Mosh pit [Rae]

Tu ne sais pas pas. Tu penses à des choses mais tu ne sais pas, si c’est pertinent, si c’est utile, si ça a du sens. Tu n’as pas le moindre idée de ce que fait une dealeuse pour occuper ses journées quand elle ne vend pas. Ou de comment on gère un réseau.
Et surtout, tu ne sais pas qui elle est à côté de ça. Dommage, ce serait utile.

- Aux fêtes, aux buffets, aux discussions tout le temps. Si tu veux m’aider aux relations publiques et vendre aux associés ridiculement riches de Lime, c’est les meilleurs moments.

Ca, c'est dans mes cordes. Les fêtes, les buffets, les discussions, je gère. Faudra voir ce que ça peut m'apporter à moi. Des réductions sur leurs produits, un soutien politique, une sponso. Beaucoup de choses à négocier et auxquelles réfléchir, mais une affaire qui pourrait vraiment bien rouler, si on fait ça bien.

- Ca me plairait pas mal de faire ça. Faudra discuter de ce que tu peux faire pour moi en échange de ça. Vendre sera pas un problème pour moi. Attends, j'vais te filer mon numéro pro. Comme ça tu pourras m'appeler, et on en discutera quand le monde tanguera un peu moins. Y a un paquet de fric à se faire dans une collab de ce genre, mais faut que ce soit bien fait.

Je tâte mes poches dégageant un peu Waal' pour y avoir accès, et j'sors ma carte pro. Parce que de toutes façons, même si je veux rester discrète, je passe pas inaperçue. Y a Waal', y a mon style vestimentaire et ma grande gueule, qui marquent souvent les esprits.

Tu prends la carte. Tu la lis. Raedhun van Haten… Quelque chose s’allume dans ton esprit. Le nom te dit quelque chose… Où as-tu bien pu le voir ? Il te faut te concentrer, percer à travers le mur d’énergie erratique dans ta tête -dû au venin, sans doute-, aller chercher les informations.

- Le Crumb of Stars.

Voilà. C’était ça, juste ça. Tu y as déjà été parce que tu avais des permissions et des obligations mais tu n’as jamais pris le temps de discuter avec les propriétaires et aujourd’hui tu en as une près de toi. Ou tout du moins, c’est ce que tu crois.

- Je ne me trompe pas ?

J'le vois chopper la carte, lire le nom dessus - le mien - et se concentrer pendant quelques secondes. Se concentrer vraiment très fort. Et puis d'un coup, y a un truc qui s'allume et il retrouve l'info. Ca m'fait sourire intérieurement. Entre mon nom et mon établissement qui commencent à être connus, Waal' et mon trafic qui prend de la vigueur, va falloir que je fasse un peu plus attention à mes fréquentations. Non pas que je sois inquiète, mais la prudence a jamais buté personne.

- Le Crumbs of Stars. Mais c'est plus simple de dire Crust. C'est ça, ouais, bien joué. T'es client chez nous ? Bien entendu, si tu pouvais éviter de parler de ce genre de soirées si on se croise à bord, ça serait sympa de ta part.

Tu prends la correction avec grâce et tu tentes de l’imprimer dans ta tête, mais tu sens bien que ce sera peut-être plus compliqué que d’habitude. Il faudra certainement que tu y reviennes.
Un jour.
Peut-être.
Tu as un peu plus important à faire pour l’instant.

- Je ne vais pas parler de ton second travail au milieu des coincés.

Et tu as l’air étonné qu’elle puisse avoir pensé que tu le ferais. Tu n’es pas, tu n’as jamais été un délateur. Toute ton existence s’est faite les lèvres closes, les secrets dans l’esprit mais jamais au bout de la langue, tu ne comptes pas changer cette habitude.

- Ce serait stupide de raconter les secrets des autres alors que je suis un militaire qui joue de la musique anti-armée… Je ne dirais rien. Je peux le jurer.

J'hausse les épaules.

- Le prend pas personnellement. J'ai beaucoup de clients, je connais pas mal de gens à force de cumuler des emplois dans le social et la rencontre, et j'ai failli avoir quelques mauvaises expériences qui m'ont dissuadées d'oublier de préciser que le grand public est pas censé être au courant de mes activités moins légales.

Heureusement, c'était jamais des gens super intelligents ni trop influents, et le problème avait souvent être pu régler de manière simple et efficace.

- La plupart des gens que je rencontre dans ces soirées-là ont pas plus intérêt que moi à ce que ça se sache. On met tous plus ou moins à nu ce qu'on est vraiment, et c'est jamais agréable de le faire connaître à l'extérieur d'un certain cadre. Mais tu sais ce qu'on dit : mieux vaut prévenir que guérir. Alors maintenant je le dis, comme ça c'est clair et y a pas de risques qu'un connard se pointe dans mon établissement en hurlant des insanités, et puis se confonde en excuse en me sortant qu'il savait pas.

Tu vois la scène dans ton esprit. Ou tu vois une scène en tout cas, étrangement poétique avec ce que tu en fais : un homme en costume couleur lie-de-vin dans une des grandes pièces bien décorées du Crust, celle pour laquelle tu as retenu un sol bleu profond, hurlant devant une assemblée de gens sans visage au milieu de laquelle se dresse Raedhun blanche de colère.
Peut-être dessineras-tu cette image. Plus tard. Là tu lèves la main droite à ton coeur comme tu faisais étant enfant pour promettre quelque chose.

- Moi, Keli Lennox, fils de Samantha Lennox, je jure que je ne ferais pas irruption dans ton établissement pour dire à tous tes clients que tu as un second emploi comme vendeuse de produits récréatifs dans des soirées pleines de personnes riches qui ne veulent pas être surprises avec les poches pleines de drogues.

Tes mots s'égrènent et au fur et à mesure que tu les prononces, tu découvres tes dents dans un de tes sourires sincères. Tu t’amuses. C’est assez rare pour être signalé.

- Si je ne tiens pas ma promesse, tu pourras contacter le commandant du Flare pour lui dire qu’un de ses mécaniciens ne respecte pas le règlement. Maintenant tu as autant de choses à utiliser contre moi si je dérape.

Et c’est plus juste, tu crois.

J'hausse un sourcil un peu perplexe.

- J'sais pas si c'est cool ou stupide c'que tu viens d'faire, mais je vais pas me poser plus de questions que ça. C'est sûrement que j'ai pas assez l'habitude de ce genre de garantis explicitement prononcées. D'habitude, c'plus des promesses implicites convenues entre deux échanges de regards.

J'le regarde encore, et je pense à plein de truc. A son sourire plein de dents presque trop blanches, à son air de gamin qui dénote avec une certaine maturité qui peut ressortir des conversations qu'on a eu. J'sais pas si je me souviendrais de lui demain, mais j'aurais passé une soirée sympa quand même.

- T'es un drôle de type, Keli Lennox.

J'fous encore mon joint entre mes lèvres. J'me fiche pas mal de savoir comment il va prendre ça. Il peut le prendre bien ou mal, ça va rien changer à ma putain de vie. J'sais même pas si c'est positif ou négatif quand moi je le dis. C'est peut-être juste neutre. Juste une vérité. C'est un drôle de gars un peu quelconque, qu'on remarque pas mais qui laisse une saveur un peu douce amère dans le cœur. Un truc pas assez fort pour rester longtemps, ni pour marquer. Juste une brise passagère qui intrigue juste une seconde avant qu'on l'oublie.

- Les promesses implicites sont trop trompeuses.

Et tu préfères ne pas l’être. Si tu pouvais signer un accord, tu le ferais certainement. Tu as bien retenu tes cours, formels ou non, de business : quelque chose qui est sous-entendu pourrait aussi bien ne pas exister.
Mais tu ne vas pas te mettre à parler d’éthique commerçante, de formalisation de transactions, ou de l’utilité -rare, mais bien existante, tu le sais- des contrats informel. Tu vas juste hausser une épaule. Celle qui ne supporte pas le poids de ta basse.

- Certainement. Tu es une drôle de personne aussi, Raedhun.

Elle a un serpent immense autour du cou. Drôle est un terme presque trop léger pour la décrire.

- Je crois que je dois aller être étrange sur scène…

Vu l’agitation d’Ollie près de la porte et ses gestes dans sa direction, il n’y a pas beaucoup de doutes là dessus. Tu prends tout de même le temps de tendre ta main à la dealeuse.

- A une prochaine fois ?

- Ouais, il parait.

Ouais, il parait clairement que j'suis une drôle de personne. Et ça me dérange pas. J'aime ça. J'aime marquer les esprits, et c'est souvent ce que je fais. Parfois malgré moi. J'prends la main qu'il me tend, et j'la serre avec sincérité.

- Ouais, certainement. Dorado est un tout petit système.

J'vais l'écouter jouer, et puis quand il s'ra temps, j'vais me casser. La nuit est bien entamé, le matin va bientôt se pointer. Moi j'ai presque fini mon job. Il faut pas que je sois là quand le soleil se lèvera.