La porte de referme sur un enfant soufrant, le visage rouge malgré les calmants. La salle est d’un blanc immaculé, à l’exception d’une grande gravure représentant la fleur d'Abeba au-dessus du frêle patient.
« Votre fils, Lodewijk, a été veillé par l’Unique ! Vos prières ont été entendues »
Les deux parents se tenaient face à l’aumônier de l’hôpital. Ils arboraient un sourire embué de larme, rattrapés toutefois par l’air grave de l’ecclésiastique.
« Il va garder ses jambes, mais il ne s’en remettra jamais. Le mal l’a rongé trop profondément, trop vivement. Si l’Unique le veut, il pourra marcher avec une canne, sinon il se déplacera en fauteuil. »
Leentje, la mère, sécha ses larmes et s’éclaircit la voix :
« La foi de Lodewijk est aussi pure que sa volonté est forte. Nous prierons l’Unique pour sa rémission. Merci mon Père. »
L’aumônier laissa les deux parents entrer dans la chambre, l’enfant gémissait dans son sommeil artificiel. Sa jambe droite semblait avoir été rongée par un animal tant elle était rouge et décharnée.
Le mal qui devait lui donner la mort en dévorant ses muscles s’était miraculeusement contenté d’une seule de ses jambes.
Izaak, le père, accrocha autour du poignet de son fils une fine gourmette, un éclat de pierre noire d'Ebenezer figé dans l’argent. Elle représentait plusieurs mois de salaire, mais aussi sa meilleure chance de vaincre le mal et attirer la main bienveillante de l’Unique. Il baisa le front de son enfant, lui murmurant :
« Cette pierre, mon fils, t’aidera dans cette épreuve. Ta foi a été testée et tu t’es montré digne, mais il reste encore bien du chemin avant la fin de cette épreuve. Puisse ta foi ne jamais faiblir. »
Se tenant par les épaules, ils regardèrent en silence leur enfant.
Dix-huit mois plus tard, Lodewijk sorti debout de l’hôpital, appuyé sur une canne, le visage émacié, mais rayonnant. Lodewijk savait avoir été touché par l’Unique, que cette jambe ne serait pas une faiblesse, mais le symbole de sa bénédiction.
Velcer 78, Une enfance testée – hôpital d’Alégria – Renaissance
« Lodewijk Lazare, asseyez-vous je vous prie »
Le jeune homme s’assied sur une chaise inconfortable, en face d’un bureaucrate derrière un imposant bureau. Le bois de la chaise grince, tout comme le plancher.
« Vous êtes bien né en 70, de Izaak Lazare et Leentje Lazare, née Hedvig, sur Renaissance ? » Demande l’homme en consultant le dossier devant lui.
« Oui monsieur »
« Est-ce bien en 76 vous êtes tombé malade, hospitalisé d’urgence pour une dégénérescence musculaire ? »
« Oui monsieur, j’ai dû quitter l’E-cole, mais on m’a assigné un percepteur qui s’est chargé de mon éducation durant ma convalescence. »
« Hmm... » commenta l’administrateur, annotant son dossier d’un crayon à papier.
« Vous sortez de l’hôpital en 78, c’est bien cela ? »
« Non, 78 c’est la date à laquelle l’Unique m’a sauvé, ne laissant que ma jambe droite au mal qui me rongeait. C’est en 80 que je suis sorti, après 4 ans d’hospitalisation »
« Décidément... » Grommèle l’homme en grattant la feuille de son crayon. « Vos parents avaient donc les moyens de payer vos soins et veiller à votre éducation...quelles sont leurs sources de revenu ? »
« Les entreprises Hedvig-Lazare. Elles fournissent l’Eglise en chandellerie et en cierges. Père administre le groupe, Mère en est la secrétaire générale. » Récite le jeune Lodewijk, une pointe de fierté dans la voix.
« Bien, très bien...Et vous allez suivre la trace de vos parents ? » Répond l’homme, faussement intéressé.
« Je souhaite servir l’Unique plus...profondément, plus directement. C’est pour cela que j’ai intégré l’E-cque, avec une très forte contribution de mes parents. Père a toujours dit que l’argent sert à nourrir les plus grand projets, c’est en échange d’une promesse d’excellence qu’il m’a financé l’E-cque. »
« Et j’imagine que vous ne l’avez pas déçu » Répond rhétoriquement l’administrateur.
« Comme en atteste mes résultats, ainsi que vos tests et vos enquêtes, je présume. »
Bercer 94, Lodewijk Lazare passant son entretien, bureau des aspirants Inquisiteurs, Renaissance
« Monseigneur, je suis satisfait de ma mission ici, en quelque mois j’ai pu purger les effectifs des éléments faibles, l’avenir des FAS n’en sera que plus resplendissant. Cependant j’ai le sentiment que je pourrai mieux servir, j’en ai la certitude. » Constata Lodewijk, la tête inclinée face au maître Inquisiteur.
« Inspecteur Lazare, nous reconnaissons votre travail ici, de même que l’efficacité de vos méthodes » Ajouta le maître Inquisiteur, en regardant les déserteurs et hérétiques gémissants, crucifiés dans le parc de l’académie militaire. « Cependant vous êtes victime de votre succès, nous sommes bien trop satisfais de vos résultats ici pour vous laisser partir aussi vite, sinon la fiabilité future des FAS en pâtira. » Le maître Inquisiteur fait une pause pour boire une gorgée de son thé, encore fumant. « Deux ans. Continuez ainsi encore deux ans et trouvez-vous des apprentis, quand ils seront capable de vous remplacer, alors vous pourrez rejoindre l’Oeil. »
« Bien, très bien Monseigneur, je ferai ce que vous m’ordonnez. Envoyez-moi vos aspirants Inquisiteurs et je les modèlerai à mon image. » Répondit impassiblement et servilement Lodewijk.
Nocer 97, bureau du maître-Inquisiteur, Temple de l’Inquisition, Renaissance
« Inquisiteur Lazare, approchez-vous » Lodewijk sorti du rang de ses pairs, de sa démarche boiteuse, et dans une grimace de douleur, mit genou à terre.
« Votre Excellence Sérénissime » renchérit Lodewijk en baissant la tête. L’Archevêque lui posa doucement une main sur le haut du crâne.
« Cela fait plusieurs années que vous servez avec un zèle exemplaire. Votre nom est devenu un symbole, inspire vos pairs, rassure nos ouailles et fait renoncer nos ennemis, il est temps pour vous de mieux encore nous servir. »
Le cœur de Lodewijk accéléra soudain, cela faisait longtemps qu’il attendait cela. Il ambitionnait de diriger l’Œil depuis qu’il avait mis le pied dessus, en 99 ADD. D’abord Chapelain, il ne fallut que deux ans avant qu’il soit promu Second. Après quatre ans à ce poste, Lodewijk estimait avoir fait ses preuves.
« Nous vous confions le poste de Capitaine de la Pierre au Fusil » Lodewijk avala sa salive de travers, se fit violence pour ne pas tousser. L’étiquette lui imposait le silence et la gratitude, pourtant au fond de lui, il sentait de la contrariété.
« Nous vous faisons confiance pour vous en montrer digne. »
Il avait la gorge sèche à présent, un goût amer en bouche, Il ne parvenait pas à se réjouir de cette promotion méritée et cette responsabilité depuis longtemps désirée.
« Relevez-vous, Capitaine Inquisiteur Lazare »
Lodewijk failli s’effondrer quand il voulut se redresser, deux de ses pairs s’étaient dépêchés de l’aider, le soulevant par les aisselles. Lodewijk était rouge de confusion, légèrement tremblant de contrariété.
« C’est…un honneur votre Excellence Séri…Sérénissime » Quand il fut de nouveau debout, s’appuyant sur sa canne. « Un honneur dont je me montrerai digne, que l’Unique et la Trinité en soit témoin. »
Alors que Lodewijk recevait son sacrement et les cades de la Pierre au Fusil, un silence empreint de respect régnait dans le Temple.
Natcer 106, Sacrement de Lodewijk au rang de Capitaine Inquisiteur, temple Inquisitorial, Renaissance
Toc, toc, toc...
Le bruit régulier de la canne de Lodewijk émerge du couloir et se répand bientôt dans la salle de réception. Il est alors accueilli par des applaudissements, lui légèrement rougissant. Ses parents ont organisé une somptueuse soirée en son honneur, en l’honneur de sa première année de Capitainerie, aux commandes de la Pierre au Fusil.
On le fait assoir dans un grand fauteuil et lui sert une flûte de champagne que l’on a sabrée l’instant d’avant.
Beaucoup de ses camarades de l’E-cque étaient présents, à savoir les étoiles Trinitaires montantes en Dorado. Qu’il s’agisse des nouvelles puissances industrielles, des juges en vogue, des Commandants, des aspirants Colonels ou des plus éminents Evêques de Renaissance. Le résultat d’une brillante jeunesse dorée, dont l’ascension était alimentée par les grandes familles Trinitaires intéressées par Dorado.
Sous le sourire bienveillant et satisfait des quelques anciens, la franche camaraderie reprenait son droit et la vingtaine de jeunes hommes se mirent à rire en se tapant dans le dos, évoquant leurs souvenirs de jeunesse, leurs âneries et leur naïveté aujourd’hui disparue. Bien entendu, leurs étroits liens ne s’arrêtaient pas à leurs retrouvailles, mais habitait leur quotidien. Un puissant filet de relation jeté sur la société Trinitaire.
Comme il était de coutume avec lui, l’Archevêque arriva en milieu de soirée, avançant des excuses que personne n’irait vérifier. Embrassant sélectivement les personnes de la pièce, une façon d’afficher sa proximité avec ses certains, à défaut des autres. Bien entendu Lodewijk et ses parents en firent partie. La soirée se poursuivit encore une heure, avant que l’heure ou les responsabilités de chacun les appellent à partir.
Tercer 107, Célébration de la première année de Capitainerie de Lodewijk, Demeure familiale, Renaissance
« Quelle infamie, quelle vie de débauche, d’iconoclasme et de blasphème. Agneau perdu, égaré, je vous offre une ultime chance, une inespérée main tendue. »
Lodewijk, sa foi bouillonnante au bord des lèvres, la regardait avec intensité. Une beauté sauvage, une femme vivant de chaos et pêché. Droguée, maintenue debout par la garde inquisitoriale, Lodewijk se tenait devant elle, mains croisées dans son dos.
« Il vous a observé durant votre vie et vous a mené à moi pour vous absoudre de vos pêchés. Ma fille, il n’est jamais trop tard, je vous offre cette chance, confessez-vous, mettez votre âme à nu et je vous offrirai ma bénédiction »
Lodewijk serrai ses mains dans son dos, il souhaitait sincèrement sauver cette femme pirate.
« Je…ne…vous dirai…rien » Peina à articuler la pirate, un sourire se dessina sur ses lèvres « Plutôt…mourir »
Lodewijk pinça les lèvres et son regard vint heurter l’âme de la jeunette si fort qu’elle en pâlit. Sans la quitter du regard, il recommença à parler :
« Léonor Mossy, vous êtes morte depuis déjà bien longtemps, j’ai tenté de sauver votre âme, mais elle semble bien trop souillée. Toutefois, avant de vous purifier, nous allons vous extraire le nom de celui ou celle qui vous les a fourni. » Dit Lodewijk, en pointant du doigt les Mo’at à sa droite, entassés dans une cage.
Posant une main amicale sur l’épaule de l’interrogateur à sa gauche, Lodewijk lui dit :
« Je vous laisse avec elle, faites-moi quérir quand elle se fera bavarde »
Timcer 108, Interrogatoire après un abordage, à bord de la Pierre au Fusil, dans l’Espace
« Renforcez le bouclier frontal et faites chauffer les réacteurs, manœuvre d’abordage imminente. Contactez leur vaisseau, je veux leur parler » Le Capitaine Lazare, une main sur sa canne, attrape un micro de l’autre, regardant avec intensité la caméra lui faisant face. Le voyant passant au rouge, il commence à parler :
« Ici le Capitaine Inquisiteur Lazare Lodewijk de la Pierre au Fusil. Eteignez vos réacteurs et préparez-vous à être abordé. Je ne tolérerai aucun refus. Terminé. »
Lodewijk s’assoie dans son fauteuil, range sa canne et lance ses ordres d’une voix stricte, mais aimable :
« Maître artilleur, verrouillez leurs moteurs, soyez prêt à faire feu à mon ordre. Pilote, approche prudente, soyez prêt pour des manœuvres d’évitement. Que l’équipe d’abordage se tienne prête. Tous à vos postes ! »
Verrouillant ses sangles, Lodewijk jette son regard sur la tablette tactique, il murmure :
« Quatre…trois…deux…un… » Son décompte terminé, il s’écrit alors : « Pilote, approche offensive ! Artilleurs, ouvrez le feu ! A tout l’équipage, préparez-vous à l’assaut ! Mon Père, inspirez-nous en faisant réciter La Rédemption, selon Saint Odat. »
Alors que la voix des choristes résonnait dans le vaisseau, les canons commencèrent à rugir et La Pierre au Fusil s’élança vers sa cible.
Odacer 110, Un jour comme tant d’autre, La Pierre au Fusil, dans l’Espace
« Les Inquisiteurs forment un puissant réseau d’information et de renseignement. Ils sont certes réputés pour leurs méthodes d’interrogatoire et la ‘disparition’ de quelques personnalités, mais leur capacité à découvrir des informations, les traiter et appliquer des mesures drastiques en réponse, voilà leur réelle puissance. » L’archiviste compose un code interminable pour ouvrir une chambre forte, le sceaux de l’Inquisiteur Lazare inscrit dessus. « C’est en cet exercice que l’Inquisiteur Lazare excelle. Il peut passer des jours à éplucher des registres, des enregistrements, à corréler des informations pour retrouver des noms, des adresses ou des coordonnées. » L’archiviste passe par un sas sécurisé, il se passe quelques minutes avant qu’il ne revienne, repassant par le même sas. La valise qu’il porte à la main est verrouillée et scellée. « L’Inquisiteur Lazare replonge souvent dans de vieux dossiers pour comparer ces noms, ces adresses, des détails qui parfois permettent de démasquer les hérétiques, les traîtres ou les déserteurs. ».
Après être ressorti de la chambre forte, il la verrouille, dans un impressionnant bruit de mécanique et de pistons.
« Depuis qu’il est Capitaine, ses nuits se sont encore raccourcies, ainsi que les miennes, mais il peut ainsi aller intercepter ou arrêter lui-même ses cibles, il est moins dépendant de la Prévôté ou des FAS. »
Après avoir rempli un registre et signé de sa plume, l’archiviste se met à marcher rapidement dans un couloir, vers un grand bureau.
« L’Inquisiteur Lazare ne vient plus que rarement à son bureau, ici, mais il en a un presque identique sur la Pierre au Fusil, auquel j’expédie tous les papiers qu’il me demande de rechercher dans ses archives. » Non sans fierté dans la voix, l’archiviste ajoute : « Nous avons fait un travail exceptionnel ses dernières années et avoir obtenu des résultats...très intéressants. Le Capitaine Inquisiteur Lazare est de plus en plus intéressé par les réseaux que les individus, il semble vouloir purifier et purger Renaissance en profondeur. » Après une pause, l’archiviste lance un regard grave. « D’ailleurs je vais vous demander de partir, je dois lancer une procédure de communication et nul ne saurait y assister sans y être invité. »
Natcer 110, les Archives Inquisitoriales, quelque part sur Renaissance