Eyes of fury [w/Jezabel Alvarez]

Le discours de la capitaine terminé, chacun est retourné à son poste suivant les ordres. Le regard concerné de Jillian ne laisse pas d’échappatoire à sa mère, elle lui fait comprendre qu’elle a besoin de lui parler. Elle ne compte pas faire un scandale devant les autres, ce n’est pas le moment alors elle marche toute les deux silencieusement jusqu’au quartier de Jezabel. Le trajet semble long, plus long que d’habitude et le silence entre les deux femmes est pesant. La jeune Alvarez ne sait pas quoi penser de sa mère dernièrement, d’ailleurs, elle essaie de penser le moins possible et d’agir autant qu’elle peut, car les derniers évènements pourraient la tirer à nouveau la tirer dans la tristesse et la torpeur. Actuellement, la blonde pense à tout ce qu'elle pourrait dire à son aîné : lui demander pourquoi elle ne l'a pas prévenu de sa décision, lui parler du fait qu'elles ne se sont quasiment pas parlé depuis l'évènement terrible qui est advenu, parler de la mort des officiers et de son ressenti et aussi et surtout lui parler du fait qu'elle n'approuve pas le fait qu'elle se plonge dans l'alcool.

C’est Jillian qui pousse la porte, la passe en premier et fait quelques pas dans la pièce en attendant que Jezabel la referme derrière elles. La fille se tourne ensuite vers sa mère, pose un regard très dur sur elle et prend une longue inspiration.

- Je... Commence-t-elle avant de s'interrompre d'un grognement d'exaspération, ne sachant pas réellement par où commencer. Pourquoi ?! Pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ?

Tout son corps exulte la frustration, la colère, la tristesse accumulées des derniers jours. Elle ne peut s'empêcher de marcher de gauche à droite en faisant de grand geste pendant qu'elle parle.

- Je comprends ta décision et je ne refuse pas ! De toute façon, je ne pourrais pas vraiment maintenant ! Mais j'aurais au moins aimé avoir mon mot à dire !

Je demeure silencieuse. Je suis d'un calme absolu. Mon visage ne laisse nullement transparaître la moindre de mes émotions. Suis-je seulement capable d'éprouver encore quoi que ce soit? Jillian m'accompagne, silencieuse également. Elle entre dans mon bureau la première. Je la suis, et clos la porte à double tours. Je ne souhaite guère être dérangée. Puis, d'un pas lent, je me dirige en direction d'une commode en bois, accolée à l'immense vitre qui offre une vue imprenable sur l'espace intersidéral. J'ouvre la porte du meuble, elle aussi fermée à clé. J'en sors une bouteille de whisky. Je prends également deux verres ainsi qu'une bouteille d'eau, tandis que j'écoute Jillian me parler. Dans un premier temps, je ne lui réponds nullement, occupée à disposer nos verres sur la table entourée de deux fauteuils, légèrement en retrait de mon espace de travail. Je les remplis tous les deux : d'un doigt pour celui de ma fille, et à ras-bord pour le mien. Puis, je rebouche la bouteille que je dépose, à son tour, sur la table. Une fois mon verre à la main, je m'installe confortablement dans mon fauteuil, les jambes croisées.

- Assieds-toi, je t'en prie.

Je bois une première gorgée du liquide ambré.

- Nous en avions parlé, en réalité. Je t'ai explicitement déclaré que je te songeais prête à entamer ton apprentissage en tant que future capitaine. Je n'avais point prévu que tu sois un jour officiellement ma seconde, mais il semble que le destin en a décidé autrement.

La jeune femme suit d'un regard désemparé le parcours de sa mère à travers la pièce et ne peut s'empêcher de ressentir une pointe de colère montée lorsque celle-ci remplit un verre entier d'alcool. Elle s'approche rapidement du bureau en écoutant la réponse et s'assoit toujours prise de la même émotion. D'une main leste elle écarte le verre, la blonde a retenu des histoires sur sa grand-mère que l'alcool est un dangereux poison et ne compte pas en consommer dans ce genre de circonstance. Son regard ne quitte pas le verre de Jezabel alors que celle-ci commence à boire.

- Nous en avions peut-être parlé, mais j'aurais aimé être consulté au moment venu. commence-t-elle, les yeux toujours sur le verre. Je suis une adulte maintenant et j'aimerais avoir mon mot à dire dans les décisions importantes qui me concernent.

Jillian se penche et attrape la bouteille dos avant de se rétablir nonchalamment dans le fauteuil. Difficile de nier, aussi, que le choix a ravivé ses quelques doutes. Elle n'est toujours pas sûre d'avoir l'étoffe d'une seconde et encore moins d'une capitaine du Némésis. Après tout, elle ne dégage pas l'aura de sa mère qui impose la crainte et le respect à chaque pirate. En réalité, elle n'est même pas certaine de vouloir dégager ce genre d'image, ni de vouloir être capitaine.

- Je... Je voulais te parler... balbutie-t-elle, pas tout à fait certaine que le moment soit bien choisit pour lui parler de ses réserves sur son mode de vie.

Les jérémiades de ma fille m'agacent, il me faut bien l'avouer. Que se serait-il produit si j'avais discuté ainsi les décisions de ma propre mère ? Un léger frisson me parcourt l'échine lorsque je songe à cela. Cependant, je ne suis point ma mère, et j'ai toujours fait en sorte de m'écarter des travers qui ont été les siens. Peut-être aurais-je dû élever mes enfants différemment. Cela aurait certainement éviter beaucoup de désagréments.

- J'ai eu énormément à faire, ces derniers jours, Jillian. Loin de moi l'idée de me lamenter ; cependant, s'il m'avait été donné d'agir autrement, sache que je l'aurais fait. Et puis, estime toi heureuse ; désormais tu auras toujours ton mot à dire, puisque tu es ma seconde. Quoi qu'il en soit, tu l'aurais été officieusement.

J'hausse les épaules et vide mon verre d'un coup sec. Je reprends ensuite la bouteille, et rempli une nouvelle fois mon verre. La douleur dans ma poitrine persiste. Je lève à peine mon regard en direction de ma fille lorsqu'elle m'annonce qu'elle souhaite me parler.

- Eh bien, tu es en train de le faire, me semble-t-il. Je t'écoute.

Je bois une nouvelle gorgée de ma boisson tout en observant Jillian. J'ignore de quoi elle souhaite me faire part. De ses doutes quant à ses capacités à devenir capitaine ? Ridicule. De ses appréhensions, de sa peine ? Qu'y puis-je ?

Ses yeux, dans lesquels la colère est de plus en plus visible, ne lâchent toujours pas le verre de whisky, elle ne veut même pas regarder sa mère directement.

- Je ne supporte pas que tu boives autant. laisse-t-elle échapper, pour lâcher un peu de leste avant d'exploser de fureur.

Les doutes attendront, sa mère a besoin d'entendre ces vérités-là. Elle se penche et tapote sur la table.

- Pose ton verre s'il te plaît. reprend-elle d'une voix presque suppliante. C'est toi qui m'as toujours dis que l'alcool est dangereux et peu faire sombrer même le meilleur des capitaines. Je... Je ne veux pas te perdre comme ça.

Elle marque une pause et songe aux dernières semaines et à la distance insurmontable qui semblait s'être installé entre elle. La jeune Alvarez aimerait combler le vide malgré toute cette colère qui gronde en elle actuelle. Son expression se veut plus douce, un peu triste aussi.

- Je n'aime pas cette distance qu'il y a entre nous depuis l'accident. Je... Beaucoup sont morts, mais je suis encore là, moi. Je ne sais pas quoi faire mama...

La tristesse prend progressivement le dessus, éteignant les flammes de son énervement de tantôt. Des larmes naissent aux creux de ses paupières.

- Moi aussi, j'ai perdu des gens que j'aimais...

Lorsque ses paroles résonnent, je suis à nouveau en train de porter mon verre à mes lèvres. Je stoppe mon mouvement en pleine course, hésitante. J'entends sa peine et je comprends mieux que personne ce qu'elle ressent. J'abaisse lentement ma main, sans pour autant lâcher mon verre. Mes doigts sont crispés autour, si fort qu'ils me font mal. Je le maintiens en équilibre sur mon genoux, sans quitter ma fille du regard. Je soupire. Je m'adoucis, non sans qu'un abattement profond vienne poindre dans mon regard demeuré plus froid que la glace, ces derniers jours.

-Je suis sincèrement désolée que tout cela t'atteigne autant, ma chérie.

Mes épaules s'affaissent un moment, et la douleur dans ma poitrine se fait plus vive. Je clos mes paupières un instant. Lorsque je les rouvre, je suis parvenue à contenir mon désir d'hurler ma peine, et je me redresse. Demeure droite et fière en toutes circonstances, Jezabel.

-Je te fais la promesse que tout va bien aller. J'ai...

J'observe le verre dans ma main.

- J'ai seulement besoin...

J'ai seulement besoin d'étouffer tout ce que je peux ressentir; j'ai besoin que la douleur dans ma poitrine se taise; j'ai besoin d'oublier pour demeurer droite et fière; j'ai besoin de cette force-ci pour poursuivre ma progression. Je balaie tout cela d'un geste de la main.

-Qu'importe. Je suis capitaine de ce vaisseau, Jillian, et mère de trois enfants qui ont besoin de moi. Tu n'as effectivement point à faire les frais de tout cela. Pardonne-moi.

Les émotions qui passent sur le visage de Jezabel font couler une larme sur la joue de Jillian. Elle se demande depuis combien de temps sa mère maintient ces émotions sous la surface, ignorant la peine et la douleur. Ses expressions en disent et en diront toujours plus que ses mots pour la jeune femme qui porte maintenant toute son attention sur son aînée.

C'est d'un air déterminé qu'elle se lève, fait le tour du bureau et pose doucement ses doigts autour de la main qui tient le verre. Elle exerce une douce pression pour encourager, aider la capitaine du Némésis à écarter le verre et le poser sur le bureau. Leurs deux regards tristes se croisent et celui de Jillian ne renvoie que la détermination à épauler celle qui a toujours été là pour elle. Elle fait un autre pas et entoure les épaules de Jezabel de son bras, se baissant pour poser sa tête contre son épaule.

- Tu as le droit de souffrir aussi... commence-t-elle dans un sanglot. Mais je suis là... Tu... Tu n'as pas à souffrir seule mama...

Toute trace de sa colère de tantôt semble avoir disparu maintenant pour le moment, laissant place à une tristesse mutuelle. Mais soudain quelque chose la frappe lorsqu'elle pense à la dernière phrase prononcée par Jezabel.

- ... Trois enfants ?

Je ne résiste nullement lorsque ma Jillian guide ma main jusqu'à la table afin que je dépose le verre. Je ne sais que trop bien qu'il me faut boire davantage ; pour autant, j'accueille ma fille contre moi, lui offrant un pauvre sourire.

-Non, chérie. Je n'en ai point le droit.

Je murmure ces mots si bas que je doute qu'elle les ai réellement entendus, malgré notre proximité. Il s'agit d'une terrible constatation, pourtant belle et bien véridique. Je suis la Capitaine du Némésis, Héritière d'Erszébeth Alvarez. Je me dois de demeurer à sa hauteur en toutes circonstances. Cependant, je me fige à l'entente de ses mots. Trois enfants ? Ai-je dit cela ? Ma main se crispe très légèrement sur l'épaule de ma fille, et je demeure muette durant de longues secondes. Sans doute suis-je en train d'essayer de rassembler mes esprits.

-Je... Oui. Trois enfants. Jayn, Jaeven et toi. Cela fait bien trois, n'est-ce pas ?

Me voilà soudainement confuse. Jillian sait qu'elle a eu une grande sœur, certes. En revanche, elle ne sait point qu'elle a survécu. En tous les cas, je n'ai aucun souvenir d'avoir eu une discussion à ce propos en sa compagnie. Je suis si profondément désorienté en cet instant qu'elle pourrait tout aussi bien songer que j'ai simplement oublié que ma fille aînée était décédé. Ou peut-être comprendra-t-elle que, malgré sa disparition, je n'ai jamais cessé de me sentir mère pour cette enfant disparue ? Oh, maman, pourquoi nous as-tu fait cela ?

Elle ne lui répondra pas sur le fait qu'elle n'a pas le droit de souffrir, car elle sait qu'il est bien inutile de débattre avec la grande Jezabel Alvarez sur ce sujet, mamie lui a inculqué trop profondément ce précepte et elle ne se sent pas prête à lui tenir tête sur le sujet. La jeune Alvarez sait qu'en étant une bonne seconde et une fille impeccable elle pourra au moins retirer une partie de la peine de sa mère et si ça l'empêche de vider quelques bouteilles, c'est déjà ça.

Le silence est pesant. Durant ces quelques instants, des dizaines d'images et de pensées traversent l'esprit de Jillian. Jayn serait-elle vivante ? Ou bien, l'ivresse de sa mère l'aurait trompée sur le sujet ? Non elle doit simplement considérer Jayn à cause de l'attachement qu'elle a toujours eu à cette idée et l'alcool amplifie cela. Néanmoins, Jillian sent quelque chose d'étrange dans le silence de sa Jezabel.

Oui... mais... Jayn est... est... morte mama... ose-t-elle en reculant sa tête de l'épaule de sa génitrice, cherchant son regard pour essayer d'y trouver une réponse. Non ?

Mon corps tout entier se crispe dangereusement. Me voilà tout à fait incapable de soutenir le regard si beau de ma fille. Je n'ai jamais été une menteuse - et ne le serais probablement jamais. Il est en tous les cas hors de question que j'initie cette pratique malsaine ici et maintenant, avec ma Jillian, qui plus est. Cependant, je suis incapable de prononcer le moindre mot. Je demeure bouche bée un instant ; mes lèvres s'entrouvrent finalement, sans que le moindre son n'en sorte. Mes épaules s'affaissent encore, mes paupières se closent et je soupire. Comment est-il possible qu'elle détruise si facilement toutes mes défenses, aujourd'hui ? Seigneur, maman se retournerait certainement dans sa tombe, si elle était enterrée.

- Je le croyais, oui, soufflé-je.

Mon cœur se serre, à l'instar de mes poings. Il me faut faire un effort conséquent pour maîtriser les sanglots qui menacent de poindre - sans jamais parvenir à percer ma poitrine. Je prends le temps qu'il incombe pour m'assurer que je ne faillirai point ; puis, je rouvre les yeux afin de planter mon regard dur, froid et empli de détermination, dans celui de ma fille cadette.

- Pourtant, ce n'est point le cas, Jillian. Jayn est... Jayn a survécu.

Chacun de ses muscles se contracte pendant ce qui semble être l'éternité du silence et des différentes expressions de sa mère. Le mouvement de recul qu'elle initie est un réflexe, son souffle est court et elle ne veut plus la regarder dans les yeux. Le flux d'émotions qui la traverse est indescriptible, pire tout ce qu'elle a ressenti jusqu'ici si on oublie la tentative d'assassinat.

- Comment... ? Depuis quand... ?

L'adolescente n'a pas besoin d'explication pour comprendre ce qu'il se passe. Elle n'en veut pas d'ailleurs d'autre que de savoir comment elle a appris et où est sa sœur. Parce qu'elle sait déjà, quoi qu'il arrive, ce que sa mère a fait une fois de plus.

- Non... Non non non non... Tu m'as encore caché une vérité... J'arrive pas... Et la fureur de retour dans son regard est accompagnée des larmes qui coulent en abondance. J'arrive pas à croire qu'après tout ça, tu arrives encore à me mentir sur des choses aussi importantes ! Je...

Ses paroles sont coupées par son souffle haletant et un poid dans sa poitrine. Elle y porte sa main et essaie de calmer la crise qui commence. Cela faisait si longtemps qu'elle n'en avait pas fait.

Lorsque Jillian se redresse vivement et me noie sous les accusations, je sens une rage incommensurable m'envahir. Je me lève à mon tour, le regard brûlant, et je m'approche d'elle, l'obligeant à me regarder dans les yeux.

- Comment oses-tu, Jillian ?! Comment oses-tu me traiter de la sorte ?! Je ne t'ai jamais menti, jamais, tu entends ?!

De ma main libre, je me pince l'arrête du nez. Une vive douleur pulse dans mon crâne. Des envies meurtrières gonflent dans ma poitrine. Si elle n'était pas ma fille, je... Oh Seigneur. Je respire et tente de calmer la violence en moi. Lorsque je rouvre à nouveau les paupières, je suis plus calme, mais il n'y a pas une once de tendresse dans mon regard - en revanche, la main qui maintient son visage le fait avec une douceur infinie.

- Si tu désires que nous en parlions, nous le ferons. Mais comporte toi comme une adulte responsable, Jillian. Cesse de faire l'enfant. Et par pitié cesse de dramatiser le moindre de mes faits et gestes. Tu finiras par avoir ma peau, si tu continues de la sorte.

Je la lâche sans aucune brusquerie, retourne en direction de mon bureau, et vide le verre abandonné. Je respire profondément afin de chasser la rage intense qui fait trembler tout mon être, et je m'appuie sur le meuble pour éviter la chute.

Jillian est effrayé un instant par la présence de sa mère. Incertaine de la colère qu'elle ressent. C'est la première fois que Jezabel réagit avec autant de virulence face à sa fille. La crainte suffit à taire partiellement sa propre furie. Elle se laisse relâcher et tourne son regard vers le sol.

- Il n'y a pas de différence entre mentir et cacher la vérité, mama. murmure-t-elle, suffisamment fort pour qu'elle l'entende. Je sais que tu penses à me protéger mais je ne vois honnêtement pas pourquoi tu ne m'as pas dis que Jayn est encore en vie.

Sa main passe le long de sa mâchoire alors qu'elle capte sa mère finissant son verre à la limite de sa vision. Elle parvient tout juste à résister à la tentation d'exprimer son exaspération une fois de plus. La situation semble sans espoir.

- Si tu veux que je me comporte comme une adulte responsable commence à me traiter comme tel. Tu dis toujours vouloir me former à être capitaine à ta place alors arrête de retenir tes coups avec moi. souffle-t-elle, suivie d'une longue expiration. Ses yeux sont secs, il ne semble plus y avoir assez de larmes dans son corps. Parlons-en alors.

La jeune femme se remet droite et redresse le menton, imitant inconsciemment sa mère et retour s'asseoir docilement de l'autre coté du bureau.

Un rictus déforme un instant mon visage.

- Je possède tout un vaisseau sous ma responsabilité, Jillian. Le temps me manque souvent, et je suis profondément désolée que tu en fasses les frais. Il ne s'agit point du genre de conversation qu'il me semble acceptable d'avoir au détour d'un couloir. Je sais ne point être parfaite, mais j'agis au mieux. Je te prierai de ne pas oublier que je suis humaine, moi aussi.

Je soupire. Il me faut un instant afin de faire suffisamment taire ma colère pour que je puisse m'exprimer convenablement, et demeurer digne. Finalement, je prends place sur mon fauteuil. Je prends tout à fait le temps de croiser mes jambes avant de plonger mon regard dans celui de ma fille.

- Soit. A partir d'aujourd'hui, je te traiterai uniquement comme une adulte, et je cesserai de retenir mes coups, Jillian. Si tu ignores pourquoi je n'ai point souhaiter t'en parler plus tôt, eh bien, tu vas le comprendre, désormais.

Mon visage est sévère. Je ne suis plus mère, mais Capitaine.

- Le jour où feu ta grand-mère a été arrêtée a également été le jour où j'ai su que Jayn avait survécu à l'accouchement. Cependant, j'ai longtemps songé qu'elle avait péri dans un incendie, par la suite. Je l'ai cherchée dans l'univers tout entier ; j'ai engagé les meilleurs services de renseignement, et ta tante m'y a aidée également. J'avais également confié ces recherches à Azel Jones, notre hackeuse en chef. Nous n'avons cependant rien trouvé.

Son visage est affable et elle écoute simplement avec attention. Acquiesçant de temps à autre d'un hochement de la tête. Elle sait que le débat est terminé, car sa mère ne cédera pas plus de terrain. Si elle est humaine, elle aurait bien le droit de ressentir la peine elle aussi. Jillian n'est même pas heureuse d'entendre enfin qu'elle sera considérée comme une adulte, elle aurait préféré l'entendre dans d'autres circonstances. Son esprit ne peut pas chasser la question. Pourquoi ne pas lui en avoir attendu pour lui en parler ?

L'adolescente se souvient de la hackeuse du Némésis. Celle-ci était distante et un peu froide avec elle. Elle ne l'a pas revu depuis qu'elle est revenue à bord du vaisseau, peut-être a-t-elle quitté les rangs du Némésis entre temps.

Son regard se bouleverse peu à peu, au fur et à mesure du récit de sa mère, mais elle reste silencieuse.

Puisqu'elle se tait, m'écoutant avec attention, je poursuis mon récit.

-Lorsque l'on a tenté de t'assassiner, j'ai cessé toutes les recherches concernant ta sœur afin de me consacrer sur toi et ta sécurité. Avec l'aide de ta tante et de ses réseaux d'informations, nous avons tout essayé afin de retrouver le coupable. Cependant, il est demeuré tout à fait invisible. Jusqu'à la naissance de ton jeune frère; l'accouchement a été rude. J'ai tâché de masquer ma grossesse, ou de me faire discrète afin que l'odieuse créature coupable de la tentative d'assassinat à ton encontre n'ait point l'idée de vouloir s'en prendre à un être pas même né, ou bien à un nourrisson. Il s'agit également d'une des raisons qui m'a convaincue de faire reconnaître sa paternité à Enguerrand.

Je me tais un court instant, détournant le regard une première fois.

-Toute ma grossesse durant, j'ai envisagé de me séparer de Jaeven une fois né, afin qu'il soit en sécurité. Cependant, je n'aurais jamais su m'y résoudre. J'aime mes enfants plus que tout au monde. Et ce jour-ci, lorsque j'ai donné naissance à Jaeven, Azel Jones est venue me parler. Aussi mal en point étais-je, elle m'a défiée de la tuer, avant de m'avouer qui elle était. Azel Jones est Jayn Alvarez. Et elle a tenté de t'assassiner par jalousie, puisqu'elle est persuadée que je l'ai abandonné à la naissance, et que je la hais -au point même de l'avoir cherchée toutes ses années durant afin de lui ôter la vie.

Sa mine est déconfite, stupéfaite. La jeune femme ne semble pas réaliser ce que Jezabel est en train de lui annoncer. Les informations sont trop nombreuses et le choc probablement trop fort pour qu'elle puisse réagir instantanément, mais les informations tournent dans sa tête. Elle comprend mieux maintenant les réactions de sa mère. À l'époque, trop abattue pour avoir conscience de quoi que se soit elle n'y prêtait guère attention, mais maintenant la situation lui semble limpide.

- Je... J'ai chaud...

Elle attrape dans un premier temps la bouteille d'eau et commence à y boire à grande gorgée puis attrape le verre qu'elle avait écarté plus tôt et le boit d'une traite. Laissant la sensation brûlante de l'alcool frapper ses sens. L'histoire ne fait toujours pas plus de sens alors qu'elle repose le verre lentement sur le bureau.

- Azel Jones... est Jayn ? Répète-t-elle plusieurs fois l'abasourdissement encore lisible sur son visage.

Bien entendu, une fois toute la vérité révélée, le visage de Jillian affiche de l'étonnement et de l'incrédulité. Avant tout cela, jamais je n'aurais accepté de pouvoir parler ainsi à ma fille ; aujourd'hui, tout me semble profondément différent. Jillian a expressément fait la demande de ne plus être traitée comme une enfant, et il me semble qu'elle a parfaitement raison. En souhaitant aller à contre-courant de l'éducation que feu ma mère m'a offerte, sans doute ai-je été trop laxiste ; peut-être puis-je même m'accuser de n'avoir su donner les armes à mes enfants. Cette idée m'est insupportable. Quels que soient les débuts de reproches que mon esprit pourrait esquisser à l'encontre de maman, au moins ai-je su affronter l'Univers et ses déboires tout au long de mon existence. Je remplis une nouvelle fois nos deux verres.

- Il semblerait. Il est idiot de songer qu'elle fut sous notre nez tout ce temps, n'est-ce pas ? D'autant plus qu'elle ressemble follement à notre famille - et qu'elle possède le regard de son père. Est-ce que tu as des questions, peut-être ? Puisque tu désires tout savoir, eh bien tu sauras tout ; je te répondrai avec franchise. Tu devrais en profiter avant que je ne déclare que je suis lasse de tout ceci et que je ne possède plus la moindre envie de m'ouvrir.

Elle a demandé à être traitée comme une adulte, la voilà servie. Cependant, elle ne s'attendait pas à une telle vérité. Beaucoup de choses lui semblaient possibles, mais voir quelqu'un revenir d'entre les morts lui semblait en dehors de ce domaine. Beaucoup de choses lui semblaient possibles, mais voir quelqu'un revenir d'entre les morts lui semblait en dehors de ce domaine. Son regard suit le mouvement de Jezabel remplissant leurs verres.

- Où était-elle... Pendant toutes ces années ? Pourquoi croit-elle que tu l'as abandonnée... ? Ou même essayée de la tuer ? Articule-t-elle lentement, marquant une petite pause entre chaque question.

La jeune femme voudrait poser une autre question, hésite un instant, gardant le regard baissé et fuyant celui de sa mère.

Mama... Qu'est-ce qui se passera si nous la retrouvons ?

Je me fige à l'entente de ses questions ; elles sont légitimes, et je me demande comment il est seulement possible que l'alcool ait altéré à ce point mon bon sens. Je n'ai nulles envies de parler de tout cela. Cependant, j'y suis forcée. Je ne puis décemment entamer une démarche comme celle-ci - vouloir la traiter en adulte et lui offrir les vérités - si je ne vais point jusqu'au bout.

- Je l'ignore. Je sais quel a été confiée à une famille et que jamais personne ne lui a offert la vérité. Vérité que moi-même j'ai les plus grandes des difficultés à accepter, encore aujourd'hui. Je crois avoir compris que sa famille adoptive lui a offert un traitement abominable.

Ma voix se brise sur la fin de ma phrase. Je reprends néanmoins rapidement mes esprits.

- Elle croit que je suis la responsable de tout cela ; que je savais tout à fait qu'elle vivait encore, et que je la cherchais depuis toutes ses années uniquement pour m'assurer qu'elle était bel et bien morte.

Malgré ma maîtrise usuelle, je ne parviens point à contrôler les tremblements de ma voix. Cette situation me fait terriblement souffrir ; savoir que l'on a pu lui faire autant de mal me révulse. Je me tends lorsqu'elle me demande ce qui se passera si nous la retrouvons, et mon air s'assombrit davantage.

- Ta tante Hannabeth la cherche actuellement activement. La suite des évènements dépendra intégralement de ce qui découlera de ces retrouvailles.

Les paroles de Jezabel l'horrifient du plus profond de son être. Penser que quelqu'un de sa famille ait subi ce que Jayn a subi lui est intolérable et elle a bien du mal à contenir les vagues d'émotions qui la traversent. Sa respiration saccadée de plus en plus audible, réfrène des sanglots. Elle voudrait hurler que c'est injuste, a le sentiment d'avoir eu la vie que sa sœur n'a pas eu. Jillian reste encore silencieuse quelques instants et essuie les larmes qui naissent aux coins de ses yeux avant de relever la tête fièrement, droite comme sa mère. Une digne héritière de la famille Alvarez.

- J'espère que... Nous arriverons à la ramener vers nous... Promets-moi qu'on ne lui fera aucun mal... Elle a... Elle a déjà assez souffert, j'imagine. Avec le temps, elle verra la vérité, j'en suis sûr. Balbutie-t-elle, incertaine et se refusant à tenir tête à Jezabel à nouveau.

Sa main blanche et tremblante se pose sur la table, dans l'attente d'un contact rassurant, mais aussi pour lui apporter de l'affection, sensible aux souffrances que sa mère peut ressentir à cet instant.

Les paroles de Jillian me heurte profondément. Je ne puis contenir un très léger mouvement de recul, tandis qu'une douleur intense explose progressivement dans ma poitrine. Je demeure tout de même droite et fière, et j'essaie autant que faire se peut de ne point montrer à quel point ses mots ont pu être blessants. Cependant, je ne suis point certaine d'y parvenir aussi bien que je le voudrais.

- Seigneur, Jillian. Songes-tu réellement que je pourrais faire du mal à mes propres enfants ?

Mon regard ne quitte plus guère le sien, et je cherche au fond de ses yeux la réponse à ma question. Songe-t-elle réellement que je pourrais faire cela ? A sa sœur, à son frère ou à elle ? Est-ce donc l'image qu'elle garde de moi ? Ai-je été une mère si horrible que cela ? Ai-je fait subir à mes enfants ce que ma propre mère m'a faite subir ? Malgré tous mes efforts, je sais ne point être douée pour masquer mes émotions lorsqu'elles percent mes défenses. Une tristesse profonde m'envahit, et il me faut me lever pour ne point entièrement céder.

Je m'avance jusqu'à l'immense baie vitrée qui s'ouvre sur le vide, et je me tiens debout, dos à ma fille. Je suis toujours aussi fière, toujours aussi droite ; pour autant, j'ai la sensation que le gouffre béant m'aspire, et je n'ai plus que le berceau de mon fils à mes côtés auquel me raccrocher pour ne point sombrer.

L'adolescente n'a pas anticipé une telle réaction, elle réalise avoir mal pesé ses mots et créer un malentendu. Elle s'empresse immédiatement de le clarifier avant même que sa mère ne se lève.

- Non, non, non ! Bien sûr que non. Tu n'as toujours été qu'amour, douceur et protection. Pour moi, comme pour Jaeven. Je n'imagine pas que tu pourrais nous faire du mal.

Elle marque une pause, cherchant quelque peu ses mots cette fois.

- Et à ce titre, je sais l'énergie que tu es capable de déployer si l'une de nos deux vies est mise en danger. Et cela... Quelle que soit la personne qui la met en danger. C'est pour ça que je voulais que tu me promettes qu'on ne lui fera pas de mal. Même si elle tente à nouveau de s'en prendre à nous.

Des frissons parcourent sa nuque lorsqu'elle se tait, si la situation n'est pas clarifiée elle craint que sa mère ne se mette en colère à nouveau.

- Si c'est vraiment Jayn... Il faut la ramener avec douceur. Je... J'aimerais que se soit possible...

J'observe le vide qui s'étend devant moi en silence. Les mots de Jillian ne parviennent plus à me rassurer. Cependant, je tente de faire abstraction de cela. Qu'il est difficile parfois de ravaler sa douleur... Je ne me tourne pas face à elle lorsque je reprends la parole. Ma voix semble plus paisible, malgré la tempête qui fait rage à l'intérieur de moi. Sans doute me faut-il boire davantage...

- Quelle que soit la personne qui met en péril la vie des membres de ma famille... A l'exception de tous les membres qui composent ma dite-famille. Il s'agit certainement là d'une de mes failles les plus terribles. Je suis heureuse que ce souhait vienne de toi. J'aurais été bien incapable de prendre une décision si jamais tu avais souhaité être vengée.

Les larmes brillent dans mon regard, mais je souris désormais avec la plus grande des douceurs, tandis que je me tourne en direction de la cadette de mes filles.

- Je ne puis te promettre qu'elle reviendra. Ce choix lui appartient, et je ne la forcerai jamais à quoi que ce soit, à l'instar de ton frère et toi. En revanche, je te promets que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir afin que nous puissions un jour former une véritable famille. Je suis certaine que Jayn ne souhaitait point te faire du mal, et qu'elle sera ravie d'avoir une petite sœur et un petit frère, même s'il me faut me tenir à l'écart.

- Je ne souhaite pas être vengée... Je sais pas si je l'ai vraiment voulu même avant et son acte ne demande pas de vengeance, elle a agis en ignorant réellement l'amour que nous avons pour elle... De le savoir maintenant, me rend très triste et... Et je n'ai qu'une seule envie, c'est que nous fassions de notre mieux pour former une famille unie tous ensemble. Toi, Jayn, Jaeven, Tante Hanna et moi. Il n'y a rien de plus important à mes yeux.

Jillian franchit doucement les quelques pas qui la sépare de Jezabel tout en lui parlant sur un ton plus apaisée. Face à elle, elle passe ses bras autour de son corps et pose sa tête sur son épaule. Je t'aime, maman.