Une histoire de tricornes et de mystères [Jezabel]

Tortuga vivait au travers du hublot - ce qui signifiait que Tortuga criait, s'agitait, chargeait et déchargeait des docks, se chicanait. L'appelait, aussi. Serge attrapa son sac à dos d'aventure pour y rajouter une brique de jus de pomme, en plus de sa bouteille d'eau et de la poignée de fruits secs qui y étaient presque toujours. Elle vérifia mentalement ses préparatifs :
1) finir ses devoirs de mathématiques, c'était fait
2) demander la permission pour aller se promener dehors, c'était fait aussi
3) emmener son communicateur, c'était bon, elle le sentait dans sa poche.
La petite fit un crochet par la passerelle pour faire un bisou à Maman et la serrer fort dans ses bras, puis, Astéroïde sur ses talons, s'engagea au petit trot vers l'extérieur. Les parfums de vie et de ville lui sautèrent au nez lorsqu'elle passa le seuil du Liberty. Avec un encouragement et un signe d'au-revoir de la main à la sentinelle, la fillette s'arrêta sur les docks et chercha du regard quelle rue choisir.

Elle trouva à la place un objet d'intérêt bien plus chouette : un grand tricorne noir avec une graaaande plume souple, presque comme son tricorne à elle. Et comme tout le monde le savait, les gens avec des tricornes étaient les meilleurs. Bien décidée à aller parler tricornes avec la personne sous ledit tricorne, qui en plus était une dame toute classe, Serge accéléra le pas pour la rejoindre.

Ses petites jambes, le monde dans les rues et une tendance à s'arrêter pour ramasser des bouts de coquilles de noix et des boulons abandonnés la retardèrent cependant un peu, assez pour qu'elle réalise quelque chose : la dame au tricorne, avec un air décidé et en fendant la foule, cherchait certainement quelque chose. Ou avait un objectif. Peut-être même un objectif d'aventure ! Plus encouragée par cette perspective, la mini pirate la suivit sans hésitation lorsqu'elle bifurqua vers une ruelle moins passante, se faisant toute petite pour ne pas attirer l'attention et interrompre cette mission. Après tout, c'était malpoli d'interrompre les aventures des gens sans prévenir.

La journée revêt une importance toute particulière. Après les récents évènements, le Némésis a pris un tournant radical. Je ne suis point spécialisée dans les renseignements comme peut l'être ma jeune sœur ; il s'agit de la raison pour laquelle je n'hésite nullement à faire appel à elle lorsque le besoin se fait sentir. Je suis ainsi parvenue à obtenir un rendez-vous avec plusieurs hommes qui pourraient accepter de travailler en collaboration avec moi. J'ai choisi de m'y rendre seule, mais plusieurs de mes hommes me suivent à distance, et se tiendront prêts à intervenir si jamais la situation dégénère.

Je quitte bien vite la foule afin d'emprunter plusieurs chemins escarpés. Je redouble de vigilance et d'attention, afin de ne point risquer de me faire attaquer au moindre croisement. Ma main gauche pend le long de mon corps, le poing serrés, tandis que la droite tient fermement la poignée d'une de mes lames. J'arrive finalement en vue du hangar dans lequel le rendez-vous a été fixé. J'observe autour de moi, m'assurant que je n'ai point été suivie, avant d'entamer mon entrée dans le lieu. Je suis toujours droite, fière, élégante, et intimidante mais aussi discrète que possible. J'entrouvre une porte dérobée et m'engouffre à l'intérieur.

La dame est 200% une aventurière. Serge le sait, elle ne sait juste pas exactement dire pourquoi. Peut-être le tricorne. Ou alors la façon de marcher comme un grand félin ou alors les anciens de l'équipe d'abordage. Ou les sabres. Peut-être même tout ça à la fois.

Du coup, quand ladite dame se glisse dans une porte secrète, Serge ne se pose pas de questions - ou plus exactement, elle se pose plein de questions comme "Où elle va ? Est-ce que c'est un vrai passage secret ? Un vrai passage secret pour aller à une réunion secrète ou une cache secrète ou un trésor secret ?".
La question de savoir si elle la suit ou pas, par contre, n'affleure même pas : la fillette a déjà la main sur la poignée. En faisant bien attention à ne pas faire grincer la porte, elle l'entrouvre et se glisse à l'intérieur, encourageant d'un geste Astéroïde à la suivre. De là, l'aventurière miniature se cache derrière un tas de caisses, prend le temps de vérifier que son communicateur marche toujours si Maman la cherche avant de le ranger et caresse la tête de sa Kao pour la rassurer.

"Pas de bruit, et on brille pas trop fort, d'accord ?"

Ses consignes données, elle lève doooouuucement la tête pour tenter de retrouver son aventurière adulte.

Je prends le temps de pénétrer dans le lieu, de m'imprégner de l'ambiance qui y règne - mais surtout de repérer d'ores et déjà les issues et les entrées qu'il m'est donné de percevoir. Si je ne m'abuse, les hommes avec lesquels j'ai mon rendez-vous devraient m'attendre plus loin dans l'entrepôt. J'inspire profondément, mais à peine ai-je esquisser un mouvement en cette direction qu'un vague bruissement dans mon dos attire mon attention. Je me tourne avec lenteur, une main déjà portée à la poignet de l'un de mes sabres ; une lueur suspecte vient nourrir mes inquiétudes. Je m'avance alors précautionneusement, et me fige lorsque je découvre une toute petite fille, accompagnée d'un kao. Je me détends très légèrement tandis qu'il m'est impossible de retenir un léger sourire attendrit. J'assure mes arrières en me positionnant de telle sorte que l'on ne puisse point me prendre par surprise, et je m'agenouille devant l'enfant.

- Dis-moi, qui es-tu donc, demoiselle ?

Je ne perds nullement mon sourire, ma voix se faisant douce sans pour autant être ridiculement infantilisante. Elle me regarde d'une manière qui m'interdit formellement de lui faire cet affront.

- Étais-tu en train de me suivre ?

Il n'y a dans mes mots pas une once de reproches ni d'accusations. Il s'agit d'une simple question qui résonne tout à fait comme lorsque je demande à Jillian si elle a passé une nuit paisible, rien de plus.

La regard de la petite trouve d'abord la dame, puis cherche ce qu'elle a bien pu chercher. Peut-être des marques pour se repérer dans le labyrinthe de caisses et de sacs de l'entrepôt ? Ou quelqu'un ? Ou une croix rouge à trésor ?

C'est la tension soudaine d'Astéroïde qui arrache Serge à sa recherche... pour réaliser que l'adulte les a découvertes. Oups. Fillette et Kao se détendent cependant lorsque l'inconnue toute d'élégance létale s'agenouille à leur hauteur - et leur parle un peu comme Maman le fait, avec des vrais mots et une vraie voix de grand, mais toute douce.

"Bonjour Madame. Je m'appelle Serge, et elle c'est Astéroïde. Et vous ?"

La question suivante ne porte aucun reproche, ce qui n'empêche pas la petite de baisser les yeux d'un air un peu embarrassé : les livres d'histoires ne parlent pas de ce qu'on fait quand on est pris en flagrant délit de suivage de gens.

"... oui" avoue-t-elle. "Au début, c'est parce que votre tricorne il est super joli et que j'aime bien les tricornes."

En guise de preuve, elle pointe le sien, toujours bien en place sur ses boucles brunes, oubliant sur le coup d'avoir l'air désolée d'interrompre des affaires importantes d'aventures d'adultes.

"Puis après vous aviez l'air ultraaa concentrée sur votre aventure et tout alors j'étais super curieuse parce que ça a l'air important ! Vous cherchez un trésor ? Ou des passages secrets ?"

L'enfant possède une énergie à laquelle il est difficile de ne point prêter attention. Une aura d'innocence, de douceur et d'une jeune curiosité - celle d'une aventurière, semblerait-il. Une aventurière qui m'offre son identité non sans que cela ne provoque une surprise certaine en mon sein. Mon sourire s'élargit à mesure qu'elle répond à mes questions.

- Serge, dis-tu ? Ne serais-tu donc pas la fille de Sam Fitzroyse ?

Je ne connais qu'une seule petite fille qui se prénomme Serge. Les chances pour que je fasse erreur sur ce point me paraissent si maigres que je n'éprouve aucune honte à en faire un constat avant même qu'elle ne m'ait répondue.

- Je me nomme Jezabel Alvarez, et je suis la Capitaine du Némésis. Il s'agit d'un vaisseau proche du Liberty, alors peut-être e as-tu déjà entendu parler.

Je balaie un instant l'espace du regard avant de reporter mon attention sur la fillette.

- Ton tricorne aussi me semble tout à fait charmant. Puis-je le voir ? Si tu le souhaites, je puis te montrer le mien en échange.

Je lève tout de même un sourcil en sa direction.

-Une aventure, dis-tu? Eh bien...

Je me penche très légèrement en sa direction, et j'abaisse la voix, comme si je lui racontais un secret.

- Tu as vu juste, jeune fille. Je vais avoir un rendez-vous d'une importance primordiale d'ici quelques minutes. Si tout se passe pour le mieux, peut-être récolterai-je une véritable carte au trésor à l'issu de cette rencontre.

"Oui !"

L'exclamation enthousiaste lui échappe mais la question envisagée ensuite n'a pas le temps de suivre : la dame se présente. Festival d'étoiles dans les iris de la fillette. Un peu qu'elle connait le nom : c'est l'un de ceux du Grand Secret. C'est celui de l'une de ses tantes. C'est tout un monde de questions et de suppositions qui se cristallise.

"Oui aussi ! Même que je l'ai déjà vu dans une bataille de l'espace, le Némésis ! Vous connaissez bien Maman, Capitaine, dites ?" qu'elle demande, les yeux pétillants, des fois que sa tante trouve trop super géniale Maman et qu'elle puisse le lui répéter.

C'est avec toute la fierté du monde qu'elle tend son tricorne à la capitaine, presque aussi rayonnante que le Kao derrière elle. Le chapeau de toile solide porte une petite étiquette avec son nom à l'intérieur des fois qu'il tombe pendant une aventure. Et à propos d'aventure...

"Trop bien !" chuchote-t-elle avec entrain, un feu d'artifice dans les yeux. "Moi aussi quand je serais grande j'irais chercher plein de cartes au trésor avec des croix rouges et tout ! Et il faut faire quoi pour que la rencontre elle se passe bien ?"

Ainsi donc, il s'agit bel et bien de la fille de Sam Fitzroyse. Si elles ne se ressemblent pas le moins du monde physiquement, il y a en l'enfant un esprit, une attitude, qui ne laissent aucun doute quant à l'affiliation entre la seconde du liberty et la jeune aventurière.

- Une bataille de l'espace, dis-tu ? J'ignorais que nous avions des spectateurs à cet instant-ci. As-tu apprécié le spectacle ?

Je souris davantage lorsqu'elle me demande si je connais bien sa mère.

- Eh bien, elle et moi avons œuvré ensemble à plusieurs occasions, et je puis affirmer avec certitude qu'elle compte parmi les personnes en qui je puis tout à fait mettre ma confiance. Alors oui, je crois que je la connais bien.

J'échange ensuite mon tricorne avec le sien, avec toute la délicatesse du monde. Je l'admire sous toutes ses coutures avant de le lui rendre.

- Ton tricorne est absolument magnifique. J'en serais presque jalouse, s'il ne t'allait pas si merveilleusement bien.

Puis, elle me questionne quant à ce qu'il faut faire afin que la rencontre se passe bien. Je marque un instant d'hésitation, durant lequel je reprends mon propre couvre-chef pour le replacer sur mon crâne. Je recouvre un air des plus sérieux, ne laissant planer aucun doute quant à l'importance de ma question.

- Dis moi, es-tu capable de courir très vite et de ne jamais te laisser attraper, jeune fille ?

"C'était beau et impressionnant et trop trop classe" résume la fillette, la voix toujours basse et l'enthousiasme haut.

Si le souvenir de l'attaque combinée de ses deux tantes et de sa mère et du Liberty et d'en fait presque toute sa famille sur le transporteur la ravit, elle rayonne de la confiance accordée par la Capitaine du Némésis. La confiance, pour commencer à être une famille, c'est bien. Mais comme leurs liens de sang sont secrets, elle ne dit rien et rééchange son tricorne contre celui de la Capitaine, non sans avoir auparavant examiné avec soin la coiffe majestueuse.

"Merci ! Le vôtre est très très joli aussi, comme tout vos habits~"

Sensible au sérieux de sa vis-à-vis et n'ayant pas envie de décevoir, Serge relève farouchement le nez à la question.

"Je sais faire, parce que pour l'instant je suis trop petite pour me battre et parce qu'il faut savoir courir pour aller à l'aventure, au cas où. Mais Oncle Tad il m'apprend à me battre au sabre, alors un jour j'aurais une vraie épée ! Mais pas tout de suite, seulement quand j'aurais bien appris mes leçons d'escrime."

Pas contrariée par ce contretemps, elle gratouille la tête de sa Kao :

"Et comme je cours avec Astéroïde, je vais vraiment vite !"

Seigneur tout puissant. Que voilà une enfant tout à fait adorable. J'ai les plus grandes difficultés du monde à conserver mon sérieux. Il est néanmoins primordial qu'elle comprenne qu'il ne s'agit point ici d'un jeu, quoi qu'elle ne risque strictement rien tant que je demeure à ses côtés.

- Fort bien. En ce cas, que dirais-tu de m'accompagner à ce rendez-vous, Serge ?

Ma proposition est peut-être ambitieuse, mais je suis on-ne-peut-plus sérieuse.

- Bien entendu, tout ce que tu verras et entendras devra rester un secret entre nous. Tu ne cours aucun danger avec moi, je t'en fais la promesse la plus sacrée - celle sur mon honneur. Cependant, si tu acceptes ma proposition, il te faudra demeurer calme et proche de moi. De plus, tu devras m'obéir sans te poser de questions, entendu ? Si la situation venait à dégénérer, je te demanderais de courir aussi vite que tu le peux sans te retourner, et surtout, surtout de ne laisser personne t'attraper. Je compte sur toi pour respecter tout cela. Possèdes-tu un bouclier personnel, jeune fille ?

Il faut toute son énergie et sa volonté à la fillette pour ne pas juste sauter d'enthousiasme, ce qui ne ferait pas très sérieux ni très bien quand Jezabel a pris soin de ne pas parler trop fort. À défaut, une galaxie entière de joie lovée sous ses paupières, Serge hoche vigoureusement la tête :

"C'est vrai, je peux ? J'aimerais beaucoup !"

Écoutant attentivement les consignes, elle se concentre pour les retenir sans rien oublier, malgré l'exaltation en arrière plan, qui bouillonne et ronronne comme les moteurs du Liberty - parce qu'elle part dans une aventure de grand, et avec sa tante qui est Capitaine. Pour de vrai. Même qu'il y a une carte au trésor au bout !

"D'accord ! Je fais de mon mieux, promis. Et j'ai un bouclier personnel pour quand il y a des abordages, mais il est resté sur le Liberty. Mais y'a plein de caisses et de trucs, alors si jamais je peux me mettre à couvert derrière ?" propose-t-elle, espérant très fort que cela suffise pour avoir l'autorisation de venir. "Et est-ce que je peux dire quand même à Maman que vous lui donnez votre confiance ou est-ce que ça fait partie du secret ?"

J'hoche la tête pour lui confirmer qu'effectivement, elle le peut. Lorsqu'elle me dit ne pas avoir de bouclier personnel, je décroche le mien de ma ceinture et le lui tends.

- En ce cas, prends le mien. Garde-le activé. Je suppose que tu sais comment cela fonctionne. Tu me le rendras lorsque nous sortirons, entendu ? Tu te mettras à couvert si jamais ils venaient à avoir des pistolets à accumulation d'énergie et que je te demande de courir. Cela devrait suffire à garantir ta sécurité. Et tu peux dire à ta mère que j'ai confiance en elle ; il ne s'agit nullement d'un secret.

Puis, je me redresse élégamment, tandis qu'un sourire naît à nouveau sur mes lèvres.

- Bien, es-tu prête, jeune fille ? Il serait impoli de trop faire attendre notre rendez-vous d'aventurières, n'est-ce pas.

Je n'ai aucune crainte quant à la sécurité de l'enfant. En réalité, je me sais tout à fait capable de la défendre si la situation devait dégénérer ; cependant, il faut avouer que je préférerais que tout se passe pour le mieux, sans le moindre accroc.

La petite se mordille la lèvre en prenant le bouclier. Elle a dit qu'elle obéissait...

"Mais et vous ?" qu'elle demande quand même, les sourcils un peu plissés de souci.

La prochaine fois, elle emmènera son bouclier, promis. En attendant, comme elle a promis de suivre les ordres, elle active le bouclier qu'on lui a prêté, hoche la tête aux consignes avec un sérieux uniquement percé d'un sourire ravi à la permission de rapporter à Maman la confiance de sa soeur. Pour être présentable, elle redresse son tricorne, brosse la poussière de ses genoux, puis adresse son plus beau sourire :

"Parée Capitaine !"

Tout en se plaçant tout prêt de son aînée, elle note de demander, pour peut-être un jour : quand on a une tante capitaine, on dit "Capitaine", "Tante" ou les deux ? En attendant, une main sur le dos d'Astéroïde pour qu'elle aussi reste sage et pas loin, la fillette boit du regard tout - les lieux et les futurs gens à rencontrer et tout.

Cette fois-ci, je ne puis retenir un rire doux qui secoue ma poitrine un court instant. Cette enfant est réellement terriblement attendrissante. Il ne fait aucun doute qu'il y a quelque chose d'infiniment précieux dans cette innocence que je voudrais ne jamais voir être brisée d'aucune manière.

- N'ait crainte ; lorsque j'avais ton âge, ma mère m'a appris une parade qui permet d'arrêter les tirs avec une lame. Alors celui qui parviendra à être plus rapide avec un pistolet que moi avec mes épées n'est pas encore venu au monde.

Lorsqu'elle m'annonce être parée, j'hoche la tête non sans chercher à dissimuler le sourire attendri qui ne saurait quitter mes lèvres d'aucune manière, et nous reprenons notre progressions. Je me concentre à nouveau sur tous les éléments qui nous entoure, montrant en particulier deux endroits à la jeune Serge.

- Regarde, Serge. Si tu observes attentivement ici et là, tu pourras voir deux autres sorties, en plus de celle que tu connais déjà. Il est très important de faire attention à ces détails-ci.

Nous nous engouffrons dans un long couloir, puis, en faisant signe à l'enfant de demeurer derrière moi, je marque un instant d'hésitation devant une porte massive. J'écoute un instant, puis je l'ouvre et pénètre à l'intérieur, non sans avoir adressé un regard encourageant à la fillette. Je pose une main délicate sur le haut de son dos pour lui offrir une présence réconfortante. L'endroit est sombre et malodorant. Trois hommes attendent patiemment, assis sur des caisses.

Les étoiles reviennent de plus belle dans les iris de la fillette, parce qu'une parade qui permet d'arrêter les tirs, c'est quand même trop un truc de légende de pirate, un coup d'éclat soudain incarné et tricorné.

"Trop biieeeen" s'extasie-t-elle tout bas. "Je ne connais pas cette parade, mais Oncle Tad il m'en a montré quelques unes. Pas trop, parce que l'important c'est de bien faire celles qu'on connait avant de vouloir en faire plein mais mal."

Elle aussi elle veut faire ça, quand elle sera grande parce que probablement que parer un tir avec une épée en bois marche moins bien quand même. C'est avec toute l'attention du monde qu'elle observe les portes, hochant la tête sagement. Les entrées, c'est important.

"Parce que d'autres gens peuvent s'en servir et pour pas être surpris s'ils arrivent par là" suppose-t-elle, assurée en ce sens de l'idée par les récits d'embuscades et les tentatives de stratégiser comme Maman.

Forte du conseil de sa tante, elle se glisse dans la pièce du rendez-vous sur son encouragement, un sérieux pétillant d'aventure l'incitant à parcourir la pièce, notant les gens, les armes aux ceintures des trois gens, la façon dont celui du milieu se lève pour saluer la Capitaine, ses sourcils se fronçant en découvrant la fillette. Pas mal élevée, la petite lui renvoie un sourire et un petit salut de la tête.

"La garderie, c'pas ici..." ricane l'un des butors derrière. "Vous êtes sûres que vous v'nez faire affaires ?"

L'excitation de l'enfant est contagieuse. Je lui offre même un sourire lorsqu'elle partage avec moi ses connaissances. Il faut bien admettre qu'elle est tout à fait impressionnante, pour une enfant de son âge. Cependant, mon visage est dur et fermé devant les trois hommes qui nous attendent. Le premier se lève, nous nous saluons dans les règles de l'art. Ses deux compères demeurent en arrière, et la remarque que l'un deux se permet me déplaît fortement. Je darde un regard glacial en sa direction.

- Êtes-vous en train de vous moquer de moi, Monsieur ? Si la présence d'une enfant qui est certainement une meilleure pirate que vous ne le serez jamais vous intimide à ce point, je ne saurais que vous conseiller de quitter ces lieux et de ne plus jamais tenter de faire affaire avec moi.

Je me tourne en direction des deux autres, mes lames bien en vue.

- Quant à vous, si la présence de ma jeune apprentie ne vous sied guère, je vous invite à faire abstraction de sa présence et à vous concentrer sur notre échange. Si vous n'y parvenez point, je me ferai un plaisir de vous rappeler que personne ne saurait me faire perdre mon temps impunément.

L'une de mes mains est toujours posée dans le dos de la jeune Serge, tandis que je ne quitte plus le chef du groupe des yeux.

- Êtes-vous décidé à faire affaire avec moi, oui ou non ? sifflé-je, agacée.

Tante Jez dit qu'elle est une bonne pirate et Serge fait de son mieux pour ne pas rayonner - ou pas trop fort. Déjà parce que l'important, c'est d'être meilleur que ce qu'on était avant, pas que les autres, et puis aussi parce que c'est une histoire sérieuse et importante etout. La résolution tombe vite un peu à l'eau parce que Capitaine/tante Jez la déclare apprentie et que c'est trop trop bien.

Du coup, pour être digne du titre, la fillette observe attentivement tout ce qui se passe : la taloche que prend le monsieur qui parle pas bien, le regard noir que lui adresse l'autre monsieur au milieu avant de revenir à la grande question de la mission secrète.

"C'est un idiot qui doit apprendre à tenir sa langue." Nouveau regard noir vers l'interpelé, qui ravale sa protestation d'autant plus facilement que les sabres de la capitaine sont bien visibles. "Je vous en prie, allons droit au but, si vous le voulez bien. Que puis-je proposer à une personne de votre envergure, Capitaine ?"

Je suis satisfaite par la réactivité de l'autre, certainement moins dénué de bon sens que ses camarades. Le premier baisse d'ailleurs la tête, honteux. Peut-être réalise-t-il réellement à quel point son comportement a été déplacé. Qu'importe, je n'ai guère de temps à perdre avec cela. Je décide de l'ignorer, sans pour autant détourner entièrement mon attention. Il ne faudrait point qu'il décide de jouer à un jeu dangereux, et j'ai beaucoup de mal à lui faire confiance - plus encore avec la présence de la jeune Serge à mes côtés.

- Je suis à la recherche de pistes précises qui sauraient me rapprocher de mes cibles.

Elégamment, je sors un papier de ma poche, et le lui tend avec ma main gantée. J'attends qu'il en prenne connaissance, jaugeant son expression. Il fronce les sourcils un bref instant, mais demeure d'une neutralité satisfaisante. Je n'attends point d'eux qu'ils discutent mes choix de cibles, mais bel et bien qu'ils répondent à mes attentes. Il me rend le papier sans rien dire, et je le range avec les mêmes gestes assurés.

J'attends qu'il reprenne la parole, peu pressée. Je songe qu'il est ma meilleure piste pour trouver ce que je cherche, et beaucoup de notre échange se passe en réalité par le biais de nos regards et nos postures.