My blood, my breath.

Course effrénée, l'homme et l'atikaya courent. Evitent les gens, les débris, sautent par-dessus chaque obstacle, les contournent. Coeur battant, corps affaibli, éreinté. Je les sens, ces muscles fatigués. Pourtant, je cours. Neyäti grogne, collée à moi. Elle souffle, saute, agile. Et, au loin s'élève une auberge, enfin. Géant, je cours toujours, hurle parfois.

- DEGAGEZ LE PASSAGE!

Et je cours. L'auberge est là, s'élevant de toute sa hauteur. Intacte. Et j'ai peur. Peur qu'il soit arrivé malheur, peur de retrouver l'apocalypse. J'aurais pu appeler, mon HCom a été détruit pendant le combat. Mon oreillette avec. Alors j'ai couru, après m'être assuré que Noor et En'the allaient bien. Je crains le pire...
Je cours, encore. Quelques mètres, quelques pas. Je sens mon corps hurler, il veut lâcher. Je tiens bon. Au coeur du combat, j'ai pris cher... Et je sprint toujours. J'entre en trombe dans l'auberge, mes pas lourds résonnent dans les couloirs, je croise certains visages décomposés. Ne m'arrête pas.

Je me stoppe net, ma main s'appuie contre le mur. Elle est là. Face à moi. Je vois une larme, sur sa joue. Elle ne pleure jamais... Dans ses bras, mon ange, ma Eeä. Dans ses jambes, mon autre amour, Ali. Et derrière, qui court, saute sur moi, mon ainée. Kanhä pleure aussi...
Je la serre contre mon coeur, retient un râle de douleur. Corps recouvert de blessures, de sang. Le mien, mais surtout le leur. Main contre le mur, l'autre étreignant ma fille, je vois les femmes de ma vie s'approcher de moi. Et je la serre, mon épouse, contre mon coeur. Eeä piégée entre nous.

- Mon amour... j'ai cru... je ne savais pas si vous étiez en sécurité. J'ai eu peur... Excuses-moi pour ce matin, j'ai été con.

D'un geste, elle me fait signe de me taire, dépose un baiser sur mes lèvres. Je le lui rend. Et je ne la relâche pas, seulement pour prendre Ali'Sha dans mes bras. Je dépose plusieurs baisers sur son visages, elle me sourit et se serre contre moi. Mon épaule m'élance, mes jambes hurlent pitié. Le contrecoup remonte. Je tiens, parce qu'elles sont là. Et je résiste à la douleur. Lorsque je relève mon regard, je vois les leur. Et Zaä'ra commence son inspection.

- Logan, tu... tu n'as rien?

Mon rire tonitruant explose.

- Ne vous inquiétez pas, mes jolies, si vous pouviez voir les autres.

Je retiens une grimace. Et soudain, mon coeur se remet à battre. Quelque chose manque... quelque chose cloche. Et je vois clair. Pas quelque chose, quelqu'un. Mon regard se tourne, encore et encore. Et je plante mon regard dans celui de ma femme.

- Où est-il? Où est Nick?

Son regard s'assombrit, elle semble elle aussi préoccupée. Elle ne sait pas. Je dépose un dernier baiser sur le front de ma fille, la dépose à terre.

- Je dois le retrouver... restez ici, gardez Neyäti avec vous.

Je me retourne, recommence à courir. Et je sors de l'auberge. Je dois retrouver mon fils.

Nick était parti dans son coin pour faire quelques courses personnelles et n’avait pas eu l’intention de faire traîner la balade. Mais tout avait péter, littéralement. Il avait mis un moment à saisir les différentes informations hurlées.

Il songea à son père et se demanda où il pouvait être. L’un des membres d’équipage qu’il croisa dans la foule parvint à le renseigner sur une position approximative. Ça parlait d’explosion, de blessés, d’attaques. Il allait contre le sens des fuyards, se sentant obligés d’aider ceux qui sont blessés ou qui chutent.

D’autres personnes, comme lui, allaient à contrecourant. Certains pour aider, d’autres pour retrouver un être aimé. Une femme qui courait à côté de lui et qui cherchait son fiancé s’arrêta pour l’aider après qu’il ait lourdement chuté.

D’un commun accord, ils se décrivirent l’être cherché et échangèrent leurs moyens de communication pour s’aider puis se séparèrent. C’est elle qui trouva Logan et qui lui envoya sa position. Il était torturé, craignait ce qu’il risquait de voir. Un géant blond apparut au loin dans la foule et son cœur manqua un battement.

- PAPA ! hurla-t-il.

C’était Logan normalement mais il était trop paniqué pour y réfléchir. Il bouscula les personnes qui les séparaient en tentant de se faire entendre parmi dans toute cette agitation.

- Logan ! cria-t-il une fois plus proche.

De ce qu’il pouvait voir, il n’était pas en bon état. Il priait intérieurement pour que ce ne soit rien de grave.

Je l'entend. Un cri. Mes yeux ne captent pas sa silhouette, lorsque sa voix résonne à nouveau parmi la foule. Je me stoppe, net. Et je le vois, là, courant dans ma direction. Souffle court, mon bras me fait souffrir. Pourtant, j'ignore la douleur et me force à faire quelques mètres encore. Jouant des coudes, j'écarte les gens de mon passage, qu'importe leur état. Et lorsqu'il arrive à ma hauteur, je sens mon coeur tenter d'exploser ma poitrine.
J'ai eu peur.
Ce gamin, ce fils inespéré auquel je n'ai pas cru. J'ai eu peur de le perdre. Je ne me retiens pas. Mes mains se posent sur ses épaules, solides. Je l'observe, le tourne, le retourne. Il n'a rien. Rien du tout. Et soudain, je ressens le besoin de l'étreindre. Je l'attire contre mon corps, retient une grimace. La griffure de cette satanée bête saigne toujours.

Nous sommes là, au beau milieu de toute cette foule affolée, perdue. Et je serre mon fils dans mes bras. Le relâche, maintient mes mains sur ses épaules.

- Putain, mon fils, tu m'as fait peur. Tout va bien? Tu n'as rien? T'es-tu caché? Tu ne t'es pas foutu dans la merde, j'espère?

Je m'inquiètes toujours. Bien que je ne perçoive pas la moindre blessure physique, je ne peux m'en empêcher. De m'inquiéter pour mon fils.

Nick était furieux. Furieux des personnes qui étaient derrière cette catastrophe, furieux de ces personnes qui le séparaient de son père et qu’il devait pousser pour le rejoindre. Et sa rage s’enflamma d’autant plus lorsqu’il prit conscience de l’ampleur de ses blessures. Il aurait dû être avec lui merde ! Il aurait dû être là pour le protéger !

Et d’un coup, il se retrouva dans l’étreinte de son père. Plus que surpris, il resta un moment hébété. Emu, il resserra ses bras contre le quartier-maître en tâchant de contenir son émotion. Il s’en rendait compte : il avait rêvé toute sa vie de ça, d’une étreinte. D’être appelé « mon fils ». Que cet homme qu’il avait idolâtrer toute sa vie se soucie de lui, sache qu’il existe et s’inquiète de son sort.

- Je vais bien ! J’étais loin de tout ce qu’il s’est passé et la foule m’a empêché de te rejoindre directement. Mais toi ! Tu es blessé !

Il inspecta son père sous toute les coutures, furieusement inquiet.

- Faut qu’tu vois un docteur tout de suite ! T’es en train de pisser le sang !

Son cœur battait furieusement la chamade tandis qu’il imaginait ce qui a bien pu se passer. Ne pouvant déchirer sa veste en cuir vu sa solidité, il enleva son t-shirt pour éponger le sang. Il avait l’air malin torse nu avec seulement une veste sur les épaules mais tant pis, il devait s’assurer que ce n’était pas trop grave.

Mes blessures ne sont rien comparé au soulagement de voir mon fils en un seul morceau. Il s'inquiète pour moi, pourtant, je ne me préoccupe pas plus du sang à présent sec sur mon avant-bras qu'il y a quelques minutes. Il me surprend lorsqu'il ôte son t-shirt pour commencer à éponger ce sang et je commence à rire, bien plus nerveusement que par moquerie. Mon coeur bat encore la chamade, je n'ai jamais eu aussi peur. Pour les femmes de ma vie, pour mon fils.

- Ce n'est rien, une bête égratignure. Ca va disparaître.

J'ai une résistance à la douleur assez impressionnante, pourtant je dois bien l'avouer, il serait raisonnable de soigner ces blessures superficielles. Et de se mettre à l'abri quelque part. Rien n'est encore terminé, dans cette foutue Tortuga. Je le sens, c'était plus que ça.

- Laisse ça, ne t'inquiètes pas. Cherchons plutôt un endroit sûr, j'le sens pas cette histoire.

La foule autour de nous court toujours, panique, parfois hurle. Tout n'est pas terminé. Oui, on les a explosé. Littéralement. Mais rien n'est terminé. Qui étaient-ils, que voulaient-ils? Mes pensées tournent à plein régime lorsque j'empoigne l'épaule de mon fils, plongeant mon regard dans le sien. Avant de le relâcher et de m'en retourner pour trouver un coin sûr. Nick est là, à côté de moi. Mon esprit est bien plus calme à présent que je le sais sain et sauf. A présent, il est sous ma protection. Tout ira bien.

Il rit. Nom de nom, il rit ! Je regarde mon père avec des gros yeux surpris. Mais comment peut-il rire ? Je laisse tranquille sa blessure le temps de le suivre pour nous mettre à l’abri mais je reste prêt à m’en occuper dès qu’un moment de calme se présentera.

Le regard que nous échangeons et cette épaule qu’il me serre me chamboule. Je sens que les choses changent entre nous, comme je l’ai toujours voulu. Mais je ne parviens pas à m’en réjouir totalement, pas avec ce s’passe autour de nous.

Dans la foule, une gamine me bouscule, elle doit avoir l’âge d’Ali’Sha. Je me pétrifie.

- Les filles, je murmure… Logan ! LES FILLES !

Non non non non… Pas mes sœurs, pas elles. Elles étaient à terre avec leur mère, elles sont sur Tortuga. Une terreur impitoyable m’envahit.

- Il faut les retrouver, tenter de les contacter.

Je suis hystérique, une centaine de scénarios catastrophes défilent dans mon esprit. Je reçois un message et me dépêche de l’ouvrir. Ce ne sont pas des nouvelles de ma famille mais la femme qui cherchait son fiancé qui m’annonce qu’elle l’a retrouvé mort, que je ne dois plus le chercher. Et elle me remercie pour mon aide. Elle me remercie…

La rage, le désespoir, la tristesse. Je plonge mes yeux dans ceux de mon père.

- Qui a fait ça ? je lui demande d’une voix brisée.

Qui a pu causer tant de souffrances ?

Soudain, une terreur prend possession de mon fils. Si je n'étais pas certain que ses craintes ne valaient pas la peine que je panique à mon tour, je ne ressentirai pas cette fierté au coeur de le savoir déjà si attaché et attentif à ses cadettes. Bien qu'il ne connaisse ces dernières que depuis peu. L'hystérie le prend au corps, je le lis dans son regard. Et lorsqu'il le plonge dans le mien, je sens mon coeur de géant se fendre. Je l'observe quelques secondes.

-Ne t'inquiètes pas, elles sont toutes les quatre saines et sauves, j'ai accouru à l'auberge où je les ai laissées ce matin avant de te chercher partout en ville. Elles nous attendent.

J'aimerais pouvoir lui donner une réponse à cette seconde question qui le fait terriblement souffrir, mais je n'ai moi-même pas le moindre élément de réponse. Pourquoi attaquer Tortuga? Qui sont-ils? Ces monstres, d'où viennent-ils? Je voudrais rassurer Nick, je voudrais faire plus pour ce fils qui n'a eu son père. Mais je n'ai rien pour lui. Rien que ma présence.

-Je n'sais pas. J'aimerais te répondre, mais je n'sais pas. Je n'ai vu que l'ennemi, les cris et la mort.

J'oublie parfois qu'il est mon fils, parle comme à un membre d'équipage. Et je me reprend, me dit que je n'aurais peut-être pas dû parler ainsi. Les ennemis, la mort. Et je me rappelle qu'il est adulte. Alors je plante à nouveau mon regard dans le sien.

-Au moins, nous sommes ensemble, Nick.

Le soulagement m’envahit et le relâchement de pression soudain me fait tourner la tête. Trop d’informations en si peu de temps. La colère est toujours là. Mais j’ai mon père. C’est vrai, j’ai mon père. Etrangement, je suis gêné. J’ai pas l’habitude d’autant de sincérité et de solennité familiale. Je détourne les yeux avec gêne.

- On devrait rejoindre les filles avant qu’elles ne nous achèvent pour leur avoir fait peur.

L’idée me vint que leur envoyer un message n’est pas inutile. Je pianote rapidement un message rassurant à Zaa’ra lui expliquant que je suis avec Logan et qu’on va tout les deux bien. Je me sens un peu illégitime de lui communiquer ça mais mon père n’a pas l’air d’avoir du HCom. Je le montrais néanmoins à l’intéressé avant.

- Tu crois qu’elle va me tuer si je lui envoi ça ?

Je ne cherche même pas à cacher ma crainte. Cette femme m’intimide ! Mais je me dis qu’elle voudrait au moins des nouvelles de son époux, pas vrai ?

- Tu sais P’pa, euh… Logan, j’arrive pas à comprendre comment t’es passé de ma mère le petit oiseau précieux (le ton pour désigner ma génitrice est plein de mépris, je ne peux pas m’en empêcher) à Zaa’ra, la déesse guerrière.

Je souris lorsqu'il me tend son HCom. Il est vrai que Zaä'ra parvient avec difficulté à reconnaître qu'il s'agisse de mon fils. Hystérique dans les premiers temps, elle a refusé sa présence. Je l'ai convaincue qu'il ne s'agissait pas d'une aventure, mais bien d'une relation passée. Pourtant, elle reste sceptique. Restait. Tout à l'heure, j'ai lu cette inquiétude dans son regard, une inquiétude qui la surprenait elle-même. Alors, ce message est sans doute ce qu'il faut en cet instant. Je regarde Nick droit dans les yeux.

-Elle te tuera si tu ne le fais pas, crois-moi.

Et soudain, il me surprend lorsqu'il retourne la conversation. Je ne tique pas alors qu'il m'appelle papa. Sourcils haussés, je me fige l'espace d'un instant, avant de reprendre mon large sourire sur mes lèvres. A l'abri, je décide de prendre appui sur un petit muret, j'ai besoin de me poser un moment pour souffler. Je relève mon regard et le plonge à nouveau dans celui de mon fils. Je sens le mépris dans son ton.

-Ta mère était bien différente lorsque je l'ai connue, bien moins précieuse. J'ignore ce qu'il lui est passé par la tête, mais je t'assure qu'elle n'était pas comme tu me l'as décrite. J'ai peine à la reconnaître dans tes paroles. Quand à Zaä'ra... je n'y peux rien, elle a capturé mon coeur et l'a bombardé loin des autres femmes. C'est elle qui me tient! Je suis à sa merci et, ma fois, je ne m'en plains pas.

Je me sens presque coupable quand il prend la défense de ma mère et je détourne les yeux, gêné. Mais qui qu’elle ait pu être lorsqu’elle était sur le Goéland, elle n’est aujourd’hui qu’une fille de bonne famille pleine de préjugés et de barrières. Zaä’ra, par contre, c’est une vraie pirate ! Et même si elle a toujours été froide, je ne peux m’empêcher de l’admirer et de me dire qu’elle est parfaite pour mon père.

Maintenant qu’on s’est arrêté et qu’on n’est pas au cœur d’une foule, je décide d’inspecter les plaies de mon père pour me donner une idée de la gravité.

- Si tu es dans cet état, j’veux pas voir celui de ceux qui ont eu la malchance de vouloir t’affronter.

Je n’ai aucun doute sur les capacités de cette montagne de muscles. Les premiers jours après notre rencontre, je m’étais régulièrement surpris à admirer le corps de dieu que père s’était sculpté. Il avait été le héros de mon enfance, et depuis que je suis à ses côtés, il comble ce rôle à la perfection.

- Tu te sens d’attaque pour continuer la route où je demande à belle-maman de venir nous trouver avec du matériel de soin ? m’enquis-je avec inquiétude tout en étant ravi que l’intéressée ne soit pas à porter d’oreilles pour la sécurité de la liaison entre ma tête et mon cou.