Antebellum

Ces dix derniers jours on été les plus tourmentés de ces dernières années. Pourquoi me faites Vous ainsi souffrir ? Je ne cherche qu'à Vous servir et à Vous donner mon cœur et mon corps. Suivre le chemin que Vous m'avez tracé. Les épreuves et tourments que Vous m'imposez sont incessants et mon esprit continue sans cesse de revenir à elle, à son corps et à la douce corruption qu'elle représente. Chaque moment d'oisiveté mon esprit se retrouve à voguer vers des pensées impures à son égard et dans ces moments, je ne fais que regretter de m'être interrompu.

Lorsque je reviens à moi, ma faiblesse me dégoûte et je n'ai qu'une seule envie, supprimé toute cette corruption de mon esprit par la repentance, par la douleur. Les séances se font de plus en plus répéter et je suis de plus en plus proche d'éveillé les soupçons d'autres membres de l'équipage à mon égard. Ses derniers mots raisonnent dans mon esprit à chaque fois et me font l'effet de lames de rasoir. Elle a raison, je suis aussi faible qu'elle et si mon esprit doit être purifié alors le sien aussi.

Ce matin, je comprends enfin pourquoi ces pensées me viennent sans cesse. Ce n'est pas dans le but de me faire céder. C'est pour que je la ramène dans la lumière. Cette simple pensée me suffit à éliminer la corruption de mon esprit pour l'instant et à me concentrer sur mon objectif. Je quitte mes quartiers avec pour destination les quartiers de sœur Eurydice.

Devant sa porte, j'attends, j'hésite... et je finis par frapper.

Il est tôt, bien trop. Déjà vêtue de son habit réglementaire, Eurydice s'observe dans la glace. Son reflet lui renvoie une mine plus fatiguée qu'à l'accoutumée. Si ses traits tirés ne sauraient entacher sa sempiternelle beauté, l'ecchymose jaunâtre qui s'étend sur sa joue et sa lèvre fendue lui font défaut. Elle serre les poings sur la faïence du lavabo. Le souvenir douloureux de son dernier échange avec le Père Vérité...

Si deux semaines plus tôt elle se plaisait à l'éviter ou à l'ignorer, les dix derniers jours ont été une torture. Elle n'a croisé l'ombre de l'inquisiteur nulle part, comme si soudain il avait déserté le vaisseau. Elle sait qu'il n'en est rien, mais son absence lui pèse. Miséricordieuse, elle choisi de lui laisser le temps d’assimiler son désir. Elle ne peut qu’être admirative pour sa résistance et son obstination.
Pourtant l’attente lui est insupportable, elle meurt d’envie de retrouver la chaleur de son toucher.. Elle le veut à tel point que c’en est douloureux. Elle a conscience de l’obsession qui prend naissance au creux de son ventre, que son monde s’oriente vers cette quête aussi absurde que dangereuse, mais elle s’y laisse emporter avec une extase qui frise l’inconscience.

Les coups à sa porte la prennent par surprise, qui peut bien se présenter d’aussi bonne heure ? Craignant une urgence elle jette un dernier coup d’oeil à sa tenue, irréprochable, et va ouvrir. La silhouette que révèle la porte la laisse un instant interloquée :
- ... Vous ?

La porte s'ouvre sur son visage abîmé et mon regard glisse le long de sa peau jusqu'à sa lèvre fendue. Une punition bien peu sévère quand je pense à la tentation qu'elle pose sur moi. Le reste de sa tenue est impeccable comme à son habitude. Je me réprimande intérieurement, car ma première pensée est d'avoir imaginé que sa tenue serait plus légère... Plus révélatrice. Je dois faire preuve de maîtrise, il n'y a pas de place pour le doute en ces moments.

- Ma sœur. Dis-je respectueusement pour la saluer. Je vais vous demander de me suivre.

Ignorant ses paroles, je ne laisse rien paraître du doute qui m'habite encore. Mon air est sévère comme ma voix et rien de ce qui s'est passé pendant ses dix derniers jours ne transparaît. Je m'écarte d'un pas et lui fait signe de la main de s'avancer hors de ses quartiers.

De ses yeux gris elle sonde le visage impassible de son interlocuteur. Il démontre d'une distance surprenante, et simule une politesse qui parait presque déplacée considérant leur dernier échange. Elle continue à le dévisager en silence, glisse son regard sur les pommettes hautes, le nez volontaire, la mâchoire marquée, les lèvres fines ... Elle lui trouve une beauté toute singulière. Son faciès n'a pas la finesse des peintures ou des éphèbes de Renaissance, mais il a indéniablement quelque chose d'harmonieux et de sensuel dans sa dangerosité.

Elle se soustrait à ses pensées et incline la tête, avec ce même respect un peu déplacé dont il a fait preuve :
- Bien entendu, mon Père.

Elle sort de sa chambre et ne se presse pas à refermer la porte derrière elle. Son calme apparent n'est qu'une façade, intérieurement elle redoute le sujet de cette requête. Qu'attend-t-il d'elle cette fois ? Elle se positionne droite à ses côtés et attend qu'il lui ouvre la marche, incertaine de leur destination.

Elle se montre docile, pour l'instant, et c'est une bonne chose. Je pose ma main entre ses épaules appliquant une légère pression pour qu'elle avance à mon niveau avant de la replacer le long de mon corps. Volontairement, mon visage reste droit et nos regards ne se croisent pas. Le moindre contact inutile pourrait de nouveau éveiller la corruption et je veux garder le contrôle cette fois.

Durant le trajet, qui nous ramène à mes quartiers, je fais peser un lourd silence entre nous et si elle m'adresse la parole, je l'ignore complètement. Dans mon esprit, seul mon objectif importe : il lui faut confesser pour nous délivrer tous les deux du mal.

Devant la porte de mes quartiers, je m'assure que personne ne nous a suivis ou ne nous observe et pousse la porte. Lui faisant, ensuite, signe d'entrer.

Elle frissonne à la main posée au creux de ses omoplates, se laissant guider avec une obligeance qui lui ressemble peu. Son silence l'intrigue, il fait monter une excitation tout à fait insolite en son sein. Quelque chose que certains prendraient plaisir à appeler le "frisson du danger". Ils traversent plusieurs couloirs dans ce silence presque oppressant avant qu'elle se risque à glisser innocemment, en dépassant les environs du bureau du Capitaine :
- Nous n'allons donc pas rencontrer le Capitaine ... ?

Elle n'est même pas sûre qu'il l'ait entendue, figé dans son masque aux airs impénétrables. S'il avait décidé de la jeter aux geôles, le cortège aurait été plus conséquent, ou un peu plus musclé. Si c'était pour une quelconque réunion d'équipage, il n'aurait pas fait le déplacement en personne et elle en aurait été informée. Elle en déduit que ce qu'il attend d'elle ne concerne qu'eux deux. Une intuition confirmée par son regard perçant qui balaie les alentours avant de la faire pénétrer dans ses quartiers.
Elle s'arrête au milieu de la pièce et se tourne doucement vers lui.
- Allez-vous me faire part de la raison de cette convocation, mon Père ... ?

La porte se clôt silencieusement dans mon dos, d'une légère poussée de la main, et je me retrouve seul face à elle et face à mes démons. Je m'approche d'elle sans répondre à sa question et porte ma main sous son menton, soulevant son visage pour la forcer à affronter la sévérité de mon regard. Un soupire dédaigneux s'échappe de ma bouche alors que je relâche la pression et lui tourne le dos.

- Asseyez-vous sur le lit, mon enfant. Dis-je, sur un ton paternaliste.

Mon regard ne lâche pas le mur, prolongeant la froideur du trajet. Elle ne se méprendra pas sur mes intentions et elle ne sera pas tentée par un de mes actes. Pour laver la souillure, il faut commencer par prendre garde de ne pas en répandre d'avantage. Il n'y a toujours qu'une chose dans mon esprit, me débarrasser de la corruption à la racine.

- Vous allez maintenant me parler du vice que vous ressentez à mon égard et de ce qu'il vous a poussé à faire. J'attends de vous que vous n'omettiez aucun détail. Je déglutis marquant une pause pour lui laisser le temps d'intégrer mes mots. Se sera la première étape, pour nous purifier mutuellement du péché

Je retire un de mes gants doigt après doigt puis le fait claquer entre mes mains.

- Tout manquement sera sévèrement réprimandé ou finira par faire office de mesure d'une tout autre gravité.

Il n'y a pas de choix pour elle.

Si son visage demeure imperturbable, son esprit s'agite dans une effervescence intéressée. Se rend-t-il compte de ce qu'il lui demande et d'où cela va, sans doute aucun, irrémédiablement mener ? Sans en avoir conscience, il vient très certainement de lui glisser lui même entre les doigts le fouet qui causera sa perte. Les yeux braqués dans les siens, assise sur le lit, elle laisse son esprit dériver sur les conséquences qu'auront ses prochaines paroles. Elle jubile.
- Je comprend, mon Père, et me soumettrez à cet acte si vous le jugez nécessaire.

Elle marque une légère pause avant de poursuivre :
- M'autorisez-vous à vous confesser tout ce qu'il s'est passé depuis notre rencontre ? Je me dois de vous narrer les faits dans leur ordre chronologique, pour être sûre de ne rien omettre à cette ... Pénitence.

Je retire le second gant et pose la paire sur mon bureau et, toujours sans me tourner directement vers elle, commence à marcher dans la pièce. Mes mains se placent derrière mon dos, accompagnant le solennel de ma démarche d'officier. Elle compte se soumettre et je ne peux que m'en réjouir, mais je me méfie de son éventuelle perfidie. Je ne me laisserais pas tomber dans la faiblesse une fois de plus en buvant ses paroles.

- Il est nécessaire.

Je tourne l'espace d'un instant un regard sur elle qui accompagne mon ton sec.

Procédez. Je commande, je dois entendre la vérité.

Toute la vérité.

Elle prend une profonde inspiration avant de planter son regard dans celui du père :
- Ainsi soit-il. Je dois tout d’abord vous avouer mon Père, avoir ressenti parfois une grande solitude m’envahir depuis mon arrivée sur la Pierre. Les soeurs sont peu nombreuses ici, là où j’ai été habituée au couvent. Vous avez été concrètement ma première rencontre, disons, moins ... Formelle. Votre dévotion à l’Unique et votre féroce volonté de punir les hérétiques m’ont... Plu. Je vous admire, mon Père. Dans votre force et votre intransigeance. Ma première correction était méritée car je vous avais désobéi, je ne vous porte aucune rancoeur là dessus et au contraire vous en remercie. Ma gratitude s’est exprimée par cette bougie et ce parfum que je vous ai offert ... Je désirais vous témoigner de mon respect et de mon obéissance.

Elle marque une pause, le temps de glisser un regard vers lui et d’aussitôt poursuivre :
- Ce jour à Paradis ... J’ai été sincèrement terrifiée. Je pense avoir occulté une grande partie de ce qu’il s’est passé; un état de choc, certainement. Moi qui témoignais d’une profonde admiration pour votre personne devait soudain y ajouter une éternelle reconnaissance ... Pourtant ... La suite est floue à ma mémoire mon Père mais ... Mes sentiments sont devenus confus, l’adrénaline, la peur, votre présence ... Quand vous m’avez ... Quand ...

Lorsqu'elle commence et cherche mon regard, je me tourne à nouveau vers le mur et me ferme hermétiquement à toutes émotions. Je ne lui accorde aucune empathie, aucune pitié. Je n'ai que faire de son admiration, et je la corrigerais car il ne doit être idôlatré d'autres que Votre sainte aura. Je me punirais également pour avoir initié de tels sentiments en son cœur à mon insu. De même, que sa gratitude ne me touche pas plus. Mon visage reste face au mur, impassible. Je dois faire preuve de plus de vigilance lorsqu'elle parle de mes moments d'égarement par peur de retomber dans la luxure. Mon esprit récite par moment une prière en Votre nom, occultant quelques instants des morceaux de son récit. Je ne supporte pas de l'entendre dire que ses souvenirs sont flous.

- Vous mentez ! Ma voix est forte, sèche et accompagnée d'une claque du revers de la main alors que je me tourne vers elle subitement, me plaçant au-dessus d'elle, la dominant de toute ma hauteur.

- Reprenez. Sans omettre de détails. Sans omettre la vérité. Je ne saurais supporter d'avantage de mensonges, ma sœur, il en va de votre rédemption. Laissez Sa lumière vous pénétrer.

Le mensonge m'est insupportable, je ne suis pas fautif de cet égarement. Cette vile tentatrice énoncera son péché de sa bouche puis connaîtra la purification.

La claque lui pique la joue mais elle remarque avec stupeur que le geste a quelque chose de familier, de presque appréciable, étrangement, considérant la nature de celui qui la domine et de leur relation. Elle porte une main à sa joue rouge alors qu’elle détourne le regard, visiblement gênée :
- Je ne mens pas, mon Père, et la vérité je vous l’offre sans concession. Quand vous m’avez embrassée ... Je n’avais jamais connu le contact d’un homme, vous vous en doutez, et n’étais d’ailleurs pas censée le connaitre. Et que ce soit vous ... La personne pour qui j’ai une si forte admiration ... Je me suis laissée entrainer dans votre étreinte, sans savoir réagir, sans le vouloir peut être ... J’ai extrêmement honte mon Père ...  J’ai eu des pensées ... Impures. Malgré votre ... Violence à mon égard.

Elle glisse sa main sur ses yeux, dissimulant son visage au Père dans un geste qui pourrait sembler au comble de l’embarras, mais qui ne dissimule réellement que son sourire en coin :
- Quand vous êtes parti ... Par l’Unique quand vous avez quitté la chambre ... J’ai été prise d’une frénésie qui m’était inconnue, de quelque chose d’extrêmement malsain et pervers ... Mon Père puissiez-vous me pardonner ...

Une deuxième gifle siffle, à peine plus forte que la première.

- Vous avez provoqué cette étreinte et l'avez désirée de vos vœux. Confessez-le. Je m'avance sur elle pour l'empêcher de se redresser cette fois tout en m'exclamant, toujours aussi déterminé.

C'est sa corruption qui a provoqué la mienne et non l'inverse. Elle ne doit pas pervertir ce fait dans son histoire, je m'en assurerais. Ma violence n'est que clémence pour le salut de son âme.

- Vous serez pardonnée, ma sœur, mais vous ne devez omettre aucun détail. Seulement après et une fois la purification de la chaire effectuée pourra-t-Il vous accordez son pardon. De quelle frénésie parlez-vous ?

Je songe en mon esprit de ce à quoi elle pourrait faire référence, mais je l'ignore réellement. La seule chose que je sais, c'est qu'elle doit délivrer la vérité.

Elle n'a pas à feinter la soudaine brillance dans son regard sombre, ni la moiteur de ses lèvres que sa langue humidifie fugacement. Elle prend une inspiration fébrile pour s'imprégner de l'odeur du Père dont la jambe frôle son genoux de par sa proximité. Elle lève la tête vers lui, sa nuque pliée alors qu'il la surplombe de toute sa hauteur.
- Ce que j'ai fait mon Père ... N'a de légitimité qu'entre époux, quand à la nuit tombée les mains se font caressantes et les instincts primaires ... Ce que j'ai fait, seule, à votre départ ... N'avait de sens qu'en une vaine recherche d'exaltation.

Elle se mord la lèvre et son regard se plisse, ses longs cils venant voiler son regard dont l'intensité témoigne d'une fébrilité croissante.
- Pensez-vous que je puisse être pardonnée, mon Père, alors qu'entre les draps, j'ai effleuré mon corps de mes mains en pensant aux vôtres ... ?

L'image me reste et sa simple présence suffit à faire basculer mon esprit dans la mauvaise direction. S'ensuit une succession de pensée suggestive puis explicite du corps de sœur Eurydice seule ou accompagnée du mien. Je contiens à peine mon regard dans des zones décentes. Le besoin de me relever se fait urgent et je me redresse lentement pour tenter de dissimuler le trouble qui m'habite. Je fais quelques pas dans la pièce, m'éloignant d'elle et respire lentement pour reprendre ma contenance.

- Vous... Vous pouvez être pardonnée. Dis-je un peu désorienté.

Mes pas s'arrêtent devant le même meuble, celui qu'elle connaît pour l'objet particulier qu'il contient. Je n'en sors pas le même fouet de pénitence que la fois précédente, celui-ci est conçu pour infliger de la douleur sans risquer de tuer celui qui l'utilise. Je contemple l'objet et me tourne vers elle, raffermissant ma détermination.

- Bien. Maintenant vient l'heure de votre pénitence. Découvrez votre dos et mettez vous à genou sur le sol.

J'attends qu'elle s'exécute et lui tend le fouet. Elle devra exécuter la peine, elle-même.

- Jugez vous-même du nombre de coups nécessaire.

Eurydice observe avec une fascination malsaine la succession d'émotions brutes qui traversent le visage décomposé du Père Vérité. Elle peine à contrôler son propre corps qui tend vers celui de l'homme, impatient, quémandeur. Elle l'observe s'approcher du tiroir, frémi à l'idée de ce qui l'attend, et de ce qui était attendu. Elle contient un sourire en se laissant glisser sur le sol, face au lit, le coeur martelant sa poitrine.

A-t-elle perdu l'esprit pour se réjouir aussi ardemment de la violence à venir ? D'une certaine manière, ces moments de supplices sont ceux où elle se sent au plus prêt de l'autre, où elle ressent pleinement la force de la passion qui habite le Père. Elle ne voit en ses coups et sa torture que la démonstration du désir ardent qu'il lui réserve. Dans un geste qui porte un air de déjà vu, elle détache la coiffe, libère ses cheveux, découvre son buste, et attend avec un frisson d'impatience la sentence, la robe roulée sur les hanches, dos à l'inquisiteur.

La soeur reste bouche bée à l'entente de sa sentence, complètement désappointée. Si elle tolère aisément le fouet, elle ne se l'est jamais infligée volontairement et qui plus est de sa propre main. Elle jette un regard en arrière, attrapant le fouet qu'il lui tend, incertaine et maladroite. Elle caresse un instant les lanières, du bout du doigt. Pensant au Père debout derrière elle, elle essaie de se recomposer. Le premier coup est mou, hésitant, un peu pathétique.

La laisser effectuer le geste elle-même est nécessaire et me permet d'évaluer la ferveur de sa foi. Sa main ne doit pas trembler et frapper justement pour trouver la rédemption auprès de Vous. Mon esprit, perturbé en cet instant, a du mal à ne pas glisser discrètement le long de son corps nu. Les pensées que je formule à son égard sont malsaines, je me réjouis de voir son acceptation. Ma souffrance est presque terminée. Je me place derrière elle et observe attentivement.

Son premier coup est faible et manque de conviction, mais je ne m'en agace pas. La main est hésitante lors du premier coup. Je la stimule au contraire.

- Si vous désirez la rédemption, sœur Eurydice, montrez la force de votre foi. Plus fort. Ma voix est encourageante, excitée à l'idée de ce qu'il va se passer.

Une fois sa punition effectuée, puis la mienne, je serais libérée de mon tourment. Notre moment d'égarement sera oublié et nous pourrons reprendre nos devoirs respectifs.

[...]

Elle a perdu le compte de ses coups. Chaque martèlement est un supplice. La sueur se mêle aux larmes, lui coule le long du visage et au creux des seins. Son bras droit tremble du mouvement répétitif et peu naturel, sa main est tellement serrée sur le manche que ses ongles ont percé le cuir. Elle ne sait pas combien de temps, combien de secondes, de minutes ou plus ont passé. Suffisamment pour que son dos commence à se déchirer, que le sang perle et que ses membres se tétanisent. Suffisamment aussi pour que sa mâchoire serrée ne puisse plus retenir ses gémissements puis ses cris de douleur.

Elle a pensé à supplier, mais s'est rendue compte qu'elle était la seule à diriger cette sentence. Mais elle ne veut pas cesser. Elle ne sait pas où elle trouve la force de continuer, il y a certainement quelque chose d'extrêmement morbide dans cet acte. Elle n'a pas envie d'abandonner, désire plus que tout montrer à cet homme qu'elle n'est pas la créature fragile et corruptible qu'il se figure. Son esprit s'est vidé de toute pensée cohérente, focalisé sur son supplice.

Ses paumes sont tellement moites que l'objet s'échappe et tombe aux pieds du Père. La rupture la laisse pantelante, totalement désorientée.

Le rictus qui me déforme le visage est incontrôlable. La scène ouvre une nouvelle porte sur la corruption de mon esprit et je n'aurais jamais pu anticiper un tel résultat. Pendant les instants qui suivent, mon âme est totalement absente. Fascinée et excitée par ce qui se produit sous mes yeux. La combinaison de sa ferveur, de son corps et de sa souffrance m'a fait plonger à nouveau dans la perversion. Je reprends peu à peu mes esprits, haletant. J'ignore pourquoi cette épreuve persiste malgré toutes mes tentatives pour m'en débarrasser.

Ma main se pose sur son épaule et une longue inspiration se fait entendre alors que j'essaie de maintenir ma contenance. Je laisse le silence s'installer écoutant son souffle tout en me penchant pour ramasser l'objet de torture. Au creux de ma paume, j'en observe les moindres détails tout en me redressant. Peut-être cet ultime moment d'égarement est-il la preuve que ce châtiment est juste et qu'il nous faut continuer.

Je pose un genou puis le deuxième et la rejoins, quoi que toujours plus grand qu'elle. Je défais un à un les boutons de ma chemise d'officier et ôte mon haut intégralement. Torse nu, je dépose proprement et parfaitement plier mes vêtements devant moi. Puis je serre le fouet dans ma main de toute mes forces et bloque ma mâchoire, serrant les dents de toutes mes forces. Le mouvement est un réflexe, effectué maintes fois. Je ne faiblis pas, le premier coup frappe juste. Puissiez-Vous me délivrer du mal.

Le temps semble s’être suspendu, arrêté au moment où l’homme a posé un genoux à terre. Pantelante, elle ne peut détacher son regard des stries blanches qui marbrent le corps masculin, stigmates de nombreux combats. Contre ses ennemis ou contre lui même. Elle cherche une faille dans son faciès figé, un quelconque signe de douleur, une faiblesse, une émotion ... Elle n’y trouve qu’une froide détermination. Impressionnante. Les coups qu’il s’inflige sont bien plus puissants que ce qu’elle n’aurait jamais pu émettre de sa propre main, ne résonne dans la pièce que les claquements du cuir; aucun gémissement, aucun soupir.

Un long frisson la parcourt, sans trop savoir s’il est né de son buste offert au froid ou de l’excitation croissante. Les bras ballants, encore étourdie par la douleur, elle garde son regard planté sur l’inquisiteur. Elle outrepasse les nombreuses cicatrices pour s’attarder sur la musculature sèche, les épaules larges et la légère pilosité de l’autre. Cette séance de torture est un cadeau, pense-t-elle avec émotion.

Je ne m'arrête que lorsque la douleur se fait si cinglante que mon bras se tétanise et que je n'entends plus rien d'autre que le sang battre dans mes tempes. Les dents toujours serrées, il n'y a que la détermination qui brûle dans mon regard. Je laisse mon souffle revenir à son rythme normal avant de me redresser et de replacer mes cheveux vers l'arrière de mon crâne d'un mouvement de main.

- Prions ensemble. Dis-je, l'esprit entre ciel et terre d'une voix bien plus calme qu'à mon habitude.

Mes yeux se closent et, genoux toujours sur le sol, j'entame une prière en Votre nom à haute voix. Plus rien n'existe autour de moi, ni vaisseau, ni de chambre, ni sœur Eurydice. Seulement ma foi en Vous et ma droiture restaurée.

Elle le dévisage en silence, laisse traîner son regard sur les gouttes de sueur qui perlent sur la peau du Père, sur le sang qui suinte du dos martyrisé, sur son visage hermétique malgré la douleur ... Qu'il est beau dans cette fierté exagérée. Avec un soupir, elle le rejoint dans la prière, profitant de ses yeux clos pour l'observer à la dérobée.

Elle admire son visage qui se détend sensiblement alors qu'il se perd dans sa litanie, les lèvres fines récitant avec dévotion les prières saintes, témoignant de sa Foi irréprochable. Ou presque.
Elle sait, et c'est ancré dans sa chaire, qu'il n'aura pas besoin de beaucoup avant de se laisser ravager par le désir, à nouveau. Elle meurt d'envie de le tenter à nouveau, de poser ses lèvres sur les siennes, d'étreindre ce corps de guerrier et se fondre dans cet échange proscrit. Mais pas tout de suite. Elle lui laisse volontiers ce petit moment d'accalmie, le laisse croire à sa rédemption.

Avec un sourire, elle se rhabille sommairement dans l'indifférence de l'homme, perdu dans son monologue avec l'Unique. Elle attend sagement qu'il ait fini, faisant mine d'adresser quelques mots à l'Autre.

J'apprécie chacun de ses instants de communion avec Vous. Je peux sentir Votre présence m'entourer et me confirmer que je suis de retour sur le droit chemin. Le son de ma voix se fait de plus en plus basse alors que cette prière devient plus personnelle.

Je souffle doucement après avoir prononcé les dernières paroles saintes et mes yeux s'ouvrent sur l'image de sœur Eurydice. Elle a réajusté sa robe, probablement tandis que j'effectuais ma pénitence et ne semble pas chercher à me tenter. Preuve supplémentaire que notre égarement est terminé. Je me lève et place ma main sous son menton, relevant sa tête pour la forcer à me regarder.

- Il n'y aura plus de perversion à présent. Vous êtes de retour dans Sa lumière, mon enfant. Ma voix et mon expression se veulent plus douces, l'espace d'un instant.

Je relâche la pression et me détourne d'elle, passant derrière mon bureau pour attraper des bandages et de quoi désinfecter les plaies laissées par mon châtiment. Je la considère un instant d'un regard en coin, le visage redevenu sévère.

- Approchez et traitez mes plaies.

Mon dos se tourne vers elle alors que je m'appuie sur le bureau.

Elle plonge son regard dans le sien, contemple les iris sombres, la pupille gauche légèrement dilatée par la prière extatique. Elle note l’œil cyborg, comment a-t-elle pu l'ignorer jusque là ? Elle le contemple sereinement, le visage dépourvu de malice ou d'envie, pas cette fois ci, et s'efforce de ne pas réagir à ses paroles moralisatrices, aussi agaçantes et insipides soient-elles.
- Je vous remercie mon Père, mon esprit a retrouvé sa sérénité et cela vous est dû.

Elle se redresse tant bien que mal, les jambes engourdies par la position trop longtemps tenue et la douleur résiduelle. Des compresses en main, le désinfectant dans l'autre, Eurydice se fige un instant derrière l'homme. Son dos est marbré de coupures, certaines encore sanguinolentes résultat du châtiment de ce jour, d'autres bien plus anciennes, blanches et boursouflées. Des dizaines et dizaines de stigmates qui dessinent sur sa peau pâle une cartographie macabre et fascinante.

La sœur laisse courir le coton imbibé de solution sur le corps du Père, tâchant d'être aussi délicate que possible. Elle s'attarde peut être un peu trop longtemps alors que ses yeux deviennent flou et son souffle rapide. La proximité, l'adrénaline, et son corps à demi nu réveillent en elle toutes les tendances qu'il s'est efforcé à lui soustraire. Elle en rirait si elle n'était pas tant concentrée à occulter son propre désir.

J'émets un grognement quand elle m'attribue les raisons de sa sérénité retrouver. Elle n'est due qu'à Lui. Je retiens l'envie de la gifler une fois de plus. Mais elle n'est qu'un agneau perdu et ignorant qu'il faut remettre sur la voie en douceur.

Le temps qu'elle prépare ses ustensiles et produits, je m'étire longuement, tirant sur mes muscles et faisant craqué les parties de mon corps qui en ont besoin. La tension générée par ma pénitence le requiert pour que je sois de nouveau opérationnel. Lorsqu'elle s'approche et fait trainer le moment, j'émets un grognement pour la presser. Que fait-elle ?

- Que faites-vous ma sœur ? Hâtez-vous. D'autres tâches nécessitent mon attention.

La douleur des soins est soutenable et je n'en laisse rien paraître durant toute leur application. Je la sens, néanmoins, faire les choses plus lentement que nécessaire et mon agacement se fait grandissant.