Étouffant. [Jez]

Oui. C'est exactement ça : étouffant.

Tortuga n'est pas ton endroit favoris, quand bien même ça serait potentiellement le plus sécuritaire pour les pirates. Trop de pirates, c'est peut-être comme pas assez, l'ambiance est vite explosive, bruyante, violente.

Bref, tout ce qu'il faut pour te faire perdre deux tons de peau et que tu te fasses toute petite. Et tes dernières aventures n'ont pas aidé à aller dans un autre sens. Certes, tu tiens à apprendre à te défendre pour qu'ça n'arrive plus, mais en attendant, hypothéquée d'un bras, ton quotidien est un brin difficile. Au moins, ton bras est bien immobilisé, fixé contre toi et ne te fait plus mal.

Tu fais une petite moue sur le verre devant toi, t'es pas encore certaine d'aimer beaucoup la bière, mais t'as accepté d'accompagner un groupe de l'Albatros pour te changer d'air. Ils commencent à être bien réchauffé et toi, bien lasse. Tu prends une autre gorgée, pousse le verre vers le centre de la table - tu doutes même pas que quelqu'un va le prendre- et te lève en leur annonçant que tu vas te coucher. Des "bonne nuit !" te répondent, tu leur souris, puis file hors de la taverne pour te retrouver dans une rue... Trop animé.

T'as un temps d'arrêt alors que tu regardes ce bordel. Plus loin, quelques hommes se battent, à droite un homme semble sur le point de ramener une conquête, là-bas, ça gueule des chansons paillardes. Un type te bouscule, te jetant un coup d'œil qui te fait passer un sale frisson, tant il te ramène à Hope, une femme l'apostrophe durement dans un parlé vulgaire, crinière noire au vent.

Tu agrandis les yeux, étouffes un couinement effaré avant de te reculer net pour rentrer dans un type qui se gêne pas pour te repousser avec un juron. Tu comprends vaguement que t'as renversé sa bière, mais pas le temps de t'excuser et de filer, tu viens d’atterrir au milieu de la bagarre, évitant par réflexe et de justesse un coup qui t'aurais probablement démit la mâchoire...

- PUTAIN ! DÉGAGE LA GOSSE !!! TU GÊNES !!!

La seconde d'après, tu es poussé à nouveau, atterrit sur le pavé avec un son étouffé, complètement paniqué, et cherches aussi vite à te relever, ce qui t'amènes plutôt à trébucher et heurter une nouvelle personne. Tu t'accroches, tremblante, avant de réaliser et de reculer un peu, chancelante, la tête rentrée dans les épaules, balbutiant des excuses qui peine à s'échapper de tes lèvres, les larmes aux yeux.

Tortuga. Il est intéressant de constater ô combien je puis aimer et détester cet endroit en un ensemble presque parfait. Les rues bondées et les odeurs écœurantes qui s'en dégagent non de cesse de m'incommoder. Si j'avais la patience de contourner tout ce mélange chaotique de sueur et d'alcool, il ne fait nul doute que je le ferai. Cependant, je peine à me remettre des dernières semaines, et il court le bruit qu'il vaut mieux ne point m'importuner ces temps-ci. Quelques murmures naissent sur mon passage, mais la plupart de ces gens sont trop ivres pour se rendre compte de ma présence.

J'entends des éclats de voix autour de moi, et ne réalise qu'à peine que l'on me bouscule et que l'on me tire. Je me tourne afin de dévisager mon assaillant, dans l'optique lui offrir une remarque cinglante qui lui passera l'envie de recommencer telle idiotie pour le restant de ses jours. Cependant, je tombe face à une jeune fille de l'âge de Jillian, et dont la chevelure colorée ne m'est point inconnue. Elle semble en proie à la panique, et je remarque son bras blessé. Je m'approche d'elle et pose une main légère sur son épaule.

- Est-ce que tout va bien, Mademoiselle ? Venez, venez avec moi. Ne restons point ici. Ces animaux ne savent décemment pas se tenir.

J'exerce une légère pression sur son épaule pour la pousser à avancer, tout en faisant rempart de mon corps, prête à dégainer mon épée d'un instant à l'autre.

On ne te beugle pas à nouveau dessus. T'en est presque prise au dépourvu, tressaillant par contre vivement quand une main pourtant légère se pose sur ton épaule. Tu lèves un regard embué sur la dame... Les agrandit à nouveau alors qu'un mélange de soulagement et d'embarras extrême te prend. Impossible de ne pas reconnaître cette femme que tu as déjà vue plusieurs fois de loin. Jezabel Alvarez, la grande sœur de ta Capitaine-Tornade.

Tu déglutis, avant de hocher doucement de la tête pour ensuite avancer, te laissant guider et surtout protéger par la femme exceptionnelle qui se tient derrière toi. Autant dire que plus personne ne se prendrait à la connerie de t'hurler dessus, ainsi accompagné. Tu essuies les coins de tes yeux avec bords de ta manche, inspires.

T'as l'impression des enchaîner en ce moment, t'es pas juste capable de te défendre toute seule ? Calypso, personne ne t'a attaqué en tant que tel, on t'as juste viré d'entre les pattes parce que tu gênais.

C'est exactement ça. Tu gênes.

Je lance un regard assassin à tous ceux qui osent tourner leurs visages hagards en notre direction. Les hommes et les femmes s'écartent légèrement sur notre passage. Ils savent tous qu'il n'est nullement dans leur intérêt de tenter quoi que ce soit contre moi, et la jeune fille qui m'accompagne. Lorsque les chemins deviennent plus large pour nous, ma main se retire de l'épaule de la demoiselle, afin d'effleurer son dos, toujours dans le but d'accompagner sa progression et de lui offrir une protection dont elle semble avoir grand besoin. Finalement, nous arrivons sur une ruelle plus jolie et aérée que les autres, et également presque vide.

- Est-ce que vous avez envie de m'accompagner pour déguster une boisson chaude, Mademoiselle ? Vous n'êtes pas dans l'obligation d'accepter, bien entendu. Cependant, je songe que cela pourrait vous faire le plus grand bien.

Je lui offre un sourire empli de douceur et de bienveillance.

On s'écarte sur votre chemin et ça te fais du bien. Juste que personne ne te touche et qu'on regarde pas ta petite mine de trop près. T'as envie de dire à la dame de laisser faire, t'excuser de l'embêter. Et vaguement courir jusqu'à l'Albatros, mais sa proposition te prend au dépourvu et après quelques secondes, tu hoches doucement la tête.

- Je...

Tu t'étouffes presque sur ta pathétique tentative pour parler... Tousses un peu, les joues rougies de gêne.

- M... Merci. J'voulais pas vous déranger. Ou vous percuter. Vous êtes pas obligé, non plus, vous deviez avoir affaire à faire.

- Si vous me dérangiez, vous ne seriez pas ici avec moi. Je ne suis point femme à prendre en pitié le premier venu - ni même le dernier venu. De plus, sachez que je ne me sens jamais obligée de rien, Mademoiselle. Là réside tout l'avantage d'avoir du pouvoir, n'est-ce pas. J'allais déguster cette boisson chaude avec ou sans vous. Cependant, j'ai ouï dire que cela est meilleur lorsque l'on est accompagnés.

Mon ton est léger. Inutile de rajouter de l'inquiétude à cette jeune fille. Il me semble qu'elle s'accable fort bien seule.

- Alors respirez, je vous prie. Je ne voudrais pas que vous vous évanouissiez. Je suis excellente lors des combats, mais je suis en revanche très mauvaise pour porter secours.

Je continue à progresser, en direction d'une adresse tranquille - l'un des rares joyaux que l'on trouve sans avoir à aller trop avant dans Tortuga.

Ses paroles et son ton léger grignotent une partie de ta gêne et de ton inquiétude. Tu déglutis et finis par accepter, c'est que tu ne cracherais pas sur la possibilité d'avoir un chocolat chaud entre les doigts.

- D... D'accord. Merci beaucoup. Pour là-bas et maintenant.

Tu te mordilles, l'accompagnant sans trop savoir où elle te guide, mais elle t'inspire confiance et après quelques pas, tu réalises que tu t'es pas présenté.

- J'm'appelle Ren'anwë. Enchanté.

Et tu es sincère. Vraiment très enchanté, autant parce qu'elle est la sœur d'Hannabeth, mais aussi parce qu'elle t'a sortie de cette ruelle et que tu lui en est fort reconnaissante.

Lorsqu'elle m'offre son identité, mon visage s'illumine encore davantage.

- Ren'anwë. Eh bien, je suis ravie de mettre un prénom sur ce visage qui ne m'est point inconnu. Vous êtes sur l'Albatros, n'est-il point ? Je songe que vous savez qui je suis, mais dans le doute, laissez-moi me présenter également ; Jezabel Alvarez, Capitaine du Némésis, et sœur aînée de votre propre Capitaine, si j'ai vu juste quant à votre provenance.

Nous arrivons devant l'échoppe à laquelle je songeais. Le calme et la propreté de l'endroit dénote avec l'ambiance usuelle de Tortuga. J'ouvre la porte et m'efface.

- Après vous, Mademoiselle.

Je pénètre dans l'échoppe à sa suite, et je nous dirige en direction d'une table qui permet de garder un œil sur l'ensemble de la salle, relativement vide. Je prends place contre le mur.

- J'aime cet endroit. Une perle rare, n'est-ce pas ?

Elle est tellement belle. Elle a ce quelque chose d'attirant, de fascinant. Et quand elle s'illumine de la sorte, c'est dur de regarder ailleurs. Tu l'écoutes, toute ton attention rivée sur elle... Et acquiesces quand elle te demande si tu es de l'Albatros.

- Oui, j'sais qui vous êtes, m'dame... Comment est-ce que j'peux vous appeler ?

Tu voudrais pas commettre d'impair. Vexer cette belle dame qui t'as aidé. Elle t'ouvre la porte et après une petite hésitation, tu entres, clignant des yeux devant l'endroit qui te fait presque te demander si tu es encore à Tortuga. Tu accompagnes Jezabel jusqu'à une table, t'y poses avant de lisser par réflexe une coin de ta veste.

- On se croirait ailleurs. J'vais retenir l'adresse.

Bien évidemment, qu'elle sait qui je suis. Je ris avec une grande douceur lorsqu'elle me demande comment elle peut m'appeler.

- Vous êtes bien la première personne à formuler telle question. Appelez-moi Capitaine ou Madame, comme il vous siéra. Je ne suis point regardante sur ces détails-ci, tant que l'idée de me manquer de respect ne vous traverse point l'esprit.

Lorsqu'elle me confie vouloir retenir l'adresse, je ne puis retenir une moue songeuse.

- Par pitié, rendez-moi service : évitez de parler de ce lieu à vos connaissances. Je tiens à ce qu'il demeure un havre de paix pour ceux que la barbarie et les manières les plus rustres n'amusent guère.

A cet instant, la serveuse et gestionnaire de l'endroit nous rejoint. Nous nous saluons et échangeons quelques banalités. Cela fait des années que je fréquente son établissement, après tout.

- Nous prendrons deux de vos chocolats chauds spéciaux, je vous prie.

Elle s'incline et retourne en cuisine. Je souris alors à la demoiselle qui me fait face, et je me penche très légèrement en sa direction, adoptant le ton de la confidence.

- J'ignore si vous appréciez le chocolat chaud, mais faites moi confiance : celui-là est le remède le plus efficace que je connaisse contre les mauvaises journées.

Comme s'il pouvait te venir à l'idée d'être irrespectueuse avec Jezabel Alvarez ! Tu lui adresses un petit sourire en acquiesçant face à sa réponse.

- D'accord. Merci, Madame.

Si elle tient pas à Capitaine, tu vas lui donner du Madame. C'est que pour toi, Capitaine, c'est Hannabeth ! Sa demande te fait hésiter une seconde, il faut dire que l'idée de garder cette adresse secrète... À un côté fort agréable. Aussi, ton sourire s'agrandit légèrement.

- J'garderai le secret, alors.

T'es pas contraignante, faut dire que t'as pas envie une seconde d'aller à contre-courant de la blonde en face de toi. La serveuse vous rejoint, tu suis la conversation avant d'être fort intrigué par le concept de "chocolats chauds spéciaux". Jezabel se penche légèrement vers toi... Et par réflexe, tu fais de même...

- J'l'apprécie. J'ai hâte de goûter. Merci beaucoup.

Tu chuchotes presque, comme si ce que tu disais tenait aussi de la confidence quand bien même il n'en est rien.

Le moins que l'on puisse dire est que cette jeune personne n'est nullement avare en remerciements. Pour autant, je décide de ne ne point faire de commentaire à ce propos. Inutile de souligner de tels détails, qui ne peuvent que la gêner à nouveau, alors qu'elle pourrait bien être de plus en plus à son aise. J'hoche ainsi la tête comme seule réponse à ses paroles. D'une main, je trace quelques cercles hypnotiques sur le bois de la table. Mon regard, quant à lui, demeure figé dans le sien.

- Puis-je avoir l'audace de vous demander ce qu'a subi votre bras ?

Les accidents sont monnaie courante, au sein de la piraterie. Aussi, il est probable qu'elle en ait fait les frais au cours d'un entraînement, ou que sais-je.

Déjà pas très à l'aise en soutenant le regard de Jezabel, la question te les fait très vite baisser alors que tu pâlis un peu. Tu devrais pas t'étonner de la question, mais chaque fois qu'elle vient... Tu étouffes un petit rire nerveux, passes la main dans tes cheveux en cherchant à retrouver un peu contenance...

- Je... On me l'a cassé. Une femme à Hope.

Tu as une petite grimace, pas très à l'aise.

- J'sais... Enfin, vous avez vu que j'étais pas très... à même d'me défendre.

Je demeure muette un instant. Sur la table, mes mouvements circulaires cessent. Je songe d'abord qu'il est question d'un accident ; cependant, lorsqu'elle me parle de ses lacunes en terme de défense, il me semble comprendre que ce n'est guère le cas.

- Je vois. Eh bien, ce genre d'évènements fâcheux arrive même aux meilleurs d'entre nous.

Mes cercles reprennent leur cours sur la table.

- Vous êtes encore jeune. Parvenir à se défendre convenablement demande un travail constant. Il n'y a rien d'honteux à ne point savoir être à la hauteur de notre adversaire en tout circonstance. Pour quel poste étudiez-vous, au sein de l'Albatros ?

Même aux meilleurs d'entre nous. Ça te fait figer une seconde, poser un regard intrigué sur Jezabel... Ses mots te font du bien, tu te mordilles la lèvre, hochant doucement la tête.

- ... Vous avez raison... tu te tais une seconde avant de répondre. Je suis apprentie hackeuse. J'aime vraiment beaucoup ça.

Et au final, ça fait longtemps que tu apprends, que ça te passionne. Hannabeth s'est déjà inquiété à l'idée que tu puisses rejoindre l'équipe d'abordage, mais ça te semble tellement invraisemblable.

- Bien évidemment, que j'ai raison. Écoutez ; cela fait plus de cinquante ans que je manie des lames. Pour autant, il m'arrive toujours de récolter quelques mauvais coups. Les défaites et les échecs ne sont point mauvais ; à l'inverse, nous apprenons bien davantage de ces derniers que de nos victoires et réussites. Gardez cela en mémoire, et vous progresserez toujours dans la vie, sans jamais vous laissez abattre. De plus, vous ne vous spécialisez nullement dans le combat. Pour autant, il serait effectivement bien que vous appreniez les fondements du combat, au moins pour vous sentir plus en sécurité.

Bien évidemment, lorsqu'elle mentionne le fait qu'elle est apprentie hackeuse, je songe immédiatement à mon aînée. Fort heureusement, nos chocolats chauds spéciaux arrivent à point nommé. La charmante femme en dépose un devant chacune de nous, ainsi qu'une assiette de petits gâteaux colorés qui semblent fort appétissants. Je la remercie. Nos tasses sont larges, et surmontées par une montagne de chantilly à l'aspect semblable aux nuages. Ces derniers sont surmontés par une pluie de chocolat et un épais marshmallow moelleux, recouvert par un coulis de fruit rouges. Enfin, une gaufrette est plongée dans le tout.

Tu l'écoutes avec attention, absorbant chaque mot qu'elle prononce, cherchant à les graver dans ta mémoire pour t'en souvenir. Jezabel Alvarez a quelque chose que les autres n'ont pas. Qu'Hannabeth n'a pas. La Capitaine du Némésis ne tient pas à toi. Elle est certes, vraiment gentille de t'avoir sortie de là et de t'offrir un chocolat et ses conseils, mais avant que tu ne lui rentres dedans, elle s'intéressait pas à toi-même si elle t'avait déjà vu. Elle a pas d'attache envers toi qui pourrait la pousser à trop te ménager.

Apprendre les fondements du combat. Oui. Ça semble important. Tu te mordilles la lèvre, le regard posé sur la table.

- Je... Tu laisses tomber un petit rire nerveux, un peu malheureux. J'tétanise. Devant... La violence, les cris. C'est pas commode, mais j'perds mes moyens. Et j'sais pas trop comment faire pour plus avoir aussi peur.

Tu déglutis, relèves les yeux pour regarder Jezabel.

- Sauf qu'un jour, c'pas moi qui serai blessé. Ça sera quelqu'un qui veut me protéger. J'veux pas être un poids, j'veux pas qu'on risque sa vie parce que j'suis pas foutu de me défendre.

C'est tellement frustrant.

Tu papillonnes des yeux quand tu vois arriver les chocolats chauds... Et te redresses un peu alors qu'on vous les sert, visiblement impressionné par le tout.

- Ça à l'air vraiment... Trop, trop bon.

Je l'écoute attentivement, tandis qu'elle me décrit ses craintes.

- Effectivement, ces craintes sont fâcheuses lorsque l'on baigne dans un univers de violence tel que le nôtre.

Je n'ai jamais eu ce problème-ci. J'ai aimé très tôt le sang et la mort. Peut-être est-ce une question d'éducation. Que sais-je ? En revanche, je me remémore sans difficultés quelques craintes que je possédais lorsque j'étais enfant. Je les ai finalement vaincues en y étant confrontées, d'une manière qui aurait tout aussi bien pu m'anéantir tout à fait. Malgré leur efficacité, je ne recommanderai ces méthodes à personne.

- Eh bien. Je songe que vous savez pertinemment que tous les membres d'un équipage, aussi pirate soit-il, ne sont pas nécessairement de grands combattants. Peut-être seriez-vous un poids lors des abordages s'il vous prenait la mauvaise idée de vous joindre à la mêlée. En revanche, vous pouvez tout à fait exceller dans votre spécialité, et vous rendre infiniment plus utile que si vous essayiez de tenir une épée. Si vous battre et vous confronter à cette violence parfois terrible vous terrifie à ce point, peut-être devriez-vous vous concentrer sur des moyens moins anxiogènes pour parvenir à un résultat similaire.

Je souris lorsqu'elle semble impressionnée par le merveilleux chocolat chaud que nous avons devant les yeux.

- Eh bien, goûtez-le. Vous verrez que ce n'est nullement une simple impression.

Tu hésites une seconde... Puis zut.

- L'Albatros, c'est la famille que j'me suis choisis. Mon Capitaine, votre sœur, elle m'a délivré d'la Trinité. Et j'ai choisi de rester. J'vais travailler fort pour leur apporter tout ce que j'peux. Et j'veux vraiment surmonter ce qui me fait peur. tu as une petite grimace. J'peux pas vivre dans ce monde... Et avoir peur de sortir du vaisseau. J'ai même pas besoin d'abordage pour me retrouver dans des situations... Compliquées. C'est catastrophique.................

Tu t'empourpres un peu de gêne.

- C'est quoi... Anxiogène ?

Elle parle bien, la Dame.

Tu regardes ton chocolat, sans savoir exactement comment procéder avec toute cette montagne de chantilly... Fini par attraper la tasse délicatement pour prendre une petite gorgée en essayant de ne pas t'en mettre plein le nez, plein de chantilly, de copeau de chocolat... et du chocolat chaud. C'est chaud. Très chaud. Mais sapristi ce que c'est bon ! Bien mieux que la bière.

- Woah... C'est encore mieux !

Je souris avec une grande douceur et une pointe de tristesse à la jeune fille.

- Hélas, beaucoup des tiens ont un parcours terriblement similaire. Ton courage et ta détermination sont une force que tu possèdes. Garde cela précieusement. Crois en l'expérience d'une femme qui a la piraterie dans le sang : ces deux qualités sont des atouts fantastiques face à l'adversité.

Mon sourire se fait tendre lorsqu'elle me demande ce que signifie anxiogène.

- Le terme anxiogène se rapporte à tout ce qui peut provoquer une peur panique ou une angoisse intense chez une personne. Lorsque j'étais enfant, ma mère me forçait à me confronter à mes sources d'angoisses afin que je dompte mes craintes. Il s'agit d'une solution radicale qui possède pour autant un taux de réussite aléatoire.

Je ris lorsqu'elle goûte à son chocolat chaud, ravie de la voir aussi enthousiaste. A l'aide d'une cuillère que l'on nous a fourni, j'entame la crème qui s'élève en une montagne neigeuse.

- Cependant, il y a un point primordial auquel je souhaitais toucher en vous parlant de tout cela. Le combat n'est jamais l'unique moyen de se défendre. Vous pouvez tout à fait apprendre la discrétion et la course, l'agilité et la rapidité ou encore la ruse, pour ne citer que ces exemples-ci. Malgré votre présence au sein de cette famille que vous avez eu la bonne idée de choisir, le sang et la mort ne sont guère les seules issues possibles lorsqu'il s'agit de se défendre.

T'as pas l'impression de mériter ces compliments. T'es pas si courageuse et ta détermination à le museau face à des obstacles terribles qui risquent fort de te coincer... Mais tu ne cherches pas à rejeter ces mots même si tu doutes pas que ton visage laisse apparaître tes doutes, en vil traître incontrôlable. Tu acquiesces.

Elle t'explique, pour anxiogène et tu écoutes, curieuse... Avant d'avoir une petite mine inquiète alors qu'elle t'explique comment sa mère la mettait face à ses peurs. Radical, oui. Tu souffles un remerciement pour son explication qui te permet de comprendre un peu mieux son discours, prenant une autre gorgée de chocolat... Pour ensuite te décider à l'imiter en prenant la cuillère pour aller chercher le marshmallow et le manger. Elle t'offre... Des pistes intéressantes. Une autre façon de voir le tout et comment pouvoir tirer ta carte du jeu.

Et ça te soulage, parce que tout à ton problème, le nez a même tes réflexions et tes peurs, t'y arrivais pas, à voir de cette façon.

- J'y pensais pas comme ça. J'suis tellement plongé dedans que j'ai pas vraiment de recul. Vous m'aidez beaucoup, là.

Et tu lui adresses un grand sourire plein de fossettes, le premier du genre.

Je souris à mon tour devant celui qu'elle m'offre. Il est agréable de la voir ainsi. Non pas que je sois coutumière de ce genre de conversations improvisées avec des enfants peu sûres d'elle et angoissées ; cependant, elle fait partie de l'équipage de ma jeune sœur, et elle n'est point sans me rappeler ma Jillian. Je poursuis ma dégustation, en prenant tout à fait le temps de le faire.

- Je suis ravie si notre conversation vous apporte quelques éléments de réponses, ou en tout cas de réflexion. Parler des problèmes que nous rencontrons est souvent une aide fort précieuse lorsqu'il s'agit de trouver des solutions. Vous savez, mon vaisseau comporte un certain nombre de combattants, qu'importe les postes. Cependant, il y en a parmi eux qui n'ont jamais tenu d'armes de leur vie, et qui ne souhaite en rien que cela change.

Je ris avec légèreté, mais immédiatement après, je prends un air grave.

- Cela me semble tout à fait compréhensible. Donner la mort est un acte lourd de conséquences. Ne plaisantez jamais avec cela. A mes yeux, il s'agit d'un art dont il faut user avec la plus grande des précautions. Un art que l'on se doit de respecter et de comprendre.

Mince, c'est vraiment super bon. Ça te fait enfin trouver un nouveau point positif à Tortuga, un parmi une maigre liste dont le seul réel attrait à tes yeux consiste en l'absence de factions pour vous chercher des noises. Tu reviendras, c'est certain et tu sais que tu serais tout aussi bien toute seule avec ton HCom puisque tu comptes pas donner l'adresse, comme te l'a demandé Jezabel.

- Oui, j'sais qu'il y a aussi des gens comme ça sur l'Albatros.

Pourtant, t'as pas connaissance qu'ils se fassent agresser et casser des os. Dois y avoir un souci quelque part.

- Je... C'est grave, d'enlever la vie. J'veux pas plaisanter avec ça ou prendre à la légère. J'voudrais plus arriver à me défendre... Que de tuer qui que ce soit. J'imagine qu'on a pas toujours le choix...

Tu grimaces un peu, récupère la tasse pour prendre une gorgée du liquide chaud et sucré. L'idée de tuer quelqu'un est juste... Horrifiante !

Je déguste mon chocolat chaud tandis qu'elle m'offre ses ressentis à propos de la mort. Je me doute fort bien qu'avec tout ce qu'elle m'a déjà révélé à son propos, donner la mort n'a rien d'agréable dans son imaginaire. Pourrait-on lui en vouloir ? Bien entendu que non. J'imagine qu'il est bien plus sein de craindre le sang qui se répand à nos pieds que d'être tout à fait fasciné par la vie qui s'échappe d'un homme.

- Eh bien, en effet. Lorsque l'on choisit délibérément d'employer la violence, il faut être prêt à ce que l'un de nos coups puisse mettre fin aux jours de l'être contre lequel nous nous battons. Cependant, la vie est ainsi faite ; nous connaissons tous la même fin de parcours. Elle est simplement plus précoce ou plus violente selon l'individu. Est-ce que votre propre mort vous effraie, Mademoiselle ?

Je suis réellement curieuse d'entendre sa réponse, tandis que je prends un des gâteaux disposé au centre de la table. Il est recouvert d'un coulis rouge qui n'est point sans rappeler le sang. J'entreprends de le déguster, en sirotant mon chocolat chaud.

T'en es consciente, on peut pas invariablement se contenter de neutraliser un adversaire. Trop long, trop risqué alors que lui-même cherche pas à vous neutraliser, mais bien à vous tuer. Tu prends une autre cuillerée de crème avant que sa question ne te prenne au dépourvu. Tu te redresses un peu, réfléchis à la question, un peu perdue, avant de grimacer.

- Oui. J'veux pas mourir. J'veux pas qu'les autres meurent. Surtout ceux à qui j'tiens.

Tu repenses aux fois où tu as craint de les perdre et en frémis seulement aux souvenirs... Avant de grimacer.

- Est-ce que... Vous me permettez de vous renvoyer la question, madame ?

Tu aimerais entendre sa réponse, comment elle-même voit tout cela. T'es certaine qu'elle aura pas la même réponse que toi.