Histoire
72 AD
Le petit cœur de l’animal battait à toute vitesse. La peur et la douleur étaient insoutenables. La pauvre bête respirait par halètement alors que sa patte saignait abondamment. Chaque mouvement qu’elle tentait de faire pour se libérer envoyait des vagues de douleur qui la faisait couiner de souffrance. La terre sur lequel reposait ce petit carnage était assombrie par les fluides corporels du lapin. Cependant, ce n’était pas le piège de métal refermé sur sa jambe qui terrifiait le lapin le plus. Ce qui effrayait la bête par dessus tout ses instincts animaux, c’était la petite forme humaine qui se tenait accroupi à un dizaine de mètre de là et qui regardait le triste spectacle sans un mot, un air intrigué et curieux sur le visage. Les yeux mornes de cette toute petite chose étaient la chose la plus terrifiante que le lapin avait jamais vu.
Théodore La Valette, fils du frère du Cardinal du comté d’Arras sur la planète Noé, 5 ans, observait le résultat d’un engin des employés du pavillon de chasse de son père. Il devrait sans doute dire ses employés désormais, puisque le vieil homme avait trépassé la veille. C’était sans doute lié à ses quintes de toux fréquentes qu’il n’avait jamais voulu faire soigner, mais qui s’en souciait vraiment après tout. Il serait le maître du domaine désormais. Ce qu’il trouvait dommage, c’était de voir que la débandade au domaine avait empêché les chasseurs de venir chercher le lapin qui se débattait dans le piège en hurlant. Qu’est-ce que son père lui avait dit à propos d’une telle chose ? C’était une bonne question, car le vieil homme n’avait que peu adressé la parole à son jeune héritier depuis son enfance. Le manque d’intérêt pour les passe-temps de son père que le jeune garçon n’arrivait pas à cacher y était sans doute pour quelque chose. La seule chose qui avait retenu l’attention du gamin, c’était ce que son père lui avait dit à propos de la chasse. Il ne faut rien gaspiller mon garçon. Si l’animal souffre, la viande perd de sa saveur. L’animal est plus rapide et souvent plus fort que toi. Pour le capturer, il faut comprendre comment il pense et le piéger grâce à son intelligence. Bref, pas grand chose de très révolutionnaire, mais des leçons que le jeune avait bien apprises, lui qui était un très bon élève. Malgré cela, il s’était pris à trouver la souffrance du lapin très intrigante quand il était tombé sur la scène pitoyable pendant sa marche habituelle. S’il avait suivi les règles de son père, il aurait dû immédiatement achever la proie. Beaucoup de gens auraient compris que le gamin pouvait figer devant une tâche aussi dure. Mais, ce n’était pas la pudeur du gamin qui avait retenu son bras. Le regard fasciné dérogeait de toutes les attentes. Théodore se repaissait de la souffrance de l’animal. Quand il crut bon d’utiliser son couteau, ce fut pour couper la patte qui emprisonnait le lapin, les cris affolés de l’animal ne dissuadant en rien le petit garçon de sa besogne macabre. Le sang lui recouvrit rapidement les mains ainsi que sa veste. Il regarda le lapin tenté désespérément de fuir sur une patte avant de s’éteindre quelques enjambés plus loin, exsangue. Le sourire terrifiant du gamin aurait donné des frissons au plus endurci des hommes ce jour-là. Mais, personne ne fut témoin de sa première atrocité. La première leçon que le gamin s’enseigna à lui-même fut la suivante :
Il ne faut pas qu’il perde trop de sang, sinon ça finit trop vite.
77 AD
Olivier, jeune homme de 13 ans, fils de René Ducas, prêtre d’Arras, était grand pour son âge et costaud. Il avait plus l’air d’un fils de soldat que d’un religieux. C’était sans doute pour cette raison qu’on avait demandé de le voir au domaine de son plus riche citoyen, le jeune Théodore La Valette, pour servir de partenaire de duel à celui-ci. Il trouvait cependant surprenant qu’on l’invite, car le jeune garçon était de trois ans son cadet et généralement considéré comme assez frêle. Il sourit, confiant. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut battre un riche propriétaire terrien. C’est avec un rire qu’il entra dans la salle d’entraînement.
Le jeune homme de 13 ans en face de lui avait le visage tordu par l’effort. Théodore avait pris ses leçons de combat très au sérieux depuis qu’il avait commencé trois ans auparavant. C’était lui qui avait demandé à son maître d’armes de trouver un garçon plus âgé, qui lui donnerait un défi. Le maître d’armes, en fidèle serviteur, avait rapidement exaucé les désirs de son élève, non sans lui avoir dit qu’il pourrait le regretter et qu’il n’interromprait pas le duel s’il se révélait qu’il avait pris une trop grosse bouchée. Le vieil homme avait toujours eu une tendance à la condescendance. Il était néanmoins en train de prouver à son maître d’armes que c’était peut-être lui qui était tombé sur plus qu’il ne pouvait contrôler. Les coups virevoltaient, d’estoc comme de taille, les épées d’entraînement s’entrechoquant dans une cadence rapide. Théodore dansait autour de son adversaire, esquivant les coups puissants, mais balourds, de son adversaire avec grâce et aisance. Il était clair pour tous les observateurs que le jeune La Valette était de loin le meilleur escrimeur. Il jouait avec son adversaire, tissant lentement une toile autour de celui-ci, contrôlant son souffle. Il guide, à force de coups et d’esquive, le plus grand garçon dans la direction du mur.
En évitant un coup plus lent qu’à l’habitude en bondissant vers l’arrière, Olivier Ducas heurta le mur, le choc le surprenant et lui faisant relâcher sa garde et sa prise sur son épée. Un coup vicieux le cueillit dans le poignet, fracassant son radius, suivi d’un coup sur l’intérieur de sa rotule gauche qui l’envoya au tapis, la douleur le faisant crier. Il était battu. Il n’eut que le temps de lever le regard pour voir le sourire carnassier et terrifiant du gamin de 10 ans, le petit qu’il était sûr de battre, avant de voir s’abattre sur son visage l’épée de bois de celui-ci. Il fut inconscient après le deuxième coup.
Le maître d’armes l’arrêta après le cinquième coup porté à la tête du pauvre garçon dont le seul crime avait été de servir de point à prouver par ce même maître d’armes. Agrippant le bras de son jeune élève pour l’arrêter de frapper dangereusement l’autre duelliste, il regarda sa charge se dégager de sa poigne et s’éloigner du bazar sanguinolent qu’il avait causé sans la moindre gêne et sans le moindre remords. Jetant son épée de bois tâché de sang, il déclara à voix haute :
-Il semble que vous soyez celui qui avez mal jugé ce à quoi vous vous attaquiez.
Après cette journée fatidique, le jeune Olivier Ducas subit les séquelles de ce qui avait été jugé comme un accident d’entraînement. Désormais incapable de marcher par lui-même à cause d’un mauvais genou et d’une aphasie cérébrale qui le rendait incoordonné et incohérent, il passerait le reste de son existence dans une retraite confortable aux frais de la famille La Valette. C’était le moins qu’ils pouvaient faire. Le maître d’armes fut renvoyé et Théodore ne fut jamais inquiété dans son paradis. Ce fut la deuxième leçon qu’il apprit réellement.
Avec suffisamment d’argent et de connections, l’immunité est acquise.
78 AD
La collection macabre qui se trouvait caché dans le garde-robe du jeune garçon avait quelque chose de fascinant. Tout était arrangé pour faire un tableau funeste, mais avec le sens de l’esthétisme d’un enfant de 11 ans. Il y avait quelque chose de grotesque dans l’arrangement de ces pattes de lapins, d’oreilles de ratons laveurs et têtes d’écureuils. C’est sur cette œuvre un peu ridicule, un Frankenstein enfantin, que sa mère était tombée un matin pendant la marche matinale de son fils. La chose l’avait scandalisée et elle avait résolu de tenir une discussion sur la vertu trinitaire qu’une famille aussi proche du Cardinal se devait d’avoir.
Un soir de ces 11 ans, quelques mois à peine après l’incident avec le fils des Ducas, le jeune Théodore fut convié à souper seul avec sa mère, dans une des pièces les plus reculées de la villa. Sa mère avait donc l’intention de lui parler discrètement. Très bien, se dit-il, voyons voir ce que ma mère nous a concocté. Quand il arriva à la table, sa mère l’attendait déjà et entre eux, un plat de lapins avait été déposé. Sur chacun des lapins, il manquait une patte. Le jeune garçon fronça des sourcils pendant un instant et releva la tête pour regarder sa mère dans les yeux, demandant dans sa voix morne habituelle.
-Vous essayez de me passer un message, mère ?
-En effet, Théodore. Il vous appartient en tant que neveu du Cardinal d’Arras de vous conduire en trinitaire exemplaire pour montrer à la masse, à la plèbe, comment se conduire pour être apprécié de Dieu. Ce n’est pas en écumant le domaine, en tuant des petits animaux et en conservant leurs têtes en trophées ridicules que vous réussirez votre tâche. Ce sont des genres de comportements ainsi qui font perdre des évêchés familiaux. Et tu ne veux pas avoir cette discussion avec ton parrain, le cardinal.
Théodore avait été saisi par le raisonnement de sa mère. Il faisait beaucoup de sens. Il n’avait pas entendu tant de sens de cette femme dans sa vie. Elle était généralement trop concentrée à jouer à la princesse dans son domaine pour s’occuper de son fils. Mais, la reine du paraître avait un point. Il ne serait pas toujours un enfant et il ne serait pas toujours sur le domaine. Pour avoir la liberté qu’il lui fallait, il se devait de conserver sa position. Après tout, c’était sa deuxième leçon. Avec l’argent et les relations, on avait l’immunité. Jetant un regard nouveau sur sa mère, aussi superficielle qu’elle l’était, Théodore lui donna quelque chose qu’elle n’avait jamais eu de sa part : du respect. Il était prêt à partir pour l’école, qui serait un laboratoire intéressant pour tester sa nouvelle résolution.
La troisième leçon était simple : Les gens ne doivent jamais découvrir qui tu es et ce que tu désires. Le mensonge était la clé. Et comme dans tous les sujets où il portait un intérêt, Théodore s’employa à devenir un expert en la matière.
86 AD
La salle de verre, dans un cocon de givre et de verre, était l’une des plus belles qui soit dans l’espace trinitaire. La cohorte de gradués serait entièrement recueillie par le clergé, certains deviendraient archevêques, d’autres hériteraient d'un évêché et plusieurs deviendraient des officiers dans les forces armées. Il y avait également les élèves les plus méritants de plusieurs académies aux alentours, pas seulement de l'E-cque. Tous des servants du Seigneur et de sa Sainteté le Pape. Cependant, il avait une tâche pour certains d’entre eux. Une tâche qui leur demanderait de quitter le confort de leurs terres familiales. Le cardinal de Soumandes, légat du pape dans le système Dorado était ici pour recruter.
Le bal de graduation de l’académie de Nouvelle-Rouen était d’une splendeur éclatante. L'académie était l'une des meilleures E-cque sur Noé. À peine âgé de 19 ans, le jeune La Valette avait grandi et était devenu un bien plus beau garçon que l’enfant frêle qu’il avait été. Quand il avait commencé à l’académie, il ne connaissait personne, sa mère ayant pris soin de l’envoyer loin de leur domaine pour qu’aucun écho de ses frasques….juvéniles n’ait pu se rendre jusqu’aux oreilles des membres de l’établissement. Il avait mis en marche les conseils de sa mère et à la fin de sa deuxième année dans l’école, il était comme un prince, entouré de nouvelles personnes à torturer subtilement et qui pouvait le servir. Il était étrange à quel point il était facile pour les humains de se mettre aux services de quelqu’un qu’ils considéraient comme supérieur, que ce soit en talent, en position ou en rang.
Il dansa avec de nombreuses étudiantes,des professeures ainsi que des figures connues dans la bourgeoisie, quelques-unes d’entre elle étant de ses conquêtes. Il faisait un bien mauvais prêtre, mais c’était ici monnaie courante. Tout le monde savait les indiscrétions de tous, mais tout le monde prêchait la même bonne parole. C’était d’un amusement sans nom, un secret de polichinelle. Ses indiscrétions à lui avaient servies à camoufler ses réels désirs et transgressions, car les gens ne cherchaient pas à deviner vos secrets quand ils croient savoir tout ce qui est caché à propos de vous. Il souri, l’une de ses meilleurs armes, les plus nouvelles dans son répertoire. Son sourire était calme, amical et plein de bonté. On lui avait dit qu’il rendait l’âme heureuse. Pas mal pour un mensonge construit de toute pièce ?
-Prêtre La Valette ?
Sans sursauter, il se retourna, son épée vibrolaser d’apparat battant sur sa cuisse droite, et il hocha la tête pour saluer son interlocuteur. Devant lui, un cardinal, à son allure et à son vêtement écarlate, le saluait avec respect. Lequel était-ce ? Malenfant ? Vaudrier ? Non, il s’agissait du Cardinal de Soumandes. Il avait été nommé légat du pape, il y a deux semaines. Il devait être sur le point de partir pour Dorado, ce système à l’autre bout de l’univers, pour y servir de gouverneur. Que pouvait bien lui vouloir ce cardinal ?
-Bonsoir, je vous félicite sur votre graduation avec honneur. Puis-je avoir une minute de votre temps ?
-Bien sûr, Cardinal. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut rencontrer un représentant direct du Pape, loué soit-il.
-En effet, jeune homme, en effet. Ce dont je veux vous parler, c’est à vous que je le mentionne d’abord. Vos professeurs me disent que vous êtes un jeune homme intelligent, sérieux, appliqué et que vous avez un fin nez pour résoudre des problèmes. Ils m’ont également fait l’éloge de votre talent à l’épée et de votre talent presque surnaturel pour la chasse.
-Ils exagèrent mon seigneur ! Je suis à l’aise avec un épée il est vrai, mais il serait de malhonnête de me donner un pouvoir surnaturel pour la chasse, nous pourrions même dire qu’il s’agit de blasphème ! Je crois seulement être le seul qui a compris que pour être un bon chasseur, il faut savoir comprendre sa proie dans ses plus profondes pensées et ses besoins les plus intimes.
--Mais, vous êtes éloquent, jeune homme ! J’apprécie votre candeur. Que diriez-vous d’une offre ? Je souhaite que vous m’accompagniez dans le système de Dorado. Je crois que vous seriez à votre aise dans notre section d’Inquisition. J’ai vu que vous aviez porté de l’intérêt pour la justice sacerdotale et pour la médecine dans vos applications. Sachez que vous pouvez continuer à étudier dans ces domaines, dans les fonctions que votre poste vous apportera. Qu’en dites-vous ?
-Cela m’apparaît comme une opportunité qu’il me serait bien maladroit d’ignorer, monseigneur. J’accepte.
L’opportunité était trop bonne. Les fonctions que lui proposait le cardinal étaient des fonctions qui ne demandaient qu’à devenir un plus grand rôle. Le pouvoir était un des attributs qu’il avait besoin. Il serait question d’obtenir davantage d’argent, une fois arrivé. Cap sur un nouveau monde.
88 AD
Journal de bord, Henri Maureau, agent de la Prévôté, juillet 88 AD
Je ne crois pas avoir jamais rencontré quelqu’un avec autant de flair pour la traque d’hérétiques que le évêque La Valette. Il est d’une bonne nature, les hommes l’admirent et les femmes l’apprécient, mais je ne peux pas me défaire de l’impression qu’il tisse une toile sur notre monde à la manière d’une araignée. Un sourire trop faux ou un regard trop cruel…c’est étrange…Plusieurs de nos prises disparaissent trop vite et plusieurs de nos arrestations apparaissent trop faciles. Je reconnais une intelligence féroce et un flair sans pareil à cet homme, mais des fois, les liens se font trop vite, sans preuves concluantes. J’ai même remarqué un modèle chez ces types de prisonniers…
Fin de l’enregistrement. Fin de l’autopsie. Le corps et les effets de l’agent Maureau peuvent être détruits et les cendres rendues à sa famille.
Théodore se jeta dans son nouveau travail avec une énergie qui aurait surpris plus d’un. On l’avait mis en charge d’une brigade inquisitoriale et on l’avait installé comme responsable de la supervision d’un district, pour « extirper le péché » de celui-ci. En moins de 6 mois, le taux d’arrestation avait quasiment doublé, personne n’étant à l’abri du regard perçant de l’inquisition. Du moins, pas au premier, deuxième et troisième regard. Le jeune La Valette n’avait pas mis longtemps à réaliser que sa position lui permettait aisément de s’enrichir. I pouvait rapidement découvrir les secrets des puissants et ensuite leur monnayer son savoir et une promesse d’ignorance intéressé. Il pouvait faire exécuter ceux dont il convoitait les terres à travers une foule de vrais criminels, et ensuite racheté bas prix leurs possessions. Il pouvait faire preuve de clémence pour des criminels et saisir une part de leur profit en l’échange de sa protection. Tout ça, dans l’impunité de sa position de favori du Cardinal de Soumandes, sur qui il déviait tout blâme subtilement. Après tout, il n’était qu’un évêque qui devait obéir à son cardinal.
Il installa progressivement son réseau de connections et de revenus monétaires, nourrissant ses appétits plus sombres sous le couvert de son poste d’inquisiteur, affectant toujours une tristesse feinte devant tant de péchés à punir et tant de violence, créant les bases de sa double identité. C’est lorsqu’il sauva son patron d’une tentative d’assassinat qu’il gagna réellement sa place dans le système Dorado, celle qu’il occupa pendant le huit année suivante : Conseiller personnel du légat en matière de justice. Pendant qu’il était en poste, il usa de son influence et de sa position pour devenir propriétaire de multiples plantations, actionnaire dans de nombreuses entreprises et de plusieurs réseaux clandestins de ventes de produits illégaux. Sa richesse est bâtie sur cette période de sa vie. C'est aussi pendant cette période qu'il put s'adonner à un de ses centres d'intérêts les plus développés : La médecine. Désormais libre de ses moyens, il put suivre des cours à temps partiel en médecine à la Sainte Académie de médecine trinitaire de Paradis, qui était bien ouverte à faciliter l'apprentissage pour un élève aussi spécial...et qui payait aussi bien. Le curriculum fut long, étendu sur ses dix longues premières années dans le système Dorado. Théodore, comme à son habitude dans les sujets qui le passionnent, s'employa à être le meilleur possible et y parvient au prix de nombreux sacrifices de temps, d'argent et de persévérance.
96 AD
Extrait du discours adressé à l’ouverture de l’hôpital La Valette sur Renaissance par le Cardinal Soumande
Théodore La Valette m’est très cher. C’est un homme de talent qui ne m’a jamais abandonné malgré mes défauts et maintenant mes faiblesses. Il a été et est toujours une béquille importante pour moi. Quel dommage qu’il n’ait jamais voulu devenir Cardinal ! Il aurait pu me remplacer. Je l’aurais même adopté. Maintenant que je retourne à Terra Mater, je dois l’abandonner ici et cela me brise, plus que la leucémie qui me gruge. Cet homme, qui m’a sauvé plus d’une fois, même avec le fil de son épée, renonce à la politique active pour se consacrer à la médecine. Y-a-t-il meilleure preuve de sa vertu ?
Quand il eut trente ans, Théodore se retrouva dans une position où il ne s’était jamais retrouvé auparavant : sans patron, sans professeur, sans parent pour avoir un semblant de contrôle sur ses actions. Ces méthodes étant déjà bien éprouvées, il choisit de continuer à s’en servir dans une capacité de citoyen indépendant. Avec la fortune qu’il avait établie, il fonda un hôpital dans le spatioport de Paradis, pour développer des techniques de médecine qu’il pouvait enfin exercer. Il avait travaillé dans l’ombre de son poste d’inquisiteur pour améliorer ses talents dans la sphère, mais l’opportunité était présente désormais de le faire librement. L’hôpital était généreux dans les traitements, les offrant à des prix modiques, et continuant d’amasser de la bonne volonté chez les citoyens de la Trinité.
C’est également à cette période de sa vie qu’on l’introduit à la pratique de l’esclavagisme. Les nombreuses plantations qu’il possédait étaient pleines d’esclaves, mais il n’y allait que très peu, les voyant surtout comme un moyen de faire de l’argent rapidement. Des amis de l’évêque lui firent le cadeau qui changea sa perspective pour le reste de ses jours. Pour aller avec la nouvelle villa qu’il s’était fait construire, on lui offrit 5 nouveaux esclaves, des mo’ats comme on les appelait dans leur langue indigène. Il n’en avait jamais vraiment vu auparavant. On lui assura qu’ils étaient bien élevés pour être des esclaves de maison et qu’il pouvait faire ce qu’il voulait avec eux. C’était après tout guère mieux que des animaux. La petite Mo’at aux cheveux blonds le regardait comme un lapin l’avait fait, il y a si longtemps. Il la regarda comme il avait regardé cette pauvre petite bête, avec curiosité et intérêt. Il n’est pas difficile de vous imaginer que leur rencontre finit un peu comme la première rencontre à laquelle nous faisons allusion ici. À partir de ce moment là, Théodore développa une fascination pour ces indigènes qui avaient tout d’humain, sauf le statut. Il n’utilisa pas de ces esclaves comme des serviteurs, mais bien comme des sujets d’expérience. Toutes les théories qu’il avait voulu tester ou prouver, mais qui était hors de portée à cause d’un manque de sujet humain, était désormais possible. Il pouvait faire ce qu’il voulait à ces individus et personne n’aurait rien dit. Il ne se vanta pas de cette découverte, préservant l’aura de mystère autour de lui, construisant même un laboratoire particulier où il pouvait conserver ses…sujets. Il leur faisait la discussion après tout, mais généralement, après quelques jours à faire des scènes de haine et de mépris, la seule chose qui restait chez ses prisonniers, c’était une peur viscérale.
Les expériences qu'il faisait subir à ses invités étaient simples à l'origine. Un simple conduit pour pouvoir enfin commettre des choses qu'il n'avait jamais pu se permettre auparavant. Elles étaient d'une grossièreté qui faisait frémir de honte Théodore en rétrospectif, s'il connaissait la honte. Il avait testé toutes les théories : Que se passe t-il quand on enlève ça ou ça ? C'était quelque peu barbare. Il avait tiré plaisir de la souffrance des mo'ats qu'il avait torturé. Mais, après un moment, il s'était calmé et avait repris le contrôle sur ses pulsions sanguinaires. Il avait ciblé ses recherches en testant des remèdes qu'il pourrait utiliser sur de vrais humains pour guérir des maladies. Il avait testé les limites de l'endurance humaine à la douleur ou à certains produits comme le poison. Il avait essayé de voir comment un corps pouvait subir la décompression atmosphérique. Ça n'avait pas été très joli. Finalement, dans ses dernières expériences plus invasives, il avait essayé de disséquer des cerveaux mo'ats pour comprendre le lien qu'il avait supposément avec leur déesse. Les rapports de phénomènes étranges entourant les vaisseaux de certains pirates rendaient les recherches à ce sujet trop importantes pour qu'il s'abstienne. Malheureusement, il n'avait pas trouvé d'explications anatomiques. Peut-être que cela dépendait de l'individu. Après un certain temps, il alterna les expériences physiques avec les expériences psychologiques. Il se réjouissait particulièrement de causer de l'angoisse et de l'agonie psychologique chez ses prisonniers, mais il était toujours déçu quand ils devenaient catatoniques. Il chercha donc à parfaire son art pour pouvoir modeler ses prisonniers à sa guise et les rendre utile.
C’est ainsi qu’il passa les années qui suivirent. Dans sa sphère privée, il profite de ses possessions pour faire des expériences avec eux. Il continue de conseiller le gouverneur de Renaissance qui sait qu’il peut compter sur un citoyen aussi influent et riche que Théodore, et il sert parfois de diplomate chez les autres factions. Il voyage souvent, visitant ses plantations, d’autres universités et des fois, il prend simplement des vacances. Théodore La Valette est un heureux et cultivé aristocrate, un homme du monde. N’est-ce pas ?