, évitant de relever la tête pour regarder la nouvelle venue.
Je ne voulais pas la regarder.
Sinon elle saurait…
Si elle ne savait pas déjà.

« Ma Dame, c’est un honneur et un privilège d’être en votre compagnie ce soir.  »

Ma voix n’avait pas cassé, mais c’était tout juste.
La séduction est un art qui s’acquiert, mais cette nuit-là…
Il me semblait que j’avais perdu tout ce qu’on m’avait appris.

Depuis un peu plus d'un an, Laylia a gagné en notoriété au sein de sa Guilde. Prendre de plus en plus de clients riches et célèbre aide, définitivement, même si cela vient avec un prix moral auquel elle préfère ne pas penser. Elle n'a pas le choix, de toute façon, puisqu'elle doit pourvoir aux besoins de sa fille toute seule et amasser suffisamment d'argent pour pouvoir lui offrir une bonne éducation. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, elle ne va pas rencontrer de client, mais bien un étudiant.

En effet, l'un de ses anciens professeurs du Conservatoire lui a demandé d'aider un jeune homme en fin de formation pour se préparer à son premier client. Sa récente notoriété, en plus de son parcourt académique digne de mention a surement contribué à ce qu'elle soit choisie. Son ancien professeur lui a également soufflé, lors de leur rencontre un peu plus tôt, que l'apprenti qu'elle s’apprêter à rejoindre à quelques difficultés avec tout ce qui implique le féminin. Peut-être que le fait que Laylia soit environ de son âge aidera à le rendre à l'aise? Dans tous les cas, elle espère réellement pouvoir l'aider.

Au détour d'un couloir, dans une pièce du Conservatoire qu'elle ne reconnait pas à cause de la décoration, elle découvre enfin le jeune homme. Laylia lui sourit en grand, s'approche de lui et lui tend la main.

"C'est un honneur et un plaisir pour moi de vous rencontrer également, Monsieur Ak'lahren. Je vous en prie, appelez-moi Laylia."

Laylia.
Le nom me fit lever la tête puis cligner lentement des yeux tandis que je l’épiais à la dérobée.
Ma gêne en soudaine interférence avec ma curiosité.
Ce nom… Il ne m’était pas inconnu… Ni son visage d’ailleurs.
Mercè.
Compagnonne depuis quelques temps déjà, Lukas James avait un amour particulier envers certains de ses anciens étudiants…
Brune. Yeux clairs. Lèvres pleines. La tête haute. La chair fine.
Un phénotype à la James.
Homme comme femme, je pouvais reconnaître les gens qui auraient suscité un intérêt chez mon mentor.

Je serai la mâchoire sans la lâcher du regard.
Mon échine se déroula pour que je me remette à ma taille habituelle, surpris par un vertige que je blâmai sur mon incompétence à me sentir en contrôle.
Je restai là en silence, statique.
Sa main fût laissée que je ne la serre.
Était-ce Lukas James qui avait orchestré ce choix?
Si tel était le cas, je m’en sentais profondément humilié.

Je pris une longue inspiration avant de détourner la tête et de revenir m’asseoir, nonchalamment sur le lit.

« Dois-je comprendre que c’est Lukas James qui vous envoie, Laylia? »

Mon ton s’était durci un peu sans que je m’en rende compte.
Une Compagnonne de sa trempe ne devrait pas servir ce genre de desseins…
Encore moins gérer ma propre incapacité à être la seule chose qu’on m’avait appris à devenir.
Je déglutis.
Encore une fois, je ne voulais pas la regarder.
Pathétique.

Laylia remarque la tension du jeune homme et son changement d'attitude. Elle fronce légèrement les sourcils, intriguée et légèrement inquiète. Elle s'attendait à le trouver anxieux, bien sûr, tous les jeunes compagnons le sont à la veille de leur graduation, mais en plus de l'anxiété, Laylia lit chez Ak'lahren une frustration frôlant la colère dont elle ignore l'origine. Est-ce sa présence à elle qui en est à l'origine? La brune va rejoindre le jeune homme et prend place en face de lui en s'asseyant sur le fauteuil près du lit. Rien ne sert d'aggraver son anxiété en le rejoignant sur le lit, après tout.

"Bien que je connaisse bien Lukas James, ce n'est pas lui qui m'envoie aujourd'hui, mais bien l'ensemble de vos professeurs du Conservatoire. C'est Phoebe Porter qui a pris contacte avec moi. Ne vous inquiétez pas, c'est une procédure tout à fait normale en fin de formation des Compagnons."

Elle lui sourit, se penchant un peu vers lui pour tenter une approche amicale et complice et détendre l'atmosphère.

"J'ai personnellement eu Sienna Bates, si vous la connaissez, comme tutrice juste avant ma graduation. Vous vous en sortez déjà mille fois mieux que moi à votre place d'ailleurs, je dois vous avouer. J'étais si nerveuse que j'avais fait tomber mon nécessaire à maquillage sur ma robe blanche juste avant qu'elle n'arrive, vous imaginez le tableau!"

Bien le connaître était suffisant pour me braquer davantage.
Phoebe Porter, Sienna Bates et Laylia Mercè.
Des noms que je me répétais en boucle alors que ma bouche ne soufflait pas un traitre mot et que j’avais oublié que je retenais ma respiration.
J’expirai avec un peu plus de vigueur que prévue.
L’inspiration qui s’en suivit m’invita à lever les yeux vers elle pour rencontrer son regard.
C’était une situation inconfortable, autant pour elle que moi.
Autant en finir au plus vite.

« Compte tenu de son choix, je suppose qu'il s’est porté sur ce qu’elle-même aurait choisi pour Maître James. »

J’essayais maladroitement de détendre l’atmosphère.
Très maladroitement.
Même ne tentant d’être agréable, j’étais abrasif, amer…
Mais ça n’avait rien à voir avec Laylia Mercè.
En soupirant une dernière fois à des fins de recentralisation, je redressai ma posture avant de lui adresser le tout premier sourire de notre soirée.
Un sourire forcé, sans doute…
Mais un sourire quand même.

« Je suppose que Sienna a dû vous réprimander plus que de raison?
Elle qui adore les vêtements immaculés et qui déteste le gaspillage du « Fard de la guerre. » ? »

J’étais toujours aussi nerveux, aussi agité…
Mais pour l’heure, je ne pouvais rien y faire.
Reculer après être arrivé jusque-là, c’était de la couardise…
Et peut-être était-ce également que sans ça…
Je me sentirais perdu.
Inutile à mon propre dessein.
Ou celui qu’on m’avait choisi.

Alors je m’efforçai encore une fois de sourire.
Calme.

La brune fronce légèrement les sourcils. Le jeune homme semble avoir un ressentiment particulier pour Lucas James, alors qu'on lui a pourtant dit qu'il était son protégé et père adoptif. Il y a certainement beaucoup de détails qu'elle ignore pour bien comprendre les réactions de Xeth, mais comme ce n'est pas sa place de poser des questions indiscrète, elle se contente de tenter de le rassurer.

"Je vous assure que je n'aurais pas accepté si je n'avais pas jugé nos personnalités compatibles. Vous n’êtes pas mon client, certes, mais ce critère reste important pour moi. J'ai déjà accompagné quelques Compagnons comme je souhaite pouvoir le faire avec vous aujourd'hui. C'est un plaisir et un honneur pour moi."

Laylia est sincère. Elle a toujours voulu aider les autres et elle voit réellement ce travail comme comme une façon de rassurer les jeunes Compagnons et de leur transmettre les premières notes d'apprentissage qu'on ne peut faire sur les bancs d'école.

Lorsque Xeth tente une note d'humour, Laylia note qu'il est toujours aussi tendu et agité, mais elle ne le relève pas, s'engageant plutôt elle aussi sur le chemin de l'humour.

"Avec sa réputation, c'était ce que je craignais! Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle éclate de rire, ou a passé notre première demi-heure ensemble au sol à ramasser les dégâts. Cela a eu l'effet magique de détendre l'atmosphère et, à la fin du nettoyage, nous discutions déjà comme deux vieilles amies."