Felipe cumpleaños!

Mon quart s'est achevé. Malgré la froideur qui teinte mes relations avec notre nouveau Capitaine, je tiens correctement ma place de second. Mon admiration pour cette femme n'a pas diminué avec les semaines, au contraire. Après mon quart, une partie de l'équipage m'a fait une petite fête. Nous avons vidé quelques verres au mess sans cérémonie, sans hiérarchie. Mia n'en était pas. Je ne le prenais pas mal. Les hommes sont toujours très sensible aux relations de leurs supérieurs et ils avaient probablement voulu éviter un malaise. J'avais un peu bu. De retour dans ma cabine, un paquet m'attendait. L'ouvrant, je n'avais pas pu m'empêcher de sourire. Bien joué, une nouvelle fois. Je passais la médaille en chocolat autour du cou et décidais que c'était suffisant. Elle avait fait un pas vers moi. Quelque chose qui n'était pas professionnel. A mon tour de lui signifier que je n'étais pas opposé à un réchauffement de nos relations. Rien de trop extravagant cependant. Il ne fallait pas que je me découvre bêtement. Je ne voulais plus souffrir.

Vêtu simplement d'un t-shirt qui dévoilait quelques unes des cicatrices sur mes bras et d'un pantalon d'uniforme décontracté, ma fausse médaille toujours autour du cou, je frappais d'abord à sa cabine puis, en l'absence de réponse je dirigeais mes pas vers la salle de réunion, frappais et entrait.

"Bonjour Capitaine." Jusqu'ici, j'avais mis des "mon" (pour Monsieur, réservé en général aux hommes pour signifier que je parlais du poste et non du grade avec lequel nous jouions tous les deux). Je pris une inspiration. "Pourrais-je vous tenter avec une partie d'échec ?"

La salle de réunion était devenue mon repaire, ces derniers temps. Empruntant des livres papiers à la maigre bibliothèque du navire - car rien ne pouvait remplacer le papier, peu importe le modèle de HCom -, je n'avais cessé de me cacher ici pour y lire tranquillement pendant les rares pauses que je m'accordais. Il s'agissait, cette fois, d'un mémoire de stratégies spatiales, écrit officiellement par le tant regretté Commandant Garcia de Johal. Officiellement, pensais-je amèrement, simplement parce que j'en avais soufflé la plupart dans mes jeunes années d'écoles, où Garcia fut l'un des premiers et uniques lecteurs de mon mémoire.

On frappa soudain à la porte, avant que ne se révèle l'intrus : Felipe. Bien sûr. J'admets avoir jusqu'à cet instant tout autant espéré que craint sa visite, bien vite rassurée par le ton et les mots employés.

« Bonjour Capitaine », fis-je à mon tour, avec un sens caché que seul lui pourrait comprendre. « Pourquoi pas, tant que vous me ménagez un peu : je suis novice », rajoutais-je, avec un faux air innocent.

"Si vous le désirez, je jouerais un bras derrière le dos." répliquais-je avec la même fluidité qu'autrefois, amusé par ses bêtises. Derrière notre badinage, je lisais d'autres paroles, d'autres intentions mais je restais tout de même prudent. Je n'oublias pas malgré tout notre différent. Si j'étais maintenant prêt à tenter de le mettre derrière nous, je ne voulais pas être le seul à aller sur ce chemin. Je m'assis devant elle, étendant mes jambes sur le côté, à l'aise. "Blancs ou noirs ?"

« J'aurais peur que cela entache davantage mon honneur en cas de défaite », fis-je, avant de réfléchir à sa dernière question. « Blanc. » Ceux qui commencent, qui se dévoilent. Car n'était-ce pas là une chance inespérée pour le faire ?

Je sortais d'une poche intérieure un très petit coffret qui, déplié, montrait un jeu d'échecs miniature, avec des pions aimantés.

Je ris. "Votre tentative a été déjouée, Capitaine. Mon dossier médical le précise bien, je n'ai pour le moment aucun signe de presbytie malgré mon âge avancé. Cela ne vous donnera aucun avantage." J'attrapais donc les pions noirs et les plaçais correctement. Même jeune, Mia avait toujours été excellente à ce jeu au point que je refusais alors d'y jouer contre elle, n'aimant pas perdre à répétition. Nos intelligences respectives nous permettaient d'être à peu près au même niveau sur les autres jeux de plateau et nous étions alors rarement en manque d'imagination. "Comment vas-tu ?" tentais-je pour voir jusqu'où je pouvais aller.

Je lui souriais en réponse, sincèrement. J'espérais secrètement qu'il comprendrait les messages que j'aimais cacher dans mes actes et paroles, mais Felipe avait beau être vif d'esprit, il n'était pas dans ma tête. Non, il me faudrait être plus directe.

« Officiellement ou officieusement ? », lançais-je, hésitante, avant d'avancer un premier pion. Le jeu n'était de toute manière qu'une excuse, peu importait les coups portés.

"Officieusement. J'espère être assez attentif pour saisir tes états-d'âmes officiels." Peut-être pas, finalement mais j'osais m'avouer que, ce soir, peut-être à cause de l'alcool maintenant que j'y pensais, l'officiellement ne m'intéressais absolument pas. Je ne souhaitais pas travailler, je voulais juste sentir une ambiance décontractée auprès de quelqu'un que j'appréciais. J'avais beau avoir plein d'amis et de camarades sur le vaisseau, fidèle à ma philosophie du "fais-toi plein de potes, tu ne seras jamais seul même s'il en meurt", je ne laissais pas si facilement les gens m'approcher vraiment. Mia, c'était pire. Elle ne faisait même pas semblant d'être sociable, quand bien même elle était toujours proche de ses officiers. Je déplaçais un pion en miroir, pour l'embêter vaguement.

Il était temps de se lancer. « Honteuse, je suppose. »

Miroir, mh ?, fit instinctivement une voix dans ma tête, en arrière-plan de la discussion actuelle.

« Honteuse tout court, plutôt. » Je soupirais doucement, en poursuivant la partie. Bon sang, pourquoi tout cela m'était-il si difficile ? « Felipe, je ... »

"Oui ?" Je posais mes deux mains sur la table, ouvertes, détendues et je l'encourageais d'un sourire qui n'avait rien pour une fois, ni de moqueur ni d'auto-dérision. A elle de voir si elle voulait s'aider d'un contact physique pour passer le cap. J'étais attentif, la regardant avec une douceur dont je n'avais pas conscience. Pour autant je voulais qu'elle le dise. Je voulais qu'elle avoue, à voix haute.

Je poussais un soupir d'encouragement, avant de me lancer.

« ... Je suis désolée, Felipe. Je t'ai fait défaut, dans les grandes largeurs. Quand Zohar me l'a annoncé, je me suis menti, me promettant que je t'en informerais dès que le moment serait le bon. Et plus le temps passait, plus je m'enfermais dans un mensonge duquel je n'arrivais pas à sortir. Zohar avait beau me le rappeler sans cesse, je n'arrivais pas à trouver les mots, à savoir quoi dire, quand le dire. Comment le dire, aussi. Comprends-moi bien, je n'essaie pas de me chercher des excuses, je sais que je n'en ai aucune. C'est juste que ... Ce que nous avons - ce que nous avions », corrigeais-je, « rappelait à moi des sentiments que j'avais cessé d'espérer, que je pensais perdus. C'était idiot de ma part, mais en rétrospective, je pense que j'essayais de repousser l'inévitable. »

Elle l'avait dit. Et plus encore. Elle avait admis m'avoir menti, avoir joué de mes sentiments. Elle avouait aussi en avoir eu ou du moins qu'elle avait voulu en avoir. Je soupirais aussi, de tristesse, de nostalgie mais également d'une tension qui s'évaporait d'un coup. J'étais trop vieux pour les non-dits. J'avais trop donné à l'Empire. Toujours et encore. Je la regardais. C'était à moi de jouer. Je baissais les yeux et utilisait mon cavalier noir pour protéger mon pion de même couleur. Un mouvement stupide d'un point de vue d'échec pur. Sauf que nous ne jouions pas pour gagner, aujourd'hui.

"Je ne t'en veux plus." Par contre, je lui en avais voulu, beaucoup, et je ne l'avais pas caché. Je ne m'excusais pas non plus de l'avoir blessée le jour-même. Elle avait ainsi appris qu'il valait mieux me laisser redescendre tout seul au lieu de provoquer des discussions. Je suis comme je suis et trop vieux pour changer. "J'ai cependant des décisions à prendre." Pour la charge de second ou cette histoire de retraite et d'autres encore pour lesquelles elle n'était pas au courant. Les mois passant, je n'avais pu m'empêcher de faire des plans sur la comète. "J'ai besoin de savoir, Mia, ce que tu voudrais de moi." J'inspirais. "Quant à moi, quoi qu'il arrive, quoi qu'on décide, je suis ton ami et ton allié."

Il ne m'en voulait plus, et c'était un poids de moins dans mon coeur. Ca ne signifiait pas que nous étions quittes, et je ne doutais que la rancoeur resterait tenace, mais c'était un premier pas que je n'attendais plus.

Je prenais quelques instants de réflexion, songeuse. Je n'étais pas dupe : si Felipe souhaitait prendre sa retraite, nul doute qu'il avait une idée derrière la tête. Il n'était, après tout, pas du genre à partir se reposer, surtout en me laissant seule ici face au danger. Non, s'il pensait prendre sa retraite ... C'était pour mieux devenir milicien. Oui, c'était évident. La législation était, après tout, extrêmement floue en ce qui concernait les relations entre militaires et miliciens. Mais cela signifiait également renoncer à lui dévoiler certaines informations, qui ne sont pas accessibles à la Milice.

Autrement dit, je devais faire le choix entre le Felipe utile à ma cause, Second du Cerberus, ou le Felipe amoureux, milicien du Cerberus. Entre ma vendetta et mes sentiments.

« Si je veux mener à bien ma vendetta, Felipe, je ne peux me passer de ton aide. » Ce n'était que la pure vérité, bien que je bottais en touche pour ne pas répondre tant que je n'en savais pas plus sur la véracité de ma théorie.

"Ce n'est absolument pas la question, Mia." Elle bottait en touche et je n'étais pas assez stupide pour ne pas m'en rendre compte. Je la fixais, impatient au fond de moi de savoir, vraiment, ce qu'elle voulait vraiment. Moi je ne le savais pas. Mais moi, je ne venais pas de faire des excuses aussi c'était à elle de se découvrir, pas à moi. Je haussais les épaules, faisant semblant de ne pas comprendre les sous-entendus. "Je t'ai déjà dit que je t'aiderais de toutes les façons." Je souris. Cela pouvait s'entendre de plusieurs manières.

Bon. Soyons clairs, dans ce cas.

« Entre mes sentiments et mes objectifs, je ne sais pas quoi choisir. » Il avait insisté, voilà donc sa réponse. « Si tu deviens milicien, Felipe, je ne pourrais plus autant compter sur ton soutien qu'à l'heure actuelle. Et si tu restes militaire, je ne pourrais pas compter sur ce dont j'ai envie ... Ce dont j'ai besoin, peut-être », avouais-je finalement, le regard bas, en jouant un pion au hasard ; de toute façon j'allais gagner.

Ses sentiments. Dont elle avait envie, peut-être besoin. Elle se dévoilait en effet et bien plus que je ne l'en aurais cru capable malgré la prudence qui nous retenait d'épeler ce que nous étions en train de dire. Je décidais de bouger mon second cavalier, pour qu'il vienne à la rescousse du premier. Nous ne faisions pas réellement attention à notre partie, ce qui ne l'empêchait en général pas de les gagner quand même.

"Et si je restais dans l'armée mais sur un autre vaisseau ?" J'avais exploré plusieurs options lorsque j'étais seul dans ma cabine. Je n'irais jamais jusqu'à lui demander de choisir entre sa vendetta et moi. C'était impossible. L'Honneur et la Famille étaient trop puissants chez elle. J'aurais perdu à coup sûr. Et si j'avais gagné, elle n'aurait pas été Mia.

Je secouais doucement la tête, néanmoins rassurée qu'il ne mette pas un terme à l'un ou l'autre scénario.

« Tu sais toi-même que ça ne pourrait pas marcher, Felipe. Si tu t'éloignes, certains sauront remarquer les signes, surtout si nous devions comme par hasard nous retrouver de temps à autre à des endroits similaires. Et quand bien même ça ne serait pas le cas, je ne te crois pas capable de rester éloigné sans t'inquiéter sans raison. » C'était la vérité brute telle que je la voyais, en tout cas.

"Je ne suis pas certain que ce soit l'inquiétude qui me fasse chercher ta compagnie mais par pudeur, disons que je serais trop inquiet." J'ai un sourire amusé à cette idée malgré le côté paradoxal de notre situation. Je hausse les épaules. "Et désobéir ?" osais-je avec une tranquillité que j'étais très loin de ressentir.

Ce n'était pas du genre de Felipe d'hésiter, et pourtant ... L'impertubable Capitaine de Golazzo n'était-il pas, sous la carapace, aussi hésitant que je l'étais moi-même ? Je haussais à nouveau les épaules. Désobéir. Autrement dit, tout risquer sur une amourette : notre statut, notre réputation, mes objectifs, les siens, tout cela en dépit de tout pragmatisme.

« Honnêtement, je ne sais pas, Felipe. Je ... Je pense que j'ai besoin d'y réfléchir. »

"Réfléchis-y. Je peux tout prendre sur moi. Malgré nos positions respectives, il me serait facile de convaincre un jury que j'ai pu te contraindre, par la force ou par diverses pressions. Après tout, le machisme de notre faction peut devenir un avantage." J'avais moins à perdre qu'elle. Ma carrière était finie. Depuis mon dernier refus je savais bien que je n'aurais plus jamais de promotion de grade et peu de chance de me voir un jour élevé au dessus d'une position de second. Ma retraite viendrait, comme celle du Capitaine de Aragon suite à un coup d'éclat ou une défaite spécifique. Il ne me resterait plus alors qu'à retourner dans la demeure familiale et essayer d'être le moins inutile possible. Ce que je faisais sur le Cerberus, la raison pour laquelle je me donnais à fond n'était mon prestige personnel mais le bien de l'Empire et l'honneur de mon vaisseau. Ainsi qu'un certain esprit de compétition qui me faisait avoir horreur de ne pas être bon dans mes domaines.

Je le regardais, à mi amusée mi incrédule. « Et tu penses sérieusement que je te laisserais prendre le blâme ? »

En prétextent, de surcroit, que tu m'aurais violé ? J'admets que j'y aurais songé, tout du moins l'analyste pragmatique dans ma tête me l'aurait-elle suggéré. Mais m'y résoudre réellement ? Non, je ne pense pas que ce soit une option.

"Je pense pouvoir trouver les mots et les arguments pour te convaincre oui. Inutile de tomber à deux." Je haussais les épaules, tentant au mieux de simuler une indifférence. Qu'elle dise ne pas accepter de me lâcher me faisait plaisir, quand bien même j'étais parfaitement sincère quant à ma proposition. Je soupirais une nouvelle fois. Hésitait à nouveau. "Parfois, tu sais, je me demande pourquoi."

« Pour mon charme naturel et mon charisme à toute épreuve, quoi d'autre ? », lançais-je, d'un air si sérieux qu'il en était humoristique.

Je ris. Sans effort et sans arrière pensées, tellement sa répartie m'avait d'un coup sorti de mes pensées lugubres. "Evidemment. Où avais-je la tête. Je crois que c'est à vous de jouer, Madame l'ex-championne."

« Mmh ? Oh, ah oui. », fis-je en baissant la tête pour observer à nouveau le jeu, et avancer mon fou. « Echec et mat, je crois. Quelle chanceuse je fais. » Je lui souris avec un air tout aussi parfaitement satisfait que teinté d'une innocence feinte.

Je regarde le plateau, pour m'assurer qu'elle me dit vrai et que je n'ai plus aucun échappatoire. En effet, je vois mon roi bloqué par tous les côtés, y compris par le fou. Perdu pour perdu, je me décide pour le panache et déplaçais ma pièce maîtresse sur la trajectoire de la reine ennemie. "Je ne me rendrais jamais, Capitaine ! Je préfère tomber par mes choix que de me les laisser dicter par une pression ennemie !"