Paradis artificiels [Serena]

En fait les soirées sont les mêmes partout.
C’est la conclusion des réflexions de Vako, à demi noyées dans un verre de limonade faite avec un agrume étrange dont il n’a pas retenu le nom mais qui coûtait un rein. Les soirées d’Alegria ont exactement la même tête, les mêmes participants, les mêmes musiques que celles d’Espoir. L’accent est plus chantant mais c’est bien la seule chose qui change : il y a la fille en robe rouge, le type de deux mètres de haut trop musclé, celle qui raconte les histoires de tout le monde juste assez fort pour être entendue par la moitié des invités…

En fait non, il y a bien quelque chose qui change : il passe un peu moins inaperçu. Le mélange entre son accent trinitaire, sa veste en cuir et -il l’espère- son joli minois attirent les discussions autour de lui. Il y répond volontiers, plaisante toujours avec tact, sourit beaucoup.
Il est bien.
Un peu nerveux mais juste sur les bords, ses angoisses chassées par la musique et le brouhaha fascinant des fêtards tout autour, par les corps qui bougent dans les tenues de soirée.
Il n’est qu’un homme après tout, avec le désavantage certain de vivre une bonne partie du temps dans un vaisseau dans lequel il se refuse à copiner avec ses patients -soit l’intégralité des membres d’équipage. Il a bien le droit de se rincer discrètement l’oeil de temps en temps ! Peut-être se trouvera-t-il même une jolie fille à séduire pour qu’elle le ramène chez elle, il ne sait pas encore très bien. Il verra.
Là pour l’instant il observe, et il boit.

Serena n’a pas plaisanté ce soir.
Une robe rouge écarlate épouse ses formes, légèrement fendue sur les côtés, dévoilant ses fines jambes fuselées et hurle comme un appel aux sens. Ses cheveux châtains ondulent dans l’air et chutent en cascade en dessous de ses épaules.
Passablement énervée des derniers événements, Serena a bu pour passer le temps. Plus que de raison, au final, éméchée et amusée, elle s’amuse à onduler des hanches sur la piste.
Une main brutale se pose sur son épaule et son dos se retrouve collé contre un torse.
Des lèvres se posent à son oreille.

—T’avais dit que tu reviendrais pour nous remettre la pitance au beer pong.

Serena se décale, visiblement appréciant peu que quelqu’un entre dans son périmètre sans qu’elle ne l’autorise.
Elle croise fermement les bras sous sa poitrine et le toise d’un air sévère.

— J’ai pas mon acolyte.

Le garçon hausse un sourcil rieur et se penche vers elle.

— Trouve-toi en un. Sinon tu n’as que de la bouche.

Elle se sent insultée ! L'alcool n'arrangeant rien... Comment ose-t-il s’adresser à elle de la sorte ?Elle va lui montrer et lui faire fermer sa bouche, à celui-là ! Alors qu’il s’extirpe de la foule en affichant un énième sourire provocateur, le regard de Serena scanne les alentours.

Elle en trouve un. D’acolyte.

Grand, charmant. De dos, en tout cas. Si en plus elle pouvait se rincer l’œil pendant qu’ils jouaient à aplatir l’autre et son égo mal placé…Que demander de plus ? Elle s’approche doucement, comme un tigre en embuscade, puis se met devant lui.
Encore plus charmant de face, tiens…

— Salut. Elle affiche un léger sourire et des fossettes timides s’incruste sur ses joues. J’aimerai beaucoup qu’on discute, toi et moi, autour d'un verre. Mais avant ça, j’ai un jeu à gagner et j’me disais… Que tu pourrais p'têtre m’aider.

Un léger silence.

—En échange, je peux me montrer généreuse.

Pour être un peu plus convaincante, son sourire s’accentue… ne se rendant pas compte tout à fait de l’ambiguïté de sa phrase.

- Salut ?

Robe rouge, jambes… Oh. Jambes parfaitement visibles. Vako remonte les yeux et les plante dans ceux de la jeune femme, très vite.

- Je suis toujours prêt à aider.

Pas parce qu’il a appris à faire des feux de camp dans une organisation pour jeunes garçons, mais plus parce qu’il est médecin et qu’il ne va absolument pas résister à une charmante demoiselle qui a besoin de lui. Il se paie même le luxe de lui faire un sourire charmeur en se relevant.
Et non, il n’a même pas besoin d’une récompense pour son coup de main, même si la générosité supposée de l’inconnue lui donne quelques idées qu’il n’exprimera jamais à haute voix. Il est beaucoup trop poli pour ça.

- Qu’est-ce que je peux pour vous ?

D’un pas lascif, Serena se glisse doucement à ses côtés, enroulant son bras autour du sien, elle ronronnerait presque, sourire mutin, elle joue les charmeuses, presque l’élégante compagne.

— Premièrement, vous me porterez une grande aide en me tenant compagnie.

Elle conclue sa phrase d’un léger clin d’œil et rigole légèrement.
Elle le dirige doucement là où elle veut le mener.

— Mon acolyte n’est pas présent pour me prêter main forte, en vous – te regardant. Elle passe brusquement au tutoiement. Je me suis dit que tu serais le remplaçant parfait.

Sourire d’ange. Une table plus loin. Avec des gobelets remplis de bières.

— C’est un jeu ancestral, et je suis sûre que tu seras le partenaire idéal. L’ambiguïté sonne dans sa phrase et cette fois-ci, c’est voulu.

En face d’eux, deux adversaires. Elle quitte son bras et se dirige vers la table.

— C’est bon, j’ai trouvé quelqu’un.

Les deux lèvent la tête vers Vako. Intrigués.
Serena attrape la balle et se dirige à nouveau vers lui.

— C’est simple. Le but est de viser l’un des verres des adversaires avec cette balle… Elle la lance, la balle manque son gobelet. Elle réprime une grimace déçue. …. Et faire en sorte qu’elle tombe dans le verre.

Un sourire amusé illumine son visage.

— Toujours partant pour m’aider ?

Il va se faire manger tout cru. Il est absolument certain que d’ici la fin de la soirée, la sirène en robe rouge n’aura eu que des “oui” de sa part mais honnêtement, il ne trouve pas la situation très désagréable. Un peu étonnante mais il mentirait s’il disait que le contact de l’inconnue contre lui est déplaisant. Il veut bien se faire dévorer.

- Vous n’avez pas idée d’à quel point je suis idéal pour ça...

Le jeu à boire comme le sous-entendu, sur lequel il rebondit sans sourciller, son air charmeur toujours accroché au visage. Vako se laisse docilement présenter, gratifie les adversaires d’une absence d’attention, les yeux fixés sur sa partenaire de beer-pong en pleine démonstration.

- Je suis partant pour tout.

Mais d’abord il va enlever sa veste, histoire de ne pas se sentir bloqué dans ses mouvements et peut-être aussi de dévoiler un peu plus de sa personne. Le cuir finit sur un dossier de chaise, la balle du jeu est récupérée, le médecin retourne de son côté de la table.

- Quel est l’enjeu ?

Il tente lui aussi un lancer, mais manque le gobelet visé. Un haussement d’épaules salue la performance : ça viendra avec quelques tentatives, il ne s’en fait pas beaucoup pour ça.

Vako attire toute son attention.
Lorsqu’il se dépouille de sa veste en cuir, Serena lui jette un furtif regard en biais équivoque : pas à en douter, il lui plaît, et l’idée de le posséder telle une gamine jalouse et possessive lui heurte violemment l'esprit.
Elle se détourne en se mordillant les lèvres calmement, comme si de rien n’était et se concentre sur le beer-pong.

— L’enjeu ?

Elle récupère la balle, s’avance vers lui et laisse remonter ses doigts comme une araignée gourmande le long de son bras.
Sourire en coin, elle s’avance près de lui.
Serena flirte avec la bienséance en jouant sur sa proximité. Elle joue, elle aime déstabiliser.

— Il y en a un, mais je préfère laisser la surprise… pour l’instant.

Elle secoue la balle face à son visage comme pour un rappel et pour qu’il la prenne, l’éloignant légèrement pour le taquiner lorsqu’il va pour la saisir une première fois. Elle le laisse l’attraper la seconde fois.

— Si tu es le partenaire idéal, je suis sûre que tu seras capable de la mettre, cette fois-ci.

Elle conclue le tout d’un clin d’œil espiègle.

Il arrive que Vako soit absolument heureux de son passé. C’est un de ces moments : la main de la demoiselle en robe rouge remonte sur son bras, met le feu à son sang sur le chemin, et il peut se targuer de ne pas faire preuve d’indécence. Est-ce de la triche ? Peut-être. Il s’en fiche.

- Va pour la surprise.

Il s’amuse, il faut bien ça pour chasser l’impression qu’il se fait totalement manipuler. Lorsque l’inconnue lui dérobe la balle, il sécurise la prochaine tentative de la récupérer en lui enroulant les doigts autour du poignet sans serrer.

- Ouvrez les yeux et laissez faire les habitués.

Petit frimeur.
Mais c’est un petit frimeur qui ne fait pas que parler : il assure aussi aux jeux à boire semble-t-il. La balle atterrit bien proprement dans un verre, occasionnant un petit brossage d’épaule un peu frimeur du médecin. L’idée qu’il va devoir s’alcooliser lui remonte au cerveau… Et il l’ignore juste. Il verra plus tard.
Là il se retourne vers la sirène et s’en rapproche pour lui ronronner dans l’oreille.

- Convaincue ?

Quand Vako s’approche d’elle pour lui souffler un murmure dans l’oreille, Serena pivote brusquement – par surprise, surtout – le visage pour lui faire face, à tel point que leurs lèvres s’effleurent par mégarde tellement ils étaient proches. Les joues embrasées par cette brusque proximité et pour ne pas qu’il remarque son trouble, sa main serpente jusqu’à sa nuque et elle le maintien contre elle, se hisse sur la pointe des pieds, murmurant du même ton joueur à son oreille.
Elle le veut tout aussi troublé qu’elle.

— Maintenant, j’en suis très convaincue.

L’envie de lui mordiller le lobe la prend subitement mais elle se retient de le faire. Son étreinte autour de sa nuque se desserre et elle se recule, affichant une moue faussement innocente à Vako.
Elle pivote, lui offrant son dos, face au jeu. L’un des adversaires envoie la balle… qui atterrit aussi dans leur verre. Serena s’en saisit, se tourne à nouveau vers Vako.

— On partage, monsieur… ?

La fin de question laisse supposer qu’elle désirerait savoir son prénom. Elle se saisit de la balle.

— Vous allez voir de quel bois j’me chauffe !

Et d’un léger mouvement souffle, en cassant très légèrement son poignet, elle tire… et la balle tombe aussi au fond du verre. Tout sourire, elle accorde un sourire narquois et suffisant à Vako conjugué à un haussement de sourcil sexy, l’air de dire « Alors ? »

Pour être troublé… Il l’était déjà, et depuis longtemps, alors rajouter de l’huile sur le feu ne change plus grand-chose. Il a juste terriblement envie de la voir encore mieux s’accrocher à lui, de passer ses mains sous cette robe, de beaucoup d’autres choses que la décence réprouverait sans doute.
Mais ce n’est pas le moment. Il se contente de profiter de la vue qu’offre la jeune femme de dos, pas totalement discrètement s’il faut être honnête. Il n’est sans doute pas le premier invité de la soirée à le faire.

- Vako, sans monsieur.

Le verre finit dans la main du médecin le temps que la dame sirène ne marque son point, ce qui lui donne une idée. Lorsqu’elle se retourne avec son sourire, il n’hésite pas une seconde à prendre une gorgée de bière avant de se pencher un peu vers elle et de l’embrasser légèrement, avec un soupçon de langue, tout en essayant de rester respectueux. C’est un numéro d’équilibriste qui l’amuse beaucoup.
Alors ça. C’est sa réponse aux sourcils provocateurs.

- Vous voulez votre moitié de verre maintenant que vous avez goûté ?

Des adversaires, quels adversaires ? Qu’ils s’impatientent donc en buvant leurs deux verres, il s’en fiche : Vako est beaucoup trop occupé à répondre aux avances de l’inconnue.

Vako, hein ?
Charmant prénom.
Lorsqu’il se penche pour l’embrasser, Serena se fige dans la surprise. Il faut dire qu’elle ne s’y attendait pas du tout ! Prise à son propre jeu, sentant les lèvres chaudes de Vako, le contact ne lui déplaît pas, c’est même tout l’inverse. Elle regrette presque de ne pas s’être collée plus à lui pour qu’il puisse sentir davantage ses formes contre son torse.
Elle serait presque tentée d’en demander plus. Dans sa nonchalance féline et turbulente de sensualité, elle lui attrape le verre et le porte à ses lèvres.

— Je serais presque tentée de goûter de cette manière tous les verres. Fredonne-t-elle sensuellement, assez bas pour que seul lui puisse l’entendre.

Restant sage pour le moment, elle finit le verre et le repose sur la table.

—C’est parti!

Elle saisit la balle, s’avance vers Vako comme un fauve contourne sa proie, pianotant des doigts sur son épaule.
Elle se hisse sur la pointe des pieds pour souffler à son oreille.

—Si tu mets cette balle…

Un ronronnement.

— …Je t’invite à danser avec moi jusqu’au bout de la nuit.
Elle adorerait voir son visage être un peu plus troublé, cherchant sûrement le double sens de cette dernière phrase.

- Je peux vous arranger ça.

Le médecin susurre sa réponse, très satisfait de son effet : ce ballet laisse présager une fin de soirée mouvementée. Peut-être. Il y aura un peu à discuter avant ce genre de choses et pour l’instant, il n’en a pas envie.
Et il y a une balle à lancer. Il la récupère en laissant volontairement ses doigts toucher ceux de la demoiselle… Dont il ne connaît toujours pas le nom.

- Si je mets cette balle…

Il rougit, un peu, le cerveau vraiment plein à craquer d’idées allant jusqu’au bout de la nuit et les impliquant tous les deux.

- Je commencerai par vous demander votre nom.

Parce qu’il est bien élevé. Mais pas trop non plus, comme en témoigne le court effleurement de ses lèvres sur le bout du nez de la jeune femme avant qu’il ne se mette en place pour jeter la balle.

C’est un échec. Il hausse les épaules, fataliste. Autant pour le nom. Est-ce qu’il a toujours le droit à l’invitation à danser… ?
Il n’a pas le temps de poser la question à sa partenaire qu’un des adversaires réussit son propre tir. Le verre est récupéré par Vako et tendu à la séductrice en rouge, pour ce qui a l’air d’être le grand déplaisir des types en face.

- Si vous voulez me faire goûter...

La balle ricoche contre le verre, Serena pousse un soupir désapprobateur, juste pour taquiner l’égo de Vako. Quand il lui tend le verre pour lui faire goûter, Serena lui attrape sensuellement avant de le porter jusqu’à ses lèvres, sans le lâcher du regard.
L’occasion est trop belle ! Elle s’approche, en roulant des hanches, jusqu’à lui. Laissant sa main serpenter jusqu’à sa nuque laissant ses ongles caresser sa peau comme prémice, elle s’avance avec un léger sourire coquin, et lui fauche les lèvres avec une passion enfiévrée. Durant cet échange elle ne laisse place à aucun doute, en brisant les limites de proximité tandis qu’elle se presse contre lui, prenant appui avec sa main contre sa nuque, laissant ses formes s’écraser contre le torse de Vako, l’embrassant jusqu’à lui en donner le vertige, profitant pour caresser sensuellement sa langue de la sienne et conclure ce baiser… en lui mordillant la lèvre inférieure, tirant dessus légèrement.  
Elle s’éloigne en se léchant les lèvres, espérant être satisfaite de cet effet.
Elle aime ce jeu où ils se cherchent, le provoquer aussi, surtout. Pour voir ce qu’il a dans le ventre.

— Nous en étions où, du coup ?

Les deux types ont l’air ennuyé d’assister à un tel spectacle mais Serena s’en fout. L’alcool lui arrache le désir de l’emporter. Le seul pour qui elle n’y a d’yeux maintenant…
…C’est Vako.
Se saisissant de la balle, Serena la lance, et se tourne directement vers Vako pour laisser le suspens. Lui seul peut voir si elle rentre... ou pas.

Vako répond au petit jeu de la sirène en mettant ses deux mains au creux de son dos pour la tenir contre lui, réplique tout aussi indécemment à son baiser sans pour autant en reprendre le contrôle, toujours parfaitement satisfait de sa position de pauvre pêcheur séduit par la belle.
Et puis c’est difficile de se concentrer avec moins de sang dans le cerveau, il faut bien le dire, et il n’y en a plus beaucoup dans celui du médecin. Juste de quoi lui faire avoir des idées pour continuer à jeter de l’huile sur le feu.

La balle qui manque les verres, par exemple, lui donne une bonne raison de s’approcher. Leurs adversaires manquent aussi le coche et lui donnent le champ libre pour récupérer le projectile.
D’une main placée sur la robe rouge au niveau de la hanche, il fait tourner sa binôme pour pouvoir se lover dans son dos, lui mettre la balle dans la main.

- Plus comme ça, le lancer.

C’est à la limite de la danse collé-serré cette histoire, avec la visée comme excuse douteuse très vite fichue en l’air par les lèvres de Vako posées juste derrière l’oreille de la séductrice.

- Porte-bonheur, ronronne-t-il malicieusement. A vous.