Purge [Théodora]

J'bois des gorgées d'ma bière et j'l'écoute, j'veux dire qu'j'l'écoute vraiment, comme si qu'j'étais intéressée par c'qu'y dit. C'qui faut pas faire... M'enfin, c'pas si chiant c'qu'y raconte alors ç'va.

- C'vrai qu'on a des points communs, toi et moi. Et c'qu'on est même d'accord sur c'point là. Ces connards d'pirates méritent rien qu'de s'faire chopper et d'avoir l'sort qu'y méritent. Y a bien d'mes ennemis dans ces rangs là. Des gens qu'j'aim'rais ben voir avec la corde au cou, même si c'pas l'genre d'l'UC d'faire ça. Et puis, c'pas non plus la mission principale d'notre brigade à nous. Mon enfoiré d'ex mari, lui y s'occupe d'ce genre d'trucs. J'sais pas s'tu connais l'Flare. C'est un vaisseau militaire d'par chez nous. Mais j'suis d'accord qu'ce s'rait quand même plus intelligent qu'on s'entende pour chopper tous ces connards d'pourritures.

Quand elle mentionne le Flare, j’ai la vision d’un officier de communication audacieux fléchissant sous mes attaques, un brave garçon qui ne savait manifestement pas juger ses interlocuteurs.

> Je connais le Flare de réputation, mais je ne l’ai encore jamais rencontré, sans doute cela arrivera-t-il bientôt. Quand elle mentionne son ex-mari, un goût amer me monte à la bouche. Jamais l’union sacrée du mariage ne devrait être rompue et même si je sais que les Corporatistes ne font pas vœux devant l’Unique, il m’est très difficile de donner légitimité à un tel désengagement. Une position ferme, qui déclencherait de nombreux et houleux débats, parfaite illustration des abysses culturels qui séparent UC et Trinité.

> Je m’efforce de construire une entente, aussi fragile soit-elle, avec divers bâtiments de guerre. J’use de tous moyens à ma disposition pour y parvenir. C’est ainsi que je surfais sur le traumatisme qui suivait l’attaque des mutants qui rassemblait encore beaucoup de monde en Dorado. Peut-être qu’en usant correctement de Dawind je pourrais contribuer à solidifier mes prises avec l’UC, mais il était encore beaucoup trop tôt pour pouvoir le dire.

> Et toi Dawind, as-tu d’autres buts dans la vie que ton engagement ? J’ose espérer que oui, même si je ne suis pas certain de me féliciter de sa réponse.

- Ouais, sûrement qu'ça arriv'ra s'tu veux faire affaire avec nous.

Il fait une drôle d'gueule mais j'lui pose pas d'questions. J'rien à dire, et j'ai pas spécial'ment envie d'l'entend' s'plaindre ou j'sais pas quoi. On est pas nan plus l'meilleurs potes quoi, c'pas à moi d'l'écouter chialer sa race. Y m'cause de l'alliance qu'y voudrait voir s'installer, et ça, ç'm'intéresse un peu.

- J'suis pas concernée par les bâtiments d'guerre, mais mes gars et moi, on fait la guerre comme personne. Et j'crois qu'c'est pas piqué des hann'tons qu'de s'poser c'genre d'objectifs par les temps qui courent. Nos enn'mis c'plus vraiment les nanas et les gars dans l'système. Nos enn'mis, y sont au-dehors et y peuvent nous baiser la gueule quand y veulent. Faut avoir l'ord' des prios parfois.

Ca m'préoccupe c't'histoire là, c'vrai. M'bon. Et y m'demande si j'ai d'aut buts dans la vie qu'mon engagement. J'réfléchis et j'hausse les épaules.

- Boarf. J'me bats cont' plein d'trucs comme l'sexisme et la conn'rie. Sinon, j'élève mon gamin, et j'me bats avec l'connard qui m'sert d'ex mari. Mais j'vis pas mal pour mon boulot d'puis d'jà longtemps. On atteint pas mon niveau en s'branlant la chatte.

Cela ne m’étonne guère qu’elle n’ait pas été rattachée à un bâtiment de guerre, qui voudrait d’un pareil caractère dans son équipage ? Toutefois l’issue de son raisonnement me laisse perplexe :

> Qu’entends-tu par au-dehors ? Les nouveaux ennemis, les mutants, ne semblent pas venir d’ailleurs que de Dorado. Si je perçois un mal, il est bien intérieur, avec les Pirates qui profitent de la discorde qui règne entre nos puissances et ces lâches de mutants qui se terrent.

Je manque de m’étouffer avec mon verre d’eau quand Dawind parle de se « branler la chatte », après une quinte de toux, qui je l’espère, aura eu comme bénéfice de couvrir ma confusion. Son vocabulaire guerrier semble indiquer que tout est un combat, un affrontement, excepter son enfant l’Unique en soit loué.

> Les FFUC traitent-ils différemment les hommes des femmes ? On m’avait souvent répondu que non, mais la plupart étaient des interlocuteurs, contrairement à cette fois. Quant aux débiles, je partage ta consternation, mais il n’est aisé de lutter contre, même si qu’en tant qu’Inquisiteur, j’ai trouvé quelques moyen de faire disparaître certain dont les agissements étaient trop indésirables. Nul ne faisait long feu sur mon vaisseau, ni parmi mes interlocuteurs, parfois au grand soulagement de ceux qui leurs étaient liés.

J'hausse les épaules, j'sais pas trop si on cause l'même langage lui et moi, mais j'crois qu'nan, s'non on s'comprendrait pour d'bon quand on cause.

- J'parlais d'l'extérieur d'nos factions. C'pas ent' nous qu'on doit s'batt' comme des cons, c'cont' les vraies m'naces.

Y s'étouffe l'trini, et j'lui tape dans l'dos. Ce s'rait con qu'y m'claque ent' les doigts. Y savent même pas boire d'l'eau, c'quand même un p'tain d'monde ça. C'pas si compliqué pourtant, et c'pas comme si y avait d'la gnôle dans son putain d'verre. J'bois un coup pour faire passer l'trucs qu'j'ai envie d'dire là. J'souris quand y m'd'mande si les FFUC traitent différemment les hommes et les femmes. Ca, c't'une fierté c'clair.

- Nan m'sieur. Pas d'différences. On est tous dans l'même bateau, et on a tous l'même trait'ment. On est dirigés par autant d'gars qu'd'femmes, et on est pas jugés sur c'qui pendouille ou pas ent' nos cuisses, mais sur c'qu'on sait faire et sur not' volonté.

Et pis y attise ma curiosité quand y cause des moyens cont' les abrutis. J'me penche vers lui un peu, super intéressée par c'qui dit soudain.

- Des moyens d'faire disparaître ? Ah ?

Un sourire se fraye une place sur mon visage, visiblement victime d’un quiproquo.

> Autant pour moi, j’ai mal interprété ton propos, nous sommes donc d’accord. Dis-je après avoir rapidement évacué ma confusion.

Je hochais la tête pensivement en écoutant la réponse de Dawind sur l’absence de traitement sexiste chez les FFUC, en tout cas la fierté manifeste de Dawind confirmait bien son intérêt pour cette question.

> Intéressant. Dis-je pour tout commentaire. Ce n’était ni ma place, ni mon rôle que de critiquer l’organisation Corporatiste ou Trinitaire.

> C’est plus une formule de style qu’une réelle disparition. La morale Trinitaire ne laisse que peu de place à la curiosité, à l’égarement ou à l’oisiveté. Ces comportements sont des déviances symptomatiques de la débilité, incapable de comprendre le bon fonctionnement de la société Trinitaire. Nombre d’entre eux sombrent dans l’hérésie, malgré eux ou guidés par un esprit mauvais. Je parlais en donnant de la force à mes mots, non pas pour me faire entendre des autres, mais pour garder Dawind attentive.

> Bien que peu influent, leur nombre est un fléau, alors il faut les identifier et les purger. Une tache peu reluisante, mais ô combien nécessaire. La Société ne fait de toute façon pas grand cas de la disparition de tels parasites, hormis quelques soi-disant humanistes. Eux aussi sont dangereux, mais d’un mal bien plus pernicieux, le doute et la conviction de vouloir le bien, car ils forment facilement des réseaux d’intellectuels et de philosophes, organisés et réactifs.

Ouais, on est d'accord. Mais pas trop sur la suite. En gros c'qui m'dit là, c'est qu'y casse la gueule d'tous les gars qu'ont l'malheur d'pas penser comme lui. Ou p't'êt' qu'c'est pas c'qu'y dit mais j'comprends ça moi. Bon c'vrai qu'des fois t'as d'gens qu'faut pas laisser vivre, qu'mérite d'crever et qui ruinent l'ordre d'la société, et là j'suis d'accord ok. Mais j'sais pas trop jusqu'à quel point l'trinipute croit en c'qui dit t'sais. Alors j'hausse les épaules mais j'réfléchis à c'que j'dis un peu aussi, histoire d'faire genre.

- J'crois qu'toi comme moi on veut qu'l'ordre règne, c'clair, même si nos différences d'factions font qu'on doit pas avoir l'même déf d'l'ordre, et qu'j'suis pas d'la police moi. J'gère les missions dang'reuses et les gars qui m'nacent la sécu des aut' et c'tout. Pour l'reste, j'm'en branle d'comment qu'les gens y vivent t'sais. Alors j'sais pas trop c'que t'entends quand tu causes d'purger. J'manque d'notions d'vot' milieu.

La remarque le Dawind m’arrache un sourire et un début de rire qui à son tour m’arrache une grimace à cause de mes cicatrices trop ressentes.

> Ce n’est pas tant une question de culture que de vocabulaire. Alors que nous, Trinitaires, parlons d’hérésie, vous allez parler de Populistes, de Communistes ou de Rebuts. Je parle de purge alors que chez vous c’est le déclassement social, de gestion de population. Je m’arrête là car la liste est longue.

> Au fond, les dirigeants veulent être écoutés et leurs ordres exécutés. Ton monde et le mien sont similaire, simplement le tien s’est bâti autour du culte de l’individu et de l’argent et mon monde autour de la Foi et du dogme de Saint Odat. A ceci près que l’Unique, contrairement à l’Argent, était un bienfaiteur clairvoyant et omniscient.

> Je rêve du jour où, à l’instar des gouvernants des Corporatistes, un Triumvirat soit établit en Dorado entre les trois factions. Dis-je, pensif, avant de me rembrunir. Mais les rêves ne suffisent pas, c’est pour ça que je m’évertue à créer une entente militaire, au moins entre quelques Capitaines. Je ne suis pas un politicien, mais tu découvriras toi aussi Dawind qu’il faut souvent passer par là pour obtenir de grandes avancées. De féroces combats qui se mènent à la plume et au verbe.

J'hausse les épaules. D'jà de un, l'vocabulaire j'l'encule avec du verre pilé, et d'deux, au moins l'argent y existe contrairement à leur Unique d'merde là. Mais j'peux pas l'dire ça, et j'le dis pas, j'me noie dans ma bière pour juste fermer ma gueule parce qu'l'aut' connard s'rait capab' d'mal l'prendre encore. J'vous juste, c'quand même un p'tain d'monde ça.

- Ouais. J'crois qu'j'le sais d'jà, c'pour ça qu'j'essaie d'faire gaffe à c'que j'dis alors qu'c'pas dans mes habitudes. J'suis p't'êt' pas la plus classe et la plus diplomate des nanas, mais j'suis pas conne non plus, et j'peux t'garantir mon gars qu'si t'as ma confiance, j'trahis pas. Au fond c'pas vraiment nos différences qu'devraient compter, mais tout c'qui pourrait nous rapprocher et faire qu'on vive mieux avec nos trucs persos t'sais.

Je hoche la tête à ses paroles :
> Et bien je regrette que tu ne sois pas plus haut placé au sein des FFUC, car avoir une personne aussi éclairée que toi serait d’un grand secours durant les négociations. Bien entendu, il était impensable de placer une femme avec un tel vocabulaire au sein d’une négociation, mais le cœur y était.

Me servant des accoudoirs pour me sortir du fauteuil, puis de ma canne pour me redresser, je ramène mon verre vide au bar, avant de revenir vers Dawind, lui tendant une main ouverte :

> Adjudant-chef Théodora Dawind, je ne pensais pas dire cela lors de notre première rencontre, mais je suis ravi d’avoir pu compter sur toi et tes hommes pour cette mission et plus encore, après ces quelques mots, j’apprécie sincèrement le soldat et la femme que tu es. Dis-je, avec un ton curieusement solennel et amical.

> Je dois m’en retourner à mes obligations, je te confie mes hommes, ne les fait pas trop boire. Dis-je, un sourire aux lèvres. Il y avait un fond de vérité, je n’aimais pas les hommes alcoolisés, ils étaient souvent synonyme de problèmes et de débordements.

Quand y commence à s'barrer, j'dois m'r'tenir d'sauter d'joie. Pas qu'j'aime pas sa compagnie, mais ça veut dire qu'on s'quitte en d'bons termes bordel d'merde. Je r'lève et j'lui tends une main avec une poigne d'fer mais en restant ben amicale t'sais.

- C't'un plaisir d'avoir fait affaire avec toi. J'pensais pas non plus qu'ce s'rait possible, mais j't'appuierai si t'as b'soin au près d'mes supérieurs. Et j'surveille tes gars, t'inquiètes.

Nan, j'suis pas une putain d'nounou, mais y finiront pas avec un coma éthylique au cul.

- Les miens savent qu'y doivent courir avant l'lever du soleil alors ç'va les calmer.