Antebellum

J'émets un grognement quand elle m'attribue les raisons de sa sérénité retrouver. Elle n'est due qu'à Lui. Je retiens l'envie de la gifler une fois de plus. Mais elle n'est qu'un agneau perdu et ignorant qu'il faut remettre sur la voie en douceur.

Le temps qu'elle prépare ses ustensiles et produits, je m'étire longuement, tirant sur mes muscles et faisant craqué les parties de mon corps qui en ont besoin. La tension générée par ma pénitence le requiert pour que je sois de nouveau opérationnel. Lorsqu'elle s'approche et fait trainer le moment, j'émets un grognement pour la presser. Que fait-elle ?

- Que faites-vous ma sœur ? Hâtez-vous. D'autres tâches nécessitent mon attention.

La douleur des soins est soutenable et je n'en laisse rien paraître durant toute leur application. Je la sens, néanmoins, faire les choses plus lentement que nécessaire et mon agacement se fait grandissant.

Elle appuie un peu trop fort sur les plaies, en réponse à ces remontrances, tâchant d'occulter la frustration qu'a fait naître son interruption. Elle accélère l'allure, dépourvue cette fois-ci de la caresse dont avait pu être empreints ses mouvements. Toujours précautionneuse, ceci-dit, à ne pas blesser d'avantage la peau craquelée de l'homme.

Sa tache conclue, elle repose les accessoires sur le bureau avant de se reculer d'un pas, silencieuse dans l'attente des indications du Père. Grimaçant discrètement à sa propre sensation d'inconfort qui se propage dans son dos meurtri.

Je ne bronche pas malgré les quelques maladresses qu'elle commet une fois de plus. Puissiez-Vous lui montrer le chemin.

- Bien. J'avise un instant sa posture d'inconfort et pense à ses propres blessures. Ses soins doivent être prodigués dans la discrétion, ce qu'il s'est passé ici ne peut être ébruité. Cela ne m'enchante guère, mais elle va devoir se soigner ici. Occupez-vous de vos propres blessures. Je marque un silence. Faites-moi savoir si vous avez besoin d'assistance.

Puis je passe de l'autre coté de mon bureau et avise les quelques ordres de mission que j'ai à traiter pour la journée. Il y aura aussi des interrogatoires, plus tard. Peut-être que sœur Eurydice pourra s'y montrer utile, se sera l'occasion de constater si la purification a fonctionné ainsi qu'elle le dit. Le moindre signe de faiblesse de sa part pourrait lui être fatal.

Elle hausse un sourcil à la sollicitude inattendue du Père Vérité, notant l'effet bien singulier que cette flagellation a eu sur lui. Loin de ses propres sentiments sur le sujet. La douleur n'est pas rédemptrice, la punition encore moins. L'abandon est bien le seul soulagement dont elle puisse se satisfaire. Mais une fois encore, l'heure n'est pas à la tentation. Il cédera bien assez vite.

La soeur attrape le nécessaire à soin et glisse un regard vers l'homme affairé derrière son bureau.
- Puis-je emprunter votre salle d'eau, mon Père ?

J'acquiesce d'un simple signe de tête accompagné d'un mouvement de la main désintéressé et d'un grognement qui se veut affirmatif. Je m'affaire à la tâche, prenant place dans mon fauteuil, sans même lui jeter un regard alors qu'elle pénètre dans la petite salle d'eau mitoyenne à ma cabine. Avant même qu'elle en sorte, j'ai remplis et signés les ordres de mission. L'un d'entre eux concernait le Sergent Vauclair, et je me fais une note à moi-même d'aller lui remettre l'ordre personnellement et en main propre. J'apprécie le contact de ce jeune soldat et reconnais le zèle d'un vrai croyant dans ses actes. Je place les documents dans un dossier et m'en munie avant de me placer près de la porte de mes quartiers droit et stoïque, malgré la douleur.

Le dos tourné face au ridicule miroir mural, Eurydice se contorsionne pour soigner sommairement ses plaies. Les dents serrées sous la gêne occasionnée par le désinfectant, elle se perd dans ses pensées. Elle ne saurait dire quand aura lieu la prochaine rencontre avec le Père. Si elle devait prendre en compte son apparente indifférence elle n'aurait que peu d'espoir pour la suite. Pourtant elle sait intimement que si l'homme a taché d'étouffer les braises de son désir, le feu gronde toujours, et ne s'éteindra qu'à son bon vouloir, dusse-t-elle en souffrir.

Elle se retourne et prend le temps de s'observer, de ses yeux brillants de larmes contenues, sa bouche rougie par les morsures, à la sueur qui perle encore à ses tempes jusqu'au creux de sa poitrine nue. Elle se sait désirable, elle sait son corps être un appel au pêché. La sœur n'a aucun doute en ses attraits, par tant de fois démontrés. C'est ce qui lui donne toute son assurance, son arrogance. Les mains appuyées sur le rebord du lavabo, elle se perd dans son songe.

Il se passe un certain temps. Temps pendant lequel je m'efforce d'écarter mes pensées de ce qui se passe dans cette salle de bain. Panser des plaies prend du temps, ses propres plaies encore plus, mais pas tant de temps. Je peux le dire d'expérience. Je ne suis pas impatient, mais quelque peu pressé, aussi, je m'approche de la porte à grand pas et frappe avec le dos de mes doigts tout en m'éclaircissant la gorge bruyamment.

- Ma sœur, hâtez-vous.

Elle sursaute, brutalement extraite de sa rêverie qui dérivait progressivement vers celui même qui en est responsable. Elle réajuste à la hâte les couches de vêtements, grimace au contact du tissu rêche sur les plaies juste désinfectées, et prend deux secondes pour se passer un coup d'eau sur le visage.

Quand Eurydice pousse la porte de la salle de bain, elle a retrouvé l'allure impeccable qui lui est coutumière. Seuls ses traits un peu plus tirés pourraient démontrer d'un quelconque malaise ou de la fatigue résultante de cette "séance".
Elle incline la tête vers l'inquisiteur, les mains traditionnellement jointe sur son ventre, avant de lui adresser :
- Puis-je vous être d'une quelconque utilisé mon Père ?

Je fais un pas en arrière la laisse sortir de la pièce au moment où la porte s'ouvre sur sa silhouette. Mon regard dure se fige dans le sien et j'ordonne sèchement.

- Il faut simplement vous presser. Il ne serait convenant, ni pour vous, ni pour moi que l'on vous trouve dans mes quartiers sans une explication juste.

Je souffle, agacé une fois de plus par son imprudence. Je lui indique la porte.

- Je vous laisse donc retourner à vos occupations. Il serait plus sage que vous sortiez la première. Que Sa parole vous accompagne ma sœur.

Ma main se place dans son dos, sans la toucher pour ne pas aggraver ses blessures, et accompagne son mouvement jusqu'à la porte que j'ouvre doucement, guettant la présence de personne dans le couloir. La voie est libre, je lui fais signe d'avancer.

Elle garde la tête légèrement inclinée, docile et serviable. Les yeux fixés sur le pantalon du Père, stoïque. Elle n'ajoute rien à la déclaration, son avis sur la question n'est ni nécessaire ni désiré. Elle comprend l'impératif de discrétion, et préfère d'autant plus garder son petit jeu secret.

Eurydice suit le Père jusqu'à la porte, remarque son manège pour vérifier la présence d'indésirables, refrène un sourire amusé. Elle lui adresse à peine une salutation avant de le dépasser et de s'éloigner d'un pas serein dans le couloir sombre. Il est encore très tôt, la matinée n'est même pas entamée.

Elle entend la porte se refermer derrière elle et laisse finalement un sourire prendre position sur ses lèvres. Ce jeu du chat et de la souris est définitivement grisant. Reste à faire comprendre à l'autre qui est le chat de l'histoire.