Mauvais payeur patenté

Tortuga, ville à la fois souterraine et sous cloche,  est très différente  de Valentia et d'Esperanza ; elle ne possède pas d'immenses gratte-ciel aux allures  sombres ni la diversité du bâti caractéristique du mélange culturel des trois factions. Cependant elle représente un univers familier pour la jeune femme qui a écouté les histoires des contrebandiers de la famille ; on pouvait trouver de tout à Tortuga alors que dans les deux autres villes, il fallait chercher les bons contacts pour accéder aux marchés noirs.  Second avantage non moindre, il n'y avait nul besoin de s'inquiéter du risque d'être arrêtée par les autorités impériales mais la vigilance reste de mise.  C'est un monde fait pour les proscrits,  les criminels, les corsaires et les pirates.
Dangereux. Et mortel pour les malchanceux.

Gillian ne s'y est rendu que pour rendre un service à un cousin, Victorio Ramirez qui s'inquiétait d'une menace  visant les affaires de contrebande familiale. Ce qui n'avait rien d'une nouveauté mais la famille avait toujours survécu et prospéré depuis la découverte de Dorado.  Non, ce qui perturbait Gillian, c'est que ce service l'impliquait directement sur Tortuga cette fois-ci.  Un rappel de ce qu'elle a perdu. Et gagné aussi pourrait ajouter Gillian en regardant son Kao d'un œil maternel  qui folâtre dans la rue à l'alignement chaotique, elle-même étant assise à fumer un cigare.  Ne vous fiez pas à l'apparente tranquillité et au regard doux qu'elle affiche,  c'est un faucon à l'œil perçant qui ne manque rien de l'animation de la rue et que les pickpockets aguerris savent  éviter.  Sa pause se termine quand  elle jette son cigare et l'écrase sous sa botte  afin d'en éteindre les dernières braises.  

La jeune femme  siffla  son animal   qui rapplique non sans commettre une série de pipi imaginaire sur le court chemin qui ramenait au local utilisé  par le clan pour vendre ses marchandises illégales, elle ouvre la porte, signale à un homme de l'équipage du modeste  vaisseau de contrebande, propriété de son oncle Ferkad d'aller faire le guet à sa place. Il était inutile de prendre des risques avec les bandes rivales, ou ceux qui n'apprécient guère que les Ramirez ne  vendent pas de la drogue. S'endormir à Tortuga, c'était parfois pour ne plus jamais se réveiller.  Le vieil oncle  faisait la montre  de ce qu'il avait en stock à  un client   avec l'habileté consommée de décennies de pratique, l'observer  rappelait à Gillian les histoires  qu'il lui avait raconté enfant. Un héros à la langue agile et à la ruse du commerçant  et des méchants mur pour se faire plumer.  Mais l'enfance n'est plus. Adieu l'innocence, l'admiration béate, place à la réalité !

Que négociaient-ils, se demanda-t-elle avec une vive curiosité sans toutefois interrompre le processus de négociation, Gillian  se contenta de se rapprocher pour entendre et de surveiller les signes d'agressivité du client.