Et maintenant ?

Il l'a prise dans ses bras.

Il l'a prise dans ses bras.

Elle l'a giflé et pourri et lui a sauté dessus.

Et il l'a prise dans ses bras.

Et elle lui a presque dit que...

Que...

Et il lui a caressé la tête.

Et Seik'el, la pauvre, avec sa jambe bandée et sa béquille parce qu'elle veut pouvoir bouger et que le doc avait plus abîmé à clouer au lit, et tellement de pansements et de bandages que pour un peu elle ressemblerait à une momie, elle est perdue.

Alors quand elle décide brusquement qu'elle en a marre, elle clopine vers la cabine du Capitaine.

Et elle repense à ses bras et elle est pas sûre d'avoir aimé ou détesté la sensation.

En fait elle est même pas sûre d'avoir vraiment fait tout ça et pas juste déliré à l'infirmerie.

Et elle reste bêtement plantée devant la porte sans trop savoir ce qu'elle est censée faire, en fait.

Il a jeté un coup d'oeil sur l'image de la caméra devant sa porte, par habitude, par lassitude, pour voir autre chose que le rapport qu'il est en train de ligne. Il a jeté un coup d'oeil et vu une silhouette qu'il a du perdre quelques secondes à identifier. Seik'el. Elle est là, elle ne sonne pas alors il retourne à ses affaires. Après tout, les couloirs sont à tout le monde.

Il jette un autre coup d'oeil. Elle est toujours là. Il s'est bien passé une minute. Ce n'est rien quand on est concentré. C'est le monde quand on attend. Alors, sans un mot, il lui ouvre la porte. A elle de décider d'entrer ou non mais au moins, elle peut.

Est-ce qu'elle devrait pas repartir ? Ou frapper ? Frapper pour quoi ? Elle attend quoi, derrière cette porte, en fait ? Si seulement elle savait. Elle voudrait parler. De ce qui s'est passé. De ce qui s'est pas passé. Elle voudrait surtout pas parler. Admettre qu'il s'est passé quelque chose qui mériterait qu'on en parle, c'est prendre le risque de tout casser. Casser quoi ? Y a rien à casser, non ? Tout à perdre oui, mais à casser ?

La porte s'ouvre et elle sursaute. Mince. Plus moyen de reculer alors ?

"Capitaine."

Son visage est sûrement un monde de choses qu'elle serait bien en peine de nommer, mais sa voix est à moitié surprise, à moitié contente, à moitié hésitante. Oui ça fait trois moitiés, et elle en ajouterait bien une pour mélanger tout le reste.

"..." Elle rentre prudemment, sur sa béquille. "Comment vont vos blessures ?"

"soignées." Il n'a pas levé la tête. Il n'a pas l'air ennuyé, ni dérangé, ni...rien. Dans son bureau inchangé, il demeure de glace. Il ne lui indique pas de chaise, malgré la béquille. Il sait parfaitement que s'il n'a rien de plus grave, il le doit entre autre à la farouche sauvagerie de la mo'at. Il ne l'insultera pas en appuyant sur ses faiblesses. Bon. La politesse voudrait qu'il renvoie la question, au moins. Sauf qu'il sait, lui, comment elle va. "Le rapport de l'infirmerie m'informe que vous serez apte au service dans une décade à peu près."

Soignées. Il a l'air d'aller oui c'est sûr. C'est bien. Il est indifférent. C'est bien. Est-ce qu'il y a une raison particulière ou est-ce que... non, il a toujours été inexpressif. Toujours. Rien de plus, rien de moins.

Sauf.

"Oui. Je pourrais retourner à l'intendance dès maintenant mais vous connaissez le docteur Silverhound..." Bien sûr, il le connaît depuis longtemps, tellement longtemps qu'il y a de ces rumeurs qui circulent... Elle grimace, s'appuie plus lourdement sur sa béquille. "Il va y avoir du travail d'indemnisation et de recrutement à faire, et je parle même pas des réparations et du réapprovisionnement. Pas mal d'entrepôts ont été détruits, des fournisseurs ont perdu leur stock... on a pu avoir l'indispensable mais pas tout le nécessaire. Ca va être compliqué pour les prochaines escales à Tortuga."

Noyer le poisson c'est quand même plus facile. Plus rassurant.

"Ce qui signifie qu'il y a une demande et que les factions vont multiplier les transporteurs pour reconstruire." Ils achètent mais il vendent aussi et la pénurie n'est pas forcément une mauvaise chose malgré le manque de personnel. Ils vont aussi devoir chasser les mutants, faire profil bas. Cette histoire recule un peu le voyage vers Providence mais là encore, ce n'est pas grave. "Nous pouvons attendre que vous alliez mieux." Elle...et les autres.

Toujours si inexpressif, détaché, désintéressé. Comme s'il s'était rien passé.

"Les factions produisent, Capitaine." elle peut pas s'empêcher de corriger. "Tortuga vit de pillage. Le temps que les transporteurs des factions soient pleins, qu'ils se mettent en route, qu'ils soient pillés, que le produit arrive sur Tortuga, que la ville soit reconstruite, et qu'ensuite seulement il y ait assez d'excédent pour s'approvisionner..." Pas la peine d'être grand clerc, ça va mettre du temps. "Et ça c'est à supposer que les astroports des factions soient aussi durement touchés que Tortuga. S'ils ont de quoi faire sur place, surtout sur Renaissance, pas besoin de transporteurs interplanétaires." Elle change un peu d'appui sur sa béquille. "Si on veut piller faut prendre en compte les escortes, les renforts en route depuis le centre, les éventuels mutants retardataires. Et on manque d'hommes valides." D'hommes tout court. "Si on veut continuer à chasser seuls, je compterais pas sur de grosses prises pendant quelques temps. A voir avec Ichabod et quand j'aurai le droit de remettre le nez dans les comptes pour vous donner une estimation plus précise, mais on va peut-être devoir taper dans la caisse pour que certains décident pas de se reconvertir."

La caisse, conformément au Code, y en a pas. La caisse, c'est les économies du Capitaine.

"Enfin c'est l'avis de l'intendante. Vous avez mieux la situation globale que moi mais comme mon rapport détaillé va devoir attendre encore un peu..."

Comme si elle était venue pour ça, à la base.

"J'entends." Fit-il calmement une fois la tirade terminée. Il prit le luxe d'un silence supplémentaire pendant qu'il réfléchissait à l'analyse de la métisse. "Nous prendrons sur la caisse. Nous ferons profil bas, n'attaqueront que pour des produits de première nécessité des transporteurs peu protégés. Nous revendrons en priorité notre surplus à Tortuga, la demande y sera plus forte. Avec les équipages décimés, nous ne devrions pas avoir de mal à recruter. Concentrons donc nos efforts là dessus mais sans nous presser. Privilégions la qualité à la quantité. Si vous avez gardé des contacts avec certains mo'at que nous avons libérés et qui s'étaient montrés intéressés et intéressants, je suis ouvert aux propositions." Il n'avait pas pu recruter en tant que Penguin mais cette époque était révolue à présent et ils pouvaient tenter de reprendre contact.

Ces Mo'ats auraient pu être recrutés à l'époque. Le Capitaine a estimé que le moment était mal choisi, qu'ils devaient croire que leurs sauveurs étaient des corsaires. La métisse ravale la soudaine bouffée d'amertume qui émerge de son incertitude. Qui sait où ils sont à présent. Les factions et leurs astroports ont été touchées elles aussi...

"J'ai gardé des contacts avec une poignée de chasseurs qui en ont après la Trinité, un peu partout. Une vingtaine de personnes sans compétences particulières pourront sûrement être contactées à Esperanza, si elles y sont encore. Je pense aussi à... deux personnes qui avaient de bonnes connaissances en herboristerie mais elles ont pu rejoindre leur clan ou un autre équipage. Une femme... voulait apprendre à utiliser les canons. Si elle est toujours en vie elle est à Vanguard." Elle change légèrement de position, les traits tendus. "Beaucoup de personnel à former, personne pour les postes les plus techniques. Pour eux je n'ai qu'une solution rapide. Certains équipages ont sans doute trop perdu pour être encore viables et se seront dissous, Esperanza ou Salem pourraient nous réserver de bonnes surprises si nous ne traînons pas en route. Mais Esperanza a beaucoup souffert de l'attaque alors ce n'est pas là que nous trouverons des matériaux à acquérir légalement. Il faudrait les charger avant, d'une façon ou d'une autre, puis les revendre sur place." Les voler aux transports qui les acheminent vers la planète sinistrée en s'associant à d'autres, par exemple...

Il réfléchit, triant les informations, nombreuses dans le discours de l'intendante. Clairement, sa vie illettrée avait fait travailler sa mémoire car elle trouvait toujours les données utiles sans même s'aider d'une tablette ou d'un Hcom. Les noms se succèdent. Vanguard, Esperanza, Salem. "Nous allons mettre le cap sur Vanguard, puis nous trouverons des alliés pour harceler Salem avant de nous poser sur Esperanza. Je le mettrais à l'ordre du jour de la prochaine réunion d'officiers. Autre chose ?"

Elle aimerait pouvoir dire qu'elle se souvient des siens, de ce qu''ils ont dit, des dossiers qu'elle a tenus à leur nom et des histoires qu'elle a notées, toutes. Toutes les mêmes, toutes différentes. Mais en vrai, elle se souvient surtout des dossiers rangés à part, entre deux blocs sans aucun rapport, de ceux qu'elle aimerait pouvoir appeler autrement qu'"utiles".

Ichabod confirmera sûrement ses dires. Ou les corrigera. Il est compétent le quartier-maître, et elle normalement le recrutement c'est pas son rayon.

"Non." Oui. Putain, oui, pas non, elle a le coeur au bord des lèvres. "C'pitaine ?" Elle le scrute, inquiète, en se demandant s'il a entendu son titre écorché et s'il voudrait pas faire semblant que non, en sachant qu'elle va avoir tellement mal s'il l'ignore et sans avoir la moindre foutue idée de ce qu'elle dirait si d'aventure il décidait de relever.

"Oui ?" Il a entendu le titre écorché. Il ne s'en formalise pas, il se contente simplement de noter qu'elle a l'air bien plus bouleversée que prévu et que la dénégation précédente est donc à prendre comme une affirmation. Elle a autre chose à lui dire, c'est certain. Quelque chose qui l'embête et qui la bloque, semble-t-il. Il ne comprend pas bien pourquoi. Il l'a toujours laissée dire ce qu'elle voulait alors de quoi a-t-elle peur ? Il ne passe pas les gens par le sas simplement pour avoir été sincère en privé. Cela serait stupide. De ses officiers, il veut de vrais avis, pas de la peur. C'est bon pour les ennemis, ça.

"..." Qu'est-ce qu'elle peut dire ? Comment le dire de toute façon ? "...ce qui s'est passé sur Tortuga. Capitaine."

La course, les mutants, inexplicablement, elle les a presque complètement oubliés dans la chaleur d'une étreinte qu'elle n'est même pas sûre d'avoir voulue. Elle cherche ses mots encore, plusieurs secondes, le regard perdu sur l'uniforme de Jaziel de Nieves. Quand elle prend la parole, c'est d'une voix lente, qu'elle s'efforce de maîtriser pour l'empêcher de trembler.

"La dernière fois que j'ai pris un homme dans mes bras c'était une heure avant que vous preniez la Baleine. C'était le capitaine. J'aurais voulu le tuer." Elle parle au col du Capitaine là, ça se fait pas. Le regarder dans les yeux pourtant ? "Pas vous." Oh non pas lui, surtout pas lui, Déesse préservez-m'en. Elle soutient enfin les iris trop clairs. "Pour vous je donnerais tout ce que j'ai, vous savez."

C'est normal. Tout ce qu'elle a, c'est lui qui lui a donné, le rendre ne serait que justice après tout. Sauf la faveur de Calypso, et pourtant malgré sa dévotion est-ce que peut-être...

"Vous comprenez Capitaine ?" elle tente, d'une toute petite voix.

Demander à Jaziel de Nieves s'il comprend des subtilités si bassement humaines... mais à quoi pense-t-elle, pauvre fille ?

Sur Tortuga. Les mutants. Certes, ils avaient été particulièrement laids et agressifs mais certainement elle en avait vu d'autres, non ? Pour autant qu'il puisse le dire - et il savait que ce n'était pas grand chose, elle n'avait pas semblé avoir spécialement peur ? Il la laissa parler.

Oh.

Ah oui, y avait eu ça aussi. Elle l'avait frappé, puis hurlé dessus puis pris dans ses bras. Il avait oublié tiens. Il n'est pas sûr de comprendre. Il n'a jamais pensé qu'elle avait voulu le tuer. D'ailleurs, elle l'aurait fait, si ça avait été le cas. Croit-elle qu'il lui en veuille ? Non, enfin il ne sait pas. Elle lui a rendu son regard, elle a une voix d'enfant... il n'est vraiment pas certain de décrypter tout ça comme il le faudrait.

"Je ne suis pas sûr." Elle a le droit à la vérité. "Mais je n'ai jamais douté de vous ou de votre engagement auprès de moi." Pas la piraterie. Moi. Il sait qu'elle ferait n'importe quoi pour lui. Il n'a qu'un seul rival. Calypso.

Il est pas sûr. Il comprend pas. Ou il veut pas aller sur ce terrain-là. Et la seule chose qui empêche ses yeux de se noyer de détresse, de honte et d'amertume, c'est ce qui suit. Piètre consolation.

"..."

Elle inspire lentement. Expire. Rester calme. Rester calme, quand bien même il a l'air... tellement... lui. D'un marbre qu'elle se trouve soudain bien stupide d'avoir cru peut-être animé. Et pourtant ses bras.

"Est-ce que... ça. Vous pouvez le dire de quelqu'un d'autre ?"

C'est probablement la première question personnelle qu'elle lui ait jamais posée.

Là c'est facile. La réponse est forcément non. Elle veut être spéciale, comme tous le veulent et s'il veut lui faire plaisir, il ne doit surtout pas répondre oui. Il prend tout de même le temps de réfléchir. Y-a-t'il quelqu'un d'autre dont il n'ai jamais douté ? Valmont mais l'engagement du second est envers la piraterie, pas envers lui, c'est certain. Laylia ? Il a douté d'elle au début. Il ne savait pas ce qu'il sait maintenant. Sa femme. Il n'avait jamais douté d'elle. Doit-il le dire ? Oui ? Non ? Son regard devient songeur. Elle est morte de toute façon. Quelle importance.

"Non." Son ton est ferme, calme, sans aucune hésitation à présent. Il a prit sa décision et ne reviendra pas dessus. Il hésite a surenchérir. Décide qu'elle en vaut la peine. Continue à la regarder. "Je vous l'ai déjà dit. Vous êtes importante pour moi. L'Iceberg ne serait pas l'Iceberg sans vous." Est-ce assez ? Il ne sait pas. Il va dire que oui. Il ne veut pas non plus en faire trop.

Et il l'envoie pas balader. Et comme d'habitude il répond sur le fil. A côté, désespérément à côté, mais avec ce "pour moi" qui l'implique beaucoup plus, beaucoup trop. Et elle elle est pas plus avancée, elle sait pas pourquoi elle est importante, mais au fond c'est tout ce qui devrait compter, d'être importante, d'être spéciale.

Pas vrai ?

Elle a envie de pleurer comme une gamine. Sa main sur la béquille tremble un peu. Il faudrait respirer un peu pour pouvoir parler. Qu'est-ce qu'elle peut bien répondre à ça pourtant ? Elle sait pas si vraiment il comprend pas, ou si Jaziel de Nieves fait simplement semblant de pas comprendre pour pas compliquer inutilement les relations à bord de son vaisseau.

Oui.

C'est sûrement ça.

Un sourire hésitant, tendu d'inquiétude et de douleur aux lèvres - elle est toujours blessée quoi qu'elle ait pu gueuler au docteur Silverhound -, elle avance d'un pas. Un tout petit pas.

"Merci Capitaine."

Elle si avare de remerciements et de proximité, aux yeux qui brillent comme ils ne brillent qu'avec lui.

Il a fait de son mieux. Il voit bien qu'elle tremble mais il est incapable de savoir pourquoi. Vaguement inquiet, il se tient prêt à la rattraper si elle tombe. Après tout, elle est blessée. Un silence se fait qu'il ne rompt pas. Il se sent toujours un peu en danger de prononcer le mot de trop, celui qui ferait qu'il se mettrait à douter d'elle. Ne rien dire est plus prudent, dans sa position. Finalement, elle avance. D'un tout petit pas. C'est déjà quelque chose, probablement. Ses yeux brillent, la rendant vraiment jolie. Il a envie de dire "de rien", il se tait, hoche la tête.

"Allez vous reposer. J'ai besoin que vous soyez en forme."

Ce n'est pas qu'il la congédie mais... il ne sait pas quoi dire.

Elle s'arrête. Il souffle le tiède et le froid, son Capitaine. Mais il a raison. Il a besoin d'elle en forme. Et là, même si elle se jetterait avec joie sous les griffes du premier mutant qui oserait ne serait-ce que poser ses sales yeux sur son Capitaine, elle sait bien qu'elle tiendrait pas longtemps. Surtout armée d'une simple béquille qui lui sert encore beaucoup trop.

"Je sais." elle répond sourdement, un mélange d'on ne sait trop quoi au fond de ses yeux qui ont perdu leur éclat. Résignée quelque part, presque mélancolique. "Prenez soin de vous, Capitaine."

En clopinant vers l'infirmerie, plus tard, elle se demandera si, une fois les urgences réglées, elle ne devrait pas s'éloigner quelques mois vers Mo'tanui. Rejoindre les siens, chanter ses prières à la Dame sous les racines du grand arbre pour que les feuilles les répètent au ciel.