Le baptème de Tortuga. [Jez]

Tortuga.

Okay, ouais, mais non. Tu t'attendais pas trop à ça. Le délire de la ville pirate qui ne dort jamais, les rues grouillantes d'ivrognes et de bagarre...

Mais t'es à peu près certain que tu vas l'aimer une fois que vous vous serez un peu apprivoisé. En attendant, t'évites une chope qui visait une autre personne, enjambe un type ivre mort au sol, refuse d'un mouvement de tête l'invitation à te joindre à une table de gens... Plus que louche et ne répond pas au sourire enjôleur d'une femme trop fardée.

Par l'Unique, cet endroit ferait faire ne malaise au trinitaire lambda. Encore heureux que tu sois tout sauf ça.

Tu trouves un coin plus calme, cherche une place du regard quand l'éclat d'une lame capte ton attention et t'as même pas besoin de réfléchir, tout conditionné que tu es par la Légion. Tu attrapes le poignet et le tords, peu soucieux du cri de l'homme alors que le poignard tombe au sol. Tu pousses l'arme du pied, adresses un regard noir chargé d'avertissement avant de lâcher ta prise sèchement.

Tu t'en fous que c'était pas pour toi, tu sais même pas exactement pour qui c'était, mais ce genre de conneries par-derrière, ça t'hérisse. Et c'est seulement là que tu te rends compte que la salle est très silencieuse, que tout le monde regarde... Et merde, c'est pas trop ce que tu voulais, attirer l'attention dès ta première escale ici.

Tortuga. J'ai beau avoir côtoyé ces rues sales et mal fréquentées toute ma vie durant, je me demande encore si je parviendrais un jour à m'y habituer. Voilà un an et demi que maman est décédée ; je ne parviens toujours point à retourner dans les lieux que nous fréquentions ensemble. Son souvenir est trop vif, et quoi que je ne veuille nullement qu'il se fane, il y a de ces instants où je n'éprouve pas le moindre désir de le raviver plus que nécessaire.

Je suis jeune capitaine ; ma réputation est en pleine croissance, et désormais, mon nom ne résonne plus guère comme celui d'une seconde talentueuse, mais déjà comme celui d'une capitaine puissante et dangereuse. Je sais d'ores et déjà que ma renommée ne fera que s'étendre et s'intensifier au fil du temps. Pour autant, je possède déjà mon lot d'ennemis, cela va de soi. Je ne suis peut-être capitaine que depuis un an et demi, mais voilà près de vingt ans que je seconde ma mère et que mon nom résonne avec force à ces côtés.

Outre son souvenir profond et puissant, je garde d'elle une appétence particulière pour le sang qui s'écoule de centaines de plaies béantes tracées par le fil de ma lame, notamment lorsque je me trouve être d'une humeur exécrable ; voilà qui est présentement le cas, et ma cible vient de m'être arrachée par un illustre inconnu qui n'a pas même de poil sur le menton.

-Qui ose dérober ma victime?

Le silence est troublé par une femme qui... Semble mécontente que tu ais désarmé un type qui allait poignarder... Bah probablement elle, si ça se trouve ! Tu la regardes, elle te dit rien... Tu hausses légèrement les sourcils. C'est trop... N'importe quoi pour que tu t'énerves.

Tu récupères la lame, la fourres dans la main valide du type avant de le pousser légèrement vers la femme.

- Loukian Calkuen. Tenez, je vous le rends.

Le public semble suivre anormalement ce qu'il se passe. Quelque chose cloche, t'arrives pas à savoir. Tu observes davantage la femme, elle est belle, vraiment très belle, elle a quelque chose de noble, beaucoup de charisme... Eeeeeh merde.

- .......... Vous êtes ?

... Par l'Unique, ça murmure beaucoup trop maintenant pour que ta question passe pas pour débile. Tu devrais la connaître, donc.

Je le regarde, incrédule. Il m'offre son identité sans pour autant me dévoiler quoi que ce soit de sa personne. Il s'agit bien de la toute première fois que ce nom parvient jusqu'à mes oreilles. Cela signifie donc que cet homme n'est nullement un notable de la piraterie - peu de noms importants m'échappent. En revanche, qu'il ne reconnaisse point qui je suis pourrait tout à fait être considéré comme un outrage à ma personne. Même l'assassin malhabile qui avait sûrement pris grand soin de badigeonner sa lame de poison dans le but de me la planter en plein cœur regarde le dénommé Loukian Calkuen avec ce qui me semble être de la surprise.

- M'enfin, c'est Jez...

A peine a-t-il ouvert la bouche que j'ai dégainé ma lame ; dans un même mouvement, elle dessine un geste gracieux dans les airs et tranche la gorge de l'impudent. Son sang bouillonne à travers la plaie béante, et je ne puis détacher mon regard de ce spectacle captivant. Il porte sa main à sa gorge ouverte en un geste particulièrement désespéré et me regarde avec un doux mélange de stupeur et d'ahurissement. Je recouvre instantanément mon sourire hautain usuel, tandis que j'essuie ma lame sur les vêtements du futur macchabée, qui se vide de son sang à nos pieds. A mesure que j'effectue ce geste, mon regard se détache du délicieux spectacle pour se planter avec force dans le regard de l'inconnu.

- Jezabel Alvarez, dis-je non sans une intense fierté.

Okay. Elle aussi, elle s'attendait à ce que tu saches au moins qui tu es. Faudra que tu proposes une connerie comme "Okay! Tous les pirates de moins d'un an de métier doivent mettre un bandana orange sur leur tête pour signaler qu'ils sont cons et peu informés!", voir si ça passerait. Comme ça, on te regarderait peut-être pas comme si une deuxième tête venait de te pousser sur l'épaule. Même le type à côté de toi semble halluciné, il est même assez sympa pour vouloir te répondre, mais la femme le laisse pas finir et tu le regardes t'adresser un grand sourire involontaire et tout de rouge.

Elle essuie sa lame dessus et tu tournes les yeux vers elle alors qu'elle te donne son nom.

Jezabel Alvarez. Alvarez ça te dit peut-être quelque chose. Vaguement. Mais tu te souviens plus du vaisseau et t'es pas certaine qu'elle va aimer si tu lui réponds un "Okay. Bien. Et alors ?", donc tu réponds pas du tout ça, esquissant plutôt un léger sourire.

- Enchanté, madame Alvarez.

Malgré mes efforts pour lui offrir des informations qui pourraient lui faire recouvrer la mémoire, il ne semble guère plus avancé. Il a tout de même le bon sens de se montrer courtois, certainement peu désireux de subir le même sort que l'homme désormais mort. Je le toise un instant, mon regard de glace pénétrant le sien avec force.

- Vous êtes ignorant mais pas fou pour autant, n'est-ce pas ?

Je rengaine ma lame pour l'heure, peu décidée à faire couler davantage de sang pour l'instant - sauf si l'on a l'imprudence de me provoquer, cela va de soi.

- Il est dangereux de se balader en ces lieux sans connaître le nom de certains pirates, Monsieur Calkuen. Cela peut avoir des conséquences...

J'esquisse un pas en avant ; puis, ma botte vient s'appuyer sur le visage de l'individu insignifiant qui a songé pouvoir être digne de prononcer mon nom. Je ne me soucis nullement du sang qui va tâcher mes chaussures - elles en sont imbibées, c'est certain. J'observe le cadavre non sans que la beauté de la mort ne se rappelle à moi. Puis, je relève à nouveau la tête en direction du jeune homme.

- Fâcheuses.

Ah. Grillé. Elle sait que tu sais que dalle.

T'as une petite grimace, tu te vois mal lui mentir pour qu'elle te découvre aussi vite.

- On peut dire ça.

Tu la regardes faire, pas mécontent qu'elle range son arme, même si tu doutes pas qu'elle puisse la ressortir très vite. Ce qui l'empêche pas de faire vraiment beaucoup d'attitudes. Elle a un goût pour la mise en scène, c'est impossible, sinon.

- Disons qu'on n'a pas toujours la possibilité d'avoir un bon guide avec soi.

Tu n'as toujours pas bougé de ta place, sans porter attention au sang dans lequel marine tes semelles. Ça ne te choque pas vraiment.

J'exerce une pression sur le crâne du cadavre avant de l'abandonner à son sort et de me redresser ; j'époussette mes vêtements, sans pour autant vérifier s'ils ne sont point tâcher de sang. Il me faut bien avouer que l'homme ignare devant moi attise ma curiosité. Rares sont ceux qui peuvent en dire autant.

- Eh bien... N'êtes-vous donc pas sur un vaisseau, Monsieur Calkuen ?

Autour de nous, les curieux ne cessent de nous fixer. Je balaie la salle du regard. A nouveau, mon sourire s'est évanoui, et pas un seul de ces couards n'osent garder la tête relevée après cela - pourrait-on seulement leur offrir l'appellation d'hommes ?

Elle finit par foutre la paix au cadavre et tu l'observes, sans défi. T'as pas envie de la provoquer, t'es pas con, tu sais reconnaître une fine lame.

- Oui, bien sûr. Sauf que je n'ai toujours pas trouvé de guide pour autant.

T'iras pas dire que c'est un malheureux vaisseau dont personne doit connaître le nom, ça semble mal aviser de descendre le bâtiment auquel tu appartiens quand bien même il serait loin de te contenter pleinement, alors tu te contentes de cette réponse alors que ton regard balais l'assemblée qui n'en mène pas large sous le regard pâle de Jezabel Alvarez.

Un jeune pirate qui est membre d'un équipage qui n'a pas daigné lui offrir les fondamentaux de notre univers ; voilà qui est fâcheux. S'il n'a rejoint notre grande famille dysfonctionnelle que depuis quelques semaines, je songe que cela peut être excusable. En revanche, s'il est pirate depuis plus longtemps que cela, sa méconnaissance est un grave manquement et je suppose qu'il a une chance inouïe d'être encore en vie.

- Eh bien. En ce cas, il vous en faut un.

J'enjambe élégamment le cadavre.

- Suivez-moi.

Sans me tourner en sa direction, sans même vérifier qu'il obéit à mon ordre, je quitte la taverne.

Tu clignes des yeux en l'entendant, la suivant un instant du regard avant d'obéir à l'ordre après un petit froncement des sourcils, passant par-dessus le cadavre sans même lui adresser un regard, curieux de voir où elle va te guider.

Vous êtes vite dans la rue et tu te fais d'autant plus attentif, peu tenter de te prendre un coup, ni que Jezabel Alvarez se mette en tête de finalement t'offrir un nouveau sourire.

Il se décide à me rejoindre - grand bien lui fasse, je n'aurais point été d'humeur à subir tel affront. L'on ne ridiculise jamais Jezabel Alvarez. Qu'importe. Je ne lui offre pas le moindre regard, tandis que nous cheminons côte à côté, ou presque - il demeure légèrement en retrait, puisque je suis sa guide, n'est-ce pas.

- Je ne suis point femme à materner le premier nouveau-né venu ; cependant, puisque je n'aurais su être tranquille dans l'autre taverne à cause de l'impudent qui a osé me déranger, et puisque je n'ai nul désir de vous voir périr par une autre lame que la mienne, je puis vous accorder un peu de mon temps afin que nous discutions des règles fondamentales que vous semblez ignorer - quoi que votre prudence à mon égard soit toute à votre honneur, Monsieur Calkuen.

Tu la suis, la laissant relancer la discussion quand il lui en plaira. T'es pas particulièrement loquace et comme t'es encore en train d'essayer de la cerner, ne serait-ce qu'un peu... Mais ses paroles... Par l'Unique, et si on évitait de parler de toi qui péris, peu importe la lame ?

- J'apprécie l'attention.

Tu cracheras pas sur de l'info, peu importe laquelle. Après, excepté ta méconnaissance des grands noms de la piraterie, t'as pas l'impression qu'empêcher une tentative de meurtre soit si déplacé.

- Je tiens pas particulièrement à me faire tuer et j'ai eu un aperçu de ce que vous faites avec votre lame.

T'as pas survécu à 5 ans de Légion pour crever comme un con, par l'Unique !

- Bien. En ce cas, nous discuterons autour d'un verre, dans une taverne plus tranquille, si tant est que cela existe sur Tortuga.

Bien entendu que cela existe. J'aurais souhaité éviter les tavernes dans lesquelles nous allions avec ma mère. Il m'est peu évident de le faire désormais. Il faut être honnête ; tout le monde ici me connait, au moins de nom. Monsieur Calkuen est certainement l'unique homme ici présent qui n'a jamais entendu le nom d'Alvarez être clamé avec force, désespoir, admiration ou colère. Par conséquent, les rumeurs vont bon train, et dire que je ne m'en soucis point serait un mensonge ; je me soucis trop de mon image pour n'avoir que faire de ce qui se dit à mon propos. Aussi, je guide Monsieur Calkuen jusqu'à une ruelle vide et calme, au cœur de laquelle une petite échoppe se dresse discrètement - elle passerait facilement inaperçue devant des yeux non avertis. J'entre la première et choisit une table parmi les nombreuses disponibles.

- Nous devrions être tranquilles ici.

T’acquiesces légèrement à ses paroles, y rajoutant un "D'accord, madame Alvarez". Après, t'apprécies pas vraiment de te retrouver dans une ruelle calme et vide avec cette femme, mais évites de commenter la chose, te contentant de lui adresser un petit regard en coin.

T'aurais pas particulièrement remarqué l'échoppe dans laquelle elle te guide et tu la laisses choisir la table à laquelle vous vous posez. Quelqu'un passe bientôt vous demander ce que vous prenez et tu te contentes d'une bière -autant éviter le fort en la présence de cette femme- avant que tu jettes un regard circulaire à l'endroit, pour enfin revenir à Jezabel.

- C'est complètement autre chose, oui.

Tu la considères poliment, intrigué. T'as compris que c'était n'importe qui et il y a de quoi se demander, justement, pourquoi elle a décidé de t'entraîner ici. Pour parler.

Il commande une bière ; quant à moi, je choisis un des thés exotiques qu'ils proposent à la carte. Le jeune homme semble étonné, et en proie à une incompréhension qui m'amuse et disperse progressivement toute la tension qui noue mes épaules.

- Bien. Depuis combien de temps êtes-vous part de la piraterie, Monsieur Calkuen ?

J'espère l'entendre me dire qu'il n'est pirate que depuis quelques semaines ; s'il m'annonçait un laps se temps plus dense, il me semble que mon agacement croîtrait à nouveau. Comment est-il possible de laisser un pirate appartenant à notre vaisseau vaquer ainsi, sans se soucier de l'image qu'il peut renvoyer, ni des ennuies qu'il peut s'attirer ? Il ne me viendrait jamais à l'idée de lâcher un de mes hommes sans m'être assurée qu'il connait les fondamentaux de notre vie - et j'estime que méconnaître mon identité est un grave manquement à ces fondamentaux-ci.

Semblerait que tu doives te farcir l'interrogatoire de la dame. Tu le sens d'ici, que tes réponses vont pas beaucoup lui plaire et t'as même conscience de pas faire partie d'un équipage très glorieux, mais ils t'apprennent la mécanique et t'as découvert que ça te plaisait terriblement. Tu feras bien ton temps-là... Et puis tu verras.

- Presque trois mois.

Tu hésites un instant...

- Vous pouvez m'appeler simplement Loukian, si vous voulez.

T'es pas fan des monsieurs, même si tu t'accommoderas bien de l'appeler "madame".

Presque trois mois, dit-il.

- Je vois. Cela a au moins le mérite d'excuser en partie votre maladresse. Vous êtes un nouveau-né ; il n'est guère étonnant que vous possédiez leur manque de savoir faire. Je suis une figure de la piraterie depuis presque quarante ans ; ma famille, quant à elle, y siège depuis bientôt un siècle.

Je déclare tout cela non sans fierté. Cependant, je m'avoue être coupée dans mon élan par sa remarque quant à la manière dont il me faut l'appeler. Cela m'étonne et aurait certainement pu m'amuser en d'autres circonstances. En l'occurrence, je sens l'agacement poindre à nouveau en mon sein, tandis qu'un rictus écœuré déforme un instant mon visage.

- Je suis pirate et capitaine, Monsieur Calkuen. Je n'ai guère besoin d'aval pour nommer une personne par son prénom s'il me sied de le faire. A l'avenir, je vous prierai de réserver ces commentaires déplacés pour vos égaux et vos subordonnés.

Fort heureusement, nos boissons arrivent à cet instant - et sauvent peut-être une nouvelle fois la vie de l'imprudent impudent. Je remercie notre serveuse avant de reporter mon regard de glace sur l'homme.

- Eh bien, racontez-moi ; que faisiez-vous avant de rejoindre la piraterie ? Parlez-moi de vos origines.

T'es pas certains d'aimer beaucoup te faire appeler "nouveau-né", même si tu comprends que certains puissent te considérer ainsi dans ce monde. Devant ses origines, tu agrandis légèrement les yeux.

- Je... Comprends mieux.

Le tout pour te faire remettre vertement à l'ordre, de quoi raidir davantage tes épaules, prêt à... à rien. Parce que vos boissons arrivent, ce qui détourne un peu l'attention de ta... Bévue.

- Bien Madame. Désolé.

Sauf que l'attention de la pirate revient beaucoup trop vite sur toi à ton goût. Parler de tes origines. Tu détestes l'idée, mais face à cette femme, déjà agacée et capable de trancher une gorge comme si rien n'était... Tu sembles avoir bien peu de cartes. Ta main passe dans tes cheveux alors que tu soupires légèrement avant de te lancer.

- Je suis né à Paradis, sauf que Paradis et la Trinité étant ce qu'elles sont, les gens censés tentent généralement soit de rejoindre Port Salem pour devenir pirates, soit de s'engager dans la Légion pour peut-être survivre et devenir corporatistes. J'ai fais 5 ans pour la Légion avant de ne plus en pouvoir de tout ce bordel militaire et de partir pour Port Salem. Je me suis trouvé un équipage pirate qui voulait bien de moi et ça fait bientôt trois mois que j'en suis.

C'est déjà beaucoup trop d'informations. Tu attrapes ta bière pour en prendre une gorgée, peu à l'aise.

Il existe un élément en ce jeune homme qui me déplaît fortement ; cependant il ne commet point l'erreur de me provoquer davantage, et semble comprendre ses bévues. Je l'observe tandis qu'une volute de fumée s'échappe délicatement de ma tasse. Il me raconte son parcours dans les grandes lignes, et je n'en demande point davantage. J'hoche lentement la tête, bien que je demeure visiblement pensive plusieurs secondes durant.

- Vous êtes donc un ancien légionnaire d'origine trinitaire, constaté-je à voix haute.

Mes doigts effleurent la table dessinant quelques arabesques complexes, et je me penche très légèrement en sa direction, mon regard plongé dans le sien.

- Comprenons-nous bien, Monsieur Calkuen. Je ne suis en rien une pirate élitiste. Je suis de ceux qui ne jurent que par la liberté - de penser, d'agir, de rejoindre les rangs de la piraterie. Vos origines et la manière dont votre cerveau fonctionne ne m'intéresse nullement. Je possède cependant une réputation qui demande de ma part un travail colossal de tous les instants ; je ne laisserai aucun être, aussi pirate soit-il, m'humilier de la sorte.

Je me redresse de nouveau sur ma chaise, et laisse un léger sourire poindre. Pour autant, mon regard demeure dur et froid.

- Puisque vous êtes encore incapable de citer les grands noms de la piraterie, peut-être saurez-vous néanmoins partager avec moi les connaissances que vous avez su acquérir en trois mois. J'imagine que vous avez dû en apprendre énormément sur l'univers qui est désormais le vôtre.

Par l'Unique, la prochaine fois, tu laisses l'assassin faire son affaire et tant pis pour la victime ! Elle est en train de faire une montagne avec ta méconnaissance des noms de la piraterie, comme si tu avais voulu lui causer le moindre affront. Comme si tu avais fait exprès de ne pas connaître son nom. Qu'elle aille prendre la tête au reste de l'équipage qui t'as pas parlé d'elle ! Tu l'écoutes sans un mot... Fronces un peu les sourcils à sa question.

- ... Hm. Le code. Les systèmes d'élection autour des capitaines, le système des pourparlers... Les ports pirates, les seigneurs pirates...

T'hésites, tu cherches ce qui pourrait t'échapper, ce qui ne concerne pas la mécanique que tu pourrais lui balancer, mais sur le coup, tu sèches et ça te met mal à l'aise. Tu sais pas trop comment lui donner satisfaction, à la Alvarez, mais ça semble plutôt... important. Tu attrapes ta bière, prends une gorgée, hésitant légèrement avant de lui jeter un regard.

Je l'écoute tandis qu'il ne fait qu'énoncer vaguement certains préceptes majeurs qui régissent notamment la vie à bord des vaisseaux. J'hoche finalement la tête, sans parvenir à décider de ma réelle satisfaction quant aux informations qu'il a pu m'offrir. Il demeure vague, sans m'offrir le moindre détails quant à ses connaissances. Je ne suis ni sa mère ni sa capitaine, aussi décidai-je de ne point le torturer plus que nécessaire.

- Bien. Il s'agit là d'un début sommes toutes convenable, bien qu'il ne me serait point désagréable de vous entendre parler davantage des concepts que vous avez énoncé. Seriez-vous au moins capable de reconnaître les Seigneurs Pirates si vous les croisiez ?

Certains d'entre eux seraient certainement bien moins patients que moi ; aucun ne prendrait le temps de discuter de tout cela avec un nouveau-né, cela est certain. Je ne suis cependant nullement une seigneur pirate et si j'aspire à peut-être agrandir leurs rangs dans le futur, il ne s'agit guère de mes préoccupations premières pour l'heure.

Elle semble interdite un instant, comme si elle hésitait sur le degré de satisfaction que pouvait lui apporter ta réponse. T'as l'impression d'être traité à la loupe, l'envie de filer est vive, mais tu restes sur ta chaise, les doigts autour de ta bière. Quand elle commence à parler, une légère tension glisse de sur la ligne de tes épaules et tu évites de lui soupirer au nez.

Elle semble moins remontée contre toi, tu vas pas gâcher ça.

Les Seigneurs Pirates. Tu en fais la liste dans ta tête avant d'hocher lentement du chef pour lui répondre.

- Il me semble bien que oui, Madame.

D'autant plus qu'avec cette expérience, tu veilleras à davantage observer les pirates autour de toi. Les bourdes comme aujourd'hui, tu t'en passerais bien et tu te doutes bien que les Seigneurs Pirates ne brillent pas par leur patience.

- Disons que je ferai davantage attention à partir de maintenant. Encore désolé, Madame.

Franchement, c'est pas ton but de te mettre les grands pirates à dos. Ça commence mal une foutue carrière et le milieu est trop petit pour ces conneries. T'as pas envie que ça te suive.

Il semble réaliser l'ampleur de son erreur, et m'avoue qu'il sera davantage attentif à l'avenir. Je ne sais que songer de ses paroles, qui pourraient très bien être des mots en l'air. Je bois mon thé tout en le jaugeant. Je ne puis que me faire la réflexion que bien des hommes sont décédés pour moins que cela. J'imagine que l'unique élément qui me retient de lui trancher la gorge est qu'il m'inspire de la pitié. J'imagine que nous débutons tous à un moment ou un autre. Et le fait que je sois née au cœur même de la piraterie ne me rend pas légitime à discuter la liberté qui peut emplir le cœur des autres.

- Eh bien, j'imagine que si votre mésaventure peut au moins vous apprendre ceci, je n'aurais pas entièrement perdu mon temps.

Je dépose ma tasse quasiment vidée, et je me penche en sa direction. Nos regards s'accrochent l'un à l'autre, et je ne souris plus guère.

- Méfiez-vous, Monsieur Calkuen. Votre prochaine erreur du genre pourrait bien être votre dernière.

Ma voix est aussi froide que la glace, et certainement menaçante. Je demeure immobile de la sorte pendant plusieurs secondes, avant de me redresser en souriant.

Et tu te serais bien passé de lui faire perdre. Tu la regardes se pencher vers toi, elle plonge son regard dans le tien, toute trace de sourire disparu de son beau visage qui se fait aussi glacial que sa voix alors qu'elle te menace ni plus ni moins.

- ... J'en ai conscience.

Tu la regardes se redresser, sourire aux lèvres, comme si de rien n'était, interdit.

Jezabel Alvarez est une femme flippante. Avec un peu de chance, elle a fini son thé et elle va décider que tu as assez bouffé son temps comme ça et qu'elle va t'abandonner là pour aller faire mieux. Toi t'oserais pas te barrer, pas de doute que ça serait considéré comme "l'erreur de trop" par la capitaine pirate.