La malédiction du père-du [Dayanara & Jezabel]

Je marque une pause devant les lourdes portes qui nous séparent du poste de pilotage. Je me tourne face à la jeune femme. Elle possède en elle un élément qui me ramène tout à la fois à ma Jillian et à ma mère. Je sens une grande tendresse m'envahir ; cependant, je n'en montre rien - si ce n'est un sourire empli de douceur.

- N'ayez crainte, Mademoiselle de Aguirre. Tout cela s'apprend, et nos pilotes sont fort patients. Nous avons un apprenti pilote depuis quelques temps déjà ; notre formatrice désignée est pédagogue, patiente et tout à fait remarquable. Personne ne vous jettera dehors, à moins que vous ne commettiez de graves fautes et que votre comportement ne nuise à l'ensemble de l'équipe. Si cela ne vous convient guère, vous n'aurez nulles obligations de demeurer parmi eux. A l'inverse, si vous vous sentez à votre aise, vous trouverez aisément votre place. Je vais vous présenter à une partie de nos pilotes. Vous verrez par vous-mêmes qu'il n'y a strictement rien à craindre, n'est-il pas.

J'ouvre ensuite la porte. Plusieurs hommes et femmes s'affairent avec une grande concentration. Cependant, ils relèvent la tête en nous voyant, et me saluent respectueusement. J'en fais de même, avant de porter mon attention sur un pilote en particulier.

- Monsieur Galwaïn. Nous parlions justement de vous. Puis-je prendre dix minutes de votre temps, je vous prie ?

Il avait la tête sur ses trajectoires, tout le cerveau mobilisé ailleurs que sur le poste de pilotage, mais en voyant ses collègues lever le nez il en fait de même. Tiens, la Capitaine. Il salue poliment puis va pour retourner à ses courbes… Avant d’être arrêté. On parlait de lui ? Pour quoi faire ?

- Bien sûr, toutes les minutes que vous voudrez.

Comme il est d’usage de le faire quand on veut discuter, il se rapproche de la Capitaine Alvarez et de la petite près d’elle. Il ne l’a jamais vue. Elle a quand même le droit à un hochement de tête pour dire bonjour.

- Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

Dayanara hoche la tête, encore une fois rassurée par la présence douce de Jezabel. Elle n'a pas l'habitude de ce genre de bonté féminine, plus depuis trop longtemps. Ça lui rappelle Isabella, frêle et souffreteuse sur son lit d'hôpital. Est-ce propre aux femmes qui ont eu un enfant ? Sa mine se froisse en pensant au rejeton qu'a eut la Capitaine avec son paternel. Elle le jalouse, et en a pleinement conscience.

Elle lève de grands yeux vers la salle des pilotes; des écrans, beaucoup d'écrans, pleins de choses compliquées. Elle se sent déjà un peu intimidée. Avisant le mec qui s'avance - roule ?- vers elles, elle esquisse l'ombre d'un sourire timide. De tous ceux qu'elle a pu croiser aujourd'hui, il lui semble le plus sympathique. Peut être le plus proche des types qu'elle a un jour pu côtoyer, loin de l'aspect un peu trop guindé de Jezabel ou de la froideur d'Enguerrand.

Comme à son habitude, Monsieur Galwaïn n'est guère contrariant.

- Monsieur Galwaïn, je vous présent Mademoiselle Dayanara de Aguirre. Elle vient tout juste de rejoindre l'équipage. Elle fait partie de nos abordeurs, mais si vous n'y voyez guère d'inconvénients, elle passera également du temps au poste de pilotage afin d'en apprendre les fondements. Si cela lui plaît, elle pourra éventuellement envisager d'en faire carrière. Puisque vous êtes vous même apprenti, j'ai songé que vous pourriez rassurer Mademoiselle de Aguirre quant au métier que vous apprenez.

Ha, c’est donc une autre bébé pilote ! Cadeau pour De Aguirre, le sourire sincère du type content de voir des gens s’intéresser au pilotage. Il n’est pas depuis si longtemps aux commandes partielles du Némésis, mais il est toujours ravi de voir de nouvelles vocations.

- C’est plus facile qu’il y paraît, tu verras.

Clairement c’est rassurant, le pilote de speeder rôdé qui annonce que manoeuvrer une vache spatiale est facile. Heureusement que la petite jeune ne doit pas connaître son pédigrée.

- Dom, fait-il en désignant des cheveux roses de l’autre côté de la pièce, est une bonne prof. C’est une équipe de gens bien, on est tous là pour faire avancer le Némésis du bon côté, alors y’a pas de raisons que ça se passe mal. Ils te laisseront pas d’occasion de rayer la coque avant que tu sois prête, si ça te rassure.

Un regard vers Jezabel.

- Pas que quelqu’un ici aie rayé quoi que ce soit, madame.

Si, lui, il a raclé quelques coins. Mais il ne va pas le dire.

Et voilà qu'il lui adresse un sourire lumineux, et qu'elle se sent piquer un fard comme il lui est jamais arrivé auparavant. La jeune fille se fait l'effet d'une tortue à s'enfoncer autant entre ses épaules, les yeux à moitiés couverts par le bonnet. Il a un chouette sourire, en fait. Et quelque chose dans la couleur de ses yeux qui la fait se sentir comme une gamine pendant son premier spacetrip. Et puis il est doux, aussi ... Et ça c'est quelque chose dont elle n'a pas trop l'habitude venant des hommes.

Elle essaie bien de bafouiller quelque chose, malgré ses joues luminescentes et son coeur palpitant. Elle pense avoir eu sa dose d'interaction sociales pour la journée et s'est assez ridiculisée pour les dix prochaines semaines, voire années.
- Je ferais bien attention M'sieur et j'serais pas dans vos pattes ! Je serais sage !

Elle rougit d'autant plus en se rendant compte de la belle connerie qu'elle vient de dire. Comment se faire passer en trois mots pour une fillette ? Demandez lui. Elle se renfrogne en se faisant plus discrète à côté de Jezabel.

Je demeure légèrement en retrait pendant qu'ils échangent. Monsieur Galwaïn est un élément prometteur, qui a su faire de beaux progrès en un laps de temps relativement court. Je le darde d'un regard sévère lorsqu'il tente de m'assurer que personne n'a rayé la coque du Némésis.

- Il serait effectivement préférable que vous n'abimiez point l'endroit dans lequel nous vivons tous, n'est-ce pas.

Je tourne mon regard en direction de Mademoiselle de Aguirre.

- Chacun des membres de cet équipage est compétent et dévoué à la tâche qui lui incombe. Montrez vous volontaire et travailleuse, et tout se passera pour le mieux.

Je souris désormais, et mon sourire croît lorsque mes yeux se posent à nouveau sur Monsieur Galwaïn.

- Monsieur Galwaïn ? Vous serez responsable de Mademoiselle de Aguirre pendant sa période d'essaie au sein du poste de pilotage.

La remarque de la petite fait se marrer Suu, qui tapote de la paume sur son fauteuil.

- Je serais plus inquiet si tu étais dans mes roues.

Non parce que dans l’absolu, dans ses jambes, ça ne changera rien. Bref. Pas de blagues, ni sur les pattes ni sur les filles sages, en présence de la Capitaine. Surtout pas quand elle lui prouve qu’elle lui fait assez confiance pour lui confier la charge de quelqu’un.

- Je vous promets de veiller sur elle et de ne pas plus la rayer que le Némésis, madame.

Il salue d’un hochement de tête et se tourne de nouveau vers De Aguirre. L’idée de pouvoir la convaincre de rester au poste de pilotage et de lui éviter de se faire tirer dessus pendant les abordages est un peu ridicule mais pourquoi pas. C’est un bon défi.

- J’vais essayer de faire en sorte que tu te plaises et que tu veuilles rester avec nous pour diriger la grosse baleine !

Son rougissement s’intensifie alors que l’autre rit de sa bêtise, si elle tente bien de se justifier en avisant le fauteuil roulant :
- Je-je-je voulais pas dire que ... J’ai euh.

... Ca échoue plutôt misérablement. Aussi juge-t-elle plus adéquat d’hocher docilement la tête à la remarque de Jezabel. Motivée et travailleuse elle sait l’être. Elle est réputée pour être une vraie tête de mule et ne jamais baisser les bras devant une difficulté. Elle s’est engagée dans cette histoire en connaissance de cause après tout.

Elle se sent un peu gênée vis à vis du dénommé Monsieur Galwaïn. Lui qui est sympa avec elle ... Ce serait bien sa veine de se le mettre à dos ou de le foutre en rogne par ses bêtises. Elle décide qu’elle l’aime bien, ce type.
Elle a tout à prouver à bord du Némésis. En tant qu’abordeuse, progéniture, et maintenant apprentie pilote ... Haut les coeurs, l’aventure commence. Elle hoche une nouvelle fois la tête, plus volontairement cette fois-ci, et déclare bien fort avec cette spontanéité qui la caractérise, montrant d’un geste flou son bras métallique et ses balafres :
- J’en ai vu d’autres et j’suis déjà pas mal rayée, alors vous pouvez y aller franchement M’sieur Galwaïn !

Je suis fort satisfaite de l'efficacité de Monsieur Galwaïn. J'hoche la tête, sans masquer mon contentement. Pour autant, je ne souris plus guère, souhaitant ainsi leur signifier que mes ordres n'attendent point la moindre contestation ni n'appellent à la discussion.

- Bien. En ce cas, je vous laisse entre les mains de Monsieur Galwaïn, Mademoiselle de Aguirre. S'il y a un quelconque souci, Monsieur Galwaïn saura vous guider jusqu'à mes quartiers. Bienvenue parmi nous, Mademoiselle de Aguirre.

Je tourne les talons et me dirige en direction de la sortie. Cependant, je marque un arrêt, et me tourne en direction d'une des pilotes.

- Oh, Madame Sancerres ? Surveillez votre protégé, je vous prie. Il m'a semblé apercevoir une rayure qui n'était point présente auparavant.

Je lance un regard amusé à Monsieur Galwaïn ; il contraste avec la froideur de mon ton et du reste de mon visage. Puis, je disparais en direction de mes quartiers. Les affaires n'attendent guère.

Bien, bonne mentalité que possède la petite. Cette fois le hochement de tête lui est adressé, de ceux qui approuvent de quelque chose. Suu est content.
Et puis juste après il se retient de lever les yeux au ciel en s’entendant être dénoncé sans pitié à Dom. Il ne va jamais arrêter d’en entendre parler, de cette stupide rayure. C’était une fois et c’était même pas trop grave, franchement !

- Ca n’arrivera plus, madame. La coque est en sécurité.

Ouais, la Capitaine a beau sourire, il préfère être certain qu’elle ne le pense pas capable de continuer de faire n’importe quoi avec son vaisseau. On ne sait jamais.
C’est que quand elle est sortie du poste de pilotage qu’il fait signe à Dayanara de s’approcher en ignorant très volontairement la pilote aux cheveux roses en train de se fiche de lui dans un coin.

- Allez viens, on va y aller franco. Le premier truc à savoir c’est que tu peux m’appeler Suu et me tutoyer, je suis aussi un apprenti pilote. Comme toi.

Un qui a un sourire en tranche de courge et qui a l’air de se marrer à faire le professeur. C’est glorieux.

- Et le deuxième truc c’est… T’as déjà piloté quelque chose ou pas du tout ? Un speeder ? Un vélo ?

Elle fait le bon petit soldat avec la Capitaine Alvarez, hochant la tête respectueusement, un peu paniquée d'être laissée là dans un territoire inconnu avec un ... Homme inconnu, qui la regarde par ailleurs. Elle déglutit un peu stupidement, se sentant étrangement empotée une fois sortie du cadre "abordage". Taper sur d'autres elle sait faire, virevolter dans les airs et pousser des cris de guerre aussi. Demandez lui de tenir une conversation ou de faire preuve d'esprit, et ce sera comme demander à un cochon de pondre un oeuf.
- Oui, M'si- Suu.

Elle garde le regard braqué sur les roues du fauteuil pour éviter de trop le fixer. Y'a quelque chose dans son grand sourire qui lui fait un peu drôle, un peu. Elle s'empourpre -décidément !- en répondant :
- Rien de tout ça M'-Suu.

Elle a jamais touché un guidon de sa vie. Il aurait peut être fallut quelqu'un pour lui apprendre, remarque. Ignacio n'était pas homme à proposer des activités ludiques; autre qu'aiguiser une lame. Elle se demande fugacement si Enguerrand fera ce genre de choses avec son morveux.
- Mais j'ai un bon sens de l'orientation, j'crois ! Et j'ai pas peur d'avoir la tête à l'envers !