Un mojito, dos mojitos

Où trouver le capitaine Stackborn du Liberty ? C’est simple. On trouve le Liberty et en général il est pas très loin. Tortuga est certes le repaire de tout ce qui est vaguement pirate dans le système, mais ça reste un gros caillou. Un foutu gros caillou quand même, mais Seik’el a le pas rapide, une épée bien en évidence à sa ceinture et quelques autres armes moins voyantes, et surtout quelques bonnes adresses où trouver les capitaines influents et leur équipage. Si elle devait noter toutes les adresses qu’elle a apprises par cœur depuis qu’elle travaille à l’intendance – trop dangereux de les écrire, évidemment, manquerait plus qu'elles tombent dans les mains des autorités –, entre les capitaines importants, les receleurs, les pattes à graisser en cas de besoin, ça prendrait une de ces places…

Elle rentre donc dans la taverne où il a ses habitudes, repère à l’oreille puis ignore royalement le petit con qui a trouvé malin de la siffler – il paraît que faire un esclandre dès qu'on passe le seuil d'une taverne est pas la meilleure façon de se faire des amis, alors elle attendra que quelqu'un ait la mauvaise idée d'essayer de la toucher pour être violente –, et cherche un géant aux tempes dégarnies et au regard intense, flanqué ou non d’une aveugle blonde et d’un caly’uaykai, présence dont la seule idée la hérisse. Il paraît qu’il le suit de son plein gré – mais quand même.

Une fois l’individu repéré, elle se dirige vers lui d'un pas assuré. Ample chemise blanche sur peau brune, pantalon crème, ceintures et bottes de cuir brun, breloques aux couleurs chaudes et cheveux sombres aux innombrables tresses perlées, relevées en chignon retenu par un foulard assorti, la belle métisse attire inévitablement l'attention– et elle s’en bat les génitoires. Elle est parfaitement décente et même davantage.

« Capitaine Stackborn du Liberty ? » elle demande une fois qu'elle a son attention, plus par politesse et en guise de salutation que pour avoir une confirmation – une fois qu’on l’a trouvé il est reconnaissable, le bonhomme. Elle aime bien ajouter le nom du vaisseau dans ce genre d'occasion. Ca aide, parce que des fois y a plusieurs capitaines du même nom. Essayer de parler affaires avec l'Alvarez pirate en pensant s'adresser à l'Alvarez corsaire, par exemple, est une erreur qu'on a rarement l'occasion de commettre deux fois. « Seik'el Iyeywi, intendant de l'Iceberg. Le capitaine de Nieves m'envoie. Vous avez un moment ? »

Plus factuel, tu meurs. Elle est pas sèche pourtant, juste pas souriante non plus. Elle est polie sans être déférente, prudemment neutre. Quand elle sourit les hommes ont un peu trop tendance à le prendre comme une invitation, et elle est pas là pour draguer. Elle est jamais là pour draguer.

Le Leviathan  est une taverne toute petite et pas facile à trouver. Elle est propre, et très simple. L'unique salle principale est chargée de table et de pirates. C'est ici qu'il vient boire avec son équipage. Bien sur il fréquente de nombreuses autres tavernes. Seul ou légèrement accompagné, mais son quartier général est ici. Embêter la tenancière, une vielle dame toute gentille c'est mettre sa vie en danger. Le capitaine du Liberty généralement pas sanguinaire à fait la preuve de son côté impitoyable en punissant sauvagement des malfrats ayant attaqués Isabelle.

Conrad est entrain de boire avec ses hommes quand la jeune femme fait son entrée remarquée. Les hommes sifflent évidemment mais c'est normal. Caly descend de son perchoir et vient se coller à Conrad pour ronronner doucement à son contact. Le capitaine lève les yeux au ciel.

La femme se présente, sobre et magnifique, superbe contraste. Elle lui arrache un sourire dans sa façon de faire. Métisse mo'at qu'il note rapidement.

- bienvenue Seik'el Iyeywi assis toi.  dit simplement le capitaine en faisant signe aux hommes de sa table de lui laisser la place. Il n'a pratiquement aucun accent en prononçant son nom sans se tromper. Les hommes s'exécutent rapidement.

- Caly... La dame veut me parler dit-il la créature occupée à le câliner. Visiblement Caly n'en a cure.

Elle jette un regard noir à ceux qui sifflent trop près d'elle pour les ignorer. Équipage du Liberty ou pas, elle a aucun problème à l'idée de tordre les mains baladeuses et daignera lâcher, par diplomatie, une seule et unique sommation en cas de souci - une de plus qu'à l'accoutumée.

Quand elle revient au capitaine, elle remarque le messager en train de se poser sur lui... pour lui faire ce qu'il faut bien appeler un câlin. Difficile de savoir si l'animal y a été dressé ou si c'est de son plein gré, mais la scène est pour le moins étrange. Bon point pour le capitaine, il prend l'air ennuyé face au câlin. Il se contente également d'un sourire sans commentaire en la voyant, prononce son nom correctement et éloigne ses hommes. Elle hoche la tête en guise de remerciement, avec une ébauche de sourire poli, et attend qu'ils se soient éloignés pour s'installer.

"Rien d'urgent, vous inquiétez pas." elle répond face à l'insistance de l'animal à ôter toute crédibilité au fier capitaine.

Rien d'urgent effectivement, et personne ira lui chercher des noises à la table d'un capitaine... à part un fou ou le capitaine lui-même, qui a pas l'air dans ce genre de dispositions pour l'instant. Dressé ou non, on contrarie pas un caly'uaykai... et puis au fond c'est amusant, même si elle se garde bien de sourire.

Conrad fait un signe pour montrer qu'elle a tout le temps qu'elle désire. Il caresse doucement Caly pour le calmer un peu. Et tourne un peu plus son attention vers l'intendante. C'est une Mo'at... peut-être que elle a une meilleure idée.

- Est-ce que vous savez pourquoi cette créature me suit et m'a choisi comme animal de compagnie pour ses envies de papouilles ? qu'il demande très sérieusement. Parce qu'il aimerait avoir la réponse.

D'un geste il fait venir la serveuse qui avait de toute façon anticipé la demande du capitaine. Elle arrive avec un verre propre qu'elle pose à coté de la bouteille de rhum de Conrad. Ce dernier s'empresse de servir le liquide ambré à son invité. Son comportement est particulièrement neutre pour un homme. Visiblement contrairement à son équipage il ne semble pas du tout faire le moindre cas de la beauté sidérante de la femme en face de lui. Il pousse ensuite le verre dans sa direction.

Pourquoi elle en saurait quelque chose ? Parce qu'elle a la peau sombre et l'accent de Renaissance ? Elle a jamais mis les pieds dans la forêt. Parce qu'il essaie de la convaincre que c'est lui le dominé dans la relation avec la boule de poils et de plumes au nom si évocateur ?

"J'en sais rien. S'il est libre d'aller ailleurs et revient quand même, c'est peut-être qu'il vous aime bien. Les gens font souvent ça, pourquoi pas les caly'uaykai ?"

Insinuation glissée, elle est pas prête à gober aveuglément tout ce qu'il voudra dire. Elle tait prudemment l'idée que c'est peut-être Calypso qui l'aime bien. Trop d'inconnues à l'équation. Elle en sait rien, elle, de ce que pense la déesse... et inutile de contribuer à une rumeur qu'il essaie peut-être de faire circuler, prétendant par exemple que Calypso l'aurait à la bonne. On sous-estime trop souvent le pouvoir de ces choses-là.

"Ou alors il sait quoi faire pour avoir ce qu'il veut." elle ajoute, un peu plus sombre, en regardant le messager se faire caresser. Brrr. Tout lui semble prostitution, parfois.

Pendant qu'elle parle, elle suit le verre des yeux, depuis la main de la serveuse jusqu'à la portée de la sienne. Elle s'en empare franchement. Elle aime pas vraiment le rhum, surtout qu'il est rarement produit sans la sueur et le sang des siens, mais les rituels sont ce qu'ils sont : importants.

Conrad note deux éléments dans la réponse de la métisse plus un troisième et rien n'est fait pour que cette femme lui apparaisse sympathique. Il ne lève pas encore son verre pour trinquer et réfléchit un peu à ce qu'il va lui dire.

- Je comprends pas bien ton "S'il est libre" dit-il finalement. Je ne vois pas qui pourrait le contraindre et ma mystique a déjà établi que c'est pas Calypso en tout cas.

Il ne lève toujours pas le verre. Mais son visage particulièrement souriant et engageant de tout à l'heure à disparu. La réponse à son incompréhension sera facteur dans la suite des événements. Si elle est venue le traiter de menteur dans sa taverne alors qu'il est entouré de ses hommes les choses pourraient rapidement se compliquer. Elle a la flamme, mais peut-être pas l'intelligence de situation nécessaire à ce genre de mission.

Le sourire de Stackborn disparaît, il se ferme même comme une huître, mais Seik'el se démonte pas pour autant. Elle voit très bien qui pourrait contraindre le messager mais elle est pas là pour jeter de l'huile sur le feu.

"Vous me dites qu'il est libre, j'ai pas de raison de remettre votre parole en doute capitaine." elle le rassure donc. Diplomatiquement effectivement, ça se fait pas. Humainement ça l'empêchera pas de maintenir, en son for intérieur, un doute cartésien raisonnable. Ca fait aussi partie de son travail et de sa façon d'être. On a déjà vu un pirate gober aveuglément tout ce qu'on lui disait ? "Cela dit vous savez que les caly'uaykai sont pas connus pour s'attacher aux humains, il doit faire lever pas mal de sourcils si vous permettez ?" Sourcils légèrement haussés pour illustrer l'argumentation, qui retrouvent leur position initiale, neutre. Elle garde les doigts sur son verre, les détendant légèrement, et glisse doucement l'autre à plat sur la table, preuve qu'elle n'a aucune intention de saisir une arme dissimulée. "Puisque votre mystique a établi que c'était pas la Dame alors elle en sait plus que moi. J'ai pas de meilleure explication à proposer que ce que j'ai déjà dit." elle ajoute, apaisante.

Après tout, la forêt, elle l'a vue que de loin. Il lui revient bien une histoire, mais... elle hésite. Bah.

"Je sais pas ce que ça vaut mais... ça me revient, un vieux a dit une fois qu'ils "reconnaissaient les vrais pirates"."

Conrad sourit de son petit sourire tranquille. Finalement elle est intelligente. Tant mieux. Il lèvre son verre et porte son toast habituel.

- A la liberté. il boit cul sec et se resserre dans la foulée.

Il réfléchit à nouveau un peu.

- Bienvenue au Léviathan. Et les sourcils se lèvent en effet. Les Mo'at n'aiment pas trop le concept de ce que j'ai compris. Mais j'ai pas la prétention d'empêcher cet animal de faire ce qu'il veut. Je suis un brin superstitieux et si la Dame n'a rien à voir avec ça .. ce dont je me félicite. Il n'empêche que je préfère éviter de la contrarier. dit-il d'une humeur plus joviale soudainement.

Il pousse doucement la carte des boissons jusqu'à la femme.

- Commande c'est moi qui offre. ainsi une rumeur dit qu'ils reconnaîtraient les vrais pirates.... c'est une explication qui se tient dans notre cas. Quand je l'ai libéré de ses tortionnaires trinitaires il avait sans doute déjà perdu sa compagne. Et personne oserait me dire que je ne suis pas un vrai pirate... on peut me traiter de bien des choses, mais certainement pas d'être un imposteur. dit-il tranquillement alors que sa Flamme brille de mille feux tellement il est persuadé de son assertion.

Bien, bombe désamorcée.

"A la liberté."

Elle boit cul sec aussi, même si ça lui arrache un peu la gorge de boire à la liberté avec le sang des siens - ou alors c'est juste l'alcool. Difficile de trouver quelque chose à boire ou à manger qui soit ni cet infâme nutrisoja ni produit sur Renaissance, de toute façon...

La métisse écoute les explications, une moue éloquente pour toute réponse. Non, les Mo'ats aiment pas trop le concept, en effet. Pourquoi il croit qu'elle a exprimé ses réserves ? C'est pas naturel. Et peu importe la thèse du vieux, d'abord parce que c'était pas un Mo'at, ensuite parce que Stackborn est loin d'être le seul vrai pirate du monde, ou même de la taverne. Elle-même par exemple a une belle Flamme, il paraît. Difficile d'être sûr, surtout quand on cherche pas à jouer à "qui a la plus grosse".

Elle remercie l'offre d'un léger sourire qui éclaire son visage, mais reste attentive à la conversation.

"Non, personne qui connaisse ces choses-là." Difficile de prétendre le contraire face à un regard pareil. "Cette histoire je l'ai entendue une seule fois, et pas d'un Mo'at. Aucune garantie qu'elle soit fiable. Y a qu'avec vous qu'il fait ça ?" elle demande, pointant du menton l'animal toujours occupé à papouiller le colosse.

Elle s'accorde un instant pour parcourir la carte. Refuser serait impoli, mais du rhum, du rhum... elle retourne la carte et la tend à Stackborn.

"Un mojito chaï pour moi alors."

Conrad passe directement la commande via la console de la table. Il préfère ne pas faire traverser trop souvent la salle au serveuse. Les hommes ont les mains baladeuses s'ils sont soumis à trop de tentation. Et pour le coup la femme en face de lui à du les tenter. Heureusement qu'elle tire la gueule. Sans doute qu'elle fait exprès.

- Il faudrait que je le présente à Valmont. Ça nous donnerait une indication. dit simplement Conrad. Vous avez une belle flamme en vous... mais ça ne sera pas suffisant.

Il note combien elle est belle quand elle sourit. Définitivement, soit elle a des problèmes qui lui prennent la tête en ce moment. Soit tirer la gueule est un mécanisme de défense. Ici la seule chose qu'elle risque est une main baladeuse. Mais il peut comprendre que ce soit déjà trop pour certaine femme.

Valmont, Valmont... toujours Valmont. Il avait personne d'autre à proposer pour faire des tests, ce con ? Pour le coup elle tire la gueule, Seik'el, et là on voit bien la différence avec l'expression neutre qu'elle arborait jusqu'à présent. Pas parce qu'il a une Flamme plus vive qu'elle, ça elle est au courant et c'est tant mieux pour lui. Juste parce que Valmont.

"Ca se tente." elle reconnaît de mauvaise grâce.

Elle inspire lentement, l’œil fixé sur le messager qui tente désormais de se jucher sur le crâne du capitaine, plate-forme un peu étroite pour sa corpulence. Ca la distrait un peu, ses traits se détendent et retrouvent une neutralité prudente.

"Si je le croise je vous l'envoie ici."

Combien on parie qu'elle va avoir droit à des questions sur tout l'amour qu'elle éprouve visiblement pour son collègue et sur l'ambiance au sein de l'équipage, maintenant ?

Conrad la voit complètement changer d'expression. Tient... pas l'amour fou entre les deux. Il a un foultitude de question qui lui viennent en tête. Mais la paranoïa de Jaziel vient se rappeler à lui. Pour le moment il gardera ses questions pour lui... pour le moment.

- Inutile. Votre capitaine pourrait voir ça ... je ne sais pas comment en fait, mais certainement pas pour la chose simple que c'est

La serveuse fend la foule de pirate et dépose son Mojito devant la métisse et repart après un petit sourire à Conrad. Ce dernier répond d'un sourire aussi. Toujours avenant quand il le peut. Et il n'est pas de mauvaise humeur là.

- Je trouverais bien quelqu'un d'autre pour tester. Ce n'est pas comme si nous étions les deux seuls à Tortuga. dit simplement Conrad. Même si présentement à part la Rouge il ne voit pas. Et il n'ira pas la voir.

Ah tiens, perdu. Elle lancera des cacahuètes dans l'espace à l'occasion. Elle a gagné une petite information par contre : soit il est très diplomate et a renoncé à l'idée pour ses beaux yeux - pas forcément de la diplomatie du coup, hm -, soit il y a de petites tensions entre les deux capitaines. Elle laisse couler pour le moment, se contentant de hocher la tête à la serveuse avec un sourire un peu mécanique. La métisse reporte ensuite son attention sur le couple improbable face à elle.

"Le messager vous suit depuis combien de temps ? Vous avez bien dû croiser d'autres "vrais pirates" depuis qu'il est là, non ? Aucune réaction particulière ?"

Conrad réfléchit un peu... combien de temps qu'il traîne la créature. Tout ça déjà... il a l'impression que c'était hier. Que le temps file entre ses doigts. Ça lui rappelle qu'il est pressé désormais.

- 2 ans maintenant. Et les gens comme Valmont et moi ne sommes si nombreux que ça. Lorsque j'en crois Clay n'est pas forcement là. Il va et il vient librement. explique Conrad.

Il déplace gentiment le Caly'uaykai sur son épaule, c'est plus confortable pour lui. Il pèse son poids quand même. Puis tranquillement il vient boire un autre verre en regardant le mojito de la métisse.

- Tu n'aimes pas le Rhum ? demande-t-il. Avec Jezabel ça va en faire des femmes pirates qui n'aiment pas ça.

"Pas fan." elle avoue, préférant faire l'impasse sur l'autre thème de la conversation.

Y en a dans le mojito pourtant du rhum, avec du thé aux épices et quelques autres choses.

"Pas fan de grand-chose à vrai dire. Difficile de trouver quelque chose de comestible qui soit pas produit par des esclaves si on peut pas vendre un rein pour en être certain. Et encore, une étiquette, on y met ce qu'on veut."

Elle remue un peu avec la paille, pensive. Pour l'Iceberg elle est prête à rogner sur la quantité pour être certaine que ça vienne pas de plantations trinitaires, mais tout le monde est pas de cet avis y compris dans l'équipage.

"On se dit qu'on compense un peu quand on aborde des Trinitaires."

Une lueur dangereuse s'allume au fond de ses yeux à la mention des derniers abordages contre le peuple maudit, un sourire mauvais étire ses lèvres presque malgré elle. Elle aime aborder les Trinitaires, et pas seulement pour libérer leurs esclaves ou piller leurs cargaisons. C'est une vengeance pour les vingt ans où elle les a servis, pour le siècle d'esclavage qu'ils continuent d'imposer aux siens.

Il reconnait cette attitude. Il ne lui jette pas la pierre. Ni'oh est encore plus sauvage ou pas.

- La petite mystique de mon bord aime particulièrement quand nous attaquons des trinitaires, encore plus lorsque ce sont des esclavagistes. explique Conrad.

Il récupère le verre qu'elle avait pour son rhum et sort sa flasque pour en verser son rhum dans le verre de cette dernière.

- celui là ne vient ni de plantation esclavagiste, ni de trinitaire d'ailleurs. dit-il doucement. Je peux vous en fournir un tonneau contre un bon prix.

"Quel pirate digne de ce nom n'aime pas ça, en même temps." elle commente à mi-voix, les yeux un peu dans le vague. "Attaquer la Trinité c'est s'en prendre aux ennemis de Calypso et de la liberté... dommage que ça soit pas assez rentable pour faire que ça."

Il a bien fallu accepter l'évidence des livres de comptes. Elle revient à la réalité en le voyant verser le contenu de sa flasque dans son verre à elle. L'offre la ramène à la raison de sa visite au Léviathan, et elle fait un geste pour l'arrêter après deux doigts d'alcool. Pas la peine de gaspiller, et puis elle a déjà presque atteint son quota entre le verre de diplomatie et le mojito chai d'enterrement de la hache de guerre, c'est bon, si elle doit encore sociabiliser avec quelqu'un elle va finir pompette.

"C'est bien d'avoir ce genre de fournisseurs dans ses contacts." Elle goûte, prend le temps d'étudier le goût. Pas mauvais du tout. "Très bon. Vous accepteriez pas de partager l'adresse plutôt ? Les tonneaux ça se vide vite quand tout un équipage pioche dedans."

Et manquerait plus que l'Iceberg dépende du Liberty pour quoi que ce soit, fût-ce quelque chose d'aussi banalement trivial qu'un tonneau de rhum.

Il a un grand sourire très amusé. Presque carnassier.

- Providence. Tu trouveras le fournisseur à la taverne du port. La seule qui compte. dit-il tranquillement.

Tout le monde n'accède pas à Providence. C'est un port pirate mais il faut montrer patte blanche et une généralement une Flamme impressionnante ou des actes de bravoures sont nécessaires pour en obtenir la position.

- Je ne prends pas de commission. ajoute Conrad Enfin pas pour ton capitaine et son équipage en tout cas.

Passé l'instant de surprise, parce qu'elle s'attendait pas vraiment à cette réponse, elle sourit en écho, amusée aussi et pas franchement impressionnée. Pas fou le gars, il doit savoir d'une façon ou d'une autre qu'ils y ont pas accès. En tout cas ce qui est sûr, c'est qu'ils y sont jamais allés depuis qu'elle est à bord.

"C'est noté, j'irai faire un brin de causette à la prochaine occasion." elle répond quand même dans son sourire.

Après tout, ça dit pas pour quand c'est prévu, hein ?

"C'est gentil, j'apprécie le geste." Mais. Parce qu'il y a toujours un mais. "Ca sera pas possible pour cette fois-ci malheureusement. Une prochaine fois, capitaine ?"

Même si le bonhomme a pas l'air de la reluquer plus que ça depuis qu'elle s'est assise à sa table, son adorable petit sourire devrait aider à faire passer l'absence d'explication.

C'est quoi le problème ? répond Conrad à nouveau mécontent. Sourire ou pas ça ne le touche pas. Elle vient de refuser un geste sans même se fendre d'une explication. C'est pas simple de récupérer ce rhum et ça va lui manquer ce tonneau. Tu as peur que j'empoisonne ton tonneau ? Où ce qui provient de mon navire n'est pas assez bien pour le tien ? Parce que le brin de causette c'est pas pour tout de suite.

Oh, mais qu'il est susceptible celui-là... Elle garde son sourire, le temps qu'il ait fini de grogner.

"Aucun problème."

Puis le sérieux, à nouveau, lentement. Pourquoi il faut toujours tout leur expliquer, aux gens, hein ?

"Je vois pas pourquoi vous iriez empoisonner quoi que ce soit." Ca, c'est fait. "Et ce qui vient du Liberty n'a aucune raison de pas être assez bien, pour le coup ça serait plutôt le contraire." Elle se penche légèrement sans le lâcher des yeux, parlant plus bas. "Votre offre est généreuse, mais en tant qu'intendant je peux difficilement accepter. Plusieurs raisons. La première, c'est que j'ai des priorités à assurer et qu'un supplément d'alcool pour l'équipage n'en fait pas partie. Il est très bon, il est produit sans le sang des miens et ça le rend encore meilleur, mais ça reste du confort. La deuxième, c'est que le Liberty est pas un cargo et que j'trouve ça pas correct de taper dans vos réserves. Même si c'est vous qui proposez." Elle joint doucement les mains devant elle, contre la table. "La troisième, c'est que là tout de suite j'ai aucune idée d'une réciproque."

Tout le long de son monologue, elle a gardé un ton calme mais ferme, et les yeux dans les siens.

"J'apprécie votre offre, vraiment, et je respecte profondément le Liberty."

Le pire c'est que c'est vrai. Elle aurait mieux fait de donner le message du capitaine de Nieves tout de suite et de se casser, au lieu d'essayer d'être diplomate.

Conrad lève les yeux au ciel et lâche l'affaire. Si on ne veut pas de ses cadeaux d'autres se feront un plaisir de les recevoir. Il a toujours trouvé ça malpoli de refuser un geste de ce genre qui n'engage à rien.

- Tu est parfaite pour ton capitaine. Tout aussi dans le calcul et la complication. Rien de spontané. Tant pis pour votre équipage alors. décide finalement Conrad.

Il prend sa flasque et boit de son précieux rhum. Il vient de trouver ce qu'il n'aimait pas dans l'équipage de l'Iceberg. Le manque de spontanéité. Certainement qu'en interne les choses sont différentes sinon Valmont supporterait pas. Mais vis-à-vis de l'extérieur c'est lourd. Certes il reste un capitaine des plus appréciables pour faire des raids en commun... sans doute que c'est même une qualité pour cette partie de leur association, on sait qu'il ne fera pas n'importe quoi. Mais diantre qu'il a l'impression permanente de devoir marcher sur des œufs et réfléchir à tout ce qu'il dit et fait quand il est en présence du capitaine ou d'un membre de son équipage. C'est pesant en fait. Il déteste ça, que les choses soient oppressantes comme ça quand il est à terre.

- Ton capitaine t'a envoyé pour quelque chose en particulier j'imagine. Maintenant que les politesses sont terminées autant entrer dans le vif du sujet. dit finalement Conrad.

C'est aussi bien, parce que spontanément là Seik'el a l'impression qu'il les insulte, spontanément son regard s'assombrit de menace, et spontanément, si c'était pas un capitaine entouré de son équipage et qu'elle était pas là pour autre chose, elle lui ferait bien rentrer ça dans la gorge. Tout de suite. Elle inspire lentement, une fois de plus.

"A chacun sa façon de faire, capitaine Stackborn. Ca fait partie des joies de la piraterie." elle répond donc d'une voix très neutre. Si lui préfère prendre la mouche dès qu'on lui dit pas ce qu'il veut entendre, c'est ses oignons. "C'est mon travail de calculer, je vais prendre ça comme un compliment."

Et faire semblant d'oublier le reste. Visiblement il a lu dans ses pensées et cherche à abréger. Elle prend une gorgée de son mojito chai, et ne sourit pas en reprenant la parole.

"Le capitaine de Nieves vous a trouvé un régulateur photonique modèle 4B au standard UC. Payé sur ses fonds propres. Il vous attend."

Confiante dans le fait qu'on la surveille et qu'on hésitera pas à l'abîmer si elle approche trop la main de ses armes, elle décroche doucement un petit étui de cuir et le pousse vers son hôte. A l'intérieur, un mot du fournisseur attestant que Stackborn n'a plus qu'à se faire livrer la pièce en temps voulu. Là, s'il refuse, en plus d'insulter la messagère et le vaisseau il insulte le capitaine, et avec Seik'el c'est pas une bonne idée.

Il sourit en entendant ce que lui apporte l'intendante. Son chef mécanicien va être aux anges. Il récupère le petit mot et le lit tranquillement.

- Ça c'est une bonne nouvelle. Mais il faut m'expliquer parce que je ne comprends pas. Le capitaine de Nieves me trouve la pièce que je cherchais, et tu me dis qu'elle est payée sur ses fonds propres. Je prends sa comme un geste fort sympathique de sa part. Mais profiter d'un tonneau de mon meilleur rhum ce n'est pas possible ? Je comprends pas ta façon de fonctionner. dit Conrad toujours direct.

Il attend une explication parce que là il est un peu perdu par le comportement de la femme en face de lui.

Bon, il l'envoie pas paître. C'est bien. Seik'el se détend légèrement. Mais évidemment ça pouvait pas être aussi simple, et il pose encore des questions. Elle prend une nouvelle gorgée de son cocktail, cherchant le goût du thé et des épices entre le rhum, la menthe et le citron vert.

"Le capitaine de Nieves gère ses fonds, je gère ceux de l'Iceberg." C'est pourtant pas compliqué à comprendre. "Je vous ai déjà donné mes raisons." Qui soit dit en passant le regardaient pas. "A moins que j'aie mal compris et que votre offre concernait pas l'équipage..."

Ca réglerait pas toutes les réticences qu'elle avait énoncées, mais dans ce cas d'autres fonds seraient engagés, d'autres liens, d'autres responsabilités. Elle doute que l'offre concerne quelqu'un d'autre que l'équipage cela dit, parce que franchement elle voit pas ce qu'elle, ou même le capitaine, feraient d'un tonneau.